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Le temps de la Révolution et de l'Empire

  • didiercariou
  • 13 sept. 2022
  • 74 min de lecture

Dernière mise à jour : 16 févr.


Par Didier Cariou, maître de conférences HDR en didactique de l’histoire à l’Université de Brest




Quelques références


BOUCHERON, Patrick (dir.) (2017). Histoire mondiale de la France. Paris : Seuil.

CARBONNIERE, Philippe de (2011). La Révolution en images. Textes et documents pour la classe n° 1013, Scéren.

JOURDAN, Annie (2021). La Révolution française. Une histoire à repenser. Flammarion, Champs.

MARTIN, Jean-Clément (2006). La Révolution. Documentation photographique n° 8054. La Documentation française.

SERNA, Pierre (2021). La Révolution française. Documentation photographique n° 8141. CNRS éditions.


Mots-clés du cours

Révolutions Atlantiques, Lumières, Déficit budgétaire, Privilèges, États généraux, Cahiers de doléances, Assemblée nationale, Souveraineté nationale, Séparation des pouvoirs, Serment du jeu de paume, Constitution, Prise de la Bastille, Grande peur, Nuit du 4 août 1789, DDHC, Presse, Journées d’octobre 1789, Droite, Gauche, Fête de la Fédération, Départements, Communes, Clubs, Constitution civile du clergé, Biens nationaux, État civil, Loi Le Chapelier, Fuite à Varennes, Constitution de 1791, Déclaration de guerre, Manifeste de Brunswick, 10 août 1792, Sans-culottes, Massacres de Septembre, Valmy, Proclamation de la république, Convention, Procès et exécution du roi.


Napoléon Bonaparte, Coup d’État de Brumaire, Consulat, Fouché, Rétablissement de l’esclavage, Livret ouvrier, Concordat, Banque de France, Franc germinal, Préfet, Légion d’honneur, Code civil, Masses de granit, Couronnement de Napoléon, Serment du sacre, Noblesse impériale, Waterloo.


Plan du cours


1.2.1 L’année 1789 : la fin de la monarchie absolue de droit divin et des privilèges

1.2.3 Les premières fractures



Que dit le programme ?

Extrait du programme du cycle 3, classe de CM1, 2020


Thème 3 - Le temps de la Révolution et de l’Empire


- De l’année 1789 à l’exécution du roi : Louis XVI, la Révolution, la Nation.

- Napoléon Bonaparte, du général à l’Empereur, de la Révolution à l’Empire.


La Révolution française marque une rupture fondamentale dans l’ordre monarchique établi et on présente bien Louis XVI comme le dernier roi de l’Ancien Régime. On apportera aux élèves quelques grandes explications des origines économiques, sociales, intellectuelles et politiques de la Révolution. Cette première approche de la période révolutionnaire doit permettre aux élèves de comprendre quelques éléments essentiels du changement et d’en repérer quelques étapes clés (année 1789, abolition de la royauté, proclamation de la première République et exécution du roi).

Napoléon Bonaparte, général dans les armées républicaines, prend le pouvoir par la force et est proclamé empereur des Français en 1804, mais il conserve certains des acquis révolutionnaires.



Le programme demande d’étudier le début et la fin de la période révolutionnaire, afin de montrer que la Révolution française marque une rupture fondamentale avec les périodes qui précèdent et aussi le début de notre époque et de notre société. Les acquis de la Révolution ayant été stabilisés durablement, jusqu’à nos jours, par les mesures de Napoléon Bonaparte.

Il s’agit d’étudier la Révolution de 1789 jusqu’à la mort du roi en 1793, puis le Consulat et l’Empire, de 1799 à 1815. Entre les deux se glisse une ellipse temporelle de six années qu’il serait certes difficile d’étudier avec des élèves de CM1, mais qui interroge quand même. Officiellement, la Révolution française a duré de 1789 à 1799, date de la prise de pouvoir par Bonaparte.

Cette période historique est d’une très grande richesse et, plus que tout autre période, elle peut être envisagée sous l’angle d’une rupture fondamentale, dans tous les domaines, car la Révolution est l’événement central de l’histoire de France. Elle est difficile à étudier en raison de la complexité et de la multiplicité de ses enjeux. Elle a donné, et donne toujours lieu à des débats entre les historien.nes. Elles et ils insistent aujourd'hui sur le climat de guerre civile qui domina toute la période et qui explique la dynamique de la Révolution.


1. La Révolution française, de l’année 1789 à la mort du roi

1.1 Les causes de la Révolution française

Depuis deux siècles, les historien·nes s’interrogent sur les causes de la Révolution car elles sont multiples.

Aujourd’hui, les historien·nes intègrent la Révolution française dans un contexte spatial et temporel plus large. En 1955, l’historien Jacques Godechot avait placé la Révolution française dans le contexte des révolutions atlantiques, un processus initié par la guerre d’indépendance américaine, poursuivi par la révolution batave et la Révolution française, puis la guerre d’indépendance de Saint-Domingue (Haïti) et les guerres d’indépendances en Amérique latine. Les historien.nes français.es, convaincu.es de la spécificité de la Révolution française, restèrent longtemps sceptiques face au concept de révolution atlantique. Aujourd’hui, ce concept est repris, tout en le considérant comme un peu étroit et en mettant en évidence de nouveaux contextes étroitement liés les uns aux autres, comme le fait notamment l'historienne Annie Jourdan.

Le premier élément de contexte est celui de la guerre qui opposa la France à l’Angleterre lors de la Guerre de Sept ans (1756-1763), considérée comme une première guerre mondiale mettant aux prises toutes les puissances européennes et leurs colonies en Amérique et en Asie. A l’issue de cette guerre, la France perdit la Nouvelle France en Amérique du Nord et la plupart de ses colonies en Inde. Cette guerre consacra la prééminence mondiale de l’Angleterre. Elle conduisit certains États à développer une marine de guerre extrêmement coûteuse, financée par des prélèvements d’impôts et de taxes pesant de plus en plus lourd sur les populations. Les nouvelles taxes imposées par la monarchie britannique sur le thé importé en Amérique du nord, contribuèrent au déclenchement de la Révolution américaine. La Boston Tea Party de 1773 est considérée comme une étape décisive vers le déclenchement de la Guerre d’indépendance des États-Unis, de 1776 jusqu’en 1783. De même, le financement de la flotte française, commandée par Rochambeau et La Fayette, envoyée en 1780 depuis Brest en soutien aux Américains afin d’affaiblir l’ennemi britannique, creusa le déficit budgétaire de la monarchie française, qui fut l'une des causes directes de la Révolution française.

Le second élément de contexte qui découle du précédent est celui de l’importance des empires coloniaux, souvent fondés sur le système de la plantation esclavagiste, dans le Sud des Treize colonies britanniques et aux Antilles. La guerre d’indépendance des États-Unis entre 1776 et 1783, et la guerre d’indépendance de Saint-Domingue, la principale colonie française aux Antilles (l'actuel Haïti), entre 1791 et 1804, jouèrent un rôle essentiel dans la dynamique révolutionnaire d’ensemble. Cette question provoqua notamment de graves dissensions en France dans le camp républicain, entre les partisans de l’abolition de l’esclavage et leurs adversaires qui, dans les grands ports maritimes (Nantes, Bordeaux, Saint-Malo...) s’enrichissaient notamment avec la traite négrière.

Le troisième élément de contexte est celui de la diffusion des idées républicaines développée en Angleterre au XVIIe siècle par des imprimeurs qui furent expulsés vers les colonies américaines. Ils y diffusèrent la conception d’une république fixée par une constitution, fondée sur la volonté générale et assurant le bien commun. La Déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776 reprit ces idées. Les jeunes nobles français partis se battre en Amérique revinrent convaincus de la nécessité d’écrire une constitution et du fait que les impôts devaient être votés par les députes. Ces idées se retrouvèrent lors de la révolution en Corse derrière Pascal Paoli entre 1755 et 1768, de la révolution batave des actuels Pays-Bas entre 1781 et 1787 et de l'actuelle Belgique entre 1784 et 1790. Partout, se développait l’idée que, pour se régénérer, les sociétés devaient être gouvernées par la loi et une constitution. En France, sans adhérer pour le moment à l’idée républicaine, de nombreux Français ne croyaient plus vraiment que le roi était désigné par Dieu, même s’ils le respectaient en tant que premier magistrat du royaume.

A ce propos, l’historien Roger Chartier a montré que, contrairement à ce que l’on a souvent dit, les idées des Lumières (Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau) n’ont pas directement provoqué la Révolution française. Elles imprégnaient la manière de penser de la plupart des femmes et des hommes de l’époque, y compris dans les campagnes où les colporteurs diffusaient les ouvrages bon marché de la Bibliothèque bleue de Troyes. De leur côté, Louis XVI se passionnait pour la lecture de l’Encyclopédie et Marie-Antoinette était une grande lectrice de Rousseau (cet élément est bien mis en évidence dans le film Marie-Antoinette de Sophia Coppola avec Kirsten Dunst dans le rôle titre). Selon Roger Chartier, un grand nombre de personnes lisait des ouvrages philosophiques à la suite d'un désinvestissement symbolique à l'égard du roi qui, aux yeux de tous, avait perdu sa sacralité. Le développement de l'imprimé et de l'alphabétisation dans le nord-est de la France modifièrent les pratiques de lecture : la lecture individuelle, silencieuse et critique, se substitua à la lecture à haute voix dispensée par un ancien à la communauté rassemblée le soir à la veillée et qui ne pouvait de ce fait qu'adhérer à ce qui était lu. La perte de sacralité de la lecture fut première, elle entraina la perte de sacralité de la figure royale et ouvrit la voie à la lecture des philosophes. Nous pouvons ajouter à ce constat une évolution de la pratique religieuse. L'historien Michel Vovelle a montré par exemple un affaiblissement des rituels religieux qui avaient été imposés par la réforme catholique. Après 1750, les testaments indiquent une diminution de demande de messes pour les défunts et, en parallèle, les pratiques contraceptives se développèrent tandis que le nombre des vocations religieuses se réduisit.

C’est surtout le développement de l’esprit critique qui contribua à la formation et à la politisation de l’opinion publique qui se tourna vers la philosophie des Lumières. Les Lumières contribuèrent alors à mettre en cause les préjugés de la société d’Ancien Régime et à libérer l’action des révolutionnaires qui, a posteriori, se réclamèrent des Lumières. Mais, selon Roger Chartier, la Révolution française ne fut pas une application stricte des idées des Lumières.


1.2 La Révolution constitutionnelle (1789-1791)

1.2.1 L’année 1789 : la fin de la monarchie absolue de droit divin et des privilèges

Un élément immédiatement déclencheur de la Révolution fut la question du déficit budgétaire de la monarchie, provoqué notamment par le financement du soutien à la guerre d’indépendance des États-Unis. En 1788, les recettes de l'Etat se montaient à 503 millions de livres, tandis que les dépenses atteignaient 629 millions de livres. La plus grande partie des dépenses était consacrée au remboursement de la dette contractée pour soutenir la guerre en Amérique. Chaque année, la monarchie s'endettait toujours plus auprès des grands financiers du royaume Depuis plusieurs années, la question se posait de faire payer des impôts aux ordres privilégiés, le clergé et la noblesse, qui ne payaient pas d'impôts, afin de renflouer les caisses de l’État. Chaque proposition de réforme était bloquée par les Parlements où siégeaient les officiers titulaires de titres de noblesse. La critique des privilèges du clergé et de noblesse, qui refusaient toute réforme, devenait de plus en plus virulente dans tout le pays. A la réforme fiscale s’ajoutait la revendication de droits pour le Tiers état. Ainsi, Sièyes, un abbé, futur député du Tiers état et futur homme politique majeur jusqu’à l’Empire, se fit connaître par une brochure dans laquelle il écrivait : « Qu’est-ce que le Tiers-État ? Tout.. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? À y devenir quelque chose ». La gravure ci-dessous formule la critique des inégalités de la société d'ordres.













