Par Didier Cariou, maître de conférences HDR en didactique de l’histoire à l’Université de Bretagne Occidentale
Références bibliographiques
Collectif (2009). L’école en France XVIIe-XXIe siècle. Textes et documents pour la classe n°986, SCEREN.
LUC Jean-Noël, CONDETTE Jean-François, VERNEUIL Yves (2020). Histoire de l'enseignement en France XIXe-XXIe siècle. Paris : Armand Colin.
MERLE Pierre (2009). La démocratisation de l’enseignement, 2e édition. Paris : La Découverte, Repères.
PROST Antoine (1968). L'enseignement en France 1800-1967. Paris: Armand Colin, collection U.
Mots clés
Loi Guizot, Loi Falloux, Alphabétisation, Scolarisation, Ecoles normales, Ligne Saint-Malo / Genève, Lois de Jules Ferry, Sécularisation, Gratuité scolaire, Obligation scolaire, Certificat d'études, Laïcité des programmes, Ecoles Primaires Supérieures, Loi Paul Bert, Loi Goblet, Salles d'asile, Ecole maternelle, Pauline Kergomard.
Que dit le programme ?
Extraits de la fiche EDUSCOL
Quels sont les points forts du thème pour l’enseignant ?
L’école primaire au temps de Jules Ferry
Depuis l’échec de la Seconde République, les Républicains sont persuadés que l’instruction du peuple est la clef de l’enracinement de la République en France. D’autre part, ils veulent limiter l’influence de l’Église catholique, dont le clergé est le plus souvent monarchiste, dans l’éducation. La loi Guizot de 1833 avait imposé à toutes les communes de plus de 500 habitants d’ouvrir une école de garçons et la loi Falloux de 1850, qui crée officiellement l’enseignement secondaire privé et accroît l’influence de l’Église catholique sur l’école, oblige également toutes les communes de plus de 800 habitants à ouvrir une école de filles (seuil ramené à 500 par la loi Victor Duruy de 1867). Mais l’école n’est pas gratuite, sauf pour les indigents, et les instituteurs ne sont pas payés par l’État.
La loi du 16 juin 1881 fait des instituteurs des fonctionnaires de l’État et impose la gratuité de l’enseignement primaire, tandis que la loi du 28 mars 1882 rend l’école publique laïque et l’enseignement obligatoire de 6 à 13 ans. La laïcité de 1882 concerne les programmes, « l’instruction morale et religieuse » devenant « l’instruction morale et civique ». En 1886, tous les personnels d’enseignement sont laïcisés.
Comment mettre en œuvre le thème dans la classe ?
L’école primaire au temps de Jules Ferry
Le programme suggère une double entrée par l’étude des bâtiments (qui permet là encore d’amorcer l’étude des symboles tout en établissant concrètement que l’école est au cœur de la République) et par celle des programmes (on pense aux programmes de 1882) qui peuvent établir l’aspect laïque de l’enseignement. Il existe par ailleurs de nombreuses représentations de salles de classe sous la Troisième République, et l’on peut trouver de nombreux documents sur le site du Musée National de l’Éducation. À partir de photographies de salles de classe de l’enseignement primaire, les élèves prennent conscience que l’école laïque, gratuite et obligatoire devient un espace de démonstration de la culture républicaine et doit porter les signes distinctifs de la modernité (horloge, cloche, chauffage, tableau noir, cartes, planches, imagerie d’Épinal, pupitre…). Les élèves peuvent être amenés à comparer les rites scolaires qui se développent au cours de cette période et leurs propres habitudes scolaires quotidiennes.
Le recours aux sources du patrimoine local mais aussi familial (archives publiques et personnelles) pourrait permettre d’appuyer cette étude (par exemple en se référant à l’histoire de la construction même de l’école à partir de plans d’architecte faisant apparaître, le cas échéant, la séparation des bâtiments filles et garçons…jusqu’à l’instauration de la mixité).
Il s’agirait ainsi de montrer le caractère évolutif de l’école. L’élève découvre que si tous les enfants vont à l’école pour la première fois jusqu’à 13 ans, les programmes scolaires sous la IIIe République sont différents pour les filles qui apprennent notamment la tenue du ménage et la cuisine par exemple.
L’observation de cartes affichées dans les classes sous la IIIe République peut introduire le thème de la question coloniale. Cette question est liée à la problématique d’ensemble parce qu’elle s’est forgée autour de l’idéal républicain d’une grande nation civilisatrice. Les élèves observent que l’empire colonial français au tournant du siècle est vingt fois plus vaste que le territoire national (le deuxième du monde par l’étendue et sa population). On peut montrer ainsi que la présence française et la francophonie sur les continents africain et asiatique sont le résultat d’une nouvelle entreprise coloniale depuis la fin du XIXe siècle.
1. L’école avant les lois Jules Ferry
Note : cette première partie ne concerne pas les attendus du programme. Elle sert uniquement à la connaissance de l'histoire du système éducatif des futur.es professeur.es des écoles
Encart : les grandes lois scolaires avant la Troisième République
Loi Daunou du 3 brumaire an IV (24 octobre 1795) instituant les écoles centrales et confiant l’enseignement primaire aux départements.
Loi du 11 floréal an X (1er mai 1802) instituant les lycée et confiant l’instruction primaire aux communes
Loi Guizot du 28 juin 1833 sur l’instruction primaire : obligation pour chaque commune d’entretenir une école de garçon et pour chaque département d’entretenir une école normale de garçons
Loi Falloux du 15 mars 1850 sur la liberté de l’enseignement primaire et secondaire. Obligation pour chaque commune de plus de 800 habitants d’entretenir une école de filles
Circulaire du 30 octobre 1867 instaurant les cours secondaires pour les jeunes filles
1.1 L'école avant et après la Révolution française Avant la Révolution française, l’instruction des enfants relevait du choix des familles. Elle pouvait se dérouler sous la houlette d’un maître privé rémunéré par les familles, ou bien dans des écoles communales, des écoles paroissiales ou dans des établissements tenus par des congrégations religieuses, telle la congrégation des Frères de écoles chrétienne. L’investissement de l’Église catholique dans l’instruction du peuple obéissait à une logique d’évangélisation et de moralisation des populations perçues comme menacées par les idées des Lumières. En outre, l’idée d’une instruction identique pour tous n’était pas répandue : on pensait que les enfants de chaque groupe social devaient recevoir l’instruction nécessaire à l’exercice du métier auquel ils étaient destinés. Il ne semblait même pas nécessaire d’instruire les laboureurs ou les cordonniers qui ne devaient pas s’extraire de leur condition et risquer ainsi de menacer l’ordre social. Les philosophes des Lumières eux-mêmes s’en tenaient à une vision élitiste de l’instruction et ne voyaient pas l’intérêt d’instruire le peuple, à l'exception peut-être de Diderot et de Rousseau.
Avec la Révolution et la transformation des sujets du roi en citoyens composant la nation souveraine, il devint nécessaire de former les futurs citoyens responsables de leurs choix politiques. Ce principe fut énoncé par Condorcet en 1793 : « Un peuple éclairé confie ses intérêts à des hommes instruits ». Condorcet avait d’ailleurs prôné une instruction publique et laïque assurant l’égalité entre les filles et les garçons devant l’instruction. De nombreux projets visant à organiser l’instruction des enfants virent le jour durant la période de la Convention, entre 1793 et 1795. Les difficultés de la période ne permirent que la création d’un enseignement secondaire afin de former les garçons de la bourgeoisie, avec la création des lycées par l’État en 1802. En 1802 également, l’instruction primaire des enfants de peuple fut dévolue aux communes alors peu argentées.
Au sortir de la Révolution, deux ordres scolaires avaient été mis en place. Pour le secondaire, le lycée, prolongé par l’École des Mines (1783), l’École normale supérieure (1794), le Conservatoire national des arts et métiers (1794) et l’École polytechnique (1795), scolarisaient les garçons de la bourgeoisie qui se destinaient au service de l’État. A partir de 1808, le baccalauréat sanctionnait la fin des études secondaires. Pour sa part, l’école primaire, quand elle existait, était destinée aux enfants des paysans et des ouvriers auxquels était dispensé un enseignement pratique en lien avec les métiers de la terre et de l’industrie.
1.2 La loi Guizot de 1833 et la loi Falloux de 1850
Dans ce contexte peu favorable à l’enseignement primaire, la loi Guizot (du nom du ministre de l’Instruction publique de Louis-Philippe) du 28 juin 1833 apparaît comme le véritable point de départ de la scolarisation des enfants du peuple en France. Elle obligeait chaque commune à créer une école de garçons et chaque département à créer une école normale d’instituteurs. Chaque commune devait fournir un local et garantir à l'instituteur, détenteur d'un brevet de capacité d'enseignement, un logement et un traitement de 200 francs par mois. Cette somme était complétée par l'écolage payé, ou non, par les familles. La loi Guizot instaurait également la "liberté" de l'enseignement primaire en autorisant les écoles privées fondées par des particuliers ou des congrégations religieuses, telles que les Frères des Ecoles chrétiennes (encore aujourd'hui à la tête de la majorité des établissements privés catholiques).
Document : La loi Guizot du 28 juin 1833
Art. 1. – L'instruction primaire est élémentaire ou supérieure.
L'instruction primaire élémentaire comprend nécessairement l'instruction morale et religieuse, la lecture, l’écriture, les éléments de la langue française et du calcul, le système légal des poids et mesures.
L'instruction primaire supérieure comprend nécessairement, en outre, les éléments de la géométrie et ses applications usuelles, spécialement le dessin linéaire et l’arpentage, des notions des sciences physiques et de l'histoire naturelle applicables aux usages de la vie, le chant, les éléments de l'histoire et de la géographie, et surtout de l’histoire et de la géographie de la France (...).
Art. 2. – Le vœu des pères de famille sera toujours consulté et suivi en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l'instruction religieuse.
Art. 3. – L'instruction primaire est privée ou publique.
Art. 4. – Tout individu âgé de dix-huit ans accomplis pourra exercer la profession d'instituteur primaire et diriger tout établissement quelconque d'instruction primaire, sans autres conditions que de présenter préalablement au maire de la commune où il voudra tenir école :
1° Un brevet de capacité obtenu, après examen, selon le degré de l'école qu'il veut établir ;
2° Un certificat constatant que l'impétrant est digne, par sa moralité, de se livrer à l'enseignement. Ce certificat sera délivré, sur l’attestation de trois conseillers municipaux, par le maire de la commune ou de chacune des communes où il aura résidé depuis trois ans.
Art. 8. – Les écoles primaires publiques sont celles qu'entretiennent, en tout ou en partie, les communes, les départements ou l'État.
Art. 9. – Toute commune est tenue, soit par elle-même, soit en se réunissant à une ou plusieurs communes voisines, d'entretenir au moins une école primaire élémentaire. Dans le cas où les circonstances locales le permettraient, le ministre de l'instruction publique pourra, après avoir entendu le conseil municipal, autoriser, à titre d'écoles communales, des écoles plus particulièrement affectées à l'un des cultes reconnus par l'État.
Art. 10. – Les communes chefs-lieux de département, et celles dont la population excède six mille âmes, devront avoir en outre une école primaire supérieure.
Art. 11. – Tout département sera tenu d'entretenir une école normale primaire, soit par lui-même, soit en se réunissant à un ou plusieurs départements voisins. Les conseils généraux délibéreront sur les moyens d'assurer l'entretien des écoles normales primaires. Ils délibéreront également sur la réunion de plusieurs départements pour l'entretien d'une seule école normale. Cette réunion devra être autorisée par ordonnance royale.
Art. 12. – Il sera fourni à tout instituteur communal :
1° Un local convenablement disposé, tant pour lui servir d'habitation que pour recevoir les élèves ;
2° Un traitement fixe, qui ne pourra être moindre de deux cents francs pour une école primaire élémentaire, et de quatre cents francs pour une école primaire supérieure (...).
Art. 17. – Il y aura près de chaque école communale un comité local de surveillance composé du maire ou adjoint, président, du curé ou pasteur, et d'un ou plusieurs habitants notables désignés par le comité d'arrondissement.
Dans les communes dont la population est répartie entre différents cultes reconnus par l'État, le curé ou le plus ancien des curés, et un des ministres de chacun des autres cultes, désigné par son consistoire, feront partie du comité communal de surveillance (…).
Fait à Paris, le vingt-huitième jour du mois de juin 1833.
LOUIS-PHILIPPE
Vu et scellé du grand sceau, Le Garde des sceaux de France, Ministre Secrétaire d'état au département de la justice, BARTHE
Par le Roi : Le Ministre Secrétaire d'état au département de l'instruction publique, GUIZOT
Source : https://www.education.gouv.fr/loi-sur-l-instruction-primaire-loi-guizot-du-28-juin-1833-1721
En réalité, il restait difficile, avec les moyens de l'époque, de vérifier l'application de ces mesures par toutes les communes. Bien souvent le local scolaire était une grange ou une salle de la mairie où l'on déposait les archives et où avaient également lieu les réunions du conseil municipal. En outre, la surveillance des instituteurs était confiée au maire ou au curé (qui était payé par l'Etat depuis le concordat de 1802). Les compétences pédagogiques de ces derniers étant inexistantes, Guizot instaura, par l'ordonnance du 26 février 1835, un corps d'inspecteurs départementaux auxquels il adjoignit très vite des sous-inspecteurs pour les assister. La création de l'inspection d'académie en tant que corps de la fonction publique donna à l'Etat les moyens de savoir ce qui se passait dans les écoles.
La législation concernant l’instruction des filles fut plus tardive : la loi Falloux du 15 mars 1850 obligea les communes de plus de 800 habitants (500 habitants en 1867) à ouvrir une école de filles. Grâce à cette législation, la scolarisation des enfants, y compris celle des filles, progressa rapidement en France, alors même que l’instruction n’était pas encore obligatoire. La scolarisation des filles était le plus souvent assurée par un réseau d’école tenues par des congrégations religieuses féminines. Cependant, la loi Falloux fut votée dans un contexte de profonde réaction politique. Elle donnait une très large place aux hommes d’Église dans les organes de contrôle de l’école et dans l’inspection des instituteurs. Enfin, la loi Falloux est surtout célèbre pour avoir permis la création d’établissements privés (« libres ») du second degré, à côté des écoles primaires privées déjà prévues par la loi Guizot de 1833.
Document : la loi Falloux du 15 mars 1850
Chapitre III
Des écoles et de l'inspection
Art. 17. – La loi reconnaît deux espèces d'écoles primaires ou secondaires :
1° Les écoles fondées ou entretenues par les communes, les départements ou l’État, et qui prennent le nom d’Écoles publiques ;
2° Les écoles fondées et entretenues par des particuliers ou des associations, et qui prennent le nom d’Écoles libres.
Art. 18. – L inspection des établissements d instruction publique ou libre est exercée :
1° Par les inspecteurs généraux et supérieurs ;
2° Par les recteurs et les inspecteurs d'Académie ;
3° Par les inspecteurs de l'enseignement primaire ;
4° Par les délégués cantonaux, le maire et le curé, le pasteur ou le délégué du consistoire israélite, en ce qui concerne l’enseignement primaire. Les ministres des différents cultes n'inspecteront que les écoles spéciales à leur culte, ou les écoles mixtes pour leurs coreligionnaires seulement. Le recteur pourra, en cas d'empêchement, déléguer temporairement l'inspection à un membre du conseil académique (...).
TITRE II
DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
Chapitre I
Dispositions générales
Art.23. – L'enseignement primaire comprend :
L'instruction morale et religieuse ;
La lecture ;
L'écriture ;
Les éléments de la langue française ;
Le calcul et le système légal des poids et mesures.
Il peut comprendre en outre :
L'arithmétique appliquée aux opérations pratiques ;
Les éléments de l'histoire et de la géographie ;
Des notions des sciences physiques et de l'histoire naturelle, applicables aux usages de la vie ;
Des instructions élémentaires sur l'agriculture, l'industrie et l'hygiène ;
L'arpentage, le nivellement, le dessin linéaire ;
Le chant et la gymnastique.
Art. 24. – L'enseignement primaire est donné gratuitement à tous les enfants dont les familles sont hors d'état de le payer.
Chapitre II
Des instituteurs
Section I
Des conditions d'exercice de la profession d'instituteur primaire public ou libre
Art. 25. – Tout Français, âgé de vingt et un ans accomplis, peut exercer dans toute la France la profession d'instituteur primaire, public ou libre, s'il est muni d'un brevet de capacité.
Le brevet de capacité peut être suppléé par le certificat de stage dont il est parlé à l'article 47, par le diplôme de bachelier, par un certificat constatant qu'on a été admis dans une des écoles spéciales de l’État, ou par le titre de ministre, non interdit ni révoqué, de l'un des cultes reconnus par l’État.
Art. 26. – Sont incapables de tenir une école publique ou libre, ou d'y être employés, les individus qui ont subi une condamnation pour crime ou pour un délit contraire à la probité ou aux mœurs, les individus privés par jugement de tout ou partie des droits mentionnés en l'article 42 du Code pénal, et ceux qui ont été interdits en vertu des articles 30 et 33 de la présente loi (…).
Chapitre III
Des écoles communales
Art. 36. – Toute commune doit entretenir une ou plusieurs écoles primaires.
Le conseil académique du département peut autoriser une commune à se réunir à une ou plusieurs communes voisines pour l'entretien d'une école. Toute commune a la faculté d'entretenir une ou plusieurs écoles entièrement gratuites, à la condition d'y subvenir sur ses propres ressources.
Le conseil académique peut dispenser une commune d'entretenir une école publique, à condition qu'elle pourvoira à l'enseignement primaire gratuit, dans une école libre, de tous les enfants dont les familles sont hors d'état d'y subvenir. Cette dispense peut toujours être retirée.
Dans les communes où les différents cultes reconnus sont professés publiquement, des écoles séparées seront établies pour les enfants appartenant à chacun de ces cultes, sauf ce qui est dit à l'article 15 (…).
Art. 37. – Toute commune doit fournir à l'instituteur un local convenable, tant pour son habitation que pour la tenue de l'école, le mobilier de classe et un traitement (…).
Chapitre V
Des écoles de filles
Art. 48. – L'enseignement primaire dans les écoles de filles comprend, outre les matières de l'enseignement primaire énoncées dans l'article 23, les travaux à l'aiguille.
Art. 49. – Les lettres d'obédience tiendront lieu de brevet de capacité aux institutrices appartenant à des congrégations religieuses vouées à l'enseignement et reconnues par l’État. L’examen des institutrices n'aura pas lieu publiquement (…).
Art. 51. – Toute commune de huit cents âmes de population et au-dessus est tenue, si ses propres ressources lui en fournissent les moyens, d'avoir au moins une école de filles, sauf ce qui est dit à l'article 15 (…).
Art. 52. – Aucune école primaire, publique ou libre, ne peut, sans l'autorisation du conseil académique recevoir d'enfants des deux sexes s'il existe dans la commune une école publique ou libre de filles.
Au début du Second Empire, le décret de 1852 donna aux recteurs d'académie le pouvoir de nommer les instituteurs sans demander l'avis des maires des communes concernées. L'administration scolaire devenait ainsi autonome et indépendante des notables locaux. Victor Duruy, ministre de l'Instruction publique à partir de 1863, contribua à des avancées encore plus significatives. Il rendit obligatoire l'enseignement de l'histoire et de la géographie à l'école primaire afin de renforcer la conscience civique des futurs citoyens. La loi Duruy du 10 avril 1867 augmenta considérablement le budget de l'instruction publique. Elle encourageait les communes à prélever un impôt supplémentaire pour financer la scolarité des enfants les plus pauvres (les "indigents"). En conséquence, la scolarisation gratuite bénéficia alors à 60 % des écoliers, avant les lois Jules Ferry, alors qu'elle ne concernant que 40 % des écoliers en 1861. La loi Duruy compléta la loi Falloux en obligeant les communes de 500 habitants au moins à ouvrir une école publique de filles, ce qui permit le rattrapage de la scolarisation des filles. Enfin, elle imposa le Certificat d'étude primaire sanctionnant la fin de la scolarité primaire.
A la fin du Second Empire, on estime que 70 % des enfants de 5 à 14 ans étaient (partiellement) scolarisés et que près des deux tiers des Français (plutôt les hommes) savaient (à peu près) lire et écrire. Bien entendu, les disparités régionales restaient très importantes.
Cet effort de scolarisation répondait à une forte demande sociale des familles populaires qui souhaitaient une amélioration de la situation de leurs enfants par l’acquisition de la lecture, de l’écriture et du calcul. L'école suscita une adhésion progressive de la population car elle montra vite qu'elle favorisait une certaine réussite sociale. A partir du Second Empire, l'industrialisation et le développement de l'Etat firent s'installer dans chaque bourg un médecin ou un officier de santé, un notaire, et un nombre croissant de fonctionnaires, gendarmes, percepteurs des impôts, instituteurs, vivants modèles d'ascension sociale pour toutes les familles pauvres. L'exode rural et le rétablissement d'un service militaire quasiment universel en 1872, rendirent nécessaire la maitrise de la lecture et de l'écriture pour correspondre et maintenir le contact avec sa famille. De même, la bourgeoisie souhaitait désormais développer l'instruction du peuple pour réduire la misère et les risques de révolution, et pour disposer d'une main d'œuvre plus qualifiée et mieux adaptée aux transformations économiques. L'Eglise catholique elle-même était favorable à la scolarisation, mais plutôt dans ses propres écoles. De toute façon, le développement de deux ordres scolaire, l'école primaire du peuple et l'enseignement secondaire de la bourgeoisie, ne remettait nullement en cause la hiérarchie sociale.
Malgré tout, certains enfants n’avaient pas accès, ou alors partiellement, à l’instruction scolaire. Nombreux étaient les enfants qui n’allaient à l’école que l’hiver, lors de interruption des travaux des champs. Pourtant, la loi Guizot et la loi Falloux stipulaient que les enfants nécessiteux ("indigents"), dont la liste était établie par la commune, devaient bénéficier de l’école gratuite. Ces enfants représentaient environ un tiers des effectifs scolaires.
Les tableaux suivants montrent une augmentation continue des effectifs scolarisés à l’école primaire depuis le début du XIXe siècle. Le premier signale également la forte proportion de filles scolarisées dans des écoles privées catholiques. Le second montre l'accroissement de la scolarisation des filles par rapport à celle des garçons.
Source : Briand, J.-P., Chapoulie, J.-M. Juguet, F., Luc, J.-N., Prost, A., L’enseignement primaire et ses extensions, XIXE-XXe siècles. Annuaire statistique, Economica – INRP, 1987.
Source : Antoine Prost, L'enseignement en France 1800-1867, Paris, Armand Colin, p. 108.
1.3 La situation avant les lois scolaires de Jules Ferry
Une grande enquête rétrospective menée sous la direction du recteur Maggiolo entre 1877 et 1880 avait chargé les instituteurs de dépouiller les registres paroissiaux et l’état civil de leur commune. Ces derniers établirent le pourcentage d’hommes et de femmes capables de signer de leur nom leur acte de mariage entre 1686 et 1876. En 1871-1875, à l’échelle de la France, avant même les lois scolaires de la Troisième république, 78 % des hommes et 64 % des femmes en moyenne savaient signer de leur nom. Malgré certains biais méthodologiques, dont celui de considérer que le fait de signer de son nom signifiait que l’on savait lire et écrire, l’enquête montre un progrès de l’alphabétisation au cours du XIXe siècle, surtout surtout du côté des hommes et surtout au nord d’une ligne Saint-Malo / Genève. Cette ligne structura toute la démographie française au cours du XIXe siècle, car elle séparait la France industrielle et urbaine de la France rurale.
Les cartes qui suivent sont extraites de : Fleury M, Valmery, P. (1957). Les progrès de l'instruction élémentaire de Louis XIV à Napoléon III, d'après l'enquête de Louis Maggiolo (1877-1879). Population, 12(1), 71-92. En ligne : https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1957_num_12_1_5553
Légende commune aux cartes (le noir signale des valeurs inférieures à la moyenne, le blanc et encore plus le rouge signalent des valeurs supérieures à la moyenne nationale)
Source : Luc, J.-N, Condette, J.-F. et Verneuil, Y. (2020). Histoire de l'enseignement en France XIXe-XXIe siècle. Paris: Armand Colin, p. 31.
La situation des bâtiments scolaires s'améliora également. Les salles de classe exigées par la loi Guizot de 1833 étaient souvent des pièces insalubres, voire des granges qui pouvaient accueillir plusieurs dizaines d'élèves. Il arrivait aussi que les salles soient beaucoup trop petites. Les classes de 100 à 150 élèves n'étaient pas rares. En 1863 une enquête jugea que 59 % des écoles seulement étaient convenables. Dans les années 1850, des normes furent imposées aux bâtiments scolaires : présence de fenêtres, un plancher, si possible une cour de récréation et un préau. On fixa aux salles de classe une surface réglementaire, proportionnelle au nombre d'élèves. La loi de 1878 obligea les mairies à acquérir ou construire des écoles. Les nouvelles écoles suivaient généralement un plan identique : deux ailes attribuées respectivement aux classes de garçons et aux classes de filles de part et d'autre d'un bâtiment central dédié au logement des enseignants et, dans les petites communes, à la mairie.
Le matériel scolaire se diffusa lentement en raison de son coût parfois trop élevé pour les petites communes. Avant 1880, les tables, les bancs, les cartes, les gravures manquaient encore dans de nombreuses communes rurales. Les livres restaient très rares. A partir des années 1870 l'édition scolaire se développa pour diffuser des manuels communs à tous les élèves dans chaque classe. Le modèle pédagogique dominant était le mode "simultané", hérité de la pédagogie des Frères des écoles chrétiennes. Les élèves étaient répartis en groupe selon leur âge. Pendant que le maitre enseignait à un groupe, les élèves plus avancés surveillaient les groupes d'élèves plus jeunes ou leur faisaient réviser leurs leçons. Ce modèle était particulièrement adapté aux petites écoles rurales et à ce que nous appelons aujourd'hui les classes multiniveaux.
Du côté des maitres, la situation avait considérablement évolué. Depuis 1816, les instituteurs devaient posséder un brevet de capacité délivré par le recteur. Ce brevet était préparé en deux années dans les écoles normales ou, à défaut dans des cours communaux urbains, et contribuèrent à construire une culture primaire : maitrise du français, de l'orthographe et de la grammaire (par l'exercice de la dictée), connaissance de quelques auteurs classiques du XVIIe au XIXe siècle, un bagage en sciences et en mathématiques, quelques connaissances sur l'histoire et la géographie de la France. Cependant, le traitement des instituteurs était trop faible pour nourrir une famille, aussi l'instituteur était obligé d'être également secrétaire de mairie (car il était sous la dépendance du maire), ou bien sacristain (car il était également sous la dépendance du curé), fossoyeur, écrivain public, barbier, cabaretier... Fixé à 200 francs par mois en 1833, le traitement des instituteurs passa à 600 francs en 1850, à 700 francs en 1870, soit le salaire d'un ouvrier qualifié, et à 900 francs en 1875. Les instituteurs purent dès lors abandonner leur emploi secondaire, à l'exception de celui de secrétaire de mairie (rédaction des arrêtés municipaux, de la correspondance, tenue des registres d'état-civil) qui renforçait leur statut de notable dans leur village. La modicité de ce traitement fut progressivement et partiellement compensée par le prestige de la profession dont l'utilité sociale s'affirmait aux yeux des populations.
Evidemment, le traitement des institutrices représentait en moyenne les deux tiers de celui des instituteurs car elles étaient concurrencées par les congréganistes qui acceptaient de faibles rémunérations.
2. Les lois scolaires de la Troisième République
Encart : Les grandes lois scolaires de la Troisième République
Loi Paul Bert du 9 août 1879 instituant une école normale d’institutrices par département
Loi Camille Sée du 20 décembre 1880 instituant l’enseignement secondaire (lycées) pour les jeunes filles
Loi Ferry du 16 juin 1881 instituant la gratuité de l’enseignement primaire
Loi Ferry du 28 mars 1882 instituant l’école primaire obligatoire et laïque de l’âge de 6 ans jusqu'à 13 ans
Loi Goblet du 30 octobre 1886 instituant la laïcité des programmes scolaires et du personnel enseignant
Loi du 19 juillet 1889 faisant des instituteurs et institutrices des fonctionnaires de l’Etat rémunéré.e.s par le Trésor public
Loi Combes du 5 juillet 1904 interdisant l’enseignement aux congréganistes
2.1 Fonder la République par l'école
Lorsque les républicains furent élus aux postes clés de la République à la fin des années 1870, au détriment des monarchistes, ils s’inscrivirent dans cette volonté d’élargissement et d'achèvement de la scolarisation primaire. Comme nous l'avons vu, l'alphabétisation était acquise presque partout au cours des années 1880. Le rôle de l'école primaire était d'intégrer les classes populaires au sein de l'Etat-Nation en leur inculquant des références communes : la grammaire française, les poèmes de Victor Hugo et les fables de La Fontaine, les héros de l'histoire de France, la carte de France. Ces références permettaient de lire les professions de foi électorales et la presse alors en plein essor. Aux yeux des républicains, l’école primaire semblait constituer le meilleur outil pour installer la République dans les esprits : comme la République était l’héritière des principes politiques de la philosophie des Lumières, il fallait faire accéder les futurs citoyens au savoir et à la raison en les émancipant, par l'école, de la tutelle du curé et du notable royalistes. Rappelons que l'Eglise catholique restait hostile à la république, au moins jusque dans les années 1890. L'effort de scolarisation passait par la sécularisation de l'école qui, en tant que service public, devait être accessibles à tous les enfants de citoyens, quelle que soit leur religion. En outre, on considérait que des citoyens suffisamment éclairés par la raison seraient capables d’exercer leur droit de vote et leurs responsabilités en toute connaissance de cause. Précisons que les lois scolaires furent votées en même temps que la très libérale loi sur la liberté d’expression et de la presse du 29 juillet 1881 et avant la loi de 1884 rétablissant la liberté de divorcer et celle de 1884 accordant la liberté syndicale. L'ensemble de ces lois a contribué à façonner l'espace politique et social de la France.
Document : Le rôle de l'école selon Paul Bert
Il faut que l'enfant connaisse l'organisation politique de son pays, et qu'en même temps il reçoive quelques notions sur son organisation sociale (…). L'enfant devra non seulement connaître l'état de la société mais aussi l'aimer, afin de se dévouer s'il est nécessaire, lorsqu'il sera devenu homme, pour la défendre.
Que l'instituteur lui dise: « Personne ne te commande, excepté la Loi ! Ici nul n'est maître, sauf la Nation. Toi, tu fais partie de la Nation et, s'il y a dix millions d'électeurs, tu participes, pour ton dix millionième, aux mêmes droits que tes concitoyens ».
L'instituteur devra faire remarquer à l'enfant la supériorité du régime démocratique sur le régime monarchique; lui faire comprendre comment le premier est le règne de l'égalité et le second, le règne du privilège, l'un le régime du droit, l'autre le régime de l'arbitraire; qu'à force de travail, il est le maître de sa destinée.
Discours de Paul Bert (1833-1886), le Havre. 21 mars 1880.
La mission des instituteurs selon Jules Ferry
Je ne dirai pas, et vous ne me laisseriez pas dire qu'il ne doit y avoir dans l'enseignement primaire, dans votre enseignement, aucun esprit, aucune tendance politique. À Dieu ne plaise ! pour deux raisons : d'abord, n'êtes-vous pas chargés, d'après les nouveaux programmes, de l'enseignement civique ? C'est une première raison ; il y en a une seconde et plus haute, c'est que vous êtes tous des fils de 89 !
Vous avez été affranchis comme citoyens par la Révolution française, vous allez être émancipés comme instituteurs par la République de 1880 : comment n'aimeriez-vous pas et ne ferez-vous pas aimer dans votre enseignement et la Révolution et la République ?
Cette politique-là, c'est une politique nationale; et vous pouvez, et vous devez - la chose est facile - la faire entrer, sous les formes et par les voies voulues, dans l'esprit des jeunes enfants; mais la politique contre laquelle je tiens à vous mettre en garde est celle que j'appelais tout à l'heure la politique militante et quotidienne, la politique de parti, de personnes, de coterie ! Avec cette politique-là, n'ayez rien de commun ! Elle se fait, elle est nécessaire, c'est un rouage naturel, indispensable dans un pays de liberté; mais ne vous laissez pas prendre par le bout du doigt dans cet engrenage: il vous aurait bien vite emportés et déconsidérés tout entiers ! (…) Restez, messieurs les instituteurs, là où nos lois et nos mœurs vous ont placés, restez avec vos petits enfants dans les régions sereines de l'École !
Jules Ferry, discours au congrès pédagogique de 1881.
Le rôle de l'école était donc de diffuser les valeurs de la République, de faire aimer la République et la France. Les manuels scolaires répondaient à cet objectif : Le tour de France par deux enfants, publiés en 1877, servait à faire connaitre les différentes régions françaises et le manuel d'histoire publié par Ernest Lavisse (le Petit Lavisse au cours élémentaire et le Grand Lavisse au Cours supérieur) diffusa l'histoire des grands hommes qui avaient fait la France jusqu'à l'aboutissement de la république. L'école servit en outre à diffuser le français, la langue des Lumières et le garant de l'unité nationale, par l'apprentissage de récitations et la pratique intensive de la dictée. L'uniformisation linguistique conduisit progressivement à l'effacement des patois et des langues régionales.
2.2 Les lois scolaires des années 1880
Les principales lois scolaires furent adoptées à l'instigation de Jules Ferry, ministre de l'instruction publique de 1879 à 1883 (avec quelques interruptions). La loi Ferry du 16 juin 1881 établit la gratuité de l’enseignement primaire, alors que l’enseignement secondaire demeura payant jusqu’en 1930. Cette loi sur la gratuité mit surtout fin à une distinction humiliante entre les élèves, entre ceux qui s'acquittaient d'une rétribution et les "indigents" qui ne payaient rien étant reconnus comme pauvres par la municipalité. La gratuité était donc une mesure d'égalité. La gratuité totale contribua également à affirmer la fonction de l'école comme un service public ouvert à tous et sous l'autorité de l'Etat.
Document : LOI ÉTABLISSANT LA GRATUITÉ ABSOLUE DE L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE DANS LES ÉCOLES PUBLIQUES, 16 JUIN 1881
Art. 1. – Il ne sera plus perçu de rétribution scolaire dans les écoles primaires publiques, ni dans les salles d'asile publiques. Le prix de pension dans les écoles normales est supprimé (…).
Art. 7. – Sont mises au nombre des écoles primaires publiques donnant lieu à une dépense obligatoire pour la commune, à la condition qu'elles soient créées conformément aux prescriptions de l'article 2 de la loi du 10 avril 1867 :
1° Les écoles communales de filles qui sont ou seront établies dans les communes de plus de 400 âmes ;
2° Les salles d'asile ;
3° Les classes intermédiaires entre la salle d'asile et l'école primaire, dites classes enfantines, comprenant des enfants des deux sexes et confiées à des institutrices pourvues du brevet de capacité ou du certificat d'aptitude à la direction des salles d'asile.
La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l’État.
Fait à Paris, le 16 juin 1881.
Jules GREVY
Par le Président de la République :
Le Président du Conseil, Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, JULES FERRY
Le Ministre de l'Intérieur, et des Cultes, CONSTANS
La loi établissant la gratuité de l’enseignement primaire rendait possible la loi Ferry du 28 mars 1882 instituant l’obligation scolaire pour les garçons et les filles de l'âge de 6 ans jusqu’à 13 ans, ainsi que la laïcité des programmes d’enseignement. L'instruction religieuse et morale fut remplacée par l'instruction morale et civique. A cette date pourtant, la quasi totalité des enfants était déjà scolarisée, à l’exception des enfants de régions reculées telles que la basse Bretagne. Cependant, un peu partout, les enfants continuaient de travailler aux champs lorsque leur aide était nécessaire. Un grand nombre d'élèves quittait l'école dès l'âge de dix ans pour aider au travail des champs alors qu'ils savaient à peine lire et écrire. La scolarisation restait donc souvent superficielle. L'obligation scolaire de 1882 permit d'allonger la scolarisation effective et fit chuter le taux d'analphabétisme. Il fallut l'instauration des allocations familiales en 1932 pour faire pression sur les dernières familles qui rechignaient encore à scolariser leurs enfants.
Le passage du certificat d’études primaires fut également rendu obligatoire par la loi de 1882, à partir de l’âge de onze ans. Mais lorsque des élèves risquaient de ne pas l’obtenir, ils étaient contraints par leur maître ou leur maîtresse de le passer en candidats libres afin de ne pas faire baisser le taux de réussite de leurs élèves au certificat d’études. C’est ce qui est arrivé à mon grand-père qui, pour faire enrager son maître qui avait refusé de le présenter à l’examen parce qu'il le prenait pour un idiot, a tout fait pour obtenir son certificat d’études. En 1914, seul un tiers des élèves obtenait le certificat d'études. On estime que, en 1935, la moitié des élèves sortait de l’école primaire sans avoir obtenu le certificat d’études. Il convient donc de ne pas se leurrer sur le niveau scolaire des élèves sous la Troisième République.
Document : LOI SUR L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE OBLIGATOIRE DU 28 MARS 1882 (extraits)
Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Art. 1. – L'enseignement primaire comprend :
L'instruction morale et civique ;
La lecture et l'écriture ;
La langue et les éléments de la littérature française ;
La géographie, particulièrement celle de la France ;
L'histoire, particulièrement celle de la France jusqu'à nos jours ;
Quelques notions usuelles de droit et d'économie politique ;
Les éléments des sciences naturelles physiques et mathématiques ; leurs applications à l'agriculture,
à l'hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers ;
Les éléments du dessin, du modelage et de la musique ;
La gymnastique ;
Pour les garçons, les exercices militaires ;
Pour les filles, les travaux à l'aiguille.
L'article 23 de la loi du 15 mars 1850 est abrogé.
Art. 2. – Les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine, en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s'ils le désirent, à leurs enfants, l’instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires. L'enseignement religieux est facultatif dans les écoles privées.
Art. 3. – Sont abrogées les dispositions des articles 18 et 44 de la loi du 15 mars 1850, en ce qu'elles donnent aux ministres des cultes un droit d'inspection, de surveillance et de direction dans les écoles primaires publiques et privées et dans les salles d'asile, ainsi que le paragraphe 2 de l'article 31 de la même loi qui donne aux consistoires le droit de présentation pour les instituteurs appartenant aux cultes non catholiques.
Art. 4. – L'instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus ; elle peut être donnée soit dans les établissements d'instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu'il aura choisie. Un règlement déterminera les moyens d'assurer l’instruction primaire aux enfants sourds-muets et aux aveugles.
Art. 6. – Il est institué un certificat d'études primaires ; il est décerné après un examen public auquel pourront se présenter les enfants dès l'âge de onze ans.
Ceux qui, à partir de cet âge, auront obtenu le certificat d'études primaires, seront dispensés du temps de scolarité obligatoire qui leur restait à passer.
Art. 10. – Lorsqu'un enfant manque momentanément l'école, les parents ou les personnes responsables doivent faire connaître au directeur ou à la directrice les motifs de son absence. Les directeurs et les directrices doivent tenir un registre d'appel qui constate, pour chaque classe, l'absence des élèves inscrits. A la fin de chaque mois, ils adresseront au maire et à l’inspecteur primaire un extrait de ce registre, avec l'indication du nombre des absences et des motifs invoqués.
Les motifs d'absence seront soumis à la Commission scolaire. Les seuls motifs réputés légitimes sont les suivants : maladie de l'enfant, décès d'un membre de la famille, empêchements résultant de la difficulté accidentelle des communications. Les autres circonstances exceptionnellement invoquées seront également appréciées par la Commission.
Source : https://www.education.gouv.fr/loi-sur-l-enseignement-primaire-obligatoire-du-28-mars-1882-10526
L'année suivante, Jules Ferry, toujours ministre de l'instruction publique adressa une lettre à tous les instituteurs et toutes les institutrices (mais en commençant la lettre par : "Monsieur l'instituteur"...) dans laquelle il expliquait la fonction de l'enseignement qui, d'après la loi de 1882 remplaçait l'instruction religieuse instaurée par l'article 23 de la loi Falloux en 1850.
Document : La lettre de Jules Ferry aux instituteurs (27 novembre 1883)
Monsieur l’Instituteur,
L’année scolaire qui vient de s’ouvrir sera la seconde année d’application de la loi du 28 mars 1882. Je ne veux pas la laisser commencer sans vous adresser personnellement quelques recommandations qui sans doute ne vous paraîtront pas superflues, après la première expérience que vous venez de faire du régime nouveau. Des diverses obligations qu’il vous impose, celle assurément qui vous tient le plus au cœur, celle qui vous apporte le plus lourd surcroît de travail et de souci, c’est la mission qui vous est confiée de donner à vos élèves l’éducation morale et l’instruction civique : vous me saurez gré de répondre à vos préoccupations en essayant de bien fixer le caractère et l’objet de ce nouvel enseignement ; et, pour y mieux réussir, vous me permettez de me mettre un instant à votre place, afin de vous montrer, par des exemples empruntés au détail même de vos fonctions, comment vous pourrez remplir, à cet égard, tout votre devoir, et rien que votre devoir.
La loi du 28 mars se caractérise par deux dispositions qui se complètent sans se contredire : d’une part, elle met en dehors du programme obligatoire l’enseignement de tout dogme particulier ; d’autre part, elle y place au premier rang l’enseignement moral et civique. L’instruction religieuse appartient aux familles et à l’Église, l’instruction morale à l’école. Le législateur n’a donc pas entendu faire une œuvre purement négative. Sans doute il a eu pour premier objet de séparer l’école de l’Église, d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer enfin deux domaines trop longtemps confondus : celui des croyances, qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances, qui sont communes et indispensables à tous, de l’aveu de tous.
Mais il y a autre chose dans la loi du 28 mars : elle affirme la volonté de fonder chez nous une éducation nationale, et de la fonder sur des notions du devoir et du droit que le législateur n’hésite pas à inscrire au nombre des premières vérités que nul ne peut ignorer. Pour cette partie capitale de l’éducation, c’est sur vous, Monsieur, que les pouvoirs publics ont compté. En vous dispensant de l’enseignement religieux, on n’a pas songé à vous décharger de l’enseignement moral ; c’eût été vous enlever ce qui fait la dignité de votre profession. Au contraire, il a paru tout naturel que l’instituteur, en même temps qu’il apprend aux enfants à lire et à écrire, leur enseigne aussi ces règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins universellement acceptées que celles du langage ou du calcul (…).
J’ai dit que votre rôle, en matière d’éducation morale, est très limité. Vous n’avez à enseigner, à proprement parler, rien de nouveau, rien qui ne vous soit familier comme à tous les honnêtes gens. Et, quand on vous parle de mission et d’apostolat, vous n’allez pas vous y méprendre ; vous n’êtes point l’apôtre d’un nouvel Évangile : le législateur n’a voulu faire de vous ni un philosophe ni un théologien improvisé. Il ne vous demande rien qu’on ne puisse demander à tout homme de cœur et de sens. Il est impossible que vous voyiez chaque jour tous ces enfants qui se pressent autour de vous, écoutant vos leçons, observant votre conduite, s’inspirant de vos exemples, à l’âge où l’esprit s’éveille, où le cœur s’ouvre, où la mémoire s’enrichit, sans que l’idée vous vienne aussitôt de profiter de cette docilité, de cette confiance, pour leur transmettre, avec les connaissances scolaires proprement dites, les principes mêmes de la morale, j’entends simplement cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et mères et que nous nous honorons tous de suivre dans les relations de la vie, sans nous mettre en peine d’en discuter les bases philosophiques. Vous êtes l’auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille : parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre ; avec force et autorité, toutes les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée, d’un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge.
Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu’où il vous est permis d’aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir. Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment : car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre propre sagesse ; c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité (...).
Une seule méthode vous permettra d’obtenir les résultats que nous souhaitons. C’est celle que le Conseil supérieur vous a recommandée : peu de formules, peu d’abstractions, beaucoup d’exemples et surtout d’exemples pris sur le vif de la réalité. Ces leçons veulent un autre ton, une autre allure que tout le reste de la classe, je ne sais quoi de plus personnel, de plus intime, de plus grave. Ce n’est pas le livre qui parle, ce n’est même plus le fonctionnaire ; c’est, pour ainsi dire, le père de famille, dans toute la sincérité de sa conviction et de son sentiment (...).
J’ai essayé de vous donner, Monsieur, une idée aussi précise que possible d’une partie de votre tâche qui est, à certains égards, nouvelle, qui de toutes est la plus délicate ; permettez-moi d’ajouter que c’est aussi celle qui vous laissera les plus intimes et les plus durables satisfactions. Je serais heureux si j’avais contribué par cette lettre à vous montrer toute l’importance qu’y attache le gouvernement de la République, et si je vous avais décidé à redoubler d’efforts pour préparer à notre pays une génération de bons citoyens.
Recevez, Monsieur l’Instituteur, l’expression de ma considération distinguée.
Le président du Conseil,
ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts
Jules FERRY
La loi de 1882 fit de l’école primaire un service public sécularisé et accessible à tous les enfants du peuple sans exception. En revanche, les deux ordres scolaires étaient maintenus. Les enfants du peuple fréquentaient l’école primaire de l’âge de 6 ans jusqu’à 12 ou 13 ans et s’engageaient ensuite dans la vie active tandis que les enfants de la bourgeoisie effectuaient leur scolarité au « petit lycée », l’équivalent des écoles primaires, puis au lycée. Le petit lycée et le lycée se trouvaient généralement dans les mêmes bâtiments. Il était pratiquement impossible de passer de l’école primaire du peuple au lycée de la bourgeoisie car les disciplines enseignées étaient différentes. La présence limitée de boursiers issus du primaire (1 pour 200 élèves), tel Charles Péguy, permettait de maintenir la fiction d’un ordre secondaire ouvert aux pauvres méritants.
La dénomination des niveaux différait dans les deux ordres scolaires. A l’école primaire, nous connaissons toujours le Cours élémentaire (6-8 ans) et le Cours moyen (8-10 ans). Le Cours supérieur (10-12 ans), où se préparait le certificat d’étude, a disparu avec la fusion des deux ordres scolaires dans le collège. Ces dénominations furent instituées dans le département de la Seine par Octave Gréard en 1868. En 1921, le Cours préparatoire fut distingué du Cours élémentaire. Dans le second degré, la numérotation des niveaux se faisait dans l’ordre décroissant depuis la 11e (l’équivalent du CP) jusqu’à la Première et la Terminale. La fusion des deux ordres scolaires après la Deuxième Guerre mondiale a donc fait se juxtaposer deux systèmes de dénomination hétérogènes (CP, CE, CM puis 6e, 5e, etc.).
Cependant, le niveau d’étude offert par l’école primaire ne satisfaisait pas toujours les familles populaires soucieuses de faire accéder leurs enfants à des emplois dans l’administration ou dans l’encadrement des entreprises. La loi Guizot de 1833 avait acté la création des écoles primaires supérieures (EPS) dans les communes de plus de 6 000 habitants. Tombées ensuite en désuétude, les EPS furent réactivées par la loi Goblet en 1886 : elles recrutaient les élèves après leur certificat d’études pour une scolarité de trois ans. Elles permettaient d’accéder à des professions intermédiaires (employés de bureaux et de commerces, techniciens, cadres de l'industrie, membres de l'administration des impôts et de la poste) et, pour les meilleurs élèves, de préparer le concours d'entrée à l’école normale d’instituteurs ou d’institutrices. L'essor des EPS résulta un colossal effort financier de la République qui permit la construction de milliers d'écoles dotées d'un mobilier moderne.
Rappelons que la loi Guizot avait institué les écoles normales d’instituteurs de garçons dans chaque département. La loi Paul Bert du 9 août 1879 institua les écoles normales d'institutrices de filles dans chaque département. Cette mesure était particulièrement urgente dans la mesure où, dans de nombreuses écoles primaires de filles, l’enseignement était encore assuré par des bonnes sœurs ou par des institutrices formées dans des cours tenus par des congrégations religieuses. Il fallut ensuite former les professeurs des écoles normales d’instituteurs et d’institutrices. Ce fut le rôle des écoles normales supérieures (ENS) de Fontenay-aux-Roses pour les femmes et de Saint-Cloud pour les hommes.
Les tableaux suivants montrent l'ampleur des efforts consentis pour scolariser les jeunes français.
Source : Antoine Prost, L'enseignement en France 1800-1967, Paris, Armand Colin, p. 294.
Document : Enfants inscrits dans les écoles maternelles et élémentaires publiques et privées (1837-2019).
Note: les effectifs en italiques ne comprennent plus ceux des écoles maternelles.
Source : Luc, J.-N, Condette, J.-F. et Verneuil, Y. (2020). Histoire de l'enseignement en France XIXe-XXIe siècle. Paris: Armand Colin, p. 31.
2.3 La laïcisation du personnel d'enseignement
Le processus de sécularisation se poursuivit. A la laïcisation des programmes scolaires répondit la laïcisation du personnel enseignant par la loi Goblet du octobre 1886. Puisque les école normales d’institutrices créées en 1879 avaient formé suffisamment d’institutrices, on pouvait désormais se passer des religieuses dans les écoles publiques de filles. Par la loi de finances du 19 juillet 1889, les instituteurs et les institutrices furent totalement rétribué.e.s par l'Etat et furent ainsi reconnu.e.s comme des fonctionnaires à part entière. Au début du XXe siècle, les instituteurs gagnaient entre 1 100 et 2 200 francs par an entre le début et la fin de carrière quand un ouvrier mineur gagnait 1 300 francs. En 1919, le traitement des institutrices fut aligné sur celui des instituteurs. Personnels laïques, formé.e.s dans les écoles normales, ils et elles ne dépendaient plus de la bonne volonté des municipalités. La sécularisation de l'école publique était achevée.
Document : LOI SUR L'ORGANISATION DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE DU 30 OCTOBRE 1886 (Loi Goblet) (extraits)
Art. 6. – L'enseignement est donné par des instituteurs dans les écoles de garçons, par des institutrices dans les écoles de filles, dans les écoles maternelles, dans les écoles ou classes enfantines et dans les écoles mixtes.
Dans les écoles de garçons, des femmes peuvent être admises à enseigner à titre d'adjointes, sous la condition d'être épouse, sœur ou parente en ligne directe du directeur de l'école.
(…).
Art. 17. – Dans les écoles publiques de tout ordre, l'enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque.
Art. 18. – Aucune nomination nouvelle, soit d’instituteur, soit d’institutrice congréganistes, ne sera faite dans les départements où fonctionnera depuis quatre ans une école normale, soit d'instituteurs, soit d'institutrices, en conformité avec l'article 1 de la loi du 9 août 1879.
Pour les écoles de garçons, la substitution du personnel laïque au personnel congréganiste devra être complète dans le laps de cinq ans après la promulgation de la présente loi.
La gravure ci-dessous, réalisée par Léon Gerlier, auteur par ailleurs d’abécédaires et de livres de prières, publiée dans un journal catholique peu favorable aux réformes républicaines, donne un aperçu de la situation des écoles de filles à cette époque.
Léon Gerlier, L’enlèvement des crucifix dans les écoles de la ville de Paris. Gravure publiée le 20 février 1881 dans le numéro 673 de La Presse Illustrée. Paris, Musée Carnavalet.
Analyse détaillée dans : https://histoire-image.org/etudes/enlevement-crucifix-ecoles#:~:text=tragique%20et%20picturale-,L'Enl%C3%A8vement%20des%20crucifix%20dans%20le%20%C3%A9coles%20de%20la%20ville,%C2%AB%20sc%C3%A8ne%20d'enl%C3%A8vement%20%C2%BB.
Cette scène sans doute caricaturale est censée se dérouler dans une classe d’un école publique de filles, le 20 février 1881, soit avant les lois Jules Ferry de 1881-1882. Elle découle d’une décision du préfet de Paris, Ferdinand Hérold, de retirer les signes religieux des écoles publiques de la ville de Paris, dans une logique de laïcisation de l’espace scolaire public. La violence de la mesure est marquée par le geste de l’homme en costume et chapeau arborant une ceinture tricolore (rappelant la République honnie par ce journal catholique) et par l’action des trois policiers ou soldats retirant le crucifix et confisquant des livres (religieux ?). Nonobstant la dimension polémique de cette gravure, trois éléments méritent d’être remarqués au sujet de l’organisation de la classe. Tout d’abord, les institutrices sont des religieuses ce qui, comme nous l’avons vu, était assez souvent le cas dans les écoles de filles avant la loi Goblet de 1886. Ensuite, la diversité des âges des filles, qui semblent être nombreuses dans cette classe, évoque sans doute ce que nous appelons aujourd’hui une « classe multi-niveaux » avec une pédagogie "simultanée". En effet, la présence de plusieurs tableaux aux murs et la présence de deux institutrices laisse supposer un enseignement simultané de différents niveaux dans la même classe. Pour conclure, notons que cette gravure de la presse catholique apporte de l’eau au moulin des républicains : elle montre qu'il est absolument nécessaire de recruter un personnel enseignant laïque afin d’arracher les petites filles à l’influence de la religion catholique qui, à l’époque, était hostile à la République.
La circulaire ministérielle du 2 novembre 1882 demanda aux préfets ne pas installer de crucifix dans les locaux nouvellement construits et, dans la locaux plus anciens, de demander aux populations si elles souhaitaient les garder ou les enlever.
2.4 Des salles d'asile aux écoles maternelles
A partir de 1826, suivant le modèle anglais, des dames patronnesses et des philanthropes ouvrirent des salles d'asile pour accueillir les petits enfants âgés de trois à six ans et dont les mamans travaillaient. Une ordonnance de 1837 leur apportait une reconnaissance officielle et soulignait leur dimension d'établissements "charitables". En 1881, 5 000 salles d'asiles, fréquemment tenues par des congréganistes, scolarisaient près de 40 % des petits enfants.
A l'origine, les salles d'asile répondaient à un objectif moralisateur : permettre le travail "honnête" des mères et leur éviter de sombrer dans la misère ou la prostitution, dispenser une formation morale et religieuse aux petits enfants du peuple qui en étaient nécessairement dépourvus (puisqu'ils étaient pauvres). Malgré tout, les salles d'asiles furent le creuset de nombreuses innovations pédagogiques : exercices physiques, formation par le jeu, enseignement fondé sur la manipulation (ardoises, bouliers) et l'observation (leçons de choses). Mais la diversité l'emportait : certaines salles d'asiles servaient à préparer l'entrée à l'école primaire, d'autres se réduisaient à de la garderie.
Par le décret du 2 août 1881, les républicains transformèrent les salles d'asile en écoles maternelles. Il reprirent ainsi le nom inventé par Marie Pape-Carpentier qui dirigeait une salle d'asile où elle s'efforçait de faire des leçons à des élèves qui devaient écouter en silence, assis sur des bancs. Même si elles occupaient des locaux séparés des écoles, les école maternelles furent intégrées à l'ordre scolaire primaire. Elles étaient divisées en deux classes pour accueillir les enfants âgés de 3 à 6 ans. Elles étaient dotées d'un programme et les institutrices formées dans les écoles normales remplacèrent là aussi les congréganistes. Le débat insoluble au sujet de l'école maternelle était posé : l'école maternelle doit-elle préparer à l'école primaire et constituer une forme d'instruction scolaire anticipée, ou bien doit-elle rester un lieu d'éveil et de socialisation enfantine ?
L'inspectrice générale Pauline Kergomard, entre 1879 et 1917, défendit cette seconde option et appela au développement des enfants par le jeu, l'exercice physique, les activités manuelles et artistiques. Elle fit cesser les leçons et réclama un mobilier adapté à la taille des enfants. Elle fut à l'origine des écoles maternelles qui ne séparaient pas les garçons des filles et que nous connaissons aujourd'hui. La psychologie de l'enfant était alors balbutiante et c'est seulement au début du XXe siècle que l'on comprit que les petits enfants n'étaient pas des adultes en miniature et qu'il était nécessaire de prendre en compte leurs intérêts et leur développement. Le décret du 15 juillet 1921 tint compte de cette évolution et fixa les caractéristiques spécifiques des écoles maternelles, telles que nous les connaissons aujourd'hui, avec leur pédagogie fondée sur des observations, des exercices physiques, manuels et seulement une initiation à la lecture et au calcul. A partir des années 1920, les institutrices des écoles maternelles s'ouvrirent parfois aux pédagogies dites alternatives de Decroly ou Montessori.
Au début du XXe siècle, près de la moitié des enfants d'âge préscolaire fréquentaient l'école maternelle.
Document : Enfants inscrits dans les salles d'asile (1850-1880), les écoles maternelles (depuis 1881) et les classes enfantines (depuis 1950).
Note: les classes enfantines sont les classes accueillies dans les écoles élémentaires, en l'absence d'école maternelle séparée.
Source : Luc, J.-N, Condette, J.-F. et Verneuil, Y. (2020). Histoire de l'enseignement en France XIXe-XXIe siècle. Paris: Armand Colin, p. 361.
3. Le rapprochement des deux ordres scolaires au XXe siècle
Encart : Quelques lois scolaires au XXe siècle
Loi Carcopino du 15 août 1941 transformant les écoles primaires supérieures en collège modernes
Loi du 3 mars 1945 supprimant les classes élémentaires des lycées et obligeant tous les élèves à fréquenter l’école primaire
Ordonnance Berthoin du 6 janvier 1959 prolongeant l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans.
Loi Haby du 11 juillet 1975 créant le collège unique
Décret du 27 novembre 1985 portant création du baccalauréat professionnel
C’est seulement après la Première Guerre mondiale, lors de laquelle les Français avaient vécu une expérience commune dans les tranchées, que se posa la question de la transformation des deux ordres scolaires parallèles en deux ordres successifs et socialement égalitaires. Paradoxalement, le régime de Vichy contribua à faire de l’école primaire la première étape de la carrière scolaire avant de passer dans l’enseignement secondaire. Par la loi du 15 août 1941, les écoles primaires supérieures auxquelles on accédait à l’issue d’une scolarité à l’école primaire, furent transformées en « collègues modernes » permettant d’accéder ensuite à la filière « moderne » (sans latin) du lycée. Cette évolution conduisit à la création du collège unique par la réforme Haby de 1975. Désormais, tous les enfants, quelle que soit leur origine sociale (du moins en théorie !), fréquentaient les mêmes écoles primaires, les mêmes collèges avant d’accéder soit au lycée général et technologique, soit au lycée professionnel menant à un bac professionnel à partir de 1985. Ces mesures permirent l’application du mot d’ordre du ministre de l’Éducation nationale Jean-Pierre Chevènement de faire parvenir à 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat.
Mais la réforme la plus importante, celle qui bouleversa totalement la société française, fut l'ordonnance Berthoin qui instaura la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans. Désormais, tous les enfants pouvaient prétendre accéder à des études plus ou moins longues garantes de l'accès à des diplômes (CAP, baccalauréat) garantissant l'accès à des professions plus ou moins qualifiées. Cette réforme fut à l'origine d'une hausse sans précédent de la qualification des jeunes gens.
4. L’école au temps de Jules Ferry, propositions d’ensembles documentaires
Les images qui suivent permettent d’envisager plusieurs dimensions de l’école sous la troisième république, en accord avec ce que stipule la fiche EDUSCOL
On peut tout d’abord envisager les bâtiments scolaires et la symbolique politique qui s’y attache.
Les dessins ou les photographies de salles de classe permettent de repérer le mobiliser scolaire : estrade sous le tableau noir, alignement des pupitres, encriers, le poêle à charbon, les affiches sur les murs, liés aux différentes disciplines enseignées. Il est utile également d’observer la posture et l’habillement des maîtres et maîtresses, très dignes, incarnant le savoir et la République.
Les photographies de classe, très différentes des photographies de classe actuelles, permettent d’observer l’habillement et la posture contrainte des élèves.
Enfin, il est utile d’étudier des manuels scolaires ainsi que les cahiers d'élèves pour avoir un aperçu de certains contenus de cours ainsi que de la façon d'écrire avec un porte-plume.
La mairie-école d'Haramont dans l'Aisne vers 1910. Musée de l'Education nationale.
Ecole de garçon de la rue Vauban (quartier de Recouvrance) à Brest. Plan de la façade sur rue. Début XXe siècle. Archives municipales de Brest, cote : 5Fi27 Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/5Fi27/ILUMP26068
Cours de récréation de l’école maternelle République, Brest, vers 1928. Archives municipales de Brest, cote : 1Fi00126
Richard Hall, La classe manuelle. École de petites filles au Pouldu, Finistère, 1889. Rennes, Musée des Beaux-arts. Analyse détaillée : https://histoire-image.org/etudes/ecole-republicaine-bretagne
L a classe de 1910 du musée de l’école rurale en Bretagne de Trégarvan (Finistère)
Source : https://www.tourismebretagne.com/offres/musee-de-lecole-rurale-en-bretagne-tregarvan-fr-2016655/
Jean Geoffroy, En classe, le travail des petits, 1889. Paris, Ministère de l’Éducation nationale.
Analyse détaillée : https://histoire-image.org/etudes/modele-instruction-republicaine
Albert Bettannier (1851-1932), La tache noire, 1887.
Analyse détaillée à : https://histoire-image.org/etudes/annexion-alsace-lorraine?i=925
Cette image suggère que l'école contribua à insuffler l'esprit de la Revanche (reprendre l'Alsace-Lorraine aux Allemands) chez les jeunes de l'époque. Certes, en 1882, furent créés les bataillons scolaires où les garçons vêtus d'un uniforme apprenaient à marcher au pas et à manier des armes. Cependant, ces bataillons scolaires tombèrent en désuétude à la fin du siècle car les instituteurs, formés aux idées des Lumières, privilégièrent de plus en plus la défense de la paix.
Orbigny (Indre-et-Loire) : une classe de l’école de garçons en 1909
Source : Archives départementales de la Drôme. Cote : 23 Fi111
Orbigny (Indre-et-Loire) : une classe de l’école de garçons en 1909
Source : Archives départementales de la Drôme. Cote : 23Fi113
Orbigny (Indre-et-Loire) : une classe de filles en 1910. Rouen, Musée national de l’histoire de l’éducation. Source : Textes et documents pour la classe n°986, p. 16.
Ecole de filles rue Vauban à Brest, classe de Mlle Labory, 1935. Archives municipales de Brest, cote 2Fi14073
Document : L 'instruction morale et républicaine dans l'école de Buigny-les-Gamaches dans la Somme en 1905. Musée de l'éducation Nationale.
Une classe de l'école de filles de la rue Vauban (quartier de Recouvrance) à Brest en 1931. Archives municipales de Brest, cote : 2Fi14058. https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi14058/ILUMP26068
Une classe de l'école de garçons de la rue Vauban (quartier de Recouvrance) à Brest, classe de M. Masson, 1933. Cote : 2Fi14114. https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi14114/ILUMP26068
Cahier de devoirs, cours moyen, année scolaire 1891-1892.
Source : Bukiet, Suzanne & Mérou Henri, Les cahiers de la république. Promenade dans les cahiers d’école primaire de 1870 à 2000, Éditions Alternatives, 2000, p. 21.
Cahier de devoirs, cours moyen, année scolaire 1907-1908.
Source : Bukiet, Suzanne & Mérou Henri, Les cahiers de la république. Promenade dans les cahiers d’école primaire de 1870 à 2000, Éditions Alternatives, 2000, p. 44.
Cahier de devoirs, cours moyen, année scolaire 1910-1911.
Source : Bukiet, Suzanne & Mérou Henri, Les cahiers de la république. Promenade dans les cahiers d’école primaire de 1870 à 2000, Éditions Alternatives, 2000, p. 44.
Une plume sergent-major
Encriers en porcelaine
Un porte plume avec plume insérée.
Source : Rougé et Plé
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