Par Didier Cariou, maître de conférences HDR en didactique de l’histoire à l’Université de Bretagne Occidentale
Références :
Mots-clés
Plan Marshall, OECE, Logique fédérale, Logique intergouvernementale, Alliance Atlantique, OTAN, Etats-Unis d’Europe, Conseil de l’Europe, CECRL, Convention européenne des droits de l’homme, Drapeau européen, Hymne européen
Plan Schumann, Jean Monnet, CECA, CED, Traité de Rome, CEE, Libre-échange, De Gaulle, Politique de la chaise vide, Couple franco-allemand, Giscard d’Estaing, SME, ECU, Europe des 6, des 9, des 10, des 12, Convention de Schengen, Acte unique européen, ERASMUS, Communauté Européenne
Chute du mur de Berlin, Réunification de l’Allemagne, Europe des 15, des 25, des 27, des 28, des 27, Brexit, Traité de Maastricht, BCE, Citoyenneté européenne, Euros, Union européenne, Traité de Lisbonne, Conseil européen, Conseil de l’UE, Commission européenne, Parlement européen, Cours de justice européenne.
Que dit le programme ?
Extrait du programme du cycle 3, classe de CM2 (2020)
Thème 3 - La France, des guerres mondiales à l’Union européenne
- La construction européenne.
L’élève découvre que des pays européens, autrefois en guerre les uns contre les autres, sont aujourd’hui rassemblés au sein de l’Union européenne.
Extraits de la fiche EDUSCOL :
Thème 3 - La France, des guerres mondiales à l’Union européenne
Quels sont les points forts du thème pour l’enseignant ?
La construction européenne
Après le profond traumatisme provoqué dans le monde entier par l’ampleur des désastres et des crimes commis, la conception d’une éthique universelle se développe ; l’Organisation des Nations Unies, fondée en 1945, adopte le 9 décembre 1948 la Convention pour la prévention et répression du crime de Génocide et le 10 décembre 1948 la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Les droits de l’Homme sont d’ailleurs au fondement de la construction européenne.
Le contexte de la guerre froide rend encore plus urgente la réconciliation franco-allemande : la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) qui regroupe en 1951 la France, la République Fédérale Allemande, l’Italie et le Benelux permet de régler le différend franco-allemand sur la Sarre. Une dynamique est lancée qui, malgré l’échec de la Communauté Européenne de Défense, enterrée en 1954, aboutit à la création du Traité de Rome fondant le Marché commun (1957). Un espace de paix et de coopération économique existe désormais, qui s’élargit à partir des années 1970. Devenu en 1992 l’Union européenne (UE) par le traité de Maastricht, il connaît des mouvements centripètes et centrifuges : l’Euro est mis en place comme monnaie fiduciaire en 2002, dans la majorité des pays, mais l’UE ne parvient pas à se doter d’une constitution commune en 2005 et le Royaume-Uni, entré en 1973, choisit de s’en
retirer en 2016.
Comment mettre en œuvre le thème dans la classe ?
La construction européenne
Cette partie du thème a un lien fort avec l’enseignement moral et civique (EMC). La rubrique « sensibilité » comprend une initiation aux « valeurs et symboles » de l’Union européenne, la rubrique « le droit et la règle » implique de faire découvrir aux élèves « les grandes déclarations des droits » - ce qui comprend la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 mais aussi la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (2000) qui renvoie à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme de 1950. Toujours dans cette rubrique, il faut également présenter aux élèves la citoyenneté européenne. Des débats à visée philosophique pourront être engagés à partir des principes présents dans ces textes, afin de comprendre ce que l’on y affirme et ce que l’on veut éviter (ce qui renvoie à l’expérience des deux conflits mondiaux).
Partir de la citoyenneté européenne, à laquelle on n’accède que par le biais de la citoyenneté nationale d’un des États membres de l’Union Européenne, permet de présenter celle-ci comme le fruit d’une coopération entre des États qui ont choisi d’exercer en commun certains domaines relevant de leur souveraineté. Les principales étapes de la construction européenne pourront être évoquées à partir par exemple de l’observation de cartes évolutives, d’une brève chronologie (1957 : traité de Rome ; 1992 : traité de Maastricht), en identifiant à chaque fois les États concernés et ce qu’ils mettent en commun, et en montrant ainsi que la construction de la paix s’est opérée par des coopérations concrètes.