« A faut esperer q’eu jeu là finira bientôt ». Anonyme, mai 1789. Paris, BnF. Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6944022s.item














Comme aucun compromis n’était possible avec les ordres privilégiés, Louis XVI se résolut donc, le 24 janvier 1789, à convoquer les États généraux pour le conseiller sur la question du budget de la monarchie. Cette annonce suscita un grand espoir car les Etats généraux n’avaient pas été réunis en France depuis 1614. D’une certaine manière, cette annonce scella la fin de la monarchie absolue qui avait muselé cette institution héritée de la fin du Moyen Age et qui servait à exprimer auprès du roi le point de vue des différentes catégories de la population. Au début de l’année 1789, pour préparer les Etats généraux, les institutions locales produisirent près de 60 000 cahiers de doléances qui commençaient tous par un appel au roi considéré non plus comme un monarque sacré mais comme le père du peuple. Ils dénonçaient les injustices de la société d’Ancien Régime et proposaient des réformes, notamment la répartition égale des impôts entre tous et la rédaction d’une constitution, selon le modèle américain. Ces cahiers de doléance signalent une politisation de l’ensemble de la société. Dans l’ensemble du royaume, 1 139 délégués des trois ordres (1 315 en comptant les suppléants) furent élus au suffrage universel masculin pour siéger aux États généraux. Le contexte était agité et plusieurs émeutes furent brutalement réprimées par l'armée du roi. Ainsi, le 27 avril 1789, l'armée royale tira sur la foule manifestant contre Reveillon, le patron d'une manufacture de papiers peints située dans le faubourg Saint-Antoine à Paris, qui avait annoncé une baisse du salaire de ses ouvriers. Plusieurs dizaines de personnes furent tuées par l'armée.

Document : L'Ouverture des États généraux, à Versailles, le 5 mai 1789. Gravure par Isidore-Stanislaus Helman (1743-1806) et Charles Monnet (1732-1808). Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Source : https://fr.vikidia.org/wiki/Ouverture_des_%C3%89tats_g%C3%A9n%C3%A9raux,_%C3%A0_Versailles_dans_la_salle_des_Menus_Plaisirs,_le_5_mai_1789


La réunion des États généraux s’ouvrit à Versailles le 5 mai 1789, mais ces derniers ne purent fonctionner en raisons de nombreux blocages : le roi refusa de débattre des impôts, la question de l’organisation du vote ne fut pas tranchée. Les députés devaient-ils voter par ordre, selon la tradition féodale, (dans ce cas, le clergé et la noblesse imposeraient leurs vues au Tiers état) ou par tête, selon une logique qui reconnait l'existence d'individus tous égaux (dans ce cas, les 578 députés du Tiers état, rejoints par les députés réformateurs du clergé et de la noblesse, l’emporteraient face aux 291 députés restants du clergé et aux 270 députés restants de la noblesse) ? Dès lors, une série d’événements s’enchaînèrent très rapidement qui mirent fin à la monarchie absolue de droit divin.

Le mercredi 17 juin 1789, les députés du Tiers état, qui s’étaient donnés comme président l'astronome Bailly, réunis dans la salle des Menus-Plaisirs et rejoints par quelques députés du clergé et de la noblesse, se proclamèrent Assemblée nationale et souveraine. Cette assemblée se substitua alors au États généraux. Cette déclaration est fondamentale pour deux raisons.

Tout d’abord, les députés, suivant la formulation proposée par Sieyès le lundi 15 juin, affirmèrent qu’ils représentaient « les quatre-vingt-seize centièmes de la Nation » (les 4 % restant étaient représentés par les députés du clergé et de la noblesse). En conséquence, il leur appartenait « d’interpréter et de présenter la volonté général de la nation ». Cela revient à dire que, désormais, le pouvoir résidait dans la Nation et qu’il s’exprimait par la voix des députés. A la légitimité divine et descendante du pouvoir se substitua la légitimité ascendante de la Nation, la souveraineté nationale. Le pouvoir ne venait plus de Dieu, il venait des citoyens constituant la Nation. Cette déclaration marqua la fin de la monarchie de droit divin et de la légitimité religieuse du pouvoir remontant à l’Empire romain.

Ensuite, en se proclamant Assemblée nationale, les députés s’arrogeaient le pouvoir législatif et instauraient la séparation des pouvoirs : « Il ne peut exister entre le trône et cette assemblée aucun veto, aucun pouvoir négatif ». C’est la fin de la monarchie absolue qui concentrait tous les pouvoirs. Les députés prêtèrent ensuite le serment suivant : "Nous jurons à Dieu, au Roi et à la Patrie de remplir avec zèle et fidélité les fonctions dont nous sommes chargés". En quelques jours, la France avait basculé dans un autre système politique, celui de la monarchie constitutionnelle et de la démocratie représentative.


Document : La déclaration instituant l’Assemblée nationale le 17 juin 1789


L'Assemblée, délibérant après la vérification des pouvoirs, reconnaît que cette assemblée est déjà composée des représentants envoyés directement par les quatre-vingt-seize centièmes au moins de la Nation (…).

De plus, puisqu'il n'appartient qu'aux représentants vérifiés de concourir à former le vœu national et que tous les représentants vérifiés doivent être dans cette assemblée, il est encore indispensable de conclure qu'il lui appartient et qu'il n'appartient qu'à elle d'interpréter et de présenter la volonté générale de la nation ; il ne peut exister entre le trône et cette assemblée aucun veto, aucun pouvoir négatif.

L'Assemblée déclare donc que l’œuvre commune de la restauration nationale peut et doit être commencée sans retard, par les députés présents, et qu'ils doivent la suivre sans interruption comme sans obstacle.

La dénomination d'Assemblée nationale est la seule qui convienne à l'Assemblée dans l'état actuel des choses, soit parce que les membres qui la composent sont les seuls représentants légitimement et publiquement connus et vérifiés, soit parce qu'ils sont envoyés directement par la presque totalité de la Nation, soit enfin parce que la représentation étant une et indivisible aucun des députés, dans quelque ordre ou classe qu'il soit choisi, n'a le droit d'exercer ses fonctions séparément de la présente Assemblée.

L'Assemblée ne perdra jamais l'espoir de réunir dans son sein tous les députés aujourd'hui absents ; elle ne cessera de les appeler à remplir l'obligation qui leur est imposée de concourir à la tenue des États généraux. À quelque moment que les députés absents se présentent dans le cours de la session qui va s'ouvrir, elle déclare d'avance qu'elle s'empressera de les recevoir et de partager avec eux, après la vérification de leurs pouvoirs, la suite des grands travaux qui doivent procurer la régénération de la France. L'Assemblée nationale arrête que les motifs de la présente délibération seront incessamment rédigés pour être présentés au Roi et à la Nation.

Versailles, le 17 juin 1789.

Bien entendu, le roi n'accepta pas cette décision. Chassés de la salle des Menus-Plaisirs par les soldats du roi, les députés se réunirent dans la salle du jeu de paume (un ancêtre du tennis) où, le samedi 20 juin 1789, ils prêtèrent le fameux Serment du jeu de paume : ils jurèrent de ne pas se séparer avant d’avoir rédigé une constitution pour le royaume. Ce serment réitérait et précisait ce qui avait été décidé le 17 juin. En s’engageant à rédiger une constitution, les députés constituaient un nouveau corps politique et rejetaient à nouveau la monarchie absolue puisqu’une constitution est un texte législatif qui organise la séparation des pouvoirs et leur répartition entre plusieurs institutions. En prêtant serment, les députés incarnaient à nouveau la nation qui se détachait ainsi du roi. Notons en effet, que la référence à Dieu et au Roi du serment du 17 juin, a disparu le 20 juin. Le basculement dans un nouveau monde était opéré.


Document : Le texte du serment du jeu de paume du 20 juin 1789


L’Assemblée nationale, considérant qu’appelée à fixer la constitution du royaume, opérer la régénération de l’ordre public et maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut empêcher qu’elle continue ses délibérations dans quelque lieu qu’elle soit forcée de s’établir, et qu’enfin, partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale ;

Arrête que tous les membres de cette assemblée prêteront, à l’instant, serment solennel de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides, et que ledit serment étant prêté, tous les membres et chacun d’eux en particulier confirmeront, par leur signature, cette résolution inébranlable.

Le célèbre tableau de David ci-dessous immortalise ce moment. Le tableau fut commandé à David en octobre 1790. Mais il ne parvint pas à peindre le portrait de tous les députés présents ce jour-là car certains avaient quitté Paris. Ce tableau resta une esquisse que David n’acheva pas : au moment de l’achever, à la fin de 1791, l’unité décrite par ce tableau semblait à jamais perdue et sa représentation obsolète. En effet, le 20 juin 1791, au deuxième anniversaire du serment, Louis XVI s'enfuit à Varennes, manifestant ainsi sa défiance à l'égard de la Révolution.

Le tableau de David est divisé en deux parties. Dans la partie inférieure sont réunis les députés qui prêtent serment en levant le bras. Leurs bras sont dirigés vers la main levée de Bailly, le président de séance qui prononce le serment. Sa main se trouve exactement au centre du tableau, au croisement des deux diagonales. En représentant les corps unis dans cette prestation de serment, David a montré l’unité et la volonté de la nation. La partie supérieure du tableau est vide. Selon les dires de David lui-même, le mouvement des rideaux emportés par le vent symbolise le vent de la liberté. Le grand mur vide à l’arrière plan signale la fin de la transcendance qui était voulue par la monarchie de droit divin : dans le domaine politique, il n’y a plus de Dieu, le ciel est vide, et le roi n'est déjà plus là.


Jacques-Louis David, Esquisse pour le tableau du serment du jeu de paume, 1789-1791. Dessin, plume et lavis. Musée du château de Versailles.


Le roi émit une série d’injonctions contradictoires. Il chercha tout d’abord à dissoudre l’Assemblée nationale et à chasser les députés de la salle du jeu de Paume. A cette occasion, Mirabeau aurait déclaré : « Nous sommes ici par la volonté du peuple, et on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes ». Le roi ordonna ensuite aux députés du clergé et de la noblesse de rejoindre l’Assemblée qui se proclama alors Assemblée nationale constituante, le 9 juillet 1789. En même temps, il fit venir des troupes aux alentours de Paris. Le peuple parisien chercha des armes pour se défendre. Le 14 juillet, après avoir pillé des armureries et les Invalides, les Parisiens aidés des soldats des Gardes françaises prirent d’assaut la Bastille où ils pensaient trouver des armes. Les combats firent une centaine de morts, et les Parisiens ne trouvèrent dans la prison que sept prisonniers. La tête de Launay, le commandant de la Bastille responsable des morts, fut promenée au bout d’une pique jusqu’à l’Hôtel de Ville.



Claude Cholat (un participant de la prise de la Bastille), Le siège de la Bastille, 1789. Gouache, Musée Carnavalet. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Siege_of_the_Bastille_(Claude_Cholat).jpg






Depuis 1787, les émeutes violentes étaient fréquentes, mais la prise de la Bastille visait directement le symbole de l’arbitraire du roi. En effet, par lettre de cachet, ce dernier pouvait emprisonner qui il voulait dans cette prison. Les Parisiens imposèrent donc leur volonté au roi et lui retirèrent le symbole de son pouvoir judiciaire, alors que l’Assemblée lui avait déjà retiré son pouvoir législatif le 17 et le 20 juin. Le 17 juillet, en acceptant de venir à Paris et de rencontrer Bailly, le nouveau de maire de Paris, le roi reconnaissait sa défaite. La révolution avait triomphé.

Sur la journée du 14 juillet, on lira avec grand profit le remarquable 14 juillet d’Eric Vuillard (2016), paru chez Actes Sud.


Encart : Les origines du drapeau tricolore

On ne sait pas exactement d’où vient le drapeau tricolore. On considère généralement que son acte de naissance est le 17 juillet 1789, lorsque le nouveau maire de Paris, Bailly, donna au roi une cocarde qui unissait le blanc de la monarchie au bleu et au rouge des couleurs de Paris. Cette cocarde était celle des gardes nationaux de Paris qui arboraient les couleurs bleues et rouges, couleurs de la ville de Paris, auxquelles Lafayette, le commandant la garde nationale, aurait ajouté le blanc de la monarchie. Le drapeau tricolore symboliserait l'union du roi et du peuple de Paris.

Il est également possible que les trois couleurs soient inspirées des trois couleurs bleue, blanche et rouge du drapeau américain, elles-mêmes issues des trois couleurs du drapeau britannique. Les Américains auraient repris les couleurs britanniques et les auraient disposées en bandes pour marquer leur victoire sur leur ancienne puissance coloniale. Traditionnellement, les rayures symbolisaient la transgression et la remise en cause de l'ordre établi. Ces trois couleurs et les rayures auraient été ensuite reprises par les Français pour incarner la liberté désormais acquise. La symbolique attachée aux rayures explique sans doute le grand nombre de drapeaux composés de trois bandes colorées, en Europe et dans le monde.


Dans les semaines qui suivirent, la Grande Peur se diffusa dans les campagnes, sauf en Bretagne. En cette période de moissons, alors que les récoltes des années précédentes avaient été mauvaises, les paysans étaient inquiets car des nouvelles alarmantes et confuses venaient de la capitale. En outre, des rumeurs circulaient selon lesquelles des brigands pillaient les campagnes. Les communautés villageoises prirent les armes pour se défendre puis, ne voyant surgir aucun brigand, s’en prirent aux châteaux des propriétaires fonciers. Les paysans brûlèrent les titres de propriété qui justifiaient le paiement des redevances sur les terres. Le processus global de la Grande Peur se déroula vraisemblablement selon la description proposée dans le document suivant :


Document : La circulation des rumeurs pendant la Grande Peur en Champagne

Le bruit s’est répandu dans ce pays-ci que 500 brigands dévastaient toutes les campagnes, brûlaient les villages et mettaient tout à contribution. Cela a commencé à Romilly-sur-Seine, distante de trois lieux de Nogent. On a sonné le tocsin et monté la garde pendant plusieurs jours, mais on n’a rien vu. Ce tocsin, entendu d’un village à l’autre en remontant [la Seine], a été partout répété, ce qui a gagné jusqu’à Arcis, où les habitants ont pris les armes ; les dragons qui y sont en quartier ont monté à cheval et ont cherché à deux lieues aux environs sans rien trouver.

Lettre des officiers municipaux de Troyes, fin juillet 1789.

Source : Henri Dinet, L’année 1789 en Champagne, Annales historiques de la Révolution française, 1983, n° 254, p. 586. https://www.persee.fr/doc/ahrf_0003-4436_1983_num_254_1_1074




Document : Les courants de la Grande Peur

Source: Michel Vovelle (1972). La chute de la monarchie 1787-1792. Paris: Seuil, Points.















Document : L'une des rares représentations de la Grande Peur.

Philippe Joseph Maillart, "Insurrection paysanne, émigration des Princes et des Courtisans de leurs Châteaux de Campagne brûlés en août 1789". 30eme tableau, planche 2 de la Galerie historique ou Tableau des événements de la Révolution française. Estampe, entre 1795 et 1799. Paris, Musée Carnavalet.

Source :






Pour mettre fin à cette révolte, en cours de généralisation et qui risquait de porter atteinte à leurs propres propriétés, les députés de l’Assemblée nationale (qui étaient pour la plupart des possédants) abolirent les privilèges durant la nuit du 4 août. Les décrets adoptés les jours suivants en précisèrent les dispositions. Les impôts sur les personnes dus aux seigneurs (art. 1) ainsi que la dîme due au clergé (art. 5) furent abolis. Le droit de posséder un colombier (art. 2) et le droit de chasse (art. 3) n’étaient plus des privilèges et devinrent accessibles à tous. Les privilèges de la noblesse et du clergé furent abolis et les impôts seront payés par chacun en fonction de ses ressources (art. 9). Cela conduisit à l'abolition des impôts indirects (gabelle, octrois, etc.) à l'exception des droits de douane et d'enregistrement des actes officiels. Les privilèges des villes et des provinces furent également abolis (art. 10) afin que les mêmes règles s’appliquent à toutes. Enfin, tous les emplois publics devenaient accessibles à tous sans distinction (art. 11). Au total, les trois ordres étaient abolis et il n’existait plus de différence d’ordre juridique entre les personnes. Cette décision détruisit la société d’Ancien Régime et mit en place notre société fondée sur l’égalité des droits.


Document : Les décrets des 4, 6, 7, 8, 11 août 1789 (extraits)


1. L'Assemblée nationale détruit entièrement le régime féodal. Elle décrète que, dans les droits et les devoirs tant féodaux que censuels, ceux qui tiennent à la mainmorte réelle ou personnelle, et à la servitude personnelle, et ceux qui les représentent, sont abolis sans indemnité ; et tous les autres sont déclarés rachetables, et le prix et le mode de rachat seront fixés par l'Assemblée nationale. Ceux desdits droits qui ne sont points supprimés par ce décret continueront néanmoins d'être perçus jusqu'au remboursement.


2. Le droit exclusif des fuies et colombiers est aboli. Les pigeons seront enfermés aux époques fixées par les communautés durant lequel temps, ils seront regardés comme gibier, et chacun aura le droit de les tuer sur son terrain

.

3. Le droit exclusif de la chasse ou des garennes ouvertes est pareillement aboli, et tout propriétaire a le droit de détruire ou faire détruire, seulement sur ses possessions, toute espèce de gibier, sauf à se conformer aux lois de police qui pourront être faites relativement à la sûreté publique. Toutes les capitaineries même royales, et toutes réserves de chasse, sous quelque dénomination que ce soit, sont pareillement abolies ; et il sera pourvu, par des moyens compatibles avec le respect dû aux propriétés et à la liberté, à la conservation des plaisirs personnels du Roi. M. le président est chargé de demander au Roi le rappel des galériens et des bannis pour simple fait de chasse, l'élargissement des prisonniers actuellement détenus, et l'abolition des procédures existantes à cet égard.


5. Les dîmes de toute nature, et les redevances qui en tiennent lieu, sous quelques dénominations qu'elles soient, connues et perçues, même par abonnement, possédées par les corps séculiers et réguliers, par les bénéficiers, les fabriques, et tous les gens de mainmorte, même par l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, et d'autres ordres religieux et militaires, même celles qui auraient été abandonnées à des laïques, en remplacement et pour option de portions congrues, sont abolies, sauf à aviser aux moyens de subvenir d'une autre manière à la dépense du culte divin, à l'entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres, aux réparations et reconstructions des églises et presbytères, et à tous les établissements, séminaires, écoles, collèges, hôpitaux, communautés et autres, à l'entretien desquels elles sont actuellement affectées. Et cependant, jusqu'à ce qu'il y ait été pourvu, et que les anciens possesseurs soient entrés en jouissance de leur remplacement, l'Assemblée nationale ordonne que lesdites dîmes continueront d'être perçues suivant les lois et en la manière accoutumée. Quant aux autres dîmes, de quelque nature qu'elles soient, elles seront rachetables de la manière qui sera réglée par l'Assemblée ; et jusqu'au règlement à faire à ce sujet, l'Assemblée nationale ordonne que la perception en sera aussi continuée.


9. Les privilèges pécuniaires, personnels ou réels, en matière de subsides, sont abolis à jamais. La perception se fera sur tous les citoyens et sur tous les biens, de la même manière et de la même forme ; et il va être avisé aux moyens d'effectuer le payement proportionnel de toutes les contributions, même pour les six derniers mois de l'année de l'imposition courante.


10. Une constitution nationale et la liberté publique étant plus avantageuses aux provinces que les privilèges dont quelques-unes jouissaient, et dont le sacrifice est nécessaire à l'union intime de toutes les parties de l'empire, il est déclaré que tous les privilèges particuliers de provinces, principautés, pays, cantons, villes et communautés d'habitants, soit pécuniaires, soit de toute autre nature, soient abolis sans retour, et demeureront confondus dans le droit commun de tous les Français.


11. Tous les citoyens, sans distinction de naissances, pourront être admis à tous les emplois et les dignités ecclésiastiques, civiles et militaires, et nulle profession utile n'emportera dérogeance.


18. L'Assemblée nationale se rendra en corps auprès du Roi, pour présenter à Sa Majesté l'arrêté qu'elle vient de prendre, lui porter hommage de sa plus respectueuse reconnaissance, et la supplier de permettre que le « Te deum » soit chanté dans sa chapelle, et d'y assister elle-même. L'assemblée nationale s'occupera, immédiatement après la constitution, de la rédaction des lois nécessaires pour le développement des principes qu'elle a fixés par le présent arrêté, qui sera incessamment envoyé par MM. Les députés dans toutes les provinces, avec le décret du 10 de ce mois, pour y être imprimé, publié même au prône des paroisses, et affiché partout où besoin sera (…).


Afin de fixer toutes les décisions adoptées depuis le mois de juin, l’Assemblée nationale promulgua le 26 août 1789 la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Ce texte s’inspirait de la Déclaration d’indépendance des États-Unis du 4 juillet 1776. Il reste toujours un texte essentiel pour nous et il a une valeur constitutionnelle car il est cité comme référence dans le préambule de la constitution de la Ve République.

Ce texte rappelle tout d’abord les principaux droits applicables à chaque être humain (art. 1, 2, 4 et 17) : l’égalité, la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. Il fixe les bases d’un nouveau système politique démocratique et représentatif : la souveraineté nationale (art. 3 et 6), qui s’exprime également par les contributions remplaçant les impôts (art. 13 et 14). et la séparation des pouvoirs (art. 16). Ce texte garanti enfin les droits individuels : le droit à la sûreté individuelle (art. 7, 8, 9), la liberté d’opinion et d’expression (art. 10 et 11). Bien entendu, en consacrant le droit à la propriété, ce texte ne remettait pas en cause les inégalités sociales. Ce texte fonde la société telle que nous la connaissons aujourd’hui.


Document : La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789


Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

En conséquence, l'Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les droits suivants de l'homme et du citoyen.

Article 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.


Article 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.


Article 3. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.


Article 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.


Article 5. La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.


Article 6. La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.


Article 7. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance.


Article 8. La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.


Article 9. Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.


Article 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.


Article 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.


Article 12. La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.


Article 13. Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.


Article 14. Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.


Article 15. La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.


Article 16. Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.


Article 17. La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.



Avec la promulgation de ce texte, les contemporains pouvaient penser que les Français avaient réussi leur révolution là où d’autres avaient échoué quelques années auparavant (les Pays-Bas et l’actuelle Belgique par exemple) et sans intervention militaire étrangère (les États-Unis). Les années 1790 et 1791 furent un moment de profonde réorganisation de la vie politique, économique et sociale sur la base des principes édictés dans les textes de 1789.

Le document suivant, qui témoigne de l'optimisme (un peu forcé) des années 1789-1790, peut être en mis en regard de la gravure des trois ordres placée au début de ce chapitre. Des allégories des trois anciens ordres désormais disparus trinquent à l'égalité nouvelle. Au second plan, un individu peut chasser les oiseaux qui dévorent les récoltes, privilège qui appartenait auparavant aux seuls seigneurs.

Document : L’égalité des citoyens après 1789


1.2.2 La construction d’un nouvel espace politique

A partir de 1789, la population dans son ensemble s’accultura très vite à la nouvelle vie politique. Cette acculturation fut rendue possible par l'essor de la presse lié à la reconnaissance de la liberté d’expression. Elle s’exprima par des manifestations relatives aux prix des denrées alimentaires qui augmentaient sans cesse, par l’intérêt porté aux délibérations de l’Assemblée. Parallèlement, certains nobles, dont le frère du roi, le futur Louis XVIII, commencèrent à émigrer hors du royaume par hostilité envers la Révolution et afin de préparer le retour à l'Ancien Régime.

Le 5 octobre 1789, près de 5 000 femmes de Paris se rendirent à Versailles pour exprimer des revendications économique liées notamment au prix du pain en cette période de disette. A cette occasion, la reine Marie-Antoinette aurait dit : « Ils n’ont pas de pain ? Qu’ils mangent de la brioche ». Des altercations éclatèrent, les têtes de quelques gardes furent placées au bout de piques, et les femmes obligèrent la famille royale à revenir à Paris le 6 octobre, afin de rapprocher le roi de son peuple. Le but était surtout de placer le roi sous surveillance en l'installant aux Tuileries. Les femmes, souvent présentes dans les journées révolutionnaires, montrèrent ainsi au grand jour leur engagement politique, leur capacité à organiser des manifestations et à exprimer des revendications.




Document : La marche des femmes sur Versailles le 5 octobre 1789. Paris, BnF, Gallica





Encadré : deux grandes figures féminines de la Révolution

Les deux grandes figures féminines de la Révolution furent Théroigne de Méricourt (1762-1817) et Olympe de Gouges (1748-1793), qui comptent parmi les figures fondatrices du féminisme.

Théroigne de Méricourt ne participa pas aux journées d'octobre mais elle y fut associée. Elle s'était installée à Versailles pour y suivre les débats politiques. elle fut dénoncée pour avoir porté un vêtement de coupe masculine. Elle réclama l'armement des femmes, elle fut fouettée en public par des femmes proches des Girondins et jetée dans un hospice car elle était considérée comme folle.

Olympe de Gouges se fit connaitre comme autrice de pièces de théâtre et de pamphlets politiques sur les questions de l'esclavage et du droit des femmes notamment. Elle rédigea en 1791 une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne pour répondre au texte de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et qui reste d'actualité. Proche des Girondins et hostile à Robespierre, elle fut guillotinée le 3 novembre 1793.

L'héritage de ces deux femmes est revendiqué à juste titre par les féministes d'aujourd'hui. La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne mériterait de figurer ici dans sa totalité. Nous en indiquons ci-dessous quelques articles particulièrement d'actualité encore aujourd'hui.


Document : La Déclaration de la femme et de la citoyenne rédigée par Olympe de Gouges en 1791.

Article premier. La Femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

Article 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la Femme et de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et surtout la résistance à l'oppression.


Article 6.
La loi doit être l'expression de la volonté générale ; toutes les Citoyennes et Citoyens doivent concourir personnellement ou par leurs représentants, à sa formation ; elle doit être la même pour tous : toutes les Citoyennes et tous les Citoyens, étant égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.



Article 13.
Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, les contributions de la femme et de l'homme sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à toutes les tâches pénibles ; elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des emplois, des charges, des dignités et de l'industrie.


Le 19 octobre 1789, les députés de l'Assemblée vinrent également s’installer à Paris, dans la salle du manège, aux Tuileries. Les députés favorables au renforcement des pouvoirs du roi s’installèrent à droite du président de séance, et les députés partisans d’une réduction de ses pouvoirs s’installèrent à gauche. De ce moment date la différence entre la droite et la gauche en politique. Les députés ainsi réunis formèrent l'Assemblée constituante chargée d'élaborer la constitution du royaume et de réaliser des mesures qui bouleversèrent l'espace et la société de la nouvelle France.

Un événement spectaculaire fut la fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, pour commémorer l’anniversaire de la prise de la Bastille. Cette fête rassemblait, sur le Champ de Mars, le roi, les députés et les représentants des gardes nationales de toutes les villes de France (environ 100 000 hommes), rassemblés derrière La Fayette, le commandant de la garde nationale de Paris. La Fayette, commandant de la Garde nationale, prêta serment au nom de tous les gardes nationaux venus de toute la France : « Nous jurons de rester à jamais fidèles à la nation, à la loi et au roi, de maintenir de tout notre pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi et de protéger conformément aux lois la sûreté des personnes et des propriétés, la circulation des grains et des subsistances dans l'intérieur du royaume, la prescription des contributions publiques sous quelque forme qu'elle existe, et de demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité ». Puis le roi prêta serment à son tour : « Moi, roi des Français, je jure d'employer le pouvoir qui m'est délégué par la loi constitutionnelle de l'État, à maintenir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par moi et à faire exécuter les lois ». En 1880, le 14 juillet devint la fête nationale. Contrairement à ce que l’on croit souvent, il ne s’agit pas de commémorer le 14 juillet 1789, journée d’émeute sanglante, mais de commémorer la fête de la Fédération, journée d’unité et d’unanimité nationale.

Document : Charles Monet, La fête de la fédération du14 juillet 1790 sur le Champ de Mars à Paris, 1790. Eau forte, BnF. La fête de la Fédération - Histoire analysée en images et œuvres d’art | https://histoire-image.org/


Le 15 février 1790 les circonscriptions administratives de l’Ancien Régime furent supprimées et remplacées par 83 départements, tous de taille équivalente, et dont le nom venait d’une particularité géographique. Chaque département était géré par un Conseil général élu. A l’échelle encore plus locale, les anciennes paroisses devinrent des communes, au nombre de 40 000 environ, dont le conseil était également élu par tous les citoyens. Chaque commune était dotée de pouvoirs importants pour organiser la police, la justice de paix, l’éducation, et constituer des unités de la gade nationale. Le département et plus encore la commune devinrent le lieu d’exercice de la politique au quotidien. Cette révolution administrative et territoriale eut pour effet d'augmenter considérablement le nombre des agents de l'Etat, tous élus. Alors que 60 000 personnes permettaient de faire fonctionner la monarchie, il en fallait désormais 1,2 million. Au départ, il était prévu de découper le territoire français en carrés de superficie égale. On s'orienta plutôt vers une logique géographique : il devait être possible aux électeurs de se rendre au chef-lieu du département en une journée à pied.

Enfin l’activité des clubs, réunissant des députés de l'assemblée constituante dans d’anciens couvents, les Cordeliers (club populaire), les Jacobins (regroupant ultérieurement les députés girondins et les montagnards), les Feuillants (monarchiste) était suivie assidûment par les Parisiens et relayée en province où ces clubs développèrent progressivement un réseau dense. Avec la presse et les manifestations, ces clubs contribuèrent grandement à l’éducation politique des populations

Comme l'illustre la gravure suivante, l’unanimité semblait l’emporter en 1790. Le roi était vu comme le protecteur des populations et le garant des réformes mises en place.


Document : Les étrennes patriotiques offertes au Roi au nouvel an 1790. Estampe. Paris, BnF. Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8411018b.item


Transcription de la légende :

Le Vieillard : (illisible)

Le Roi : la naïveté qui décorent (sic) ces âmes vertueuses approcheront de mon trône, oui, messieurs, voilà, voilà mes amis.

Monseigneur le Dauphin : Ce petit agneau mord-t-il ?

La petite fille : Non, Monseigneur, il n’est pas aristocrate



Aujourd'hui, les historien·nes remettent en cause l'apparente unanimité de l'année 1790. Les mesures évoquées ci-dessus provoquèrent des conflits, des fractures durables et même des guerres civiles dans le sud-est de la France. En outre, le déroulement de la Fête de la Fédération inquiéta certains révolutionnaires : le peu d'empressement du roi à prêter serment sembla suspect et on accusa La Fayette d'aspirer à une dictature militaire. Mais ce sont surtout les décisions concernant la religion qui mirent le feu aux poudres.


1.2.3 Les premières fractures

Dans l'œuvre de l'Assemblée constituante, des fractures apparurent en effet, qui furent lourdes de conséquence pour la suite.

La Constitution civile du clergé, adoptée par décret le 12 juillet 1790, abolit les vœux religieux perpétuels et supprima les ordres monastiques. Les biens de l’Église avaient été confisqués et mis à la disposition de la nation le 2 novembre 1789. Ils devinrent les biens nationaux. Leur vente devait permettre de résorber le déficit budgétaire de l’État. En contrepartie, les hommes d’Église recevaient un traitement de l’État et devaient pour cela prêter serment de fidélité à la nation, à la loi et au roi, devant le conseil municipal et les fidèles de la paroisse. Les circonscriptions religieuses étaient désormais calquées sur les nouvelles circonscription administratives : un diocèse par département, une ou plusieurs paroisses par commune. La religion catholique bénéficiait ainsi d'un statut de religion officielle. Cependant, le pape s’opposa à la Constitution civile du clergé et provoqua de profondes dissensions au sein de l’Église catholique. Les prêtres « jureurs » (qui avaient prêté serment) s’opposèrent aux prêtres « réfractaires », bientôt contre-révolutionnaires.

Le 27 juillet 1792, il fut décidé que les biens es nobles émigrés à l'étranger soient vendus également comme biens nationaux.

La vente des biens nationaux, les biens de l'Eglise confisqués pour rembourser la dette de l'Etat, fut l'une des mesures fondamentales de la Révolution. Il aurait été possible d'annuler la dette de l'Etat monarchique qui avait été contractée sous l'Ancien Régime. Mais cela aurait conduit à la ruine des grands financiers détenteurs des emprunts d'Etat et proches de certains dirigeants politiques de la Révolution. Les révolutionnaires lancèrent donc un nouvel emprunt sous la forme d'"assignats" souscrits par tous ceux qui le pouvaient et remboursables en biens nationaux. La vente des biens nationaux sous la forme de cet emprunt favorisa un gigantesque transfert de propriété (environ 10 % de la superficie du territoire) vers la bourgeoisie qui acheta à vil prix des propriétés foncières ecclésiastiques ainsi que des bâtiments religieux qui hébergèrent parfois les premières usines françaises. La paysannerie en bénéficia également et put accroitre la taille de ses exploitations agricoles. Ces acquisitions expliquent l'anomalie, comparativement au reste de l'Europe de l'ouest, du maintien d'une paysannerie moyenne en France jusqu'à la fin du XIXe siècle. Cependant, là où la bourgeoisie ne laissa que des miettes aux paysans, ces derniers s'opposèrent ensuite à la Révolution, comme ce fut le cas en Vendée. Les assignats furent par la suite transformés en papier monnaie officiellement garanti par la valeur des biens nationaux encore disponibles. Cependant, les besoins de financement de la guerre conduisirent à une émission excessive de papier-monnaie, hors de proportion avec la valeur effective des biens nationaux. L'assignat se dévalua rapidement, jusqu'à sa suppression en 1795.

Evoquons, en effectuant un autre saut chronologique, la création de l’état civil et l’autorisation du divorce, adoptés par décret de l’Assemblée législative du 20 septembre 1792. Depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, les registres paroissiaux (baptême, mariage, enterrement) étaient tenus par le curé de la paroisse. Désormais, l’état civil (registre des naissances et non plus des baptêmes, mariages civils, décès et non plus des enterrements) était enregistré par un officier d’état civil en mairie. Cette mesure permit d’arracher la mesure des rythmes de la vie de chacun à l’Église, même si les cérémonies religieuses n’étaient nullement interdites.

Parallèlement, l’Assemblée constituante prit des mesures contre les artisans et les ouvriers. Le décret d’Allarde, voté les 2 et 17 mars 1791 supprima les corporations qui réglementait les salaires, les normes et la production des corps de métiers de l’artisanat. Il légalisait ainsi la liberté d’entreprise et la libre concurrence. Ce décret fut complétée par la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 qui interdisait tout groupement professionnel et toute « coalition », ce que nous appelons aujourd’hui les syndicats et la grève, notamment pour exprimer des revendications salariales. Ces deux mesures aggravèrent considérablement les conditions de travail et de vie de la classe ouvrière naissante qui ne disposait plus de moyens légaux pour se défendre face au patronat.

En juin 1791, la famille royale tenta de s’enfuir des Tuileries pour rejoindre à Metz les armées du marquis de Bouillé composées de nobles émigrés. Elle fut reconnue et arrêtée à Varennes le 21 juin 1791. Cet événement montre que les contre-révolutionnaires commençaient à s’organiser autour des nobles émigrés derrière les frontière de la France qui souhaitaient rétablir la monarchie absolue. Les députés membres du club des Jacobins, Robespierre, Danton, Camille Desmoulins, commencèrent à réclamer la déchéance du roi. La famille royale revint à Paris sous bonne garde.


Document : Le retour de la famille royale à Paris, le 25 juin 1791. Gravure coloriée. Paris, Musée Carnavalet.

L'Assemblée, occupée à rédiger la constitution, mit hors de cause la personne du roi. Les partisans de la monarchie constitutionnelle cherchaient à minimiser la trahison du roi en accréditant la légende d’un enlèvement et non pas d’une fuite du roi à Varennes Selon eux, il fallait coûte que coûte parvenir à faire adopter la constitution en cours de rédaction depuis la fin de 1789. Aussi, le 17 juillet 1791, une manifestation populaire, organisée par le club des Cordeliers, eut lieu pour déposer sur l'autel du Champ de Mars une pétition réclamant la déchéance du roi qui avait clairement montré sa trahison en fuyant à Varennes. L'Assemblée ordonna au maire de Paris, Bailly, de disperser le rassemblement et la loi martiale fut proclamée. La manifestation fut violemment dispersée par la Garde nationale sous les ordres de La Fayette qui fit tirer sur la foule. Elle aurait tué une douzaine des personnes. Avant de donner l'ordre de tirer, La Fayette avait fait déployer le drapeau rouge qui, à l'époque, annonçait l'application rigoureuse de la loi martiale et la menace d'une répression violente. Plus tard, ce drapeau fut détourné de son sens premier et repris comme emblème du mouvement ouvrier.

Pour la première fois, l'Assemblée (surtout Barnave, le dirigeant des Feuillants monarchistes, la mairie de Paris (Bailly) et la Garde nationale dirigée par La Fayette s'unirent pour réprimer le mouvement populaire. Près de 200 personnes, dont Camille Desmoulins, furent emprisonnées à la suite de cette manifestation, Danton s'enfuit en Angleterre pour échapper à la prison. Le camp révolutionnaire commençait à se fracturer. La rupture était consommée entre le mouvement populaire et certains dirigeants de l'Assemblée.

Document : Publication de la loi martiale au Champ de Mars : le 17 juillet 1791

Fusillade du Champ de Mars, le 17 juillet 1791. Gravure à l'eau forte et au burin de Pierre-Gabriel Berthault (1737-1831) d'après un dessin de Jean-Louis Prieur (1759-1795). Source : BnF https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40248685f


La constitution de 1791 fut adoptée par l'Assemblée constituante le 30 septembre 1791. Contrairement aux principes affirmés en 1789, la population masculine était divisée entre les citoyens « actifs » qui payaient des impôts et qui avaient le droit de vote, et les citoyens « passifs » (et les femmes) qui ne payaient pas d’impôts et n’avaient pas le droit de vote. Les premiers avaient des droits civiques et les seconds n'avaient que des droits civils. La constitution respectait la séparation des pouvoirs. Le pouvoir législatif était attribué à une assemblée législative unique élue par les citoyens actifs. Cependant, cette constitution accordait des pouvoirs très importants au pouvoir exécutif tenu par le roi : ce dernier nommait et dirigeait les ministres, il avait un droit de veto suspensif pendant quatre ans sur les lois votées par l’Assemblée et il était le commandant en chef des armées. Enfin, comme aux Etats-Unis, les juges, au nombre de 15 000, étaient également élus.

Les députés de l'Assemblée constituante (Robespierre, Barrère, Barnave, Siéyès, Talleyrand, etc.) ne pouvant se représenter aux élections à l'Assemblée législative, un nouveau personnel politique fut élu en septembre 1791.


Document : La constitution de 1791

Document : Les 745 députés élus à l’assemblée législative en septembre 1791

De gauche à droite : les jacobins (136 députés), les constitutionnels (345 députés), les feuillants (264 députés). Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Diagramme_AN_fran%C3%A7aise_1791.svg


Pourtant, à la suite de la fuite à Varennes, le discrédit du roi commençait à l’emporter, et son image à se dégrader au sein du peuple, comme le signale la gravure ci-dessous. Elle oppose l’image du « bon roi » Henri IV à celle du roi Louis XVI représenté en cochon.



Document : « Ventre saint-gris où est mon fils ? Quoi ? C’est un cochon ? ». Estampe anonyme, 1791, Paris : Musée Carnavalet. Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8411569c







1.3 La Révolution en guerre

1.3.1 Le déclenchement de la guerre

La guerre accéléra la Révolution et provoqua le passage à la république.

Le rejet de la Constitution civile du clergé par le pape, la présence d’un nombre croissant de nobles émigrés et contre-révolutionnaires aux frontières nord-est de la France suscitaient l’inquiétude des révolutionnaires. Les nobles émigrés bénéficiaient en outre du soutien des monarchies traditionnelles, l’Espagne, l’Autriche, le Piémont qui voyaient la France révolutionnaire comme un danger pour elles-mêmes.

Le camp révolutionnaire, derrière les députés jacobins Brissot et Roland, était persuadé que, à l’instar de ce qui s’était passé récemment aux États-Unis, en Suisse et aux Pays-Bas, la Révolution risquait d'être menacée par une intervention étrangère. Selon eux, il fallait donc agir préventivement en déclarant la guerre aux monarchies européennes. L'objectif des Jacobins était de conquérir en priorité la Belgique et la Hollande actuelles. Le contrôle de leurs ports aurait permis de disputer la suprématie de l'Angleterre sur les mers. Seul, Robespierre (qui n'était plus député mais s'exprimait fréquemment au club des Jacobins) était contre la guerre car il craignait qu’elle ne renforce l’armée et ne donne à un général l’occasion de prendre le pouvoir. Le roi était également favorable à la guerre, mais pour des raisons opposées à celles de Brissot : il en attendait une défaite des armées françaises qui permettrait le rétablissement de la monarchie absolue. Le 12 avril 1792, la guerre fut donc déclarée par l’Assemblée législative au roi de Prusse et au roi (et futur empereur) d’Autriche.

Document : La déclaration de guerre de 1792

Louis XVI propose aux députés de l'Assemblée nationale législative de déclarer la guerre au roi de Bohême et de Hongrie (20 avril 1792). Cette proposition est votée par l’Assemblée : « L'Assemblée nationale délibérant sur la proposition formelle du roi, décrète que la guerre sera faite par la nation française au roi de Bohême et de Hongrie ». Gravure allemande de Johann Carl Bock d'après un dessin de C. Heydeloff, 1792. Source : Gallica. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84115345/12148


De nombreux volontaires affluèrent à Paris. Parmi eux, Rouget de Lisle composa la Chant de guerre pour l’armée du Rhin, vite appelé La Marseillaise. Le roi entrava les efforts militaires de son propre pays. Il opposa son veto à diverses mesures, dont la construction d’un camp militaire pour protéger Paris en cas d’invasion. En outre, les armées françaises subirent des défaites plus ou moins provoquées par des officiers, anciens nobles hostiles à la Révolution.

Le 25 juillet 1792, le manifeste de Brunswick, le général en chef de l’armée prussienne, mit le feu aux poudres. Brunswick menaçait de détruire Paris et sa population si la famille royale était mise en danger. Loin de terroriser la population parisienne, ce manifeste, qui prouvait la collusion du roi avec les armées ennemies, rendit les Parisiens encore plus déterminés. Ils exigèrent, en vain, de l’Assemblée législative qu’elle dépose le roi.


Document : Le manifeste de Brunswick, adressé aux Parisiens, 25 juillet 1792


Sa Majesté l’Empereur et Sa Majesté le roi de Prusse appellent et invitent à retourner sans délai aux voies de la raison et de la justice, de l’ordre et de la paix. C’est dans ces vues que moi, soussigné général commandant en chef des deux armées déclare :

Que les généraux, officiers, bas-officiers et soldats des troupes de la ligne française sont tous sommés de revenir à leur ancienne fidélité et de se soumettre sur le champ au roi leur légitime souverain.

Que la ville de Paris et tous ses habitants sans distinction seront tenus de se soumettre sur le champ et sans délai au roi, de mettre ce prince en pleine et entière liberté et de lui assurer, ainsi qu’à toutes les personnes royales, l’inviolabilité et le respect auxquels le droit de la nature et des gens obligent les sujets envers les souverains ; leurs Majestés impériale et royale rendant personnellement responsables de tous les évènements, sur leur tête, pour être jugés militairement sans espoir de pardon, tous les membres de l’Assemblée Nationale, du département, du district, de la municipalité et de la garde nationale de Paris, les juges de paix et tous autres qu’il appartiendra, sur leur foi et parole d’empereur et de roi.

Que si le château des Tuileries est forcé ou insulté, que s’il est fait la moindre violence, le moindre outrage à Leurs Majestés, le roi, la reine et la famille royale, s’il n’est pas pourvu immédiatement à leur sûreté, à leur conservation et à leur liberté, elles en tireront une vengeance exemplaire et à jamais mémorable en livrant la ville de Paris à une exécution militaire et à une subversion totale, et les révoltés coupables d’attentats aux supplices qu’ils auront mérités.



Document : Les sans-culottes en armes. Gouache de J.-B. Lesueur, 1793-1794, Paris, Musée Carnavalet. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sans-culottes_en_armes_-_Lesueur.jpg


1.3.2 La proclamation de la République

L'Assemblée législative refusa de déposer le roi. Aussi, le 10 août 1792, les sans-culottes de Paris (terme au départ péjoratif désignant le peuple parisien d’artisans et de petits commerçants politisés qui portaient des pantalons et pas des culottes) organisés en Commune insurrectionnelle attaquèrent le palais des Tuileries. Au terme de combats sanglants qui firent près d'un millier de morts, ils s’emparèrent de la famille royale et la jetèrent dans la prison du Temple.

L’estampe ci-dessous ne montre pas tellement l’état physique supposé du roi mais surtout la déconsidération totale de l’image royal et de la monarchie constitutionnelle.

Document : « Louis le dernier et sa famille conduits au Temple le 13 aoust 1792 ». Estampe anonyme, Paris, BnF.


Dans les jours qui suivirent, l’avancée des armées prussienne et autrichienne provoqua la panique de la population. On apprit en outre le déclenchement de la révolte de Saint-Domingue accompagnée, elle aussi, d’atrocités. Certains députés apeurés pensèrent quitter Paris. Le 2 septembre, Danton prononça son plus célèbre discours à l'Assemblée législative où, pour galvaniser la population, il s'exclama : "Pour les vaincre, messieurs, il nous faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace, et la France est sauvée". Mais l'inquiétude se fit croissante. Entre le 3 et 6 septembre, lors des massacres de septembre, les sans-culottes massacrèrent plus d'un millier de prisonniers détenus dans les prisons parisiennes car une rumeur accusait ces derniers d’ourdir un complot contre-révolutionnaire.

L’armée française remporta une première victoire à Valmy, le 20 septembre 1792. Elle mit un coup d’arrêt définitif à la menace prussienne et autrichienne contre Paris. A l’annonce de cette victoire, le 21 septembre, lors de sa première réunion publique, la Convention abolit la royauté. Cette décision équivalait à proclamer la République qui, cependant, ne fut pas officiellement proclamée. Le député Billaud-Varenne fit décider que, à compter du 22 septembre 1792, « La Convention nationale décrète que tous les actes publics porteront dorénavant la date de l'an premier de la République française ». Certains s’attachèrent alors à rédiger un nouveau calendrier. Cette première République dura de 1792 à 1799, date de la prise de pouvoir par Bonaparte.

Document : Expédition en province du décret pris par la Convention lors de sa première séance et portant abolition de la royauté, signée par Pétion, président, Brissot et Lasource, secrétaires de séance. Source : Archives nationales, AE/II/1316. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:D%C3%A9cret_de_la_Convention_abolissant_la_Royaut%C3%A9,_21_septembre_1792.png


Transcription : « DÉCRET de l’Assemblée nationale du vingt et un septembre 1792. L’an quatrième de la Liberté.

La convention nationale décrète à l’unanimité que la royauté est abolie en France. Collationné à l’original par nous, Président et Secrétaires de la convention nationale à Paris, le 22 septembre 1792, l’an premier de la république française.  (signé) Pétion, Brissot, Lasource»



La Convention, la nouvelle assemblée qui se réunit à partir du 21 septembre 1792, remplaçait l’Assemblée législative. Celle-ci n’avait plus lieu d’être après la déchéance du roi qui rendait caduque la constitution de 1791. La Convention était une assemblée unique exerçant à la fois le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif et dont le rôle était de rédiger la constitution du régime républicain. Mais surtout, les députés de la Convention avaient été élus au suffrage universel masculin au début du mois de septembre 1792. Cependant, moins de 10 % du corps électoral avait voté car le scrutin n'avait put se tenir dans les territoires envahis par les armées étrangères et parce que, ailleurs, la lassitude et la peur avaient découragé les électeurs. Cette convention était dominée par les députés girondins (Brissot, Vergniaud, Rolland, Condorcet), libéraux et proches de la bourgeoisie d’affaire, et les députés montagnards (Danton, Marat, Robespierre, Saint-Just, Camille Desmoulins), qui devaient leur nom au fait qu’ils siégeaient sur les bancs situés en haut de la Convention. Ces derniers étaient plus proches du peuple et des sans-culottes. Girondins et Montagnards étaient tous issus du club des Jacobins, mais la montée des périls avais mis en évidence leurs divisions. Cependant, la majorité des députés était centriste (regroupés dans la Plaine ou le Marais, dont les députés, comme Siéyès, étaient surnommés les "crapauds" par leurs opposants). Le Marais soutint les girondins dans un premier temps puis les montagnards dans un second temps.

Document : Les 749 députés de la Convention nationale élus en septembre 1792

De gauche à droite : les Montagnards (200 députés), le Marais (389 députés), les Girondins (160 députés). Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:French_National_Convention,_1792.svg





La vie politique se structura autour de la rivalité entre la Convention et la Commune de Paris, émanation des 48 sections de Paris (l'équivalent des vingt arrondissements de Paris actuels) au sein desquelles le peuple de Paris débattait démocratiquement, votait des motions et cherchait à influencer les votes de la Convention. Deux pouvoirs, dont l'une était subordonné à l'autre, coexistaient. La Convention, émanation d'une démocratie représentative, était composée de députés issus de milieux favorisés, plus ou moins favorables au peuple, élus par les citoyens de tout le pays. En revanche, la Commune, incarnation d'une démocratie directe, était animée par des sans-culottes parisiens qui représentaient le groupe révolutionnaire le plus avancé et qui avaient mené l'assaut contre les Tuileries le 10 aout 1792. Leur objectif n'était pas de prendre le pouvoir, mais de faire pression sur la Convention pour qu'elle adopte des mesures favorables au peuple. Les deux pouvoirs connurent une situation d'équilibre émaillée de graves tensions, de l'automne 1792 au printemps 1794. Puis la Convention l'emporta et mit fin au mouvement populaire.

La première grande affaire de la Convention fut le procès du roi, entre le 10 décembre 1792 et le 20 janvier 1793. Les députés débattirent tout d'abord de la possibilité de juger le roi. La découverte de "l'armoire de fer" aux Tuileries, renfermant des documents et de lettres échangées entre le roi et les émigrés massés au frontières, convainquit tous les députés de sa trahison et de la nécessité de le juger. La Convention, transformée en tribunal, condamna le roi à mort. Plus précisément, 691 députés le jugèrent coupable et 387 votèrent la peine de mort, contre 334. Il s’agissait de faire disparaître un symbole plus qu’un homme, comme l’expliqua Robespierre : « Il faut que Louis meure parce qu'il faut que la patrie vive ». Le roi fut exécuté le 21 janvier 1793 sur l'actuelle place de la Concorde. Cette exécution, perçue comme une déclaration de guerre à toutes les monarchies, fut l’une des raisons de l’entrée en guerre de l’Angleterre le 1er février 1793, aux côtés des autres monarchies européennes dans le cadre de la première coalition. Mais la principale raisons de l'entrée en guerre de l'Angleterre fut l'invasion de la Belgique puis de la Hollande par les troupes françaises qui menaçaient alors directement les intérêts commerciaux britanniques.

La situation de la Révolution devint très difficile : il fallait développer l’effort de guerre contre les puissances européennes coalisées, mais aussi contre de nombreuses révoltes qui éclatèrent en même temps en France, notamment contre les recrutements forcés dans l’armée.


2. Intermède : de l’exécution du roi à la fin de la Révolution (1793-1799)

Le programme de CM1 fait l’impasse sur les événements qui se déroulèrent entre l’exécution du roi et l’arrivée au pouvoir de Bonaparte en 1799. Je vais prendre le risque de résumer très grossièrement cette période pourtant essentielle de la Révolution.


2.1. Vers la Convention montagnarde

Au printemps 1793, comme nous le savons, la Convention était dominée par les Girondins soutenus par les députés du centre. Mais ils semblèrent vite incapables de prendre des mesures fortes pour préserver la Révolution face aux ennemis extérieurs et intérieurs. Les Vendéens se révoltèrent contre la levée des 300 000 hommes décidée le 24 février 1793 par la Convention pour aller combattre les puissances coalisées. Les paysans vendéens ne souhaitaient pas défendre la Révolution qui leur avait peu apporté. En effet, la bourgeoisie urbaine avait racheté la plus grande partie des biens nationaux de la région et les avait ainsi empêché d'en acquérir et d'agrandir leurs exploitations agricoles. Cette révolte, au départ populaire et dirigée par le voiturier Cathelineau, fut captée ensuite par les monarchistes (Charette, La Rochejacquelin). Les Vendéens constituèrent une véritable armée qui s'empara de toutes les villes de la "Vendée militaire" (nord du département de la Vendée, sud-ouest du département du Maine-et-Loire, sud du département de la Loire inférieure) mais échoua devant Nantes.

En même temps, en raison des troubles et de la guerre, le prix des subsistances ne cessait d'augmenter à cause de l'inflation. En effet, pour régler les frais de la guerre, la Convention fit imprimer de plus en plus d'assignats, dans des proportions sans commune mesure avec la valeur des biens nationaux censés garantir leur valeur. En conséquence, la valeur réelle des assignats s'effondra. Attachés au libéralisme économique, les Girondins refusaient le contrôle des prix des denrées, ce qui rendait encore plus difficile la situation du peuple des villes.

Au printemps 1793, les porte-paroles des sans-culottes étaient ceux que l'on appelait les Enragés, Jacques Roux (un ancien prêtre), Théophile Leclerc et Jean Varlet, ainsi que Claire Lacombe, la dirigeante de la Société des femmes révolutionnaires. Ils étaient issus d'un milieu aisé et avaient bénéficié d'une bonne instruction mais ils connaissaient la misère et vivaient parmi les pauvres de la section des Gravilliers, dans le nord de Paris. Ils critiquaient la bourgeoisie, y compris la bourgeoisie révolutionnaire, et réclamaient la réquisition des profits des profiteurs de guerre et de ceux qui spéculaient sur les prix des produits alimentaires.

Les sans-culottes parisiens, regroupés au sein de la Commune de Paris et dirigés par les Enragés, envahirent la Convention et imposèrent l’élimination des Girondins le 30 mai et le 2 juin 1793. Désormais, la Convention fut dirigée durant une année par les Montagnards, dont les chefs étaient Robespierre et Danton, et bénéficiant du soutien des députés du Marais. Aussitôt après leur prise du pouvoir, les Montagnards exigèrent de la Commune qu'elle se débarrasse des Enragés qui leur avaient permis de prendre le pouvoir, au prétexte que Jacques Roux avaient tenu un discours trop virulent contre la vie chère devant la Convention. Ce dernier fut jeté en prison, y resta de longs mois et se suicida le 10 février 1794 pour échapper à la honte de la comparution devant le Tribunal révolutionnaire. Il ne voulait pas être assimilé aux contre-révolutionnaires qui y étaient habituellement jugés. Hébert, un démagogue proche des Montagnards, qui avait contribué à la liquidation des Enragés, se positionna désormais comme le porte-parole des sans-culottes, notamment avec son journal Le père Duchesne. Il s'efforça de canaliser le mouvement populaire. Il lança à cet effet, en septembre 1793 le mouvement de la déchristianisation qui correspondait cependant à un souhait profond des sans-culottes hostiles à l'Eglise : fermetures d'églises, mascarades anti-religieuses, transformation d'un grand nombre de noms de lieux portant un nom de saint, etc.

Au même moment, sous la pression populaire, le Maximum des prix fut voté par la Convention, le 29 septembre 1793 : le prix des denrées ne pouvait dépasser un prix maximum fixé par la loi. Cette mesure coercitive était un moyen d'assurer la subsistance du peuple en limitant autoritairement l'inflation.

Le 24 juin 1793, la Convention, conformément à son mandat originel, avait élaboré une nouvelle constitution, dite de l'an II ou de 1793. Cette constitution était très courte et reste un texte fondamental de la démocratie sociale et politique. Cependant, elle fut suspendue en attendant le retour à la paix, et ne fut jamais appliquée.

Parallèlement, de nombreux députés girondins, ayant fui Paris en juin 1793, poussèrent de nombreuses régions à se soulever dans le cadre de la révolte dite "fédéraliste". En effet, au nom de la liberté politique et économique, les Girondins étaient hostiles à la centralisation parisienne. Ils défendaient l'idée d'une nation composée d'une fédération de provinces, un peu sur le modèle américain. Dès lors, une grande partie de la France (la Vendée, Lyon, Toulon et près de 60 départements au total) échappa à l’autorité de Paris, comme l'indique la carte ci-dessous.

Source : Hors-série du journal Le Monde, 2009.


De fait, les victoires et les défaites eurent une profonde incidence sur le cours de la Révolution. Les défaites contraignaient la bourgeoisie révolutionnaire à faire des concessions au mouvement populaire pour bénéficier de son engagement contre les ennemis de la Révolution, les victoires militaires renforçaient la bourgeoisie révolutionnaire et conduisaient à un assouplissement des mesures révolutionnaires. La perte de Longwy et de Verdun en août 1792 renforcèrent la Commune de Paris, la prise de Toulon par les Anglais le 27 août 1793 préluda à la mise en place du maximum des prix exigé par les sans-culottes. A l'automne 1793, la situation militaire se retourna : Lyon fut reprise le 9 octobre 1793, les Vendéens furent écrasés le 17 octobre et Toulon fut reprise par Bonaparte le 19 décembre. Dès lors les sans-culottes perdirent leur rôle moteur dans la Révolution car le Comité de salut public avait moins besoin d'eux. Les députés de la Convention, toujours méfiants à l'égard du mouvement populaire, décidèrent d'affaiblir la Commune de Paris en lui retirant ses forces de police le 4 décembre 1793.


2.2. La défense de la Révolution

Face aux menaces, il fut nécessaire de prendre des mesures fortes pour sauver la Révolution. Aujourd'hui encore, les historien.nes débattent de la pertinence du terme de "Terreur". Le 5 septembre 1793, les sans-culottes parisiens avaient exigé de mettre "la terreur à l'ordre du jour". Par la suite, la période qui s'écoula de mars 1793 à juillet 1794, fut nommée la Terreur. Pour certain·es historien·nes, cette période ne fut pas celle de la "Terreur" car elle ne fut jamais mise officiellement à l’ordre du jour. Ce terme, qui désigne une politique centralisée, appliquée impitoyablement par un dictateur, Robespierre, aurait surtout été une invention de ses collègues du Comité de Salut public pour justifier leur coup d'Etat contre Robespierre en juillet 1794. Cependant, l'adoption de mesures très fortes à partir de septembre 1793 avait effectivement pour objectif d'inspirer la terreur aux ennemis de la Révolution.

Ces mesures très fortes furent imposée par la Convention montagnarde qui, de mai 1793 à juillet 1794, avait organisé un « gouvernement révolutionnaire », constitué de plusieurs instances émanant de la Convention qui restait l'organe central du pouvoir, comme l'indique le schéma ci-dessous. Le Comité de sureté générale (dont fit partie le peintre David) se chargeait d'arrêter les suspects. Le statut de suspect avait été défini par la "loi des suspects", le 17 septembre 1793. Le Tribunal révolutionnaire (dirigé par Fouquier-Tinville) jugeaient les "suspects" qui étaient considérés comme des traitres à la nation : les girondins, des aristocrates mais aussi des femmes (Olympe de Gouges, Madame Rolland, Marie-Antoinette). Du 6 avril 1793 à mars 1794, le Tribunal révolutionnaire jugea 1 425 personnes et condamna à mort 624 d'entre elles. Les autres acquittées. Le Comité de salut public (présidé par Robespierre) exerçait le pouvoir exécutif sous le contrôle de la Convention. Il lui incomba de prendre des mesures radicales sous la pression des sans-culottes, sur le plan économique (contrôle du prix "maximum" des denrées et du montant des salaires par la loi du 29 septembre 1793) et sur le plan militaire (organisation d’une économie de guerre, enrôlements massifs de soldats par "la levée en masse" décidée par la loi du 23 août 1793).

Contrairement à ce qui se dit souvent, La Convention montagnarde ne s'est pas résumée en une dictature du Comité de salut public présidé par Robespierre. Le terme de Convention désigne ici l'ensemble des instances qui émanaient de l'Assemblée et qui étaient composées de députés élus en septembre 1792. Le pouvoir législatif était donc central et la Convention était très démocratique dans son principe.


Encadré : les douze membres du Comité de salut public (les "Douze")

Robespierre (1758-1794) : direction du Comité de salut public, liaison avec la Convention et le club des Jacobins

Barrère (1755-1841) : instruction publique et diplomatie

Billaud-Varenne (1756-1819) : correspondance avec les représentants en mission

Carnot (1753-1823) : armées et stratégie militaire

Collot d'Herbois (1749-1796) : correspondance avec les représentants en mission

Couthon (1755-1794) : politique générale (proche de Robespierre)

Hérault de Séchelles (1754-1794) : diplomatie (auxiliaire de Barrère)

Jeanbon Saint-André (1749-1813) : en mission dans les départements

Lindet (1746-1825) : ravitaillement

Prieur de la Côte-d'Or (1763-1832) : armement (auxiliaire de Carnot)

Prieur de la Marne (1756-1827) : en mission dans les départements

Saint-Just (1767-1794) : missions auprès des armées du Nord et du Rhin (proche de Robespierre)

Document : J.-B. Lesueur, cinq militants révolutionnaires, 1793.

Sous chaque personnage, de g. à d. :

« Terroriste Jacobin exaltant le Journal de Marat. »

« Enragé Patriote. Ces hommes exaltés par la lecture du Journal de Marat, alloient criant qu’il faloit tuer tous les Aristocrates et les Riches. »

« Terroriste lisant un Journal, et mécontent de ce qu’il contient. »

« Jacobin réfléchissant sur la manière de gouverner la france. »

« Terroriste du temps de Robespierre payé pour susciter des querelles et occasioner des arrestations. » 

Document : le plan de Paris sous la Convention. Source: hors-série du journal Le Monde, 2009


Pour gagner le soutien de la population et l’attacher à l’idée républicaine, des mesures de bienfaisance furent prises en faveur des pauvres, des paysans, et de l’école, par les "décrets de Ventôse", les 26 février et 3 mars 1794 (8 et 13 ventôse an II). A cette occasion, Saint-Just, député proche de Robespierre, prononça deux discours célèbres qui constituèrent par la suite la référence de toute république sociale.


Document : extraits de discours de Saint-Just

"La force des choses nous conduit peut-être à des résultats auxquels nous n'avions point pensé. L'opulence est entre les mains d'un assez grand nombre d'ennemis de la Révolution, les besoins mettent le peuple qui travaille dans la dépendance de ses ennemis. Concevez-vous qu'un empire puisse exister si les rapports civils aboutissent à ceux qui sont contraires à la forme du gouvernement ? " (Discours du 8 ventôse an II)


"Le bonheur est une idée neuve en Europe" (Discours du 13 ventôse an II)


N’oublions pas l’abolition de l’esclavage, le 4 février 1794 (16 pluviôse an II) dans toutes les colonies (sauf la Martinique occupée par els Anglais), décision prise en lien avec la guerre civile qui ravageait alors le territoire de Saint-Domingue.


Document : La loi abolissant l'esclavage, 4 février 1794

"La Convention nationale déclare que l'esclavage des nègres dans toutes les colonies est aboli ; en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français et jouissent de tous els droits assurés par la Constitution".


Le 26 octobre 1793 fut adopté le calendrier révolutionnaire destiné à désacraliser le temps. Il commençait le 22 septembre 1792, le premier jour de la République et il était composé de 12 mois dont les noms furent créés par Fabre d’Églantine (l’auteur de la chanson « il pleut, il pleut bergère ») en lien avec les saisons. Il resta en vigueur jusqu'en 1806.


Document : Le calendrier républicain, en usage de 1793 à 1806

Les mesures extrêmes sauvèrent la Révolution qui parvint à résorber les guerres civiles en France (y compris au prix de nombreux massacres en Vendée) et qui remportèrent des victoires à l'extérieur. Les représentants en mission envoyés en province par le Comité de salut public jouèrent à cet égard un rôle décisif. Saint-Just, représentant en mission auprès des armées, parvint à galvaniser les armées révolutionnaires. En revanche, parmi ces représentants en mission, quelques affairistes commirent des atrocités sous couvert de défense de la Révolution : Carrier à Nantes, Fouché à Lyon, Barras à Toulon. La menace extérieure fut définitivement repoussée grâce aux victoires militaires de juin 1794, notamment la victoire de Fleurus, le 26 juin 1794, qui permit de prendre ensuite Bruxelles et Anvers.

Dès lors, les mesures extrêmes semblaient moins nécessaires, d’autant plus que Robespierre avait perdu le soutien des sans-culottes en neutralisant, à sa gauche, les Enragés puis en faisant exécuter le 4 germinal an II (24 mars 1794) les Hébertistes qui réclamaient davantage de mesures contre la vie chère dont souffrait le peuple. Le même jour parut un nouveau maximum "allégé" qui fit augmenter le prix des denrées au détriment des conditions de vie du peuple. A sa droite, Robespierre fit également exécuter le 16 germinal an II (5 avril 1794) ses alliés compromis dans des malversations de la Compagnie des Indes et partisans de l'indulgence envers les ennemis de la révolution (les "Indulgents" : Danton, Camille Desmoulins, Fabre d'Eglantine). La veille de son exécution, Danton aurait déclaré : "Si encore je pouvais donner mes jambes à Couthon [qui était infirme] et mes couilles à Robespierre, tout irait encore très bien... ". Sur l'échafaud, le 5 avril 1794, il aurait dit au bourreau : "Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut bien la peine". Désormais, dépourvu du soutien populaire des sans-culottes et du soutien des députés de la Convention favorables à Danton, le gouvernement révolutionnaire ne pouvait se maintenir que par la répression brutale : du 11 juin au 27 juillet, le Tribunal révolutionnaire prononça 796 condamnations à mort, soit 26 exécutions par jour en moyenne. La guillotine fut alors déplacée de la place de la Révolution (place la Concorde) à la place du Trône (place de la Nation) pour déporter aux limites de Paris l'odeur écœurante du sang qui en résultait. Parallèlement, la fête en l'honneur de l'Etre suprême fut célébrée à Paris le 8 juin 1794 sous l'autorité de Robespierre.

Selon l'historienne Annie Jourdan, certains montagnards (Barrère, Carnot, et des techniciens membres du gouvernement révolutionnaire et hostiles au peuple) et certains députés du Marais inventèrent alors de le terme de « Terreur » pour discréditer Robespierre qu'ils présentèrent comme un dictateur, alors qu'ils l'avaient toujours soutenu jusqu'alors. Maintenant que les armées révolutionnaires avaient éloigné la menace des puissances étrangères avec la victoire de Fleurus notamment, ils souhaitaient mettre fin au régime de contrainte pour que le commerce puisse reprendre dans un marché libéré des contraintes du maximum des prix. Dans le même ordre d'idées, le 21 juillet 1794, fut adopté à Paris un nouveau Maximum des salaires qui abaissait ces derniers. La hausse des prix et la baisse des salaires jetaient les sans-culottes dans la misère et contribuèrent à l'enrichissement de la bourgeoisie révolutionnaire. Robespierre fut donc renversé par un coup d'Etat mené par ses collègues du Comité de salut public le 9 thermidor an II (27 juillet 1794) et exécuté le lendemain. Le 10 thermidor, 109 montagnards furent exécutés, dont Robespierre, Saint-Just et Couthon. Les sans-culottes, déçus par Robespierre et la Convention montagnarde, ne réagirent pas. Dans toute la France, les partisans des montagnards furent alors pourchassés et massacrés.

Dès lors, les jeunes gens de la bourgeoisie se vengèrent de l'austérité imposée par le mouvement populaire depuis deux ans. Les "incroyables" et les "merveilleuses" s'habillèrent de vêtements extravagants et donnèrent des fêtes somptueuses alors que le peuple de Paris mourrait littéralement de faim. Parmi eux, les "muscadins" contre-révolutionnaires manièrent le gourdin contre les révolutionnaires.

Document : J.-B. Lesueur, Sept personnages féminins (après 1794). Musée Carnavalet.

Sous chaque personnage, de g. à d. :

« N° 11/Muscadine s’hyvernant au Palais-Royal. »

« Cheveux en vrille et spincer ouvert. »

« Chapeau de tafetas plissé, et gance d’or. »

« 21/Poissarde »

« Femmes à l’antique, avec les Rubans croisés. »

« Jeune Marchandes des Halles. » 




Document : J.-B. Lesueur, Misère et pénurie à Paris, entre 1794 et 1796 Musée Carnavalet, Histoire de Paris. Source : https://www.parismuseescollections.paris.fr/es/node/111723#infos-principales



2.3. La réaction politique : le Directoire

Les membres de la Convention (les députés du Marais ainsi que certains montagnards qui avaient changé de camp au moment opportun, tels que Carnot, Fouché, Barras) rédigèrent la Constitution de l’an III (octobre 1795), celle du Directoire, une république conservatrice revenue au suffrage censitaire. Ce régime politique obéissait à des principes inverses de ceux de la Convention : suffrage censitaire, séparation des pouvoirs, bicamérisme (Conseil des cinq-cents, Conseil des anciens), morcellement du pouvoir exécutif exercé par cinq directeurs.




Document : La constitution de l'an III (1795)





















Depuis lors, dans le champ des sciences politiques, le vocable de "Thermidor" est synonyme de l'arrêt d'une révolution par certains de ceux qui y avaient participé, et de la répression brutale du mouvement révolutionnaire. Ce nouveau régime chercha à établir une forme de stabilité politique en réduisant les libertés, en mettant fin aux lois sociales et en rétablissant la liberté des prix et du marché (le Maximum fut totalement aboli le 9 décembre 1794), en réprimant alternativement le mouvement populaire et la menace royaliste par la mise en place d'un appareil policier très efficace. Une alliance classique de libéralisme économique et répression politique. Le mouvement populaire, épuisé par plusieurs années de guerre civile et de combats politiques, affaibli par la misère et par la faim (le retour au libéralisme économique avait provoqué une hausse considérable du prix des denrées), s'étiola rapidement. La dernière émeute de la faim, du 20 au 23 mai 1795, fut violemment réprimée et marqua la fin du mouvement sans-culotte. En 1797, la "conjuration des Egaux" qui visait le renversement du gouvernement et le retour à la constitution de 1793 fut déjouée et son dirigeant, Gracchus Baboeuf, considéré comme le premier communiste de l'histoire, fut guillotiné.

Parallèlement, la guerre civile en France se poursuivait. Si la révolte des Vendéens avait été écrasée lors de la bataille de Savenay en décembre 1793, les troubles se poursuivirent dans l'ouest de la France avec la chouannerie. Afin d'échapper au service militaire obligatoire instauré par la loi Jourdan du 5 septembre 1798, des jeunes gens prirent le maquis et gonflèrent les effectifs des royalistes.

En outre, le Directoire se maintint au pouvoir par une série de coups d'Etat. En effet, la constitution de l'an III prévoyait le renouvellement par tiers des assemblées, chaque année. Lors des élections de 1797, les royalistes remportèrent les élections dans les deux assemblées. Pour éviter de perdre le pouvoir, les Directeurs dirigés par Barras, firent arrêter par l'armée les principaux chefs royalistes qui furent déporté au bagne en Guyane, surnommé "la guillotine sèche", lors du coup d'Etat du 18 fructidor an V (4 septembre 1797). Les nouvelles élections donnèrent l'avantage aux Jacobins nostalgiques de la Terreur. Certains d'entre eux furent alors arrêtés par l'armée lors du coup d'Etat du 22 floréal an VI (11 mai 1798). Ce régime se maintenant donc en place par des coup d'Etat militaire qu'il commanditait lui-même.

Le rôle de l'armée s'accrut encore grâce aux victoires militaires remportées aux Pays-Bas et en Italie en 1796. Les généraux victorieux, parmi lesquels Bonaparte, créèrent dans les territoire conquis les « Républiques-sœurs » proclamées avec l'aide de patriotes locaux et associées à la République française.



Document : Les républiques sœurs. Source: Jean-Marc Schiappa, La Révolution française 1789-1799. Librio, 2005.























Les soldats révolutionnaires de 1792-1793 d'étaient mués en soldats professionnels dévoués à leurs généraux plutôt qu'à la Révolution. Le pillage des territoires conquis permettait de renflouer le budget de la France et faisait dépendre la survie du régime de la bonne volonté des généraux. Les anciens députés du Marais, et notamment Siéyès, firent alors appel à Bonaparte, rendu très populaire par ses victoires en Italie et en Égypte, pour réaliser un nouveau coup d'Etat afin d'instituer un régime plus fort et plus stable. Bonaparte prit le pouvoir par le coup d’État du 18 et 19 brumaire an VIII (9 et 10 novembre 1799). Le 19 brumaire, Bonaparte et ses soldats envahirent le corps législatif pour prendre le pouvoir. Cet événement marque traditionnellement la fin de la Révolution.

Document : Séance du Conseil des Cinq-Cents tenue à St Cloud le 19 brumaire an huit : les braves grenadiers du corps législatif en sauvant Buonaparte ont sauvé la France, par Jean-Baptiste MORRET. Encre sur papier, 1799. © BnF

Source: https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/iconographie/seance-du-conseil-des-cinq-cents-tenue-a-st-cloud-le-19-brumaire-an-huit-les-braves-grenadiers-du-corps-legislatif-en-sauvant-buonaparte-ont-sauve-la-france/




3. De la Révolution à l’Empire

Le régime politique mis en place par Napoléon Bonaparte constitue un problème historique : cette dictature militaire d'apparence monarchique marquait-elle un retour à l'Ancien Régime ou bien marquait-elle une forme de stabilisation de l'héritage révolutionnaire ?


3.1 Le Consulat 1799-1804

3.1.1 L’instauration du Consulat

Après le coup d’État des 18 et 19 Brumaire an VIII, Bonaparte mit en place le Consulat avec Siéyès (ancien élu du Tiers état en 1789, de la Convention et du Directoire) et Ducos (ancien élu de la Convention et du Directoire). Le Consulat fut instauré par la constitution du 4 nivôse de l’an VIII (26 décembre 1799). A cette occasion, les trois consuls proclamèrent la fin de la Révolution :


Les consuls de la République aux Français : Une constitution vous est présentée. Elle fait cesser les incertitudes que le Gouvernement provisoire mettait dans les relations extérieures, dans la situation intérieure et militaire de la République. Elle place dans les institutions qu'elle établit les premiers magistrats dont le dévouement a paru nécessaire à son activité. La Constitution est fondée sur les vrais principes du Gouvernement représentatif, sur les droits sacrés de la propriété, de l'égalité, de la liberté. Les pouvoirs qu'elle institue seront forts et stables, tels qu'ils doivent être pour garantir les droits des citoyens et les intérêts de l'Etat. Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie.


Document : Proclamation des Consuls de la République du 24 frimaire an VIII (15 décembre 1799). Source : documentation photographique n°8141, p. 61.


En apparence, cette constitution était démocratique car le suffrage universel masculin était restauré. Mais les électeurs n’élisaient que des listes de candidats à partir desquelles les membres des assemblées législatives étaient désignés par les sénateurs, eux-mêmes désignés par le premier consul. Le pouvoir législatif était réparti entre trois assemblées au pouvoir réduit et qui se neutralisaient réciproquement. Le pouvoir exécutif était partagé entre trois consuls dont le plus important était le premier consul, c’est-à-dire Bonaparte. Les deux autres consuls, Siéyès et Ducos dans un premier temps, Cambacérès et Lebrun ensuite, n’avaient qu’un rôle consultatif. Les pouvoirs de Bonaparte étaient très étendus : il dirigeait l’armée, il exécutait les lois, il nommait aux principales fonctions publiques, il pouvait proposer des lois. Une innovation importante fut celle du plébiscite (l'ancêtre de nos referendums) consistant à consulter directement les citoyens sur des modifications de la constitution.


Document : La constitution de l’an VIII (le consulat) et de l’an XII (Empire) Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Constitution_an_VIII_et_le_Empire_Francais.png





Document : Portrait de Napoléon Bonaparte en costume de premier consul en 1802, par Antoine-Jean Gros. Source : https://fr.vikidia.org/wiki/Fichier:Bonaparte_premier_consul.png




















De fait, le consulat était une dictature militaire féroce. Très vite, une soixantaine de journaux d’opposition furent interdits, des milliers d'opposants politiques furent emprisonnés ou exilés. Entre 1800 et 1802, près de 3 000 personnes furent condamnées à mort. Le ministère de la police générale se trouvait sous l’autorité de Fouché (1759-1820), ancien prêtre et ancien membre de la Convention montagnarde, qui avait violemment réprimé la révolte de Lyon en 1793. Ce dernier joua un rôle essentiel dans le contrôle des oppositions et de la population en général (police secrète, contrôle du courrier de la presse, arrestations arbitraires, etc.). Dans une célèbre lettre adressée plus tard à Fouché, Napoléon, devenu alors empereur, montrait clairement son mépris pour la liberté de la presse :


Document : lettre adressée par Napoléon à Fouché le 22 avril 1805

Stupinigi, 22 avril 1805

A M. Fouché

Monsieur Fouché, les journaux se plaisent, dans toutes les circonstances, à exagérer le luxe et les dépenses de la cour, ce qui porte le public à faire des calculs ridicules et insensés. Il est faux que le château de Stupinigi soit si magnifique ; il est meublé avec d’anciens meubles, que des serviteurs zélés du roi avaient cachés et qu’ils se sont empressés de restituer après le sacre. Faites faire des articles détaillés sur cet objet. On pourra même en tirer parti pour faire sentir l’amélioration de l’esprit public dans ce pays. Faites vérifier qui a fait mettre dans les journaux que M. Saliceti avait reçu un présent de 200 000 francs du gouvernement génois ; ce fait n’est point à ma connaissance, et, fût-il vrai, les journaux n’auraient pas dû le publier, à moins qu’il ne leur ait été communiqué de Gènes.

Réprimez un peu plus les journaux ; faites-y mettre de bons articles. Faites comprendre aux rédacteurs du Journal des Débats et du Publiciste que le temps n’est pas éloigné où, m’apercevant qu’ils ne me sont pas utiles, je les supprimerai avec tous les autres, et n’en conserverai qu’un seul ; que, puisqu’ils ne me servent qu’à copier les bulletins que les agents anglais font circuler sur le continent, qu’à faire marcher, sur la foi de ces bulletins les troupes de l’empereur de Russie en Pologne, à contremander le voyage de l’empereur d’Autriche en Italie, à l’envoyer en Courlande pour avoir une entrevue avec l’empereur de Russie, puisqu’ils ne me servent qu’à cela, je finirai par y mettre ordre. Mon intention est donc que vous fassiez appeler, les rédacteurs du Journal des Débats, du Publiciste, de la Gazette de France, qui sont, je crois, les journaux qui ont le plus de vogue, pour leur déclarer que, s’ils continuent à n’être que les truchements des journaux et des bulletins anglais, et à alarmer sans cesse l’opinion, en répétant bêtement les bulletins de Francfort et d’Augsbourg sans discernement et sans jugement, leur durée ne sera pas longue ; que le temps de la révolution est fini, et qu’il n’y a plus en France qu’un parti ; que je ne souffrirai jamais que les journaux disent ni fassent rien contre mes intérêts; qu’ils pourront faire quelques petits articles où ils pourront montrer un peu de venin, mais qu’un beau matin on leur fermera la bouche. Il faut avoir bien peu de discernement pour ne pas voir qu’en annonçant que les empereurs d’Allemagne et de Russie vont s’aboucher, une pareille nouvelle ne peut que faire un mauvais effet ; que, pour la donner, il faut qu’elle soit sûre ; que celle de la marche des Russes en Pologne ne peut pas faire un meilleur effet ; et ce n’est point ni à Augsbourg ni à Francfort qu’ils auront des sûretés là-dessus, puisque cela est fait exprès.


Mais c’est vraiment en 1802 que la Consulat rompit avec la dimension émancipatrice de la Révolution. Après avoir signé la Paix d'Amiens avec l'Angleterre et à l’issue d’un plébiscite, Bonaparte obtint le consulat à vie. A cette occasion, il se débarrassa des derniers députés contestataires du corps législatif. Surtout, il mit fin à l’idéal universaliste et égalitaire de la Révolution française en rétablissant l’esclavage dans les colonies.

L’opposition à l’instauration de cette dictature fut assez réduite car la population était épuisée par dix années de conflits.


3.1.2 Le retour précaire à la paix

L’une des premières actions de Bonaparte fut de rétablir la paix en France et en Europe. Dans l’ouest de la France, il parvint à obtenir la capitulation des chefs royalistes dès 1800. Pour mettre fin au conflit religieux hérité de la Constitution civile du clergé de 1790, il signa en 1801 le Concordat avec le pape Pie VII, officialisé par la loi du 18 germinal an X (8 avril 1802), en vigueur entre 1802 et 1905 (sauf en Alsace-Moselle où il est encore en vigueur aujourd'hui). Le concordat confirmait tout d’abord la liberté de culte en France. Les édifices religieux étaient mis par l'Etat à la disposition des curés et des évêques. Ces derniers étaient rémunérés par l’État à conditions qu’ils prêtent un serment de fidélité au gouvernement. Les conditions du Concordat furent étendues ensuite aux cultes protestant et juif.

Sur le plan extérieur, après avoir battu les Autrichiens à Marengo (14 juin 1800), Bonaparte conclut le traité de Lunéville (9 février 1801) avec les Autrichiens puis le traité d’Amiens (25 mars 1802) avec le Royaume-Uni. La France était en paix pour la première fois depuis dix ans, ce qui conféra une popularité encore plus grande à Bonaparte. Il s'arrogea alors le titre de Consul à vie.

Cependant, ce retour à la paix fut partiel. Bonaparte rétablit l’esclavage dans les colonies en 1802 et envoya un corps expéditionnaire à Saint-Domingue pour y restaurer l’autorité de la France. L’armée française fut vaincue par une armée composée d’anciens esclaves. Saint-Domingue devint indépendante en 1804 sous le nom d’Haïti. Cet échec cuisant conduisit Bonaparte à se désengager de l’Amérique du nord et à vendre la Louisiane aux Américains en 1803. Le rétablissement de l'esclavage (aboli en 1794) constitue bien entendu une grave atteinte aux valeurs révolutionnaires de liberté et d'égalité.

Document : Loi du 30 floréal an X (20 mai 1802) sur la traite des Noirs et le régime des colonies, Centre des Archives d'Outre-Mer. © WikimediaCommons, Sejan-Travail personnel, CC BY-SA 3.0

Source : Atlas de la France. Les atlas de l’Histoire, L’Histoire n° 390, août 2013, p. 87.


La logique répressive toucha également la classe ouvrière naissante, avec le livret ouvrier institué le 12 avril 1803. Dès qu’il changeait d’emploi et de domicile, ce qui arrivait fréquemment, un ouvrier devait faire viser son livret par le maire de la commune et indiquer à ce dernier le lieu où il se rendait. On pouvait également indiquer les raisons pour lesquelles l’ouvrier quittait son emploi. S’il était chassé de son emploi pour mauvaise conduite, fait de grève, etc., il avait du mal à retrouver un emploi. La police et la gendarmerie pouvaient contrôler ce livret en permanence et repérer les fortes têtes. Sans livret, un ouvrier pouvait être considéré comme un vagabond et emprisonné. Ce livret permit donc de contrôler et de réduire à l’obéissance la classe ouvrière naissante. Il ne fut aboli qu’à la fin du XIXe siècle.

3.1.3 Le rétablissement de l’autorité de l’État : les « masses de granit »

Sous le Consulat furent créés en l’espace de deux années des institutions dont la plupart perdurent encore aujourd'hui. Destinées à stabiliser la société à l'issue de la Révolution, elles furent nommées les Masses de granit.

Sur le plan financier, la Banque de France fut créée en 1800. Cette banque privée avec le soutien du gouvernement consentait des avances financières à l’État en attendant la rentrée des impôts. En 1803, elle obtint le monopole de l’émission des billets de banque qui étaient convertibles en or. Le Franc, monnaie créée en 1795, devint une monnaie bimétallique définie par un poids en argent (1 Franc = 5 g d’argent) et en or (1 Franc = 0,322 g d’or) selon un rapport de 1 à 15 entre l’argent et l’or. Les pièces de 20 francs et de 40 Francs étaient en or, les autres pièces en argent. Ce bimétallisme fut fixé par la loi du 17 germinal an XI (7 avril 1803). C’est pourquoi l’on a appelé cette monnaie le Franc germinal, dont le cours demeura globalement inchangé jusqu’en 1914. Ces mesures permirent le rétablissement des finances de l’État et la relance de l’économie.




La loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) réorganisa les institutions locales. L’arrondissement remplaça le district, la commune fut maintenue, le canton fut créé (encore aujourd’hui, il s’agit d’une circonscription électorale pour élire les conseillers départementaux), ainsi que l'arrondissement géré par un sous-préfet. Le département fut maintenu. La nouveauté est que, au niveau de la commune et du département se trouvaient une assemblée élue (conseil municipal et conseil général) et un fonctionnaire nommé (le maire et le préfet). Le préfet, création de Bonaparte était l’élément nouveau et essentiel de cette réforme. Nommé par le premier consul, le préfet dirigeait le conseil général et administrait le département. Il était l’intermédiaire entre chaque ministre et le département. Il informait également les ministres de la situation dans le département. Personnage central du département, le préfet était le principal rouage de la centralisation administrative.


Document : La Circulaire du 21 Ventôse an VIII (17 février 1800) envoyée par le ministre de l'intérieur Lucien Bonaparte au préfets, dite Circulaire de Breugnot


Vous êtes appelé à seconder le gouvernement dans le noble dessein de restituer la France à son antique splendeur, d'y ranimer ce qu'elle a jamais produit de grand et de généreux, et d'asseoir enfin ce magnifique édifice sur les bases inébranlables de la liberté et de l'égalité (…). Vous n'aurez point à administrer au gré des passions ou des caprices d'un gouvernement versatile, incertain de son existence, inquiet sur sa durée (…). La Révolution est finie : une ligne profonde sépare à jamais ce qui est de ce qui a été (…). Le Gouvernement ne voit en France que (…) des Français. Il doit protection à tous, repos à tous (…), bonheur à tous (…).Votre premier soin doit être de détruire sans retour dans votre département l’influence morale des événements qui nous ont trop longtemps dominés. Faites que les passions haineuses cessent, que les ressentiments s’éteignent, que les souvenirs douloureux s'effacent (…). Ralliez tous les cœurs dans un sentiment commun, l'amour de la patrie (…). Les méchants et les ineptes sont seuls exclus de la confiance et de l'estime du Gouvernement (…). Dans vos actes publics, et jusque dans votre conduite privée, soyez toujours le premier magistrat du département, jamais l'homme de la révolution (…). Vos attributions sont multipliées; elles embrassent tout ce qui tient à la fortune publique, à la prospérité nationale, au repos des administrés. On veut la guerre ? Eh bien ! secondez, hâtez, pressez de tous vos efforts l'exécution des lois rendues sur la conscription (…). Vous devez à la fois faire concourir toutes les mesures qui doivent hâter le moment de la paix (…). A la tête de ces mesures, je place la prompte rentrée des contributions ; leur acquittement est aujourd’hui un devoir sacré(…). Vous surveillerez avec sévérité toutes les caisses de votre département. De longs abus dans le maniement des deniers publics ont excités une juste défiance (…). La répression de tous les abus administratifs vous appartient (…). Aimez, honorez les agriculteurs. Protégez le commerce, sa liberté de peut avoir d’autre borne que l’intérêt de l’État. Visitez les manufactures (…). Encouragez les arts qui sont les fruits les plus heureux de la civilisation (…). Vous savez que la facilité des communications est l'un des premiers besoins de l'agriculture et du commerce (…), vous aurez à vous en occuper sans relâche (…). Occupez -vous de la génération qui monte : donnez des soins à l'éducation publique. Formez des hommes, des citoyens, des Français(…). Vos succès feront la gloire du gouvernement et la prospérité publique deviendra votre récompense. L'influence de vos travaux peut être telle que dans quelque mois le voyageur, en parcourant votre département, dise avec douce émotion : Ici, administre un homme de bien. Aidez donc le gouvernement à rendre à la France cette splendeur et surtout ce bonheur qu’elle n’aurait jamais dû perdre.




Les lycées (de garçons) furent créés par la loi du 1er mai 1802. Ils devaient former l’élite militaire et administrative nécessaire au régime. Il fut ouvert à l’origine un lycée par département. Ces lycées étaient des internats où régnait une discipline militaire afin d’inculquer l’obéissance et la discipline militaire aux enfants des classes dirigeantes.






















La loi du 19 mai 1802 créa l’ordre de la légion d’honneur, décoration récