Par Didier Cariou, maître de conférence HDR en didactique de l’histoire à l’Université de Bretagne Occidentale
Quelques références
BRUNAUX, Jean-Louis (2015). La Gaule. Une redécouverte. La documentation photographique, n° 8105.
COLLECTIF (2011). Les Gaulois. Textes et documents pour la classe n°1025.
Cosme, Pierre (2020). L’Empire romain. La documentation photographique, n° 8136.
DEMOULE, Jean-Paul (2012/2014). On a retrouvé l’histoire de France. Comment l’archéologie raconte notre passé. Rééd. Paris, Gallimard, Folio (chapitres III et IV).
RESTARD-VAILLANT, Philippe (2014). Qui étaient vraiment les Gaulois ? Le journal du CNRS, n°246-247. En ligne : https://lejournal.cnrs.fr/articles/qui-etaient-vraiment-les-gaulois
Et bien entendu, le site internet de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP).
Mots-clés du cours
Archéologie, Traces, Barbares, Culture orale, Civilisation, Age du fer, Celtes, Gaulois, Peuples, Pagus, Oppidum, Aristocratie, Assemblée, Magistrats, Espace rural, Habitat rural, Artisanat, Outils en fer, Bijoux, Religion, Druides, Temples, Urbanisation, Monnaies, Commerce, Vase de Vix, Massalia, Vin, Etain, Tonneau, Conquête de la Gaule, Jules César, Vercingétorix, Alésia, Romanisation, Vecteurs de la romanisation, Edit de Caracalla, Citoyenneté romaine, Urbanisation, Cardo/décumanus, Forum, Syncrétisme religieux, Villa, Empereur, Culte impérial, Christianisation, Persécutions des chrétiens, Édit de Constantin, Édit de Théodose, Martin de Tours, Monastère, Évêque, Diocèse, Baptistère, Basilique, Païens.
Que dit le programme du CM1 ?
Extrait du programme du cycle 3 (2020)
Celtes, Gaulois, Grecs et Romains : quels héritages des mondes anciens ?
On se centrera ensuite sur les Gaules, caractérisées par le brassage de leurs populations et les contacts entre Celtes, Gaulois et civilisations méditerranéennes. L’histoire de la colonisation romaine des Gaules ne doit pas faire oublier que la civilisation gauloise, dont on garde des traces matérielles, ne connaît pas de rupture brusque. Les apports de la romanité sont néanmoins nombreux : villes, routes, religion chrétienne (mais aussi judaïsme) en sont des exemples.
Extrait de la fiche EDUSCOL :
Celtes, Gaulois, Grecs et Romains : quels héritages des mondes anciens ?
L’exploitation du mobilier du tombeau de la princesse celte de Vix (fin du VIe siècle avant J.-C.), l’étude de l’oppidum de Bibracte (IIe et et Ier siècles avant J.-C), tout comme les recherches récentes effectuées à Marseille pourraient être retenues par les professeurs comme objets d’étude pour témoigner de la prospérité gauloise et mettre en évidence les contacts établis entre les mondes celte et méditerranéen et l’importance des échanges. La conquête de la Gaule pourra ensuite être abordée grâce au croisement de sources différentes : extraits de la Guerre des Gaules, cartes historiques, reconstitution du siège d’Alésia suffiront à l’expliquer en dégageant la vérité historique clairement établie de la légende. Les spécificités du monde gallo-romain seront abordées à partir des nombreux vestiges qui subsistent sur le territoire et dans l’environnement des élèves, en particulier vestiges urbains témoignant du développement d’un nouveau mode de vie et de l’émergence d’une élite
Ce chapitre évoque « les mondes anciens », « la civilisation gauloise », « les civilisations méditerranéennes ». Il semble donc organisé autour de la notion de civilisation. Selon le grand historien Fernand Braudel, une civilisation est située sur un espace bien délimité et peut être localisée sur une carte. Elle est caractérisée par un ensemble de traits communs aux populations qui occupent cet espace. Elles partagent des traits culturels communs, des manières de vivre, des productions matérielles et culturelles, des religions, des manières de voir le monde, des langues proches. Ces populations connaissent une organisation économique et sociale similaire.
En outre, les civilisations ne sont pas étanches les unes par rapport aux autres. Elles échangent des biens matériels ou culturels, mais également des êtres humains, volontaires ou contraints. Il arrive qu’une civilisation influence ses voisines, voire les domine ou les absorbe, comme ce fut le cas pour la civilisation grecque puis la civilisation romaine à l’égard de la civilisation gauloise. Donc, une civilisation évolue, se transforme plus ou moins profondément au contact d’autres civilisations.
On ne peut que se féliciter de constater que le programme de CM1 ne nous incite pas à étudier une civilisation gauloise qui serait figée, essentialisée et mythifiée. Il nous conduit au contraire à étudier « les brassages de populations » permanents durant toute la période, les contacts et les échanges avec les Grecs puis les Romains et les Germains. Ce programme s’oppose donc avec bonheur à un certain discours politique qui voudrait faire de nous les descendants des Gaulois et qui récuse la seule constante de l’histoire de France : des migrations permanentes.
L’étude de ce chapitre vise donc l’étude de l’évolution d’une civilisation sur près d’un millénaire (de 500 avant notre ère à la chute de l’Empire romain en 476). Nous verrons qu’une civilisation évolue en fonction de facteurs internes, mais aussi sous l’influence des civilisations poches.
L’autre intérêt de ce programme est d’inciter les professeur.es à faire travailler les élèves sur des traces : des traces archéologiques, des vestiges monumentaux, quelques textes. Ces deux chapitres constituent donc une bonne occasion de faire réfléchir les élèves à la construction du savoir historique et de les amener à comprendre que l’on sait ce que l’on sait sur le passé en cherchant des traces, en les interprétant, en les croisant les unes avec les autres.
Introduction : pourquoi enseigne-t-on l’histoire des Gaulois seulement à l’école primaire ?
Pour étudier les Gaulois puis les Gallo-romains, il faut oublier Astérix. Cette bande dessinée nous renseigne sur ce que l’on pensait des Gaulois dans les années 1950. Cette caricature des Gaulois chevelus et moustachus, batailleurs, braillards et mangeurs de sangliers est issue des représentations erronées qu’en ont donné les Grecs et les Romains qui voulaient faire passer les Gaulois pour des barbares. Car la plupart des textes dont nous disposons au sujet des Gaulois ont été écrits par les Grecs (Poseidonios d’Apamée, Diodore de Sicile) et les Romains (Jules César) en conformité au stéréotype du Barbare (étranger ne parlant ni le grec ni le latin).
Ces écrits, sur lesquels reposaient la plus grande partie de nos connaissances sur les Gaulois jusqu’à la fin du XXe siècle ont contribué à faire croire que les Gaulois ont été civilisés par les Romains, et à justifier ainsi la conquête romaine.
Document : Une représentation des Gaulois par l'historien grec Diodore de Sicile
Les Gaulois ont le corps grand, la peau humide et blanche, les cheveux blonds par nature ; mais ils s’appliquent à accroître artificiellement le caractère spécifique de leur couleur naturelle : se lavant sans cesse les cheveux avec un lait de chaux, il les relèvent des tempes vers le sommet de la tête et de la nuque, de sorte que leur aspect ressemble à celui des satyres et des pans. Car leurs cheveux s’épaississent du fait de ce traitement, au point de ne différer en rien de la crinière du cheval. Quant à la barbe, certains se la rasent, d’autres la laissent pousser modérément. Les nobles, eux, se rasent de près les joues mais laissent pousser leurs moustaches, au point que leur bouche en est cachée : aussi, lorsqu’ils mangent, leur moustache est embarrassée d’aliments et, lorsqu’ils boivent, la boisson circule à travers elle comme à travers un filtre (…). Ils ont des vêtements étonnants, des tuniques peintes en diverses couleurs et brodées, des pantalons qu’ils appellent des braies. Ils agrafent à leurs épaules des sayons rayés, épais en hier, légers en été, divisés en carreau serrés et de diverses couleurs.
Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, vers 30 av. J.-C.
L’image des Gaulois reste ambivalente encore aujourd’hui : les Gaulois étaient des barbares mais ils étaient en même temps nos ancêtres. Ils ne peuvent donc pas être aussi barbares que les Germains, ancêtres des Allemands. L’évocation de longue date des Gaulois à l’école primaire relève de ce roman national, largement imaginaire, développé depuis le XIXe siècle, qui vise à faire croire que nous descendons de « nos ancêtres les Gaulois », plus présentables que les Francs, meilleurs candidats comme ancêtres des Français, mais un peu trop germaniques. En outre, après la défaite de l’armée française en 1870 face à l’armée prussienne, on fit passer Vercingétorix comme le héraut et le premier unificateur de la nation gauloise, elle aussi vaincue par un envahisseur.
La présence des Gaulois exclusivement dans le programme du CM1 est certainement un héritage de ce roman national : cette histoire d’ancêtres barbares n’est pas très sérieuse mais il faut quand même que les petits Français sachent qu’ils sont dotés d’ancêtres très anciens et attachants. Cette ancienneté rassure sur la solidité et la profondeur des racines de la France.
Au collège et au lycée, on revient aux choses sérieuse avec l’étude des seules véritables civilisations antiques, la grecque et la romaine.
Évidemment, l’étude de la civilisation gauloise et de son devenir jusqu’aux migrations de la fin de l’Empire romain, est une belle occasion de faire de l’histoire.
Encart : Les mots gaulois
On pense souvent qu’il ne reste rien de la langue gauloise qui était une langue orale. Pourtant, les lexicographes ont repéré dans notre langue française près d’un millier de mots passés par le latin. Ces termes concernent la nature, les animaux, les pratiques agricoles et les outils. En voici quelques exemples : alouette, ambassadeur, ardoise, arpent, balai, baume, barde, bec, berceau, bille (de bois), blaireau, bouche, boue, bouleau, bouse, braguette, braie, bruyère, caillou, cervoise, chamois, chariot, charpente, charrue, chemin, chêne, combe, galet, gaspiller, gravier, if, jachère, jarret, lance, lande, lieu, marne, mine, mouton, pièce, quai, raie, ruche, sillon, suie, talus, tonne, tonneau, trogne (nez), truand, truie, valet, vassal…
Nous ne disposons d’aucune source écrite en propre car les Gaulois se refusaient à pratiquer l’écriture. Leur culture était orale. Nous ignorerons à jamais la plus grande partie de leurs mode de pensée, de leur culture et de leur religion. Heureusement, les sources archéologiques sont abondantes : les tombes, les monnaies, les traces d’habitats, les vestiges urbains (Bibracte, Alésia...) et les fouilles des trois dernières décennies ont complètement renouvelé notre vision des Celtes et des Gaulois. Elles ont révélé des populations très variées, riche d’une civilisation complexe, fortement influencée par la civilisation grecque avant d’entrer dans la zone d’influence de Rome.
1. Celtes et Gaulois
1.1 Une civilisation de l’âge du fer
Les Celtes étaient des populations de langue indo-européenne. Venus d’Europe centrale, ces cavaliers à longue épée de fer s’infiltrèrent progressivement parmi les populations de l’âge du bronze. Leur arrivée fit passer le territoire de l’actuelle Europe de l’âge du bronze à l’âge du fer. Ils s’installèrent dans le sud de l’actuelle Allemagne dès le IXe siècle avant notre ère et parvinrent aux rivages de l’Atlantique au Ve siècle. Puis une nouvelle vague d’immigration eut lieu à partir du Ve siècle. Suivant la localisation des premiers vestiges archéologiques qui en furent retrouvés, ces deux périodes sont nommées Hallstatt (de 800 à 500 avant notre ère) et La Tène (de 450 à 50 avant notre ère).
Les Celtes réalisèrent ainsi une première unification de l’Europe au Ve siècle, de l’Europe centrale jusqu’à l’Atlantique : les formes politiques, linguistiques, religieuses et sociales étaient analogues dans toute l’Europe. Cette relative homogénéité supposait des courants d’échanges très forts à l’échelle continentale, échanges favorisés par une communauté linguistique. Certes, sur un si vaste espace, tous ne parlaient pas la même langue, mais une série de langues dérivées d’une origine commune.
Les civilisations de Halstatt et de La Tène
Cette carte présente le territoire des civilisations de Hallstatt et de La Tène. Le berceau du Hallstatt (- 800) est en jaune foncé, et les territoires sous son influence (- 500) sont en jaune clair. Le berceau de La Tène (- 450) est en vert foncé et les éventuels territoires sous son influence (- 50) sont en vert clair. Les territoires de quelques tribus celtes importantes sont nommés. Source : https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=4003285
1.2 La géographie de la Gaule
Les populations que nous appelons gauloises vécurent durant la période de la Tène, la deuxième période de l’âge du fer. Notre propos au sujet des Gaulois s’inscrit donc désormais sur une période allant de 450 à 50 avant notre ère.
Les Celtes, la Gaule et les Gaulois furent des inventions des Grecs et des Romains. Le nom des Celtes vient du grec Keltoi. Les Romains ont appelé Gaulois (Galli) les Celtes vivant entre le Rhin, les Alpes, la Méditerranée et les Pyrénées. Cette dénomination fut attribuée par Poseidonios d’Apamée qui visita la Gaule vers – 100 avant notre ère et qui inspira très fortement la description de la Gaule par Jules César. Ces frontières « naturelles » correspondaient à peu près à l’étendue des conquêtes de Jules César. Or, les Gaulois se distinguaient peu des autres Celtes vivant outre-Rhin, les Germains.
C’est pourquoi Christian Goudineau, ancien professeur au Collège de France, considérait que les Gaulois furent une construction de Jules César. Cette invention est bien pratique puisque le territoire ainsi délimité correspond sommairement à la France, à Belgique et aux Pays-Bas actuels. Voilà pourquoi, à partir du XIXe siècle, les Gaulois purent être considérés comme nos ancêtres. En outre, l’homonymie de Gallus (Gaulois) et de gallus (le coq) attribua cet animal comme emblème aux Gaulois, ce qui ne correspond sans doute pas à la réalité historique.
A l’instar de son nom, de son identité et de sa délimitation, la géographie de la Gaule fut fixée pour la postérité par César au tout début de son Commentaire sur la guerre des Gaules. Cet ouvrage est constitué de plusieurs livres rédigés en - 51 avant notre ère, après la conquête et envoyés à Rome pour faire la promotion de son auteur, vainqueur de ceux qu’il présente comme de dangereux barbares afin de rehausser son mérite.
Document : La description de la Gaule par Jules César
Toute la Gaule est divisée en trois parties, dont l'une est habitée par les Belges, l'autre par les Aquitains, la troisième par ceux qui, dans leur langue, se nomment Celtes, et dans la nôtre, Gaulois. Ces nations diffèrent entre elles par le langage, les institutions et les lois. Les Gaulois sont séparés des Aquitains par la Garonne, des Belges par la Marne et la Seine. Les Belges sont les plus braves de tous ces peuples, parce qu'ils restent tout à fait étrangers à la politesse et à la civilisation de la province romaine, et que les marchands, allant rarement chez eux, ne leur portent point ce qui contribue à énerver le courage : d'ailleurs, voisins des Germains qui habitent au-delà du Rhin, ils sont continuellement en guerre avec eux. Par la même raison, les Helvètes surpassent aussi en valeur les autres Gaulois ; car ils engagent contre les Germains des luttes presque journalières, soit qu'ils les repoussent de leur propre territoire, soit qu'ils envahissent celui de leurs ennemis. Le pays habité, comme nous l'avons dit, par les Gaulois, commence au Rhône, et est borné par la Garonne, l'Océan et les frontières des Belges ; du côté des Séquanes et des Helvètes, il va jusqu'au Rhin ; il est situé au nord. Celui des Belges commence à l'extrême frontière de la Gaule, et est borné par la partie inférieure du Rhin ; il regarde le nord et l'orient. L'Aquitaine s'étend de la Garonne aux Pyrénées, et à cette partie de l'Océan qui baigne les côtes d'Espagne ; elle est entre le couchant et le nord
Jules César, Commentaire sur la guerre des Gaules, Livre I, 58-51 avant notre ère
Cependant les vestiges archéologiques signalent des différences entre les populations que nous appelons gauloises et les populations germaniques. Il est possible que les Gaulois délimités par les Grecs et les Romains correspondent en fait à une réalité historique. Toujours est-il que, sur l’espace de la Gaule ainsi délimité vivaient probablement huit millions d’habitants, plus qu’en Égypte ou en l’Italie.
1.3 Une soixantaine de peuples
Avant la conquête romaine de la Gaule, vers le IIe siècle avant notre ère, les Gaulois ne formaient pas une nation au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Le territoire était maillé par une mosaïque d’une centaine de peuples, de collectivités de taille très variable. César a distingué une soixantaine d’États souverains, ou de principautés, qui appelait « peuples » ou « cités ». Le terme latin le plus utile est celui de pagus (pluriel pagi), à l’origine du mot "pays". Ces peuples entretenaient entre eux des relations parfois conflictuelles. Mais il arrivait que certains d’entre eux s’unissent en confédérations derrière un peuple plus puissant. Le pagus de chaque peuple était dominé par un ou plusieurs oppidum (ville fortifiée) dont le plus important tenait lieu de capitale. Avec la carte suivante, on remarquera que certains oppida (oppidum au pluriel) se situaient à l’emplacement de villes toujours importantes aujourd’hui. En outre, de nombreux peuples gaulois ont souvent donné leur nom à ces villes ou à des pagi.
Carte de la Gaule d’après la description qu'en donne Jules César dans La Guerre des Gaules
Chaque peuple était dominé par une aristocratie terrienne et militaire parfois très riche. Ces guerriers à cheval, armés de lances et de grandes épées en fer, tiraient leur prestige de la guerre et de leur munificence. Ils possédaient les terres cultivées par des hommes libres qui formaient les troupes de fantassins. Ces derniers se mettaient au service d’un aristocrate, d’un patron, dont ils devenaient les clients. En échange de leur fidélité, le patron assurait leur protection et leur subsistance. En bas de l’échelle sociale se situaient les esclaves.
La monarchie disparut vraisemblablement au cours du IIe siècle, si bien que le régime politique de ces peuples devint oligarchique et peut-être parfois même démocratique. Les membres des grandes familles aristocratiques constituaient ce que César nommait un sénat, et la masse des guerriers se regroupait dans une assemblée civique. Les membres de ces assemblées votaient les lois. Chaque année, ils élisaient un magistrat suprême, le vergobret, doté d’un pouvoir judiciaire et administratif. Ce dernier avait interdiction de sortir du territoire qu’il dirigeait. Ils élisaient également un chef militaire pour conduire les opérations militaires.
Les peuples les plus puissants constituèrent derrière eux des fédérations dotée d’une véritable administration avec un état-civil, organisant le cadastrage des terrains et la frappe monétaire. Comment purent-ils atteindre un tel degré de sophistication administrative alors que leur langue n’était pas écrite ? De fait, ils connaissaient l’alphabet grec et rédigeaient des textes en langue celtique à l’aide de cet alphabet.
Autel votif en langue gauloise utilisant des caractères grecs - Première moitié du Ier siècle avant notre ère - Hôtel de Sade, Saint-Rémy-de-Provence. Source: https://www.bnf.fr/fr/agenda/ecrire-chez-les-gaulois
Les historiens du XIXe siècle ont exagéré les divisions entre les peuples gaulois. Dès le IIIe siècle avant notre ère, les délégués des différents peuples prirent l’habitude de se réunir régulièrement dans des assemblées pour régler leurs différends et organiser leurs affaires communes. En outre, ces peuples partageaient une même culture matérielle et intellectuelle.
2. Une brillante civilisation
2.1 Une société rurale
Avant d’aller plus loin, vous pouvez visiter ce site de l’INRAP qui résume parfaitement la question : https://www.inrap.fr/magazine/bienvenue-gaulois/
Contrairement aux affirmations des Grecs et des Romains, la Gaule n’était pas la « Gaule chevelue » (Gallia comata) couverte de forêts. L’archéologie aérienne a montré que l’espace rural était largement défriché, sans doute plus qu’il ne l’est aujourd’hui. Impossible d’imaginer les Gaulois chassant les sangliers dans les forêts profondes. A partir du IIe siècle avant notre ère, l’espace rural connaissait un maillage très dense de fermes et de hameaux, comme le suggère la reconstitution de l’actuel plateau de Saclay, ci-dessous.
Aquarelle du site de l’Orme-des-Merisiers à Saint-Aubin à l’époque gauloise. © Laurent Juhel. Source : https://www.inrap.fr/magazine/L-archeologie-du-plateau-de-Saclay/La-prosperite-gauloise/Un-territoire-couvert-de-fermes?&s=article232#undefined
L’habitat rural était très varié : des gros villages aux activités diversifiées alternaient avec des fermes isolées de taille variée ou des hameaux dispersés dans les champs et les pâturages. Chaque ferme était constituée de plusieurs bâtiments : habitat principal du maître, habitats secondaires, étable, magasins, basse cour, granges, greniers, silos dans le sols pour le stockage des aliments. Elles étaient souvent entourées de fossés et de palissades.
Proposition de restitution de la ferme de La Hubertière, à Corps-Nuds (Ille-et-Vilaine). Neuf bâtiments, habitation et annexes, s’élevaient au sein d’un enclos de 1700 m2.
© Gaëtan Le Cloirec, Inrap
En Europe continentale, les Gaulois logeaient dans des maison rectangulaire de grande taille (les huttes circulaires se trouvaient dans les îles britanniques). Des poteaux porteurs en bois profondément enfoncés dans le sol soutenaient la toiture, les murs étaient faits de claies sur lesquelles était appliqué du torchis, le toit était en chaume ou en roseau. Une ouverture pratiquée dans le toit laissait passer la fumée, ce qui évitait le pourrissement du chaume.
Comment savons nous cela ? Il ne reste évidemment rien de ces maisons en matériau végétal. Seuls subsistent les trous des poteaux dans le sol. En fonction du diamètre et de la disposition de ces trous, les archéologues peuvent reconstituer le plan de la maison.
Document: Des archéologues posent à côté de trous de poteaux de grande taille, qui supportaient vraisemblablement le toit assez lourd d’une grange
Source : plan_de_la_grange_du_camp_de_saint-symphorien._cliche_yves_menez.jpg (788×1050) (kreizyarcheo.bzh)
Reconstitution d'une ferme gauloise. Archéodrome de Beaune, Merceuil, Bourgogne.
L’espace rural était densément mis en valeur pour cultiver les céréales (blé, orge, épeautre, millet) et pour pratiquer l’élevage. Les volailles, les porcs (et pas les sangliers !) fournissaient l’essentiel de l’alimentation carnée sous forme de salaisons et de graisse animale, les bovins fournissaient le lait pour la fabrication du fromage et leur force de traction pour les labours, les moutons fournissaient la laine, les chevaux étaient surtout propriété de l’aristocratie guerrière. Tous ces animaux fournissaient un fumier abondant pour amender les terres céréalières.
Encart : Le camp de Saint-Symphorien (actuelles Côtes d’Armor)
Un exemple fascinant du dynamisme des campagnes gauloises est celui de l’une des plus importantes fermes mise au jour à Paule (actuel département des Côte d’Armor), en centre-Bretagne. Le cas de cette ferme – d’abord ferme isolée puis habitat princier entouré progressivement d’une petite agglomération puissamment fortifiée - occupée sans interruption de 550 à 10 avant notre ère résume l’évolution des campagnes gauloises. Ce petit oppidum, nommé le camp de Saint-Symphorien, fut abandonné après la conquête romaine au profit de la ville nouvelle de Vorgium, l’actuelle Carhaix.
Vous en trouverez une présentation illustrée et très accessible par l’archéologue qui en a dirigé les fouilles sur le site : http://bcd.bzh/becedia/fr/une-residence-de-la-noblesse-gauloise-a-paule
2. 2 Un artisanat réputé
Mais surtout, les Gaulois, excellents artisans de l’âge du fer, était ingénieux. Ils inventèrent des outils en fer utilisés jusqu’au XXe siècle dans les campagnes : la bêche, la faux, la serpe, la houe, l’araire à soc de fer, la cognée, la scie… De même, chaque secteur artisanal fut doté d’outils que nous connaissons encore aujourd’hui : marteau, enclume, ciseaux, gouge, pinces, scie, etc. N’oublions pas le savon et l’invention significative des tonneaux cerclés de fer très utiles pour la conservation du vin.
Les artisans fabriquaient en outre des armes en fer réputées : des épées de 1,10 mètre si sophistiquées que l’on n’est pas capable aujourd’hui d’en reproduire les technique de fabrication, des poignards de 40 cm, des casques, des cotes de maille, etc. Ils étaient également capables de fabriquer des chars à quatre roues cerclées de fer ou des chars de guerre à deux roues cerclées de fer. Après la conquête romaine, la moissonneuse fut même inventée en Gaule Belgique.
A gauche : armes gauloises : casque, umbo de bouclier, épée, lances, talons, fibule
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d'Archéologie nationale) / Jean Schorman
A droite : épée courte à poignée anthropoïde
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d'Archéologie nationale) / Jean Schormans
Source : Saint-Germain-en-Laye, musée d'Archéologie nationale et Domaine national de Saint-Germain-en-Laye. http://musee-archeologienationale.fr/
Torque en bronze doré, 14,8 cm de diamètre. 4e siècle avant notre ère
Le plus fascinant sans doute sont les bijoux en verre, en or ou en bronze retrouvés dans les tombes princières. Les torques, symboles de puissance étaient portés autour du cou par les guerriers.
N’oublions évidemment les vaisselles en céramique et les poteries diverses.
Vaisselle en céramique retrouvée à Saint-Symphorien, à Paule (actuel département des Côtes d’Armor)
Source : http://kreizyarcheo.bzh/sites-archeologiques/sites-caracteristiques/camp-de-saint-symphorien
2.3 La religion des Gaulois
Selon quelques témoignages livrés par les Grecs et les Romains, nous savons que la religion était l’affaire des druides (« les très voyants ») qui présidaient les cérémonies religieuses et décidaient du calendrier liturgique. Le terme « druide » est apparu dans la littérature philosophique grecque du IIIe siècle avant notre ère. Les druides étaient donc connus des Grecs qui les considéraient comme des sages, et non comme des sortes de magiciens coupeurs de gui (légende diffusée par Pline l’Ancien au 1er siècle de notre ère). Le principal témoignage écrit sur les druides est celui de Poseidonios d’Apamée qui voyagea en Gaule vers - 100 avant notre ère. Ce texte est disparu mais nous savons que Jules César le paraphrasa dans La guerre des Gaules.
Document : La description des druides selon Poseidonios d’Apamée, reprise par Jules César
(13) Des deux classes privilégiées, l'une est celle des druides, l'autre celle des chevaliers. Les premiers, ministres des choses divines, sont chargés des sacrifices publics et particuliers, et sont les interprètes des doctrines religieuses. Le désir de l'instruction attire auprès d'eux un grand nombre de jeunes gens qui les ont en grand honneur. Les Druides connaissent presque toutes les contestations publiques et privées. Si quelque crime a été commis, si un meurtre a eu lieu, s'il s'élève un débat sur un héritage ou sur des limites, ce sont eux qui statuent ; ils dispensent les récompenses et les peines. Si un particulier ou un homme public ne défère point à leur décision, ils lui interdisent les sacrifices ; c'est chez eux la punition la plus grave. Ceux qui encourent cette interdiction sont mis au rang des impies et des criminels, tout le monde s'éloigne d'eux, fuit leur abord et leur entretien, et craint la contagion du mal dont ils sont frappés ; tout accès en justice leur est refusé ; et ils n'ont part à aucun honneur. Tous ces druides n'ont qu'un seul chef dont l'autorité est sans bornes. À sa mort, le plus éminent en dignité lui succède ; ou, si plusieurs ont des titres égaux, l'élection a lieu par le suffrage des druides, et la place est quelquefois disputée par les armes. À une certaine époque de l'année, ils s'assemblent dans un lieu consacré sur la frontière du pays des Carnutes, qui passe pour le point central de toute la Gaule. Là se rendent de toutes parts ceux qui ont des différends, et ils obéissent aux jugements et aux décisions des druides. On croit que leur doctrine a pris naissance dans la Bretagne, et qu'elle fut de là transportée dans la Gaule ; et aujourd'hui ceux qui veulent en avoir une connaissance plus approfondie vont ordinairement dans cette île pour s'y instruire.
(14) Les druides ne vont point à la guerre et ne paient aucun des tributs imposés aux autres Gaulois ; ils sont exempts du service militaire et de toute espèce de charges. Séduits par de si grands privilèges, beaucoup de Gaulois viennent auprès d'eux de leur propre mouvement, ou y sont envoyés par leurs parents et leurs proches. Là, dit-on, ils apprennent un grand nombre de vers, et il en est qui passent vingt années dans cet apprentissage. Il n'est pas permis de confier ces vers à l'écriture, tandis que, dans la plupart des autres affaires publiques et privées, ils se servent des lettres grecques. Il y a, ce me semble, deux raisons de cet usage : l'une est d'empêcher que leur science ne se répande dans le vulgaire ; et l'autre, que leurs disciples, se reposant sur l'écriture, ne négligent leur mémoire ; car il arrive presque toujours que le secours des livres fait que l'on s'applique moins à apprendre par cœur et à exercer sa mémoire. Une croyance qu'ils cherchent surtout à établir, c'est que les âmes ne périssent point, et qu'après la mort, elles passent d'un corps dans un autre, croyance qui leur paraît singulièrement propre à inspirer le courage, en éloignant la crainte de la mort. Le mouvement des astres, l'immensité de l'univers, la grandeur de la terre, la nature des choses, la force et le pouvoir des dieux immortels, tels sont en outre les sujets de leurs discussions : ils les transmettent à la jeunesse.
Issus de l’aristocratie, aidés par des prêtres subalternes (les vates), ils formaient un groupe social à part. Ils étaient considérés comme les principaux médiateurs entre les hommes et les dieux. Comme leur noviciat durait une vingtaine d’années, ils possédaient un savoir très étendu dans tous les domaines : astronomie et astrologie, géométrie, science des nombres, mémorisation des textes sacrés, divination, magie, médecine...
Mais leur principale fonction était de rendre la justice et de conseiller les princes car ils étaient fortement impliqués dans la vie de la cité. Lorsqu’ils se rendaient à l’assemblée des Carnutes, à proximité de l’actuelle ville d’Orléans, au centre géométrique de la Gaule, ce n’était pas pour cueillir le gui mais pour régler les différends entre les peuples. Ce fait montre également que les Gaulois avaient eux-mêmes une conscience très précise de leur espace puisque ce lieu de réunion se trouvait à équidistance du Finistère, des Pyrénées, du sud des Alpes et de l’embouchure du Rhin, ce qui correspond effectivement à l’espace « gaulois » décrit par Jules César.
Selon Jean-Louis Brunaux, archéologue et chercheur au CNRS, les druides étaient en fait des philosophes partageant les théories de Pythagore (580-497 avant notre ère) connues par l’intermédiaire des Grecs installés à Marseille. Ils croyaient vraisemblablement en la transmigration des âmes, ils pratiquaient l’astronomie, ils exprimaient la volonté de moraliser la vie de la cité. Ils rejetaient l’écriture pour conserver le secret de leur l’enseignement et pour éviter de le rendre accessible à des profanes qui pourraient en faire un mauvais usage. Selon eux, la connaissance se méritait, elle était transmise oralement, entre initiés qui pouvaient maintenir ainsi leur domination sur la société. En revanche, les livres de comptes ou les inventaires, préoccupations triviales, pouvaient exister sous la forme d’écrits utilisant l’alphabet grec puis latin.
En raison de cette prévention à l’égard de l’écrit, nous ignorons l’essentiel de la religion gauloise, de ses mythes, de sa cosmogonie. Seules, quelques traces archéologiques et quelques écrits grecs et latins fournissent quelques indications. Nous savons que Gaulois croyaient en l’immortalité de l’âme. Ils honoraient environ quatre cents dieux et déesses car de nombreux cultes locaux existaient sur une très vaste étendue géographique. Des cultes étaient rendu au ciel, à la terre, aux arbres, aux forêts, aux animaux. Des lacs et des sources étaient consacrés à des divinités. Cependant, les divinités les plus honorées étaient Taranis (le dieu du ciel, du tonnerre, des combats, figure solaire), Cernunnos (le dieu des forets, de la nature et du renouveau, aux cornes de cerf), Epona (la déesse des chevaux et des cavaliers), Teutatès (en fait le nom désignant le dieu tutélaire de chaque peuple).
Cette statuette retrouvée à Euffigneix en 1922 figure un jeune homme imberbe portant un torque autour du cou. Son tronc est occupé par un sanglier sculpté en bas-relief. S’agit-il d’une divinité ou d’un ancêtre glorieux ?
Statuette d’Euffigneix (actuelle Haute-Marne). 1er siècle avant notre ère. Calcaire, 28,5 cm de hauteur.
Cette statue de Barde à la lyre retrouvée à Paule (Côtes d’Armor) en 1988, dans un fossé de la résidence aristocratique de Saint-Symphorien, figure peut-être un ancêtre puissant arborant un torque et dont on aurait voulu garder le souvenir.
Les cultes locaux et familiaux semblent avoir progressivement disparu après le Ve siècle avant notre ère au profit de cultes encadrés par les druides. Les vestiges archéologiques montrent que, dès la fin du néolithique, des cérémonies collectives avaient lieu dans des espaces consacrés entourés de fossés ou de palissades. Ces temples se multiplièrent et se complexifièrent progressivement, comme le signalent les vestiges de Gournay-sur-Aronde (département de l’Oise) découverts en 1977.
Reconstitution du temple de Gournay-sur-Aronde (Oise)
Ce lieu de culte apparut au IIIe siècle avant notre ère. Il était constitué d’un enclos sacré quadrangulaire de 50 mètres de côté, entouré par une fosse extérieure et une fosse intérieure. L'entrée, à l'est, ouvrait face au soleil levant lors du solstice d'été. Le mur et les fosses symbolisaient vraisemblablement la séparation entre le monde sacré et le monde profane. Les fosses étaient remplies de grandes quantités d’ossements de bœufs, porcs, moutons (sans doute sacrifiés lors de cérémonies religieuses et consommés sur place par les participants au culte) et de restes d’armes rouillées. Les armes prises à l’ennemi étaient en effet accrochées aux palissades du sanctuaire, en offrande aux dieux, comme en Grèce. Quand, rongées par la rouille, elles tombaient à terre, elles étaient jetées dans les fosses. L’espace central était réservé au culte. Au centre de l’enclos se trouvait un autel creusé dans le sol, vraisemblablement pour communiquer avec des divinités souterraines, et protégé par une toiture à deux pans reposant sur des colonnes.
Selon Jean-Louis Brunaux, l’archéologue qui fouilla ce site, ce sanctuaire peut être considéré comme l’équivalent d’un temple grec, mais sans le caractère monumental de ce dernier. D’une certaine manière, la religion gauloise s’apparentait donc aux religions méditerranéennes.
3. Les facteurs de transformation de la civilisation gauloise avant la conquête romaine
3.1 Le début d’une société urbaine ?
La société gauloise subit un ensemble de transformations majeures à partir du IIe siècle avant notre ère.
Avant même la conquête de la Gaule par Jules César, de nombreuses cités se développèrent. Cette urbanisation progressive supposait un développement de la productivité agricole permettant de dégager des surplus alimentaires pour l’alimentation des cités. L’autre facteurs de développement urbain fut l’essor de la production artisanale et l’intégration progressive de l’espace de la Gaule dans les circuits commerciaux internationaux, comme nous le verrons plus loin.
Ces villes étaient des oppida, de vastes cités fortifiées, de plusieurs dizaines d’hectare parfois, et situées sur une hauteur. Elles étaient entourées du fameux « mur gaulois » d’une hauteur de 4 mètres environ, constitué d’une armature en poutres de bois assemblées par de clous en fer de 30 cm de long, recouvertes de couches successives de pierres et de terre, et revêtu d’un parement de gros blocs de pierre sur le devant.
Reconstitution d’un mur gaulois à Bibracte
Chaque oppidum abritait le centre du pouvoir politique d’un pagus. Les archéologues ont retrouvé des traces de quartiers différenciés (socialement et selon les activités), de voirie (trottoirs), et places publiques (marchés et foires, lieux de réunions politiques).
Par exemple, la cité de Bibracte (capitale des Eduens), située à 27 km de l’actuelle ville d’Autun, était située sur le Mont Beuvray, à 800 mètres d’altitude. Elle était entourée d’une enceinte de remparts de 5 km de long protégeant une superficie de 135 hectares sur laquelle vivaient entre 5 000 et 10 000 habitants. Située sur un carrefour d’échanges internationaux, elle abritait un important centre artisanal de production d’objets en métal.
3.2 Une économie ouverte aux échanges commerciaux
De longue date, l’espace de la Gaule était inséré dans le réseau des échanges commerciaux internationaux. Ce réseau mettait en relation le monde méditerranéen avec l’Atlantique par la vallée de la Garonne et avec les rivages de la Manche et les îles britanniques (production d’étain pour la fabrication du bronze, alliage d’étain et de cuivre) par les vallées du Rhône et de la Seine. Ces axes étaient contrôlés, protégés et exploités depuis les forteresses gauloises
Ces échanges étaient très anciens, comme l’atteste le vase retrouvé dans le tombeau de Vix, près de Châtillon-sur-Seine (actuel département de Côte-d'Or), en 1953. Cet énorme cratère en bronze d’une hauteur de 1,64 mètre, de 208 kg et d’une contenance de 1 100 litres (le plus grand vase grec antique jamais retrouvé !), avait été fabriqué dans le Sud de l’Italie alors peuplé de Grecs. Il contenait un mélange d’eau et de vin destiné à être servi à des centaines de convives lors de célébrations rituelles ou de fêtes. Le tombeau où il fut retrouvé était celui d’une princesse celte extraordinairement riche, inhumée vers 490 avant notre ère, parée de bijoux, allongée sur la caisse d’un char dont les roues avaient été démontées.
Le cratère de Vix
Torque en or de 480 g. Les extrémités figurent des pattes de lion, sur lesquelles sont installés des petits chevaux ailés
Reconstitution du char d’apparat sur lequel était allongé le corps de la défunte
Nous devons également évoquer ici la fondation de Massalia (Marseille), vers 600 avant notre ère par des colons venus de la ville grecque de Phocée. Des Grecs, grands consommateurs d’étain pour la production de bronze, fréquentaient l’embouchure du Rhône par où ils pouvaient s’approvisionner en étain venu des îles britanniques. C’est pourquoi ils fondèrent l’actuelle Marseille en contrepartie d’une active collaboration commerciale mais aussi militaire des populations locales contre les pirates ligures qui, depuis leurs montagnes, gênaient le trafic commercial local.
Le récit légendaire de la fondation de Marseille
Source : Documentation photographique, n°8105, p. 19.
Au contact des Grecs, les populations gauloises locales découvrirent des technologies et des produits nouveaux. Le principal fut sans doute le vin dont les Gaulois raffolèrent très vite. En retour, le transport de l’étain depuis les rives de la Manche jusqu’à celles de la Méditerranée supposait des traités commerciaux entre les populations des territoires traversés par ce produit, la construction d’entrepôts, la fourniture de bêtes de somme, des relais, une protection militaire des convois, etc. Le commerce de l’étain avec Marseille accoutuma toutes ces populations à travailler ensemble et contribua à l’extension de l’influence grecque sur une partie de la Gaule, de la vallée du Rhône à la vallée de la Seine.
D’autres cités furent fondées par des colons grecs sur le rivage méditerranéen : Nice, Antibes, Agde, etc.
Le IIe siècle vit une intensification des échanges commerciaux. La Gaule devint un immense marché tourné vers les rives de la Méditerranée. Les Gaulois importaient notamment des bijoux, de l’huile et du vin. A partir du IIe siècle avant notre ère, le vin de Marseille fut supplanté par le vin italien. Pour répondre à la demande gauloise, la péninsule italienne se couvrit de vignes et on construisit des bateaux pouvant transporter jusqu’à 1 000 amphores d’une contenance de 20 ou 25 litres de vin chacune. Les Gaulois exportaient vers les régions méditerranéennes des céréales, des salaisons, du tissu, des poteries et des esclaves.
La nature des produits échangés montre donc que les campagnes gauloises étaient intégrées aux circuits commerciaux internationaux et à l’espace économique méditerranéen.
Un facteur déterminant de cette intégration fut le développement d’une économie monétaire. A partir du IIIe siècle avant notre ère, les Arvernes commencèrent à frapper des monnaies imitant les statères d’or de Philippe II de Macédoine (le père d’Alexandre le Grand) ramenés de Grèce par des mercenaires gaulois. A l’avers figurait la tête d’Apollon, au revers le char avec lequel le roi Philippe II gagna la course aux jeux olympiques. Ces pièces attestent à nouveau de l’intégration de la Gaule dans la sphère culturelle du monde grec.
Un statère d’or de Philippe II de Macédoine
Toutefois, les monnaies gauloises se distinguaient de leur modèle grec car, en vertu d’un interdit druidique, il était impossible de figurer un dieu ou un homme. Pour répondre à cette contrainte, les cités frappaient des pièces aux dessins stylisés, géométriques et parfois même abstraits. C’est le cas de cette monnaie Osisme (peuple de la pointe bretonne), enfouie un peu avant la conquête romaine.
Statère en électrum retrouvé à Laniscat (département des Côtes d’Armor)
Cette monnaie retrouvée en centre-Bretagne présente des similitudes évidentes avec cette monnaie des Parisii de la même époque, retrouvée à Puteaux.
Statère d’or des Parisii
A partir du IIe siècle, des petites pièces de monnaie divisionnaire en plomb et en bronze (pour les achats du quotidien et le paiement des taxes), et des pièces en argent et en or (pour le commerce international et les dépenses de prestige), furent frappées par tous les peuples. Cette production atteste l’entrée dans une économie monétaire.
Vers - 100 avant notre ère, peu après la conquête de la Narbonnaise par les Romains, les peuples de la moitié sud de la Gaule (Eduens, Bituriges, Séquanes, Santons, Pictons) adoptèrent la même unité de change en argent : leur monnaie pesait l’équivalent d’un drachme de Massalia, à savoir 1/2 dernier d’argent romain. Cette décision, qui rendait aisé l'échange des monnaies, facilita les échanges avec la monde méditerranéen et signale surtout l’intégration de l’économie de la moitié sud de la Gaule à l’aire économique du monde romain, un demi-siècle avant la conquête romaine de la Gaule. Les échanges commerciaux s’intensifièrent. L’exploration des épaves de bateaux au large de Marseille a montré que de 500 000 à un million d’amphores de 20 à 25 litres de vin arrivaient chaque année en Gaule pour abreuver les Gaulois, soit entre 125 000 à 250 000 hectolitres chaque année.
Ces amphores circulaient dans toute la Gaule. Ainsi, les fouilles du camp de Saint-Symphorien à Paule (actuel département des Côtes d’Armor en centre-Bretagne) ont montré que l’aristocratie locale consommait beaucoup de vin italien dès - 175 avant notre ère. Aujourd’hui, les populations de cette contrée sont plutôt réputées pour leur consommation immodérée d’une célèbre bière locale, surtout lors du deuxième week-end de mois de juillet.
3.3 Un monde en mutation
Tous les indicateurs signalent que les Gaulois étaient prêts à s’intégrer au monde romain. En outre, le développement des échanges et de l’économie monétaire réduisit également l’influence des druides sur la société à partir du IIe siècle. Les intérêts matériels l’emportaient désormais sur les considérations morales et philosophiques que ces derniers voulaient imposer aux populations.
Cependant, tout ne se passa pas simplement. Le développement des échanges provoqua des tensions très vives aux IIe et Ier siècles. Les intérêts économiques des aristocrates guerriers et propriétaires fonciers favorables au statu quo s’opposaient à ceux des artisans et des commerçants, favorables au développement des échanges avec Rome, voire même à la pénétration romaine en Gaule. Ces tensions internes s’accrurent après la conquête de la Narbonnaise par les Romains
4. La conquête de la Gaule par les Romains
Marseille, alliée des Romains, étaient régulièrement victime des attaques des pirates ligures. Pour y mettre fin et pour s’assurer le contrôle d’une voie terrestre vers la péninsule ibérique, les Romains firent la conquête du sud de la Gaule entre 125 et 117 avant notre ère. Ils créèrent la province de la Gaule transalpine ("de l’autre côté des Alpes"), appelée aussi la province narbonnaise, du nom de sa capitale, Narbonne, fondée en 118 avant notre ère.
Cette conquête accrut la dépendance commerciale de la Gaule à l’égard de Rome, comme le signale la carte suivante.
L a Gaule, un espace connecté. Source : Revue L’Histoire n°439, septembre 2017.
Nommé proconsul en 58 avant notre ère, Jules César devait engager une campagne militaire pour faire avancer sa carrière. Fort opportunément, au même moment, les Helvètes cherchèrent à quitter le plateau suisse pour l’Aquitaine. Ce projet de migration risquait de déstabiliser l’équilibre politique entre les peuples d’une grande partie de la Gaule. Appelé par les Eduens, Jules César se porta à la rencontre des Helvètes, les vainquit et, ensuite, engagea la conquête de la Gaule. Alors que ses troupes se reposaient au pied de Bibracte, les représentants des peuples gaulois demandèrent à Jules César de les aider dans leur lutte contre le Germain Arioviste. Par la suite, durant sept années, Jules César réprima une série de rebellions contre ses alliés gaulois. De fil en aiguille, il conquit toute la Gaule, fit des incursions dans les îles britanniques, et mit en place une sorte de protectorat sur la Gaule, avec l’accord des représentants des peuples gaulois. Ces derniers manifestaient ainsi leur volonté d’intégration à l’espace économique méditerranéen.
Source : La documentation photographique, n°8105, p. 29.
Cependant, en - 52 avant notre ère, la plupart des chefs gaulois se révoltèrent contre les Romains. L’autoritarisme de César conjugué aux profits trop réduits tirés du soutien logistique et militaire des Gaulois aux troupes romaines, provoqua le discrédit les partisans de Rome dans les assemblées des différents peuples, y compris parmi les Eduens, les plus fidèles alliés de César. Les chefs gaulois nommèrent à leur tête Vercingétorix (vers 80-46), fils du chef des Arvernes, qui avait séjourné à Rome. Ce dernier remporta la victoire de Gergovie (à coté de l'actuelle ville de Clermont-Ferrand) contre l'armée romaine. L’armée gauloise s’installa ensuite dans l’oppidum situé sur le plateau d’Alésia (actuelle Côte d’Or) avec 80 000 guerriers. Jules César en organisa le siège en faisant dresser deux lignes de fortifications continues, d’un vingtaine de kilomètres de long, l’une dirigée contre les assiégés et l‘autre dirigée vers l'extérieur, contre une éventuelle armée de secours gauloise.
Vercingétorix dépêcha quelques guerriers afin de demander de l’aide aux autres peuples gaulois. Quarante-et-un peuples de toute la Gaule déléguèrent à Alésia près de 250 000 guerriers. Cette armée ne parvint pas à secourir les assiégés qui furent rapidement réduits à la famine. Vercingétorix dut se livrer et ses guerriers déposèrent les armes. Il fut égorgé à l’issue du triomphe de César à Rome, le 26 septembre 46.
Ces campagnes militaires provoquèrent un grand nombre de massacres et un afflux d’esclaves à Rome tel qu’il provoqua un effondrement du cours de cette marchandise.
5. La romanisation de la Gaule
5.1 Les vecteurs de la romanisation
La notion de romanisation désigne le processus par lequel les Romains imposèrent leur civilisation aux peuples vaincus dans tout l’Empire romain. Dans le cas de la Gaule, il s’agissait plutôt d’un processus de synthèse de deux civilisations qui donna naissance à une société que l’historien Jules Michelet nomma « gallo-romaine ». La romanisation de la Gaule a formé les racines de la France actuelle, à l’origine de la langue française, du droit romain qui fait que notre système judiciaire et juridique est très différent du système anglophone, de l'attachement au rôle central de l’État, etc.
Les vecteurs de la romanisation furent multiples.
Bien avant la conquête de la Gaule, comme nous l'avons vu plus haut, les marchands romains qui commerçaient avec une grande partie de la Gaule inclurent les Gaulois dans l’espace économique romain et leur donnèrent le goût des produits de consommation méditerranéens.
Les légionnaires installés en Gaule furent également des vecteurs de la romanisation. Ils construisirent un dense réseau de voies romaines souvent rectilignes, rayonnant à partir de Lyon (capitale des Gaules fondée en - 43 avant notre ère) vers l’Atlantique, la Manche et la Germanie. La fonction des voies romaines était d’abord militaire, elle permettaient le déplacement rapide des légions dans toute la Gaule. Elles étaient jalonnées de relais pour se restaurer, se reposer et changer d’attelage. Elles devinrent ensuite des axes commerciaux. Des bornes milliaires signalaient chaque mille (unité de mesure) le long des routes.
Borne miliaire placée à côté de la fontaine de la Trinité à Plouzané (Finistère). Vestige de l’ancienne voie romaine reliant Brest au Conquet (coll. part.)
Une fois leur service militaire achevé, les soldats s’installaient dans des cités, colonies romaines. Par exemple, les emblèmes de la ville de Nîmes sont encore aujourd'hui le crocodile et le palmier, car les premiers légionnaires installés dans la cité avaient servi auparavant en Égypte.
Ces anciens légionnaires et un certain nombre d’administrateurs romains contribuèrent à diffuser la langue latine, et de nouvelles pratiques alimentaires (moins de viandes, plus de fruits et de légumes, moins de mets bouillis et mijotés, plus d’huile d’olive, de fritures, de sauces, d’épices et d’aromates) auprès de la majorité de la population gauloise. Ce mouvement s’accompagna de l’acclimatation de plantes méditerranéennes (pêcher, cerisier, noyer, vigne, châtaigner...).
Document : A Troyes, un site du début de l'ère chrétienne montre la romanisation du nord de la Gaule
LE MONDE | 13.09.2007 Par Stéphane Foucart
Troyes est bâtie sur un marais. Une chance, selon les chercheurs qui se réunissaient, mardi 11 septembre, pour tirer le bilan des fouilles archéologiques préventives menées entre 2004 et 2006 au cœur de la capitale historique de la Champagne. Très humide, peu acide, le sous-sol du centre-ville a en effet permis la conservation, dans un état exceptionnel, de nombreux objets de bois du début de l'ère chrétienne.
Des déchets alimentaires ont également été préservés. Ils offrent aux chercheurs une fenêtre d'observation inédite sur la romanisation du nord de la Gaule, peu de temps après sa conquête par Jules César, en 52 avant J.-C.
"Nous datons le début de l'occupation du site autour de 10 avant notre ère. L'habitat de la zone fouillée (environ 2 500 m2) était alors constitué de bâtiments à structure de bois, dont on peut penser qu'ils devaient être le lieu d'une activité artisanale", explique Philippe Kuchler, archéologue à l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), responsable des fouilles.
Un changement radical apparaît aux alentours de l'an 30 de notre ère avec, explique le chercheur, "l'assainissement du terrain grâce à un remblai de graviers". La voirie se développe alors. Les premiers édifices de pierre apparaissent (…).
DU VIN POUR LA LÉGION
Une de ces légions a-t-elle stationné, au milieu du Ier siècle de l'ère chrétienne, dans la région ? La découverte d'un tonneau, recyclé en cuvelage de puits, le suggère. "L'étude du bois montre qu'il s'agit de sapin, que celui-ci a poussé en montagne et qu'il a été abattu vers 47 de notre ère", raconte Philippe Kuchler.
L'analyse est cohérente avec l'étude typologique de l'objet, selon laquelle ce type de tonneau était produit dans la région lyonnaise et servait au transport d'environ une tonne de "vin piqué" (acetum), base de la boisson des soldats romains.
"Il n'est pas absurde de penser que ce tonneau a pu "suivre" une légion venant du sud de la Gaule pour être ensuite abandonné, vide, sur le site, estime l'archéologue. Cela n'est pas anodin, car nous savons que l'implantation des légions a été, dans certaines régions, l'un des principaux vecteurs de romanisation."
D'autres indices exhumés sur le site suggèrent que certaines formes de cette romanisation sont arrivées très tôt. Dans les fosses à déchets, explique la paléobotaniste Véronique Matterne, "des légumes, des fruits ou des aromates originaires de la sphère méditerranéenne ont été retrouvés : pois chiches, coriandre, figues ou fenouil, etc." (…).
Les élites gauloises furent également des vecteurs de la romanisation. En effet, Les Romains ne disposaient pas des moyens humains d’administrer directement l’Empire. Ils confièrent l’administration des cités aux élites gauloises qui trouvèrent ainsi le moyen de maintenir leur rang social. Ces élites adoptèrent le style de vie des Romains (nom, langue, alimentation, habillement) qui se diffusa ensuite aux couches populaires. L’exercice des magistratures dans les cités leur permit d’accéder à la citoyenneté romaine qui conférait des avantages juridiques (droits politiques, droit de faire du commerce, d’ester en justice) et fiscaux (exemption fiscale sauf pour l’impôt foncier).
En 212, l’édit de l’empereur Caracalla attribua la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l’Empire. Cette mesure, peu étonnante pour les contemporains habitués à intégrer les populations locales dans la communauté de l’Empire, est absolument essentielle pour nous. En effet, la plupart des empires ayant existé au cours de l’histoire humaine juxtaposaient des populations diverses, reconnues et maintenues dans leur diversité. A l'inverse, l’Empire romain créa par cette mesure une seule catégorie de citoyens, avec des droits égaux, d’un bout à l’autre de l’Empire. Cette conception de la citoyenneté universelle est celle qui prévalut dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et dans notre définition de la citoyenneté française, avant les détricotages de cette dernière depuis les années 1990 sous la pression des préjugés xénophobes.
5.2 L’urbanisation, principal vecteur de la romanisation
Entre - 16 et - 13 avant notre ère, l’empereur Auguste découpa la Gaule en quatre provinces : Narbonnaise, Aquitaine, Celtique et Belgique. La capitale de ces provinces fut Lyon, qui avait été fondée en - 43 avant notre ère. Les quatre Gaule furent divisées en 80 cités (ou pagi) environ. Chaque cité (au sens grec et latin du terme : une entité politique) correspondait à peu près au pagus de chaque ancien peuple gaulois, et était dotée d’une capitale. Dans certains cas, l’ancienne capitale gauloise fut maintenue, dans d’autres cas, une nouvelle capitale fut créée. Par exemple, l’oppidum de Bibracte situé sur le Mont Beuvray fut abandonné au profit de la nouvelle cité Augustodunum (Autun) dans la plaine. En effet, avec la paix romaine, les anciennes forteresses situées sur des hauteurs présentaient plus d’inconvénients que d’avantages. Les nouvelles capitales furent installée sur des sites de carrefour et le long de voies de communications : Lugdunum (Lyon), Lutèce (Paris), Cenabum (Orléans), Caesarodunum (Tours), Vorgium (Carhaix), etc.
Les villes nouvelles étaient construites selon un modèle romain unique. Il en alla de même lors de l’agrandissement des anciennes cités gauloises.
Ces villes étaient organisées selon un plan hippodamien (des rues rectilignes se croisant à angle droit). Les deux axes principaux des villes étaient le Cardo (axe nord-sud) et le Decumanus (axe est-ouest), suivant le modèle des camps romains. Au croisement de ces deux axes, au centre de la ville, se tenait la place quadrangulaire du forum où se trouvaient les principaux temples, et notamment le temple dédié au culte impérial, les services administratifs hébergés dans la basilique, la curie du sénat local, les commerces.
Reconstitution de la Lutèce antique. L’actuelle rue Saint-Jacques constitue le décumanus majeur. Le forum est visible approximativement au croisement des actuelles rue Saint-Jacques et rue Cujas. Source : https://archeologie.culture.fr/fr/a-propos/paris-antique
Reconstitution du forum de Lutèce situé au croisement des actuelles rues Saint-Jacques et Cujas.© J.-C. Golvin. Source :
La voirie était élaborée, avec des trottoirs, des égouts, une adduction d’eau, venue parfois de très loin grâce à des canalisations et des aqueducs (par exemple le Pont du Gard pour Nîmes) qui alimentaient les fontaines publiques. Les quartiers étaient distingués selon leur fonction (habitat collectif, commerces, artisanat). Des bâtiments monumentaux ostentatoires mais utiles à la vie collective étaient financés par les élites locales (les évergètes) qui y gagnaient encore davantage de prestige : les thermes (thermes de Cluny à Paris), les fontaines, les théâtres (à Orange), les amphithéâtres (à Arles), les cirques (à Nîmes, à Arles), les temples (la Maison carrée de Nîmes), les arcs de triomphe (à Orange, Saintes, Reims, etc.). Cet urbanisme contribua à diffuser le mode de vie romain dans toute la Gaule.
Maquette d’Arles sous l’Empire romain.
Musée de l’Arles antique. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mus%C3%A9e_de_l%27Arles_antique,_Arles,_France_(16168450176).jpg
Cependant, cet urbanisme fut parfois ressenti comme relativement artificiel. On attribua plus tard aux villes le nom du peuple gaulois dont elles étaient la capitale. Lutetia devint Civitas Parisii (Paris), Condevicnum devint Portus Namnetus (Nantes), Autricum devint Chartres, du nom des Carnutes, etc.
Évoquons le cas de la ville de Vorgium (actuelle Carhaix dans le Finistère), chef-lieu des Osismes, le peuple de la pointe de la Bretagne.
Après la conquête romaine, les forteresses gauloises environnantes furent abandonnée au profit d’une ville nouvelle, Vorgium. Les principaux vestiges gallo-romains, l’aqueduc, la domus de l’actuel quartier de l’hôpital, datent de la deuxième moitié du Ier siècle. La ville de Vorgium était plus étendue que la ville de Carhaix actuelle. Le plan des rue était de type hippodamien et l’on a retrouvé quelques vestiges d’égouts et des vestiges de l’aqueduc.
Plan de la ville antique de Vorgium, sur fond du cadastre actuel (G. Le Cloirec, Inrap)
Dessin de la ville de Vorgium. Source : https://www.vorgium.bzh/
Vestige de l’aqueduc de Vorgium, long de 27 km
Vue aérienne du chantier archéologique de la domus dans le quartier de l’hôpital de Carhaix.
Reconstitution de la domus de Vorgium
Documents extraits de : Gaétan Le Cloirec (dir.) (2008). Carhaix antique. La domus du centre hospitalier. Contribution à l’histoire de Vorgium, chef-de la cité des Osismes. Rennes : PUR.
Ces villes s’intégrèrent aux circuits commerciaux du monde antique. Les récipients en céramique rouge gauloise étaient produits de façon industrielle autour de La Graufesenque (actuel département de l'Aveyron) pour alimenter l’Empire. Douarnenez (actuel Finistère) devint la capitale du garum, condiment à base de sardine fermentées, semblable au nuoc-nam, qui était exporté jusqu’en Italie. Les vestiges des cuves à garum sont toujours visibles sur place.
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_d%27Arles_%C3%A0_l%27%C3%A9poque_romaine?tableofcontents=0
5.3 Une romanisation moins affirmée dans les campagnes
La Gaule resta un pays essentiellement agricole. La majorité de la population se tint partiellement à l’écart de la romanisation et continua à parler des langues gauloises. Il semble que la latinisation des campagnes s’acheva vers le Ve siècle, avec un latin fortement mâtiné de lexique et de syntaxe d’origine gauloise.
Les Romains établirent un cadastre très précis pour faire l’inventaire des terres et des propriétés afin de calculer le montant de l’impôt foncier. Les populations des campagnes profitèrent de la paix romaine et de la prospérité qu’elle apporta. En outre, la romanisation produisit une rationalisation et un accroissement de la production agricole par la sélection des races de bétail, la jachère et l’assolement des terroirs.
Les campagnes étaient quadrillées par les villae appartenant à des colons romains ou à des notables indigènes, de grands domaines fonciers de plusieurs dizaines d’hectares. On a retrouvé les traces de plusieurs milliers d’entre elles. La demeure de la famille du maître en pierre pouvait être très étendue et luxueuse, décorées de mosaïques et équipée d’un chauffage par hypocauste (par le sol). Les terres étaient travaillées par des paysans libres et des esclaves qui logeaient dans des dépendances. Entre les villae, l’espace rural était cultivé par des fermes plus modestes, bâties en bois.
Une villa romaine d’une surface habitable de 1 500 m² et de thermes (en bas) d’une superficie de 400 m² (les plus grands à usage privé jamais trouvés en Bretagne) à Langrolay-sur Rance. Cette villa fut occupée du Ier au IVe siècle par une famille de notables gallo-romains issus du peuple des Coriosolites.
Reconstitution de la villa gallo-romaine de Taden (Côtes d’Armor)
5.4 Les transformations de la vie religieuse
L’évolution de la religion en Gaule se caractérisa par le syncrétisme, la combinaison de la religion gauloise et de la religion romaine. En effet, les Romains acceptaient toutes les religions et n’hésitaient pas à adopter des dieux qui manquaient à leur panthéon. Pour cette raison, ils adoptèrent Epona, la déesse des chevaux, guide des voyageurs, protectrice des écuries et de la prospérité de la maison. Des lieux de culte furent simplement romanisés et ils semble que plusieurs dieux gaulois fusionnèrent avec des dieux du panthéon gréco-latin. Par exemple, le Mercure gallo-romain recouvrait vraisemblablement plusieurs divinités gauloises dont le nom s’est perdu. Le pragmatisme des Romains sur le plan religieux favorisa également la romanisation des populations gauloises qui, par ce syncrétisme, ne perdirent pas leurs traditions religieuses. Mais les Romains, toujours pragmatiques, firent disparaître les druides qui auraient pu constituer un foyer de contestation.
Cependant, il existe un point sur lequel les Romains ne transigeaient pas : le culte impérial. Tous les citoyens, quelle que soit leur religion par ailleurs, devaient rendre ce culte civique à la déesse Rome, au génie de l’empereur vivant et aux empereurs morts et divinisés. Les religions antiques relevaient d’une logique contractuelle : les Romains pensaient que, si le culte était correctement rendu par l’ensemble de la communauté civique, alors ces dieux protégeaient l’Empire. Si quelques citoyens n’y prenaient pas part, ou si les rites n’étaient pas correctement accomplis, alors les dieux risquaient d’en prendre ombrage et de ne plus protéger l’Empire. Ce culte était rendu dans le temple du culte impérial situé sur le forum de chaque ville. Le vestige le plus célèbre de ce culte en France est la Maison carrée de Nîmes. Ce culte permettait de souder la communauté des citoyens dans une croyance partagée.
Encart : Qu’est-ce qu’un empereur romain ?
Avant la fin du IIIe siècle, l’empereur romain ne portait pas le titre d’empereur. Le titre imperator ne désignait pas une magistrature, il était attribué par acclamation, par ses soldats, au général vainqueur au soir d’une bataille. Ce titre était lié à l’imperium désignant le pouvoir de commandement militaire et l’exercice du pouvoir. Celui que nous appelons empereur pouvait également porter le titre honorifique de César ou Auguste. L’empereur était le premier (princeps) des sénateurs, puisque le Sénat romain lui attribuait ce pouvoir par délégation, d’où le nom de « principat » attribué au règne d’Auguste, que nous considérons comme le premier empereur.
Le pouvoir de l’empereur reposait sur l’exercice des magistratures républicaine, avec juste un nuance (de taille !) : l’empereur exerçait la même magistrature pendant plusieurs années de suite et il en exerçait plusieurs en même temps alors que, du temps de la République, un homme ne pouvait en exercer qu’une seule et pour un an seulement. Un empereur était souvent consul (le magistrat exerçant le pouvoir civil et militaire), censeur (le magistrat désignant les sénateurs), tribun de la plèbe (le représentant du peuple qui pouvait s’opposer à des décisions des consuls) et pontife (le magistrat organisant les cultes). L’exercice prolongé de ces diverses magistratures conférait un pouvoir illimité à l’empereur.
Après sa mort, le Sénat pouvait décider, par la cérémonie de l’apothéose, de diviniser l’empereur. L’empereur mort devenait alors, en compagnie de ses prédécesseurs, l’objet du culte impérial et il protégeait l'Empire.
A la fin du IIIe siècle, la fonction de l’empereur devint proche de celle que nous connaissons. Dioclétien prit le titre de Dominus et Deus, descendant de Jupiter, ce qui lui permit de revendiquer un pouvoir absolu. Cette évolution permit ensuite à Constantin de se présenter non comme le descendant du Dieu chrétien, ce rôle ayant déjà été pris par Jésus, mais comme son représentant sur terre. Il constitua le modèle des souverains, notamment en France, jusqu’à la Révolution française.
6. La christianisation de la Gaule
6.1 La diffusion et l’imposition de la religion chrétienne
La tolérance des Romains à l’égard de tous les cultes favorisa l’arrivée en Gaule de diverses religions orientales, par l’intermédiaire des marchands et des soldats. Les religions polythéistes traditionnelles avaient surtout pour fonction d’assister les fidèles dans leur vie quotidienne. Les religions orientales étaient plus spirituelles et s’adressaient davantage à l’angoisse des fidèles et à leurs inquiétudes alors que l’Empire romain entrait progressivement en crise.
Les archéologues ont retrouvé de nombreux temples de Mithra, surtout dans la moitié est de l’actuelle France. Ce culte perse associé au sacrifice du taureau était populaire dans l’armée romaine mais aussi auprès des esclaves et des affranchis. Il supposait des rituels initiatiques secrets qui produisaient une fraternité entre les fidèles.
Bien entendu, la principale religion orientale parvenue jusqu’en Gaule fut, à côté du judaïsme, le christianisme. A la différence des anciens cultes polythéistes, ces deux monothéismes, plus tard rejoints par l’islam, promettaient le salut de l’âme et le bonheur dans l’au-delà pour tous les humains, y compris pour les femmes et les esclaves.
En 177, les chrétiens de Lyon subirent une première persécutions. A partir de 250, les persécutions devinrent systématiques dans tout l’Empire. L’Empire traversait des crises profondes. Les Romains pensaient que les dieux ne protégeaient plus l’Empire car les chrétiens, de plus en plus nombreux, refusaient de pratiquer le culte impérial. Ils étaient d’autant plus nombreux dans le corps civique et d’autant plus visibles que l’édit de Caracalla en 212 avait accordé la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l’Empire. La religion chrétienne ne dérangeait pas les Romains, à conditions que les chrétiens acceptent de pratiquer le culte impérial. Le monothéisme intransigeant des chrétiens et leur refus de pratiquer le culte impérial étaient totalement incompréhensibles pour les Romains. Il leur était d’autant plus incompréhensible que les Juifs, eux, acceptaient de prier leur Dieu pour le salut de l’empereur.
Les persécutions n’y firent rien, l’influence des chrétiens s’accrut constamment. Les Romains, toujours pragmatiques, comprirent tout le profit qu’ils pouvaient tirer de la religion chrétienne qui semblait beaucoup plus robuste que leur religion traditionnelle. L’empereur Constantin l’autorisa officiellement par l’édit de Milan, en 313, après avoir vaincu son rival Maxence qui convoitait également le trône impérial. Les propagandistes chrétiens expliquèrent que Constantin devait sa victoire au dieu des chrétiens. Constantin transforma son pouvoir en une forme de théocratie : l’empereur se présenta désormais comme le représentant de Dieu sur terre. Il n’avait plus besoin d’attendre de mourir pour devenir sacré !
Par son édit de 391, l’empereur Théodose interdit tout les autres cultes et fit du christianisme la seule religion officielle de l’Empire. En effet, les monothéismes présentent une supériorité sur les polythéismes : ils prétendent détenir la seule vérité qui doit s’imposer à tous. Il n’y a qu’un seul dieu et une seule foi possible. A partir de 391, on commença à combattre d’autres populations au motif qu’elles ne partageaient pas la même foi. Sur le plan politique, l’avantage était indéniable : l’empereur fondait sa légitimité en tant que représentant de Dieu sur terre et, de même qu’il n’y avait qu’un seul dieu au ciel, il n’y avait qu’un seul empereur sur terre. Du côté des sujets, de même qu’il fallait obéir à Dieu pour gagner le salut de son âme, de même il fallait obéir au détenteur du pouvoir politique. D’une certaine manière, le christianisme se substitua au culte impérial, tout en instituant un contrôle beaucoup plus étroit sur les fidèles, sur leurs pensées et leur vie quotidienne.
Cette transformation politico-religieuse est absolument essentielle. Désormais la religion monothéiste légitimait l'homme qui exerçait le pouvoir en tant que représentant de Dieu sur terre ou en tant que personne désignée par Dieu (les empereurs, les rois, les califes musulmans). En France, ce modèle politique perdura jusqu’en 1789.
6.2 La christianisation des campagnes gauloises
Les élites urbaines se convertirent rapidement au christianisme, au cours du IVe siècle, par idéal ou par conformisme. Chaque chef-lieu d’un pagus gallo-romain devint un évêché. L’évêque était élu par le clergé local et les élites urbaines. Il était le maître de l’Église dans son diocèse, responsable de la discipline ecclésiastique, de l’administration des sacrements, de la prédication dans les campagnes environnantes et de la construction des églises dans les paroisses. Progressivement, le pouvoir politico-religieux de l’évêque se coula dans les structures politiques de la Gaule romaine.
La christianisation des campagnes fut plus lente car les paysans résistèrent. D’ailleurs le mot « païen » vient du latin paganus (paysan). Cette christianisation des campagnes gauloises fut au départ l’œuvre de Martin (316-397), ancien officier romain originaire de Pannonie (actuelle Hongrie), devenu ensuite le patron de la Gaule. Il fonda un monastère près de Poitiers. Devenu évêque de Tours, il engagea la christianisation des campagnes environnantes. Des ermites, des missionnaires et des moines répandirent le christianisme dans les campagnes, même si cette christianisation resta parfois superficielle. L’intervention de missionnaires irlandais fut parfois nécessaire aux VIe et VIIe siècles : Colomban (543-615) fonda plusieurs monastères en Gaule, Sané (mort vers 485) s’installa sur le site de l’actuelle ville de Plouzané, à l'ouest de Brest, qui prit son nom, Ronan s’installa à Saint-Renan, au nord-ouest de Brest, puis à Locronan et aux environs de Saint-Brieuc au VIe siècle. Au XVIIe siècle, l’éradication définitive des sorcières, en réalité des guérisseuses détentrices d’un savoir immémorial, extirpa les derniers vestiges des religions pré-chrétiennes dans les campagnes.
La christianisation fut marquée par la construction d’édifices, des baptistères (à Fréjus, Valence, Poitiers) puis des basiliques, bâtiments hérités de administration romaine qui permettaient d’accueillir les fidèles. En effet, alors que les fidèles restaient à l’extérieur des temples antiques, la communauté des chrétiens communiait à l’intérieur d’un bâtiment religieux. La christianisation modifia également les pratiques funéraires, en lien avec un nouveau rapport à la mort et au salut. Dès le IIIe siècle, avant même la diffusion du christianisme, l’incinération avait été abandonnée au profit de l’inhumation (pour garder intacte l'apparence de chacun lors du jugement dernier). D’autre part, les nécropoles funéraires à l’écart des villes furent abandonnées car les fidèles souhaitaient désormais être enterrés dans un lieu consacré, près d’un lieu de culte, près du tombeau d’un saint, etc.
Conclusion
Cette très longue histoire a permis d’évoquer les transformations d’une civilisation sur près d’un millénaire. Ces transformations furent assez lentes, sauf lors de l’épisode de la conquête de la Gaule par Jules César. Mais cette conquête avait été préparée par l’intégration d’une grande partie de la Gaule au marché commercial méditerranéen. Ces transformations affectèrent l’économie, le cadre de vie, l’organisation sociale, les manières de voir le monde et d’envisager l’au-delà.
Il convient également de considérer certaines permanences telles que la production d’outils en fer, de tonneaux, de roues cerclées de fer utilisés dans les campagnes française jusqu’à l’industrialisation de l’agriculture et la quasi-disparition du monde rural au cours du XXe siècle. L’apport du latin est évidement central pour nous et la christianisation contribua à modeler la vie sociale sur notre territoire jusqu’au XXe siècle.
L’autre apport considérable de cette période est la transformation des structures politiques. Oligarchiques, parfois égalitaires et horizontales dans le monde gaulois, elles devinrent autocratique et verticales sous l’Empire romain. Mais la transformation décisive fut le passage d’une religion polythéiste, où chaque population était assez libre de croire aux dieux qui lui convenaient, à une religion monothéiste exclusive et intolérante. Nous devons garder à l’esprit que l’alliance du pouvoir impérial et de la religion chrétienne contribua à faire de l’empereur l’élu et le représentant de Dieu sur terre. Désormais, et jusqu’en 1789, tout pouvoir politique trouvait sa justification et sa légitimation dans la religion qui lui permettait de s’assurer l’obéissance de ses sujets.
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