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L'âge industriel en France

Dernière mise à jour : 8 juil.

Par Didier Cariou, maître de conférences HDR en didactique de l’histoire à l’Université de Bretagne occidentale





Références :

COLLECTIF (2021). L’âge industriel. 200 ans de progrès et de catastrophes. L’Histoire, Les Collections n° 91, avril-juin 2021.

JARRIGE, F. (dir.) (2015). L’âge industriel. Textes et documents pour la classe n° 1096, 15 mai 2015.

MICHEL, J. (1999). La mine. Une histoire européenne. La documentation photographique n° 8010, La documentation française.

NOIRIEL, G. (2019). Une histoire populaire de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours. Marseille, Agone.

SOUGY, N. & VERLEY, P. (2008). La première industrialisation (1750-1880). Documentation photographique n°806, La Documentation française.


Mots clé :

Révolution industrielle, Industrialisation, Age industriel, Proto-industrialisation, Indiennes, Innovations techniques, Charbon, Houille, Coke, Fonte, Machine à vapeur, James Watt

Première industrialisation en France, Atelier, usine, Canuts, Énergie hydraulique, Charbon de bois, Banques, Répartition géographique de l’industrie. Révolution ferroviaire, Grandes compagnies ferroviaires, Réseau ferroviaire principal, réseau ferroviaire seconde, Plan Freyssinet, Sociétés anonymes par actions.

Grande dépression, Deuxième industrialisation, Électricité, Pétrole, Transition énergétique, Effet rebond, Taylorisme, Plan Marshall, Trente Glorieuses, Compromis fordiste, Choc pétrolier, Conteneurs, Mondialisation, Révolution numérique.

Mine, Pays noir, Corons, Syndicalisme, Paternalisme, Grisou, Catastrophe de Courrière, Silicose

Grands magasins, Boucicaut, Au bon marché

Ville, Exode rural, Choléra, Hygiénisme, Haussmann, Urbanisation, Urbanisme, Grands, Loi de boulevards, Égouts, Parcs, Poubelle, Le Creusot, Schneider

Question ouvrière, Classe ouvrière, Secours mutuel, Droit de grève, Loi de 1841, Loi de 1874, Loi de 1892, Loi sur les retraites, Syndicats, Temps de travail, 1er mai, Front Populaire, Sécurité sociale.


Que dit le programme ?


Extrait du programme de CM2 (cycle 3), 2020


Thème 2 : L'âge industriel

- Les énergies majeures de l’âge industriel (charbon puis pétrole) et les machines.

- Le travail à la mine, à l’usine, à l’atelier, au grand magasin.

- La ville industrielle.

- Le monde rural.


Parmi les sujets d’étude proposés, le professeur en choisit deux. Les entrées concrètes doivent être privilégiées pour saisir les nouveaux modes et lieux de production.

On montre que l’industrialisation est un processus qui s’inscrit dans la durée, qui touche tous les secteurs de la production et qui entraîne des évolutions des mondes urbain et rural et de profonds changements sociaux et environnementaux.


Il est très utile de consulter la fiche EDUSCOL sur « l’âge industriel en France » car elle présente clairement les savoirs à maîtriser pour traiter cette question avec les élèves.

Introduction

L’âge industriel désigne la période, commencée à la fin de XVIIIe siècle, où la place de l’industrie devient si importante qu’elle transforme l’économie, les modes de vie, les rapports sociaux et les manières de penser. Ainsi que l’environnement et la planète.

A partir des années 1830, on a beaucoup utilisé le vocable de révolution industrielle pour caractériser les mutations des économies et des sociétés d’Europe de l’ouest et de l’Amérique du nord à partir de la fin du XVIIIe siècle. De même que la France avait fait sa révolution dans le domaine politique, la Grande-Bretagne avait fait sa révolution dans le domaine industriel. Ce vocable suggérait une mutation brutale de l’économie et la société produite par l’apparition de l’industrie, résultant elle-même d’un bouleversement technologique qui serait apparu en Grande-Bretagne et qui aurait été copié à l’identique dans le reste de l’Europe. Le sens du mot « industrie », qui désignait auparavant l’ensemble des activités productives (manufactures, commerce et agriculture) fut alors restreint aux seules activités ayant pour fonction de transformer des matières premières en produits manufacturés.

Aujourd’hui, les historien.nes n’utilisent plus ce terme car on sait que le changement fut souvent progressif, graduel et très variable selon les régions. C’est pourquoi l’on évoque désormais plutôt l’industrialisation, terme suggérant un processus de longue durée sur près d’un siècle et ne se limitant pas à l’apparition de l’industrie. Dans le même ordre d’idées, l’expression « l’âge industriel » l’emporte car elle suggère un phénomène plus large que celui de la seule industrie.


1. Les caractéristiques de la première industrialisation

1.1 Le modèle proto-industriel

La révolution industrielle britannique fut longtemps considérée comme le modèle de toutes les transformations économiques et sociales qui affectèrent ensuite l’Europe et l’Amérique du Nord jusqu’en 1880 et que l’on nomme la première industrialisation. Celle-ci est associée à l’exploitation massive du charbon pour produire du fer puis de l’acier, pour alimenter des machines dans les usines et dans les transports. On sait aujourd’hui que chaque région connut une trajectoire spécifique. Même si cet aspect n’est pas à traiter dans le programme de CM2, il est bon, tout de même, de rappeler les grandes étapes de l’essor industriel britannique pour comprendre ensuite la spécificité de l’âge industriel en France.

Les historien.nes supposent que l’augmentation de la consommation en Grande-Bretagne à partir du XVIIIe siècle fut l’une des causes de l’industrialisation. Comme les catégories les plus aisées de la population absorbaient les produits de luxe de l’artisanat traditionnel, ce sont les classes moyennes, plus nombreuses, qui offraient un marché pour les nouveaux produits de l’industrie, tels que les indiennes, moins coûteux et de moins bonne qualité que les précédents. En se développant tout au long du XIXe siècle, ces classes moyennes, composées d’artisans prospères, de petits patrons, de membres des professions libérales, constituèrent la principale clientèle des productions industrielles. C’est seulement à la fin du XIXe siècle que les classes populaires constituèrent elles aussi un marché pour les produits industriels. La consommation globale venait également d’un fort accroissement démographique urbain. Un autre facteur de l’essor industriel se trouvait dans les marchés des Amériques et des Antilles, producteurs du sucre consommé en Europe et grands consommateur des toiles de coton imprimées, les indiennes, fabriquées dans de nombreuses régions d’Europe. En devenant des produits de consommation courante, les tissus de coton furent les premiers produits de consommation de masse de l’ère industrielle. Le développement de la consommation fut rendu à son tour rendu possible par l’accroissement de la production industrielle qui, dans un premier temps, ne résulta pas d’un accroissement de la productivité liée à la mécanisation. Au cours du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, l’accroissement de la production industrielle vint de l’accroissement du volume du travail de certaines populations. Les femmes et les paysans qui ne travaillaient pas dans les champ à certains moments de l’année se mirent à travailler à domicile pour le compte d’entrepreneurs qui leur fournissaient la matière première et leur achetaient le produit fini, la plupart du temps du tissu et, localement, des objets en métal. On appelle proto-industrialisation ce type d’industrialisation fondée sur le domestic system du travail à domicile et du petit atelier. Ainsi, jusqu’à la fin du XIXe siècle, la Bretagne fut une grande région de production de toiles de lin fabriquées à domicile et exportées jusqu’en Amérique du nord. L’historien américain Kenneth Pommeranz a montré que, jusqu’au début du XIXe siècle, la proto-industrie ouest-européenne labor intensive n’était pas très différente sur le plan, technologique et productif, de la proto-industrie du Gujarat, en Inde, ou du delta du Yangzi (région de Shanghai). Dans cette région, le niveau de vie moyen était même supérieur à celui de la Grande-Bretagne. En 1900, il était huit fois inférieur. La « grande divergence » intervint au cours du XIXe siècle lorsque la Grande-Bretagne exploita massivement le charbon de son sous-sol et s’efforça de détruire l’industrie chinoise lors des Guerres de l’Opium entre 1839 et 1842.

1.2 Les innovations technologiques

1.3 Un récit à nuancer

1.4 Le travail à l'atelier à et l'usine

2. L’âge industriel en France

2.1 La première industrialisation en France

Il n’est pas possible de parler de l’âge industriel en France sans tenir compte de l’évolution globale des autres pays industrialisés. Nous essayons donc d’évoquer le cas français en le replaçant dans le contexte des pays industrialisés. Les historien.nes ont longtemps pensé que le modèle d’industrialisation, élaboré à partir de l’exemple britannique, avait été imité à l’identique, mais selon une chronologie variable, dans tous les pays d’Europe continentale, dont la France. Comme nous l’avons vu, en Grande-Bretagne, l’industrialisation, très rapide, triompha dès les années 1840. Elle s’accomplit dans le domaine du textile, de la sidérurgie, de la métallurgie et des transports. Elle s’appuyait sur les immenses ressources en charbon du pays. Le paysage des pays noirs, les régions industrielles noircies par la fumée du charbon alimentant les machines à vapeur, devint dominant dans les villes britanniques où vivait, dans des conditions déplorables, un prolétariat misérable. En France, en revanche, la production et la consommation de houille restèrent longtemps assez réduites. En l’absence d’une réseau ferroviaire national, avant les années 1860, il était impossible de transporter le charbon du Nord vers le reste de la France. Ainsi, le charbon utilisé à Brest par les navires à vapeur au XIXe siècle, était importé d’Angleterre par bateau. L’industrie sidérurgique brûlant de la houille fut donc cantonnée en France à proximité des mines de charbon (le Nord et le Pas-de-Calais, Le Creusot, Saint-Étienne). Partout ailleurs la sidérurgie au bois l’emportait, mais avec des adaptations locales qui la rendait toujours rentable. Cette dernière atteignit en France son maximum de production en 1856 et déclina ensuite lentement face à la concurrence de la sidérurgie utilisant la houille transportée grâce aux canaux et par le chemin de fer. Mais, en 1873, 43 départements produisaient encore du fer. Ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle que le fer et l'acier furent produits exclusivement dans les pays noirs de sidérurgie au coke.

La carte ci-dessous signale l'inégale répartition de l'utilisation des machines à vapeur en France en 1841. Ces machines étaient utilisées surtout dans les départements producteurs de charbon et dans les ports où l'importation de charbon est possible (Nantes, Rouen, Bordeaux).

Document: Les machines à vapeur en France en 1841. Source : Georges Duby (dir.). Atlas historique Larousse. Paris : Larousse, p. 119. L’industrialisation de la France au XIXe siècle s’effectua surtout avec les moulins à eau qui équipaient les cours d’eau très nombreux dans le pays et dont le rendement fut accru par l’amélioration des roues et des turbines. Ces moulins actionnaient des soufflets ou des marteaux pour la métallurgie, ou offraient une force motrice pour les machines de différents types d’usines : les laminoirs d’Hennebont en 1864, les filatures de coton en Normandie, des papeteries, des minoteries, etc. Au départ, ils étaient beaucoup moins coûteux que les machines à vapeur. Cela explique la dispersion des régions industrielles dans tout l’hexagone jusqu’au milieu du XXe siècle, à côté de quelques grandes régions industrielles (Paris, Le Creusot, Lyon, Saint-Étienne, Lille...). Le maintien de la proto-industrie permit le maintien de fortes densités de population dans les campagnes, jusqu’à la fin du XIXe siècle : la ganterie de Millau, l’horlogerie dans le Jura, la coutellerie sans le sud du Massif central...

Document : Un atelier de coutellerie en France à la fin du XIXe siècle. Gravure extraite de : Les arts et métiers illustrés, 1885. Source : Textes et documents pour la classe n° 1096, p. 19. Comme les ouvriers à domicile étaient également des agriculteurs, leurs salaires restaient faibles et il n’était pas nécessaire de recourir à la mécanisation pour réduire les coûts de production. C’est pourquoi le processus d’industrialisation en France fut lent et la classe ouvrière française resta longtemps très disparate : artisans, ouvriers d’industrie, ouvriers-paysans. Sans compter les femmes, très nombreuses dans les emplois les moins qualifiés et les moins payés. De même pour le patronat, du petit patron proche de ses ouvriers au grand patron capitaliste tels que les Schneider au Creusot. Le cas du tissage de la soie par les Canuts à Lyon est un autre exemple du maintien et même du développement des ateliers dispersés. A cette époque, Lyon était le premier centre mondial de tissage de la soie. Les deux révoltes des canuts de 1831 et de 1834 marquèrent les esprits. Les « fabricants » fournissaient la matière première aux 10 000 maîtres-artisans, les canuts, qui employaient eux-mêmes près de 30 000 compagnons, payés à la journée, employés, nourris et logés au domicile du maître. Les fabricants assuraient ensuite la commercialisation des tissus de soie. En 1831, un ralentissement des affaires incita les maitres-artisans à demander aux pouvoir publics une révision à la hausse du tarif de vente de la soie afin de maintenir le niveau de vie des artisans lyonnais. Le préfet accepta mais le gouvernement, sous la pression des négociants, refusa ce tarif au nom de la liberté du commerce. Les Canuts se regroupèrent et prirent le contrôle de la ville en clamant le slogan " Vivre en travaillant, mourir en combattant". La répression fit environ 200 morts. En 1834, les Canuts se révoltèrent pour la même raison. Le ministre de l'intérieur, Adolphe Thiers réprima férocement la révolte au prix de plusieurs centaines de morts cette fois (cette expérience lui fut utile pour organiser la répression de la Commune de Paris en 1871). Ce fut la révolte ouvrière la plus importante de la Monarchie de Juillet et de l'histoire de la ville de Lyon. Cette révolte eu pour effet d'inquiéter fortement la bourgeoisie découvrant à cette occasion la lutte des classes, comme l'indique cette phrase célèbre du journaliste libéral Saint-Marc Girardin dans le Journal des débats du 8 décembre 1831 : " Les Barbares qui menacent la société ne sont point au Caucase ni dans les steppes de Tartarie, ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières". Pour éviter de nouvelles révoltes, les négociants délocalisèrent par la suite les ateliers dans les campagnes environnantes. A partir de 1850, la croissance industrielle s’accéléra dans tous les pays d’Europe et aux États-Unis. Ce fut également le cas en France durant le Second Empire, même si le phénomène y fut moins affirmé. Cependant, le Second Empire fut une période d'innovations techniques : généralisation de la machine à vapeur, invention de la machine à coudre (1857) et de la machine à écrire (1866), introduction du convertisseur Bessemer (1858), four Martin (1864), turbine hydraulique (1869), premier pont métallique de Gustave Eiffel à Bordeaux (1860), etc.

En 1860, le traité de libre-échange passé entre la France et la Grande Bretagne, qui réduisait considérablement les droits de douane entre les deux pays, favorisa l’importation en France massive de produits industriels anglais beaucoup moins coûteux. Cette concurrence, voulue par Napoléon III, obligea les entreprises françaises à s’engager dans la mécanisation de leurs activités et à rompre avec le système proto-industriel. La modernisation des banques aida au financement des entreprises. A côté de la haute banque traditionnelle Rothschild, Mallet, Seillière) qui finançait les entreprises à partir de ses capitaux propres, furent créés des établissements bancaires financés par des émissions d'actions et destinés à prêter de l'argent aux entreprises industrielles : le Crédit mobilier des frères Pereire et le Crédit foncier, en 1851. Mais la grande innovation fut celle des banques de dépôts qui drainèrent l'épargne des particuliers et gérèrent des sommes colossales pour financer le développement industriel : le Crédit lyonnais en 1863, la Société générale en 1864, la Banque des Pays-Bas en 1864 et la Banque de Paris en 1869 qui fusionnèrent en 1872 sous le nom de Paribas. Ces banques ouvrirent rapidement des succursales en province. Leur activité fut rendue plus aisée par l'autorisation du chèque à partir de 1865 (mais pas à la portée des classes populaires, bien entendu). Très importante fut également la loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés anonymes par actions, qui rendit plus aisée la création des entreprises et la levée des capitaux. La création de ces sociétés ne supposait plus l'autorisation préalable de l'Etat. Ces sociétés sont dites anonymes car elles ne sont plus liées à la personne et à la fortune d'un seul individu qui, auparavant, lors de la faillite de son entreprise était automatiquement considéré comme ruiné personnellement (et qui souvent, n'avait d'autre choix que le suicide pour éviter le déshonneur). Désormais une société capitaliste par actions était financée par la levée d'actions constituant chacune une part du capital de l'entreprise. Cette mesure essentielle marqua l'entrée de l'économie française dans le capitalisme industriel et financier moderne. Vers 1880, l’énergie hydraulique et l’énergie carbonée s’équilibraient encore en France, avant que les chemins de fer ne parviennent à assurer la diffusion des machines à vapeur dans toute la France. Finalement, les machines à vapeur l’emportèrent non pas grâce à leurs qualités intrinsèques mais grâce à leur flexibilité. En effet, alors que l’énergie hydraulique supposait de lourds aménagement des cours d’eau (barrage, canal d’amenée, réaménagement des berges, etc.), la machine à vapeur pouvait être adoptée sans travaux complexes, à condition d’être suffisamment approvisionnée en charbon transporté en train parfois sur de longues distances. La tendance à la concentration et à la mécanisation des entreprises put alors l’emporter. Par exemple, les ateliers de tissage de bas dispersés dans la campagne champenoise se regroupèrent dans les usines de bonneterie de Troyes avec l’introduction de machines à vapeurs. En conséquence, au début du XXe siècle, la répartition de l’industrie sur le territoire français se fit très inégale. La population ouvrière se situait principalement dans le quart nord-est de la France, dans la région lyonnaise et dans la région de Marseille.

Source : Atlas de France, L’Histoire n°390, août 2013, p. 48.

2.2 La révolution ferroviaire en France

2.3 De la première à la seconde industrialisation en France

2.4 L'évolution des sources d'énergie : des exemples à Brest

2.5 L'essor industriel après 1945


3. Le travail à la mine

3.1 Les pays noirs

Le mineur de charbon fut sans doute la grande figure de l’âge industriel en raison de l’extrême dangerosité et de l’extrême pénibilité de son travail qui exigeait une force physique mais également une grande solidarité entre les mineurs. Il exerçait une grande fascination à la fois parce qu’il travaillait dans les entrailles de la terre et fournissait la principale source d’énergie, indispensable à l’économie comme à la vie quotidienne de chacun. De nombreuses vidéos sur l'histoire de la mine sont consultables sur : https://fresques.ina.fr/memoires-de-mines/ Il convient également de connaitre le Centre historique minier de Lewarde dans le Nord : https://www.chm-lewarde.com/fr/le-centre-historique-minier/le-musee/ Comme nous l’avons vu, l’utilisation du charbon se diffusa lentement en Europe. Le besoin de charbon devint majeur à partir des années 1840. Ensuite, l’extraction et la production de charbon doubla tous les vingt ans. L’extraction du charbon créa des paysages (les pays noirs) et des sociétés particulières. Les grands bassins charbonniers se situaient principalement en Grande-Bretagne, dans la Ruhr, le Nord et le Pas-de Calais en France et, plus localement, la région du Creusot, de Saint-Étienne, Decazeville et Carmaux. Les chevalets de mines, les terrils et les habitats ouvriers en briques (les corons) imprimèrent leur marque sur les paysages caractéristiques des régions productrices de charbon noircies par la fumée du charbon. Aujourd’hui, dans le nord de la France, les chevalements ont disparus mais les terrils restent un marqueur identitaire et patrimonial très fort.

Document : les bassins houillers d'Europe de l'ouest Source : Documentation photographique n°8010, p. 3

Document : Corons à Lens dans les années 1950. Au fond, un terril. Source : Documentation photographique n° 8010, p. 32.

L’exploitation du charbon était organisée par des compagnies privées qui mobilisaient un capital considérable pour financer les équipements miniers (chemins de fer, chevalements, ascenseurs, boisage des galeries, installations de pompage, etc.). Elle supposait l’emploi d’une grande quantité de main d’œuvre : un millions de mineurs en Angleterre, 400 000 dans la Ruhr, 300 000 en France, 130 000 en Belgique en 1914. Dès le XIXe siècle, les compagnies françaises firent appel aux mineurs anglais très qualifiés puis aux mineurs belges. Après la Première guerre mondiale, elles négocièrent avec l’État polonais la venue de près de 40 000 Polonais. A partir des années 1960, ce fut le tour des mineurs marocains. Partout, les mineurs mirent en place de puissants syndicats qui arrachèrent de nombreuses réformes. En France, les mineurs obtinrent dès 1894 une caisse de de secours et de retraite et, en 1905, la journée de 8 heures pour les travailleurs du fond. D’un autre côté, pour garder sur place et amadouer cette main d’œuvre, les sociétés minières mirent sur pied une politique paternaliste : allocation de maisons individuelles (les corons) avec un jardin potager pour améliorer l’ordinaire et pour passer moins de temps au café, des écoles, des épiceries, des distribution de charbon pour le chauffage, des caisses de secours et de retraite.

3.2 Le travail au fond de la mine

3.3 Quelques évolutions techniques

4. Le travail dans les grands magasins

Le travail dans les grands magasins

Nous avons vu que l’un des moteurs de l’industrialisation fut le développement de la consommation, une fois que les besoins liés à la survie de la plus grande partie de la population furent satisfaits. Des entreprises parisiennes suivirent le modèle anglais au début du XIXe siècle. A partir des années 1840, des magasins de « nouveautés » commercialisaient les tissus de la mode du moment. Très vastes pour l’époque, disposant de plusieurs rayons spécialisés dans divers produits, faisant de la publicité dans les journaux, ils étaient financés par des industriels soucieux d’écouler leur production textile. Ils employaient au départ plusieurs dizaines de salariés et s’adressait à des clients aisés comme le montre la gravure ci-dessous :


Document : Le grand magasin A la ville de Paris. Lithographie, 1843. Paris, musée Carnavalet. Source : La documentation photographique n°8061, p. 27.


Mais les grands magasins se développèrent surtout sous le Second Empire, conformément au récit qu’en fit Zola dans Au bonheur des dames. En 1852, Aristide Boucicaut s’associa avec les frère Videau qui avaient créé Au Bon Marché. Il développa le premier grand magasin offrant un large assortiment de produits dont les prix à faible marge étaient indiqués sur une étiquette. Chaque rayon, mettant en scène les produits, était tenu par des vendeuses, puisque la clientèle était principalement féminine, surveillées par des chef de rayon. Les vêtements n’étaient plus faits sur mesure. Leur coupe était standardisée et ils étaient fabriquée par des ouvrières à domicile. Le magasin fut agrandi à plusieurs reprises : de 300 m² et 12 employés en 1852, il passa à une superficie de 50 000 m² et 1 788 employés en 1877. Il recevait à cette date environ 70 000 visiteurs par jour. Pour attirer la clientèle essentiellement féminine, il créa les premières toilettes pour dames, il créa des catalogues de mode expédiés par la poste et développa la vente par correspondance. Patron paternaliste, Boucicaut créa un caisse de prévoyance et une caisse de retraite pour les employés qui restaient à son service.

Les grands magasins de ce type employèrent une main d’œuvre féminine très nombreuse. Ils profitèrent du développement des classes moyennes qui constituaient leur clientèle privilégiée. D’autres sociétés imitèrent ensuite Boucicaut à Paris : les Grands magasins du Louvre en 1855, A la belle jardinière et le Bazar de l’Hôtel de Ville en 1856, Le Printemps et la Samaritaine en 1865, les Galeries Lafayette en 1896.

Enfin, les grands magasins sont des marqueurs de l'âge industriel : ils vendaient des produits standardisés produits en grande quantité et pour faire face à l’afflux des visiteurs, leurs locaux s’agrandirent, constitués de métal (pour la hauteur des salles d’exposition) et de verre (pour la luminosité).



Document : La coupole des Galeries Lafayette (construite en 1912) aujourd’hui

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_Galeries_Lafayette



5. La ville de l'âge industriel

5.1 La croissance urbaine et l'haussmannisation

Avec du retard par rapport aux autres pays d’Europe du nord-ouest, le cadre de vie de la population en France devint progressivement urbain. En 1931, la population urbaine française devint aussi nombreuse que la population rurale, puis continua à s’accroître à la faveur de l’exode rural. En effet, la croissance démographique liée aux progrès de la médecine conduisit à une surpopulation des campagnes par rapport aux terres cultivables disponibles, tandis que l’industrie, située désormais en ville, demandait de plus en plus de main d’œuvre. Les villes industrielles et les grands centres administratifs connurent un fort accroissement de leur population comme l'indique le tableau suivant.



La croissance urbaine se fit tout d’abord de manière anarchique. Durant la première moitié du XIXe siècle, les ouvriers connaissaient des conditions de vie effroyables, entassés dans des logements insalubres, des caves, etc., comme le révélèrent les enquêtes de Guépin et de Villermé. Le docteur Villermé mena des enquêtes publiées en 1840 et montrant que les ouvriers se conduisaient mal parce qu'ils vivaient dans des conditions misérables, entassés dans des logements insalubres. Déjà, en 1832, une épidémie de choléra, liée à l’infection de l’eau, fit 20 000 victimes à Paris (dont le président du conseil et ministre de l'intérieur Casimir Perier) et 100 000 au total en France. L'ampleur de l'épidémie et la prise de conscience qu'elle ne touchait pas que les pauvres suscita une grande inquiétude au sein de la bourgeoisie. Comme la médecine de l'époque s'était révélée impuissante face à l'épidémie, on s'intéressa aux questions d'hygiène car on avait établi une corrélation statistique entre le taux de mortalité et l'insalubrité de certains quartiers. Dès lors, des motivations morales conduisirent au développement de l'hygiénisme : il s'agissait de moraliser la classe ouvrière en l'incitant à une meilleure hygiène de vie, afin qu'elle ne pense plus à se révolter, et d'aménager les grandes villes afin de chasser les miasmes vecteurs, croyait-on alors, des maladies. Les aménagements de Paris par le baron Haussmann, préfet de police de Paris de 1853 à 1869 en sont la meilleure illustration. Haussmann mena à Paris une politique d’urbanisation (extension de l’espace urbain) et d’urbanisme (aménagement de la ville). A l’intérieur de l’enceinte des fermiers généraux de la fin du XVIIIe siècle (située sur les actuels boulevards extérieurs reliaient la place de l'Etoile à la place de la Nation en passant par Barbès-Rochechouart au nord et par la place Denfert-Rochereau au sud) se trouvaient les 12 arrondissements de Paris. Au-delà se trouvaient les villages périphériques (Passy, Auteuil, Grenelle, Vaugirard, Bercy, Charonne, Belleville, La Villette, La Chapelle, Montmartre, les Batignolles, Les Ternes), dont l’espace était partiellement urbanisé et laissait encore de la place aux activité agricoles et industrielles. Ces villages étaient enserrés par les fortifications construites en 1845 (sur l'emplacement de l'actuel boulevard périphérique). En 1860, Haussmann fit détruire le mur des fermiers généraux et annexa ces villages pour créer le Paris des 20 arrondissements que nous connaissons encore aujourd’hui. La ville compta alors 1,6 million d'habitants. Cette mise en cohérence administrative de l’espace situé à l’intérieur des fortifications en permit l’urbanisation et l’aménagement.

Source: Georges Duby (dir.). Atlas Historique, Larousse, 1978, p. 122. Le contraste est grand avec la carte ci-dessous représentant Paris dans les années 1840 : pas encore de fortifications, pas de grand boulevards reliant les gares entre elles, un lacis de rues étroites (entre 2,5 et 7 m de large sur l'ile de la cité) dans le centre de Paris qui rendaient les transports malaisés. On pensait à l'époque (avant Pasteur) que ces rues pestilentielles, étroites et tortueuses piégeaient les miasmes à l'origine des épidémies. Ajoutons que la plupart des Parisiens s'approvisionnaient en eau aux fontaines publiques, souvent alimentées par les eaux de la Seine. Les installations sanitaires comme les égouts étaient rares (107 km de canalisations en 1852). Les gares étaient situées juste à la limite de l'enceinte des fermiers généraux.

Document : Carte d'état-major, années 1840. Source : Géoportail






Document : La rue des Marmousets, située dans l'île de la Cité, dans les années 1850, près de l'Hôtel-Dieu.

















Document : La rue Tirechamp dans le vieux « quartier des Arcis », démolie au cours de l'extension de la rue de Rivoli. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Transformations_de_Paris_sous_le_Second_Empire











L'île de la Cité et son tissu urbain médiéval avant les travaux haussmanniens (plan Vaugondy de 1771). Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Paris-cite-vaugondy-1771.jpg


L'île de la Cité remodelée par les travaux d'Haussmann : nouvelles rues transversales (rouge), espaces publics autour de Notre-Dame (bleu clair) et bâtiments (bleu foncé).

Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Paris-cite-haussmann.jpg


Obéissant à la perspective hygiéniste, le préfet de Paris Haussmann, entre 1853 et 1870, décida de faire circuler l’air et les hommes en traçant de grands boulevards rectilignes dans le bâti ancien et insalubre. Ces trouées provoquèrent des destructions considérables dans le bâti ancien, comme le montrent les deux plans ci-dessus de l'ile de la Cité. Les nouveaux boulevards furent bordés par des rangées d'arbre et par les grands immeubles « haussmanniens » qui firent désormais l’unité architecturale de Paris. Le tableau de Caillebotte ci-dessous signale l'immense différence entre la ville haussmannienne et la ville héritée du Moyen-Age et détruite par l'haussmannisation.


Document : Gustave Caillebotte, Rue de Paris, temps de pluie - Jour de pluie à Paris, )au croisement des rue de Turin et rue de Moscou, 1877. Art Institute of Chicago.

Source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Caillebotte_Rue_de_Paris.jpg


Document : Les nouveaux boulevards du Second Empire et du début de la Troisième République. Source : Georges Duby (dir.), Histoire de la France urbaine, tome 4, Paris, Seuil, 1983, p. 86.



Les principaux axes créés ou transformés sous le Second Empire (en rouge) et au début de la Troisième République (en bleu), ainsi que les espace verts aménagés.

Source : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/09/R%C3%A9alisationsUrbaines2ndEmpire.jpg



Les plans ci-dessus indiquent la chronologie de l'ouverture des voies Haussmanniennes. Haussmann élabora tout d'abord le "premier réseau",- celui de la "grande croisée" est-ouest / nord-sud (1855-1859) dégageant le centre de Paris : la rue de Rivoli, commencée en 1800 à partir de la place de la Concorde fut prolongée vers l'est jusqu'à la place de la Bastille. Cet axe fut croisé par un axe nord-sud avec le boulevard de Strasbourg vers la gare de l'Est et la rue de Rennes vers la gare Montparnasse. Le deuxième réseau du début des années 1860 doubla la grande croisée par le boulevard de Sébastopol et le boulevard Saint-Michel, coupés par l'axe est-ouest des grands boulevards sur la rive droite. En même temps, de grands axes circulaires (boulevard Magenta, du Port Royal, du Prince Eugène, de l'Alma) entourèrent le vieux centre de Paris et relièrent entre elles les grandes places, les principaux monuments et les gares construites par les compagnies de chemin de fer. On remarquera au passage les références aux victoires militaires du Second Empire, en Italie et en Crimée. Les boulevards du "troisième réseau", dans les années 1870 (en tirets sur le plan), servir à relier entre eux les deux réseaux précédents (boulevard Saint-Germain, Avenue de l'Opéra). Un passage très célèbre du roman d'Emile Zola, La curée, résume l'historique de ces aménagements. Du haut de la butte Montmartre, dans un épisode situé par l'auteur au début du Second Empire, l'affairiste Saccard détaille devant sa femme Angèle le tracé des futurs boulevards :


Emile Zola, La curée (1872), Folio classique, 1999, p. 113-114.


Les jardins publics furent aménagés par l'ingénieur Alphand pour favoriser également la circulation de l’air (parc Monceau, parc Montsouris, Buttes-Chaumont, les bois de Boulogne et de Vincennes, les squares). La photographie ci-dessous montre le site des anciennes carrières de gypse des Buttes-Chaumont en cours d'aménagement (ici: le promontoire et le pont suspendu construit par Gustave Eiffel), avant l'inauguration du parc des Buttes-Chaumont le 1er avril 1867.


Document : vue de l’aménagement du parc des Buttes-Chaumont : le promontoire et le pont suspendu construit par Gustave Eiffel. Cliché Charles Marville.

Source: https://www.paris.fr/pages/haussmann-et-marville-une-histoire-de-l-urbanisme-et-de-la-photographie-23455


Document: Le parc des Buttes-Chaumont dans les années 1890. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, PETFOL-VE-1356

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84470040/f34.item

Il fallait également faire circuler l’eau. Sous l’impulsion de l’ingénieur Eugène Belgrand, l’eau potable fut acheminée par des canalisations et des aqueducs depuis des sources situées à plusieurs dizaines de kilomètres de Paris vers d’immenses réservoirs. Le volume d'eau distribué à Paris fut multiplié par trois. L’eau courante arriva jusqu’en haut des immeubles de la rive droite en 1865, de la rive gauche en 1875. Les eaux usées furent désormais rejetées dans la Seine par le nouveau réseau d’égouts (plus de 800 km). De même, la nourriture circulait grâce à la construction des Halles par Baltard au centre de Paris (détruites en 1971, elles se situaient à l'emplacement de l'actuel Forum des Halles). Construites en métal et en verre, ces halles sont significatives de la nouvelle architecture industrielle.

Document : Halles centrales de Paris. – Vue générale. — Dessin de Lancelot reproduit dans Magasin Pittoresque, t. XXX, janvier 1862, p. 28 Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Les_Halles_4.jpg



Document : Les Halles Baltard. Vue intérieure du pavillon central. BnF, Estampes et photographie, VA-229 (C)-FOL

Source : https://passerelles.essentiels.bnf.fr/fr/image/2e217be5-417e-4bd3-adbd-e19667d3c0e7-halles-baltard-2


Les gares construites par les grandes compagnies de chemin de fer célébrèrent également l'âge industriel avec leurs vastes halles faites de verrières supportées par une armature de fer. La gare du Nord, construite par l'architecte Hittorff et inaugurée en 1865, en offre sans doute l'exemple le plus marquant. N'oublions pas la gare Saint-Lazare peinte à de nombreuses reprises par Claude Monet.

Document : la façade monumentale de la gare du Nord avec les statues symbolisant les principales destination du réseau Nord. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Gare_du_Nord,_Paris_9_April_2014_013.jpg

Document : La halle de la gare du Nord aujourd'hui. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Paris_Gare_du_Nord_station_-_Flickr_-_TeaMeister.jpg

Parallèlement, Haussmann mena une politique de prestige en faisant construire de grands bâtiments mis en valeur par les boulevards : les gares monumentales, l’Opéra Garnier, les théâtres du Chatelet et de la Ville, le Cirque d'hiver, les églises (Saint-François-Xavier, Notre-Dame des Champs, Trinité, Saint-Augustin), les mairies d'arrondissement, la fontaine Saint-Michel etc. Les grands immeubles haussmanniens (3 800 environ) remplacèrent les habitats insalubres des vieux quartiers centraux de Paris, ce qui conduisit à une ségrégation socio-spatiale définitive : la bourgeoisie s’installa dans les immeubles des beaux quartiers et les ouvriers furent refoulés dans les quartiers périphériques.




Document : L'avenue de l'opéra avant et après les travaux de percement de l'avenue. Vue depuis le toit de l'opéra de Paris. Source : https://paris1900.lartnouveau.com/paris01/rues/avenue_de_l_opera.htm


Document : Dégagement de l'Opéra de Paris devant l’opéra de Paris. Démolition de la butte des Moulins qui s'étendait jusqu'au Louvre, en 1867, lors des travaux du baron Georges Eugène Haussmann. Roger-Viollet / Roger-Viollet. Source : https://www.paris.fr/pages/haussmann-l-homme-qui-a-transforme-paris-23091



Document : Le percement de l'avenue de l'Opéra : l'arasement de la butte du moulin et la destruction des immeubles anciens, vers 1877. Photographie par Charles Marville. BnF. Source : https://passerelles.essentiels.bnf.fr/fr/image/1427acd4-49ca-4210-bd8b-4e31e9173c9c-necessaires-destructions


Document : L'avenue de l'Opéra vers 1900. Source : Textes et documents pour la classe n°693, p. 11.



Camille Pissarro, Avenue de l'Opéra, soleil, matinée d'hiver 1898, Musée des Beaux-Arts, Reims. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Camille_Pissarro_-_Avenue_de_l%27Opera_-_Mus%C3%A9e_des_Beaux-Arts_Reims.jpg


Ces travaux contribuèrent à chasser les populations les plus modestes des taudis du centre de Paris vers la périphérie et vers l'est de Paris, inaugurant ainsi une ségrégation socio-spatiale opposant désormais l'ouest bourgeois et l'est populaire et ouvrier, comme l'indique la carte ci-dessous.



Par la suite, le préfet de police de Paris, Eugène Poubelle, prit un arrêté en 1883 obligeant les habitants à déposer leurs déchets ménagers dans un récipient en métal doté d’un couvercle. En 1894, par un autre arrêté préfectoral, il obligea les propriétaires des immeubles à relier leur immeuble au tout-à-l’égout. Pour les historien.ne.s de l’environnement, ces mesures, qui procurèrent un gain d'hygiène considérable, marquèrent également une rupture dans la gestion urbaine. Elles permirent d'expulser hors de l’espace urbain les déchets et les excréments humains et animaux. Auparavant, ces productions étaient systématiquement recyclées par une armée de chiffonniers, près de 100 000 à Paris en 1860 : les chiffons servaient à faire du papier, les os d’animaux servaient à la production de boutons, les excréments servaient d’engrais dans les campagnes environnantes, etc. Mais la logique hygiéniste et les gains de productivité de l’industrie rendirent obsolète cette économie du recyclage que nous appellerions aujourd’hui « circulaire ».

5.2 Une ville industrielle : Le Creusot

6. La naissance de la question ouvrière

6.1 Vers l'organisation d'un mouvement ouvrier

Dans la première moitié du XIXe siècle, les élites au pouvoir prirent conscience de l’existence d’une classe ouvrière, tandis que cette dernière prit conscience d’elle-même au cours des luttes qu’elle mena pour obtenir une amélioration de ses conditions de vie et de travail. Ce que l’on nomma alors la question ouvrière désigne d’une part la prise de conscience par les élites économiques politiques et intellectuelles de la misère ouvrière et de sa construction comme un problème publique et désigne d’autre part l’essor, dans l’espace publics, de journaux ou de mouvements qui s’expriment au nom de la classe ouvrière. En France, les dirigeants prirent conscience de cette question sociale en découvrant l’extrême misère dans laquelle vivaient les ouvriers et des risques politiques et démographiques (la très forte mortalité infantile et la faible espérances de vie des ouvriers avant 1850 risquaient de provoquer un déclin démographique de la France) qui en découleraient. Ils s’inquiétaient également de l’état physique des ouvriers des grandes régions industrielles qui ne pouvaient accomplir leur service militaire et qui, de ce fait, risquaient d’affaiblir l’armée française. En 1841, 61 % des jeunes gens du département du Nord (un département déjà très industrialisé) en âge de faire leur service militaire furent réformés en raison de leur état physique. Le célèbre et magnifique poème de Victor Hugo, ci-dessous, illustre cette prise de conscience, par certaines personnes, de la situation terrible des ouvriers.


Document : Victor Hugo : Melancholia, poème écrit en 1838 et publié en 1856 dans le recueil Les contemplations


Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?

Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?

Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?

Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules

Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement

Dans la même prison le même mouvement.

Accroupis sous les dents d'une machine sombre,

Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,

Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,

Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.

Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.

Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.

Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.

Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !

Ils semblent dire à Dieu : - Petits comme nous sommes,

Notre père, voyez ce que nous font les hommes !

Ô servitude infâme imposée à l'enfant !

Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant

Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,

La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,

Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain ! -

D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !

Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,

Qui produit la richesse en créant la misère,

Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !

Progrès dont on demande : Où va-t-il ? que veut-il ?

Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,

Une âme à la machine et la retire à l'homme !

Que ce travail, haï des mères, soit maudit !

Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,

Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !

Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,

Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,

Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !

En outre, la loi Le Chapelier et le décret d’Allarde de 1791, qui avaient interdit les corporations (les syndicats), le décret de 1810 qui avait interdit les coalitions d’ouvriers (les grèves), et l‘instauration du livret ouvrier en 1802 (voir le cours sur la Révolution française et l’Empire), empêchaient légalement les ouvriers de se défendre. Cependant, à partir des années 1830, les ouvriers se révoltèrent à plusieurs occasions et, malgré la répression féroce dont ils furent victimes, ils commencèrent à se faire entendre. En juin 1848, la révolte des ouvriers parisiens fut, elle aussi, écrasée dans le sang mais, progressivement, émergea la nécessité pour la classe ouvrière de s’organiser pour défendre ses intérêts. D’un côté, les ouvriers mirent en place des sociétés de secours mutuel pour venir en aide aux ouvriers malades, ainsi que des coopératives d’achat de denrée de première nécessité. D’un autre côté, les ouvriers commencèrent à s’organiser pour imposer des modifications de leurs conditions de travail et des hausses de salaires, et pour changer la société. Cette évolution découlait également de la concentration croissantes des ouvriers dans de grandes usines qui prirent ainsi conscience de leur nombre et de leur force. La reconnaissance du droit de grève en France en 1864 et la création d’une section française de l’Association internationale des travailleurs (AIT, la première Internationale, basée à Londres) contribuèrent à l’émergence postérieures d’organisations ouvrières syndicales et politiques constituant le mouvement ouvrier proprement dit. La CGT fut créée en 1895 et le parti socialiste SFIO (Section française de l'internationale ouvrière) fut créé en 1905 par Jean Jaurès avec la fusion des différents partis se réclamant de la classe ouvrière.

6.2 Les débuts de la législation sociale en France


Conclusion

Il est désormais beaucoup question de l’anthropocène, concept forgé par le prix Nobel de chimie Paul J. Cruzen au début des années 2000. Par ce concept, on considère que l’humanité a une telle influence sur le climat et la biodiversité qu’il faut lui donner le nom d’une nouvelle ère géologique. De nombreux débats existent sur la pertinence de ce concept et sur la date de départ de cette nouvelle ère géologique (au néolithique ? Au début de l’industrialisation ? avec la bombe atomique dont les radiations restent dans la couche géologique ?). Il reste évident que l’industrialisation est la principale cause du réchauffement climatique. Les historien.ne.s de l’environnement (J.-B. Fressoz, F. Graber, F. Locher, C.-F. Mathis, etc.) ont mené ces dernières années des travaux qui ont complètement remis en cause des certitudes bien ancrées. On a longtemps cru que l’industrie était apparue dans un monde non régulé où les populations n’avaient pas conscience des dégâts que pouvaient occasionner l’industrie. On pensait que, progressivement, sous l’action des États et des citoyens de mieux en mieux informés, les industriels avaient dû respecter une législation et des normes de plus en plus contraignantes pour respecter la santé des ouvriers et des populations environnantes. Nous savons désormais qu’il n’en est rien. A la fin du XVIIIe siècle, les conceptions médicales de l’époque conduisaient à considérer les effluves industrielles comme des vecteurs de maladie. La police avait tout pouvoir pour interdire les activités industrielles susceptible d’attenter à la santé des riverains. Or, sous le Premier Empire, se développa en France l’industrie chimique productrice d’acide sulfurique et de soude, produits nécessaires à l’industrie textile. Sous la pression de Chaptal, chimiste et industriel, fut adopté le décret impérial de 1810 qui soumettait l’implantation des usines polluantes à l’autorisation du préfet ou du sous-préfet et ôtait à la police le droit de les fermer en cas de nuisance. Cette mesure, qui fut étendue ensuite aux machine à vapeur, sécurisait les investissements des industriels car les riverains mécontents n’avaient plus pour seul recours que de les poursuivre en justice afin d’obtenir des dommages et intérêts, en aucune façon pour obtenir la fermeture de l’usine incriminée. Il suffisait aux pollueurs de créer une ligne dommages et intérêts dans leur budget prévisionnel pour continuer à polluer. Bien plus, les historien.ne.s, étudiant les controverses et les débats politiques de l’époque, ont montré que les femmes et les hommes du XIXe siècle avaient totalement conscience des risques que leur faisait courir le développement industriel. Contrairement à ce que nous imaginons aujourd’hui, la crainte d’un changement climatique consécutif à la combustion de charbon et à la déforestation était très largement partagée. Par exemple, en 1821, le ministère de l’intérieur français commanda une enquête auprès des préfets pour répertorier les indices d’un changement climatique dans leur département. Les protestations contre l’installation d’industries polluantes à proximité des habitations furent nombreuses. Par exemple, les Parisiens s’inquiétèrent longtemps à propos de l’éclairage au gaz de la ville à partir des années 1820. Le « gaz de ville » était alors produit par distillation de charbon dans des « usines à gaz », puis stocké dans d’énormes gazomètres, situés en pleine ville et dont certains explosèrent, avant de circuler dans des canalisations qui alimentaient les réverbères et les becs de gaz dans les logements. Pour faire face aux oppositions et pour rendre ces équipements socialement acceptables, des normes de construction et de sécurité furent fixées par les scientifiques. Si un accident survenait, on en imputait toujours la cause à une défaillance humaine ou à une erreur technique, et non pas aux caractéristiques intrinsèques de l’installation industrielle elle-même. En cas de besoin, les échelles des normes pouvaient être modifiées pour justifier « scientifiquement » une pollution rendue acceptable de ce fait. Ce processus de modification des normes officielles est largement utilisé aujourd’hui encore pour autoriser l’usage de pesticides ou de conditionnements des produits alimentaires, présentés comme cancérogènes au-delà de ces normes et inoffensifs en deçà… Le développement industriel fut donc en partie rendu possible par la minoration et la justification scientifique du risque industriel et climatique, qui était bien connu dès le début du XIXe siècle, et par la sécurisation, par la loi, des investissements industriels très coûteux.



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