Introduction
Le programme du cycle 3 présente la construction européenne comme une réponse aux deux guerres mondiales et comme le moyen d’éviter de nouvelles guerres sur le continent européen. C’est une vision un peu réductrice et un peu angélique. La fiche EDUSCOL est plus réaliste. Elle rappelle que la construction européenne fut d’abord un produit de la Guerre Froide : il s’agissait de renforcer l’Europe occidentale face au bloc soviétique, puis de construire un marché contribuant au développement économique des pays européens, selon la logique du libéralisme économique.
L’histoire de la construction européenne est très complexe. Il est imprudent de l’envisager comme une histoire linéaire d’un regroupement de six à vingt-sept États et d’une construction d’un ensemble économique conduisant progressivement à une union politique. La construction européenne fut le fruit de nombreux tâtonnements, elle a subi de nombreuses crises. Surtout, elle résulte de l’application de divers projets contradictoires, ce qui explique ses errements encore aujourd’hui.
Pour envisager cette histoire, nous articulerons deux concepts (élargissement géographique et approfondissement des compétences) et deux conceptions de l’Europe (Europe fédérale versus Europe des États, ou intergouvernementale).
L’enseignement de ce chapitre est difficile. Avec les élèves, il faudrait suivre les orientations de la fiche EDUSCOL et articuler ce chapitre au programme d’EMC (Acquérir et partager les valeurs de la république). Il faudrait évoquer la citoyenneté européenne et les élections européennes, la monnaie unique, l’élargissement progressif de la construction européenne à l’aide de cartes et envisager les symboles de l’Europe (le drapeau, l’hymne européen, la devise européenne). Il est difficile d'en faire plus au cycle 3.
Le chapitre qui suit d’expliciter les enjeux qui sous-tendent les réalisations concrètes de l’Europe. J’espère qu’il pourra éclairer un peu la lectrice ou le lecteur sur des enjeux qui nous concernent toutes et tous mais qu’il est parfois difficile d’appréhender.
1. Vers la construction européenne
1.1 Construire une Europe atlantique ?
Les États-Unis peuvent être considérés comme les initiateurs de la construction européenne. C'est pourquoi il aurait été possible que la construction européenne se fasse directement sous l'égide des Etats-Unis, d'où le titre de cette sous-partie.
Le 5 juin 1947, le Secrétaire d’État Marshall lança le plan Marshall (European Recovery Program) afin de financer la reconstruction de l’Europe dévastée par la guerre mais surtout afin que l’Europe de l’Ouest ne sombre pas dans la révolution communiste. Le plan Marshall constituait une application directe de la doctrine Truman de l’endiguement énoncée le 15 mars 1947 lors d’un discours qui est considéré comme le point de départ de la Guerre froide. Il fallait que l'Europe occidentale se renforce face au bloc soviétique. Le 16 avril 1948 fut créée l’Organisation Européenne de Coopération Économique (OECE, qui devint l’OCDE en 1960). L’OECE regroupait au départ seize pays d’Europe de l’Ouest qui souhaitaient recevoir l’aide du plan Marshall, qui avait été refusée par les pays d’Europe de l’Est sous domination soviétique. L’aide du plan Marshall constituée de prêts et de dons de matériels d’un valeur totale de 12 milliards de dollars était attribuée en bloc à ces pays qui devaient la répartir entre eux.
Document : la répartition de l’aide du Plan Marshall
Source : https://www.alternatives-economiques.fr/y-a-70-ans-plan-marshall/00080237
Les États-Unis souhaitaient impulser de cette manière une coopération européenne susceptible de déboucher, qui sait, sur une fédération européenne selon le modèle américain (des institutions fédérales au-dessus des Etats membres de la fédération). Si les Français acceptèrent provisoirement cette logique fédérale, les Britanniques la refusèrent tout de suite. En conséquence, on n’alla pas plus loin que la répartition de l’aide du Plan Marshall et on ne mit en place ni une union douanière ni un programme fédéral de reconstruction européenne. Déjà s’affrontaient deux conceptions de la construction européenne : fédéraliste ou intergouvernementale.
En 1949 fut conclue l’Alliance Atlantique dirigée contre le bloc soviétique et conduisant à la mise en place de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) plaçant toutes les armées de l’alliance sous commandement intégré américain.
1.2 Quelle Europe construire ?
1.3 Construire la « petite Europe »
2. La construction d’une Europe économique : le Marché commun
2.1. Les difficultés des années 1960
Le premier acte européen marquant de De Gaulle, après son retour au pouvoir en 1958, fut la réconciliation franco-allemande avec le chancelier Conrad Adenauer, par la signature du Traité de l’Élysée institutionnalisant l’amitié franco-allemande, le 22 janvier 1963. Ce traité inaugura ce que, depuis, l’on appelle régulièrement le « couple franco-allemand » (tantôt « en panne », tantôt « moteur de l’Europe »).
Document: La signature du traité de l'Elysée par Conrad Adenauer et Charles De Gaulle (à la gauche de De Gaule, le premier ministre Pompidou). Source
Parallèlement, De Gaulle, président de la république française de 1958 à 1969, s’opposa à l’élargissement de la CEE, c’est-à-dire à l’intégration du Royaume-Uni qu’il considérait comme « le cheval de Troie des Américains » en Europe. A deux reprises, en 1963 et en 1967, il refusa la demande d’adhésion des Britanniques.
De Gaulle s’opposait également à l’approfondissement de l’Europe et à une orientation plus fédérale. Face aux tenants d'une Europe fédérale, libérale et économique, De Gaulle défendait une Europe inter-gouvernementale et politique où la souveraineté des Etats en matière de politique économique et sociale serait sauvegardée. En 1965, Walter Hallstein, le président de la Commission européenne, proposa que le vote au sein de la Commission s’effectue non plus à l’unanimité mais à la majorité qualifiée. Cela aurait rendu la Commission relativement indépendante de certains États. Elle aurait pu imposer ses décisions à des États en désaccord mais minoritaires lors des votes. En outre, Hallstein proposa que le budget européen soit voté par le Parlement européen, et non plus décidé par les États membres. Ces deux propositions s’engageaient clairement sur le chemin du fédéralisme auquel De Gaulle était totalement hostile. C’est pourquoi, entre le 30 juin 1965 et janvier 1966, la France pratiqua « la politique de la chaise vide » dans les instances européennes. De Gaulle eut finalement gain de cause contre Hallstein.
Lors de la campagne pour les élections présidentielles de 1965, De Gaulle s'exprima sur l'Europe lors d'un entretien télévisé. Dans l'extrait ci-dessous, très célèbre, notamment en raison de sa formule "on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « l'Europe ! l'Europe ! l'Europe ! », mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien", il formulait sa conception d'une Europe constituée d'une coopération d'Etats souverains.
Document : la conception gaullienne de l'Europe
Dès lors que nous ne nous battons plus entre Européens occidentaux, dès lors qu'il n'y a plus de rivalités immédiates et qu'il n'y a pas de guerre, ni même de guerre imaginable, entre la France et l'Allemagne, entre la France et l'Italie et, bien entendu, entre la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Angleterre, eh bien ! il est absolument normal que s'établisse entre ces pays occidentaux une solidarité. C'est cela l'Europe, et je crois que cette solidarité doit être organisée. Il s'agit de savoir comment et sous quelle forme. Alors, il faut prendre les choses comme elles sont, car on ne fait pas de politique autrement que sur les réalités. Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « l'Europe ! l'Europe ! l'Europe ! », mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien. Je répète : il faut prendre les choses comme elles sont. Comment sont-elles ? Vous avez un pays français, on ne peut pas le discuter, il y en a un. Vous avez un pays allemand, on ne peut pas le discuter, il y en un. Vous avez un pays italien, vous avez un pays belge, vous avez un pays hollandais, vous avez un pays luxembourgeois et vous avez, un peu plus loin, un pays anglais et vous avez un pays espagnol, etc. Ce sont des pays, ils ont leur histoire, ils ont leur langue, ils ont leur manière de vivre et ils sont des Français, des Allemands, des Italiens, des Anglais, des Hollandais, des Belges, des Espagnols, des Luxembourgeois. Ce sont ces pays-là qu'il faut mettre ensemble et ce sont ces pays-là qu'il faut habituer progressivement à vivre ensemble et à agir ensemble. A cet égard, je suis le premier à reconnaître et à penser que le Marché commun est essentiel, car si on arrive à l'organiser, et par conséquent, à établir une réelle solidarité économique entre ces pays européens, on aura fait beaucoup pour le rapprochement fondamental et pour la vie commune (…).
Chacun a sa patrie. Nous avons la nôtre, les Allemands ont la leur, les Anglais ont la leur, et c'est ainsi. J'ai parlé de la coopération des États, alors cela oui, j'en ai parlé, et je crois que c'est indispensable. Nous avons tâché de l'organiser à cette époque mais cela n'a pas réussi et, depuis, on n'a plus rien fait, excepté nous, qui avons fait quelque chose avec l'Allemagne, car nous avons solennellement, et c'était incroyable après tout ce qui nous était arrivé, nous avons fait avec l'Allemagne un Traité de réconciliation et de coopération. Cela n'a pas non plus jusqu'à présent donné grand-chose. Pourquoi ? Parce que les politiques sont les politiques des États, et qu'on ne peut pas empêcher cela (…).
Source: Charles De Gaulle, « Deuxième entretien radiodiffusé et télévisé avec M. Michel Droit, 14 décembre 1965 », in Charles De Gaulle, Mémoires d’espoir, Allocutions et messages, Paris, Plon, 1970, réed. Plon, 2006, p. 965-969
A voir sur : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i12107935/charles-de-gaulle-comme-un-cabri-l-europe-l-europe-l-europe
En revanche, De Gaulle ne s’opposa pas à la réalisation du marché commun par le libre échange et la suppression totale des droits de douane entre les six pays membres, qui fut effective le 1er juillet 1968.
2.2 L’accélération des années 1970
2.3 Le tournant européen des années 1980
Au début des années 1980, la construction européenne était en panne. Le second choc pétrolier provoqué par la révolution iranienne de 1979 accéléra encore plus l’inflation. En outre, l’élection de Mitterrand puis les élections législatives en 1981 portèrent au pouvoir des hommes politiques de gauche généralement hostiles à la construction européenne présentée comme « l’Europe des marchands et des banquiers ». L'affiche ci-dessous, réalisée par le dessinateur Jean Effel pour le compte du PCF contre le référendum de 1972 en France sur l'adhésion du Royaume-Uni, de l'Irlande et du Danemark, montre bien le point de vue de la gauche de l'époque sur la CEE.
Source : http://www.communcommune.com/2015/03/histoire-le-pcf-et-l-europe.html
En 1981-1982, Le gouvernement Maurois d’union de la gauche (PS, PCF, MRG) mena une politique de relance d’inspiration keynésienne : hausse importante du SMIC, cinquième semaine de congés payés, retraite à 60 ans (après 37,5 années de cotisation), nationalisation de banques d’affaire et de sept grands groupes industriels. Pour financer ces dépenses, il était nécessaire d’émettre toujours plus de monnaie, ce qui augmentait le taux d’inflation et supposait de dévaluer le franc dont la valeur diminuait automatiquement par rapport à celle des autres monnaies.
En 1983, Mitterrand abandonna cette politique de gauche et initia le « tournant de la rigueur » d’inspiration néo-libérale et personnifié par le ministre des finances Jacques Delors et le nouveau premier ministre Laurent Fabius. Ce dernier se débarrassa des ministres communistes du précédent gouvernement et engagea une politique proche de celle qui était menée par Thatcher au Royaume-Uni depuis 1979 et par Reagan aux États-Unis depuis 1980. Le tournant de la rigueur s’accompagna d’un « tournant européen » pour Mitterrand qui se rapprocha alors du chancelier conservateur Helmut Kohl (CDU) pour former un second couple franco-allemand. Kohl s’engagea à soutenir le Franc sur les marchés internationaux à condition que Mitterrand engage le tournant de la rigueur qui supposait une forte réduction des dépenses sociales, le gel des salaires et des licenciements massifs dans l’industrie. Tout cela pour défendre la politique du « Franc fort » sur les marchés monétaires internationaux et afin que le Franc ne sorte par du SME. Ainsi, à partir de 1983 le traitement des fonctionnaires fut gelé par Jacques Delors, le ministre de l’économie et des finances : c’est la fin des augmentations automatiques de leur traitement en fonction du taux d’inflation. Quarante ans après, il en est toujours ainsi et les fonctionnaires continuent à perdre énormément de pouvoir d’achat.
Le tournant de la rigueur en France montre clairement l'orientation libérale et anti-keynésienne de la construction européenne. Rester dans le SME impliquait de réduire l'inflation qui était favorable aux salariés et aux emprunteurs, comme nous l'avons vu plus haut, mais défavorable aux propriétaires de capitaux qui se dévaluaient à cause de l'inflation. En voulant défendre un Franc fort, arrimé au Deutschemark, le gouvernement socialiste français faisait le choix des propriétaires de capitaux contre les salariés. Cette politique du Franc fort renchérissait le coût des exportations qui se seraient vendues plus facilement avec un franc dévalué. En outre, en 1984, la loi Delors supprima la distinction entre les banques d'affaires (qui prêtaient aux entreprises et spéculaient sur les monnaient) et les banque des dépôt (qui recueillaient nos salaires et prêtaient aux particuliers). Désormais, toutes les banques pouvaient embaucher des traders et spéculer sur les marchés financiers. Le gouvernement de Laurent Fabius s'est alors clairement engagé dans une politique favorable à la finance et défavorable aux salariés. La conséquence en fut la désindustrialisation de la France : les salaires constituaient désormais la seule variable d'ajustement des entreprises qui furent obligées de délocaliser dans les pays à faibles salaires pour sauvegarder leurs profits. Une autre conséquence de la rigueur budgétaire fut la détérioration continue des services publics, de plus en plus difficiles à financer. Désormais, les politiques keynésienne ou "de relance" ne sont désormais plus possibles.
Le tournant européen de Mitterrand fut symbolisé par la cérémonie du 22 septembre 1984 devant l’ossuaire ce Douaumont à Verdun, lors de laquelle Mitterrand prit la main de Kohl.
Document : la poignée de mains de Verdun, le 22 septembre 1984. Source : https://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2014/09/22/mitterrand-kohl-main-dans-la-main-a-douaumont-le-pelerinage-de-la-paix
Le processus de construction européenne était relancé sous la houlette de Jacques Delors. En 1985, fut adoptée la Convention de Schengen permettant la libre circulation des citoyens européens à l’intérieur de l’Europe des Douze à partir de 1992 (ce qui signifiait la fin des contrôles d’identité aux frontières entre les Etats de la CEE et le démantèlement des postes de douane aux frontières) et un contrôle accru des frontières extérieures pour limiter l’entrée des migrants non-européens. Cette convention fut l'une des premières pierres du rempart érigé comme les migrants venus du Sud. Tous les États européens n’adhérèrent pas à la convention Schengen (le Royaume-Uni notamment, c’est pourquoi il fallait toujours présenter une pièce d’identité pour s’y rendre) alors que certains États hors communauté européennes (Norvège, Islande, Suisse) adhérèrent à cette convention, comme l’indique la carte suivante :
Source : https://www.touteleurope.eu/les-pays-membres-de-l-espace-schengen/
Plus ambitieux fut l’Acte unique européen élaboré par Jacques Delors, désormais président de la Commission européenne et adopté le 17 février 1986. L’Acte unique annonçait la liberté totale de circulation des marchandises, des capitaux et des personnes (Convention de Schengen) à compter du 21 décembre 1992, ce que l’on nomma alors le Grand marché. La libéralisation de la circulation des capitaux doit être replacée dans le contexte mondial de dérégulation des marchés financiers. Pour que ce grand marché fonctionne, il fallut harmoniser les normes des produits (la norme CE) pour qu’ils puissent se vendre dans toute la communauté européenne. Cela concerna les jouets, les prises de courant, la couleur des phares des voitures (en France, pour les voitures, on passa des phares jaunes aux phares blancs), etc. Il fallut également développer la politique commune de la monnaie, de la recherche, etc. Dès lors, la Communauté Européenne remplaça la Communauté Économique Européenne créée par la traité de Rome de 1957. Enfin, en 1987, fut mis en place le programme ERASMUS, précurseur du programme ERASMUS+.
3. Élargissement et approfondissement de la construction européenne
3.1 Les effets de la chute du bloc soviétique
La chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, l’effondrement du bloc soviétique dans les semaines qui suivirent et la fin de l’URSS, le 25 décembre 1991, bouleversèrent évidemment le processus de construction européenne.
En 1990, la réunification de l’Allemagne agrandit la superficie de la Communauté européenne par l'intégration de l’ancienne RDA à la RFA. En 1995, la Finlande, la Suède et l’Autriche, États théoriquement neutres durant la Guerre Froide et interdits d'adhésion à une organisation internationale, car ils étaient frontaliers du bloc soviétique, purent désormais adhérer à la CE. On passa alors de l’Europe des 12 à l’Europe des 15.
En 2004, furent intégrés dix nouveaux membres, des anciens pays du bloc soviétique ainsi que Chypre et Malte. En 2007, ce fut le tour de la Roumanie et la Bulgarie, ce qui porta l’Europe à 27. La Croatie fut intégrée en 2013, ce qui porta l’Europe à 28. Avec le Brexit en 2020, on revint à l’Europe des 27.
Ces intégrations successives élargirent considérablement la superficie de l’Union mais posèrent de nombreux problèmes. Le premier était celui du différentiel de développement économique entre les pays des Balkans et les pays européens les plus riches. Le second est était des migrations intra-européennes des populations des anciens pays de l'Est cherchant de meilleures conditions de travail à l’ouest, et des populations Roms de Hongrie de Roumanie et de Bulgarie, qui cherchent tout simplement à accéder à des conditions de vie dignes à l'Ouest. Un autre problème est celui de la gouvernance d’une Europe à 28 États.
3.2 De l’union économique à l’union politique
La chute du mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne inquiétèrent fortement Mitterrand qui était issu de la génération de la Seconde Guerre mondiale. Il craignait le renforcement de la puissance allemande qui attirait déjà tous les pays d’Europe de l’Est et qui risquait de marginaliser la France dans la construction européenne. Par exemple, le Deutschemark était devenu la monnaie de tous les ex-pays de l'Est dont l'économie et la société s'était trouvée totalement désorganisées par la chute du bloc soviétique et de l'économie collective. Mitterrand s’efforça donc de renforcer le couple franco-allemand et d’ancrer l’Allemagne à l’ouest par le traité de Maastricht en 1992. L’acceptation de ce traité, soumis à référendum en France, fit l’objet d’un intense débat politique en France où chacun devait se positionner pour ou contre "Maastricht". En plus, choisir la ville de Maastricht pour signer un traité d’une telle ampleur était de mauvais augure pour les Français : c’est lors du siège de Maastricht que fut tué d’Artagnan ! Le traité de Maastricht fut surtout marqué par trois grands types de réalisations.
La première réalisation du traité de Maastricht fut l’Union Économique et Monétaire. Les États membres devaient respecter des critères de convergence économique afin de favoriser leur intégration économique. En outre, leur déficit budgétaire ne devait pas être supérieur à 3 % de leur PIB. La Banque Centrale Européenne (BCE) fut créée afin de préparer la mise en place en 2002 de la monnaie unique européenne, l'euro, puis de sa gestion (19 États aujourd’hui). La BCE, totalement indépendante des États, est une institution économique de type fédéral. Elle est dirigée par Christine Lagarde depuis 2019. La seconde réalisation était la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) qui devait exprimer une sorte de diplomatie commune afin que tous les pays européens parlent d’une même voix à l’échelle internationale. Ce fut globalement un échec. Les prérogatives du Parlement européen furent renforcées : il investit la Commission européenne et joue un rôle plus important dans l’élaboration des règlements européens. Le principe de subsidiarité fut imposé : une loi ou une juridiction de niveau européen s’imposent au niveau de chaque État. On institua enfin la citoyenneté européenne (passeport européen, droit de vote de tous aux élections locales et aux élections européennes).
Document : Extraits du traité de Maastricht
Résolus à franchir une nouvelle étape dans le processus d'intégration européenne engagé par la création des Communautés européennes ;
Rappelant l'importance historique de la fin de la division du continent européen et la nécessité d'établir des bases solides pour l'architecture de l'Europe future ;
Confirmant leur attachement aux principes de la liberté, de la démocratie et du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'État de droit ;
Désireux d'approfondir la solidarité entre leurs peuples dans le respect de leur histoire, de leur culture et de leurs traditions ;
Désireux de renforcer le caractère démocratique et l'efficacité du fonctionnement des institutions, afin de leur permettre de mieux remplir, dans un cadre institutionnel unique, les missions qui leur sont confiées ;
Résolus à renforcer leurs économies ainsi qu'à en assurer la convergence, et à établir une union économique et monétaire, comportant, conformément aux dispositions du présent traité, une monnaie unique et stable ;
Déterminés à promouvoir le progrès économique et social de leurs peuples, dans le cadre de l'achèvement du marché intérieur et du renforcement de la cohésion et de la protection de l'environnement, et à mettre en œuvre des politiques assurant des progrès parallèles dans l'intégration économique et dans les autres domaines ;
Résolus à établir une citoyenneté commune aux ressortissants de leurs pays ;
Résolus à mettre en œuvre une politique étrangère et de sécurité commune, y compris la définition à terme d'une politique de défense commune qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune, renforçant ainsi "identité de l'Europe et son indépendance afin de promouvoir la paix, la sécurité et le progrès en Europe et dans le monde ;
Réaffirmant leur objectif de faciliter la libre circulation des personnes, tout en assurant la sûreté et la sécurité de leurs peuples, en insérant des dispositions sur la justice et les affaires intérieures dans le présent traité; Résolus à poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe, dans laquelle les décisions sont prises le plus près possible des citoyens, conformément au principe de subsidiarité ;
Dans la perspective des étapes ultérieures à franchir pour faire progresser l'intégration européenne;
Ont décidé d'instituer une Union européenne (…).
Source : Extrait de : « Traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992 », dans Traité sur l'Union européenne, Conseil des Communautés européennes, Luxembourg, Office des publications officielles des Communautés européennes, 1992. Cité par Ph. Mioche, penser et construire l’Europe XIXe – XXe siècle, Paris, Hachette 1996, p. 130-133.
Ajoutons ici une analyse tirée de l'excellent ouvrage en BD de Benoit Collombat et Damien Cuvillier, Le choix du chômage. de Pompidou à Macron, enquête sur les racines de la violence économique (Futuropolis, 2021). Les choix qui ont présidé à la construction de l'Union européenne sont inspirés par une logique néo-libérale. Alors que le libéralisme suppose un marché libre et une intervention minimale de l'Etat, le néo-libéralisme suppose que l'Etat se mette au service de du marché. La monnaie unique est désormais gérée par la BCE, instance fédérale en l'absence d'Etat fédéral. L'objectif constamment affirmé de la BCE est d'assurer la libre circulation des capitaux, la lutte contre l'inflation au service d'une politique d'austérité. Les Etats ont perdu leur souveraineté budgétaire et monétaire. Il ne leur est plus possible de financer une politique sociale par le déficit budgétaire ou l'émission de monnaie, selon une logique keynésienne. En outre, comme l'Euro est maintenu à une valeur élevée, les exportations de certains pays furent pénalisées. La conséquence fut la "spécialisation" des pays membre de l'UE: tourisme et agriculture maraichère pour les pays du sud, tourisme et services pour la France, finances pour le Luxembourg et les Pays-Bas, industrie pour l'Allemagne, sous-traitance industrielle pour les anciens pays de l'Est. L'Euro constitue donc l'instrument d'une politique néo-libérale et de l'austérité budgétaire. Parler de "réindustrialisation de la France" dans un tel contexte relève d'une mystification pure et simple.
La Communauté Européenne à dimension essentiellement économique fut remplacée le 1er janvier 1993 par l’Union Européenne dont s’affirmait désormais la dimension politique.
Source : https://www.touteleurope.eu/les-pays-membres-de-la-zone-euro/
3.3 Les limites de la construction européenne
Conclusion
Plus que tout autre histoire, l’histoire de la construction européenne est complexe car elle s’est bâtie à l’occasion de nombreuses crises nécessitant des compromis entre des intérêts et des visions opposées.
En outre les discours politiques rendent encore plus opaque le fonctionnement des institutions européennes. On a longtemps reproché à l’Europe un fonctionnement peu démocratique alors que ses orientations sont décidées par les chefs d’État et de gouvernement et non pas par ceux que l’on appelait à une époque les « eurocrates » de Bruxelles, qui ne rendaient compte de leurs décisions à personne. Les partisans d’une Europe intergouvernementale disent qu’il y a trop d’Europe, les partisans d’une Europe fédérale disent qu’il y a trop peu d’Europe.
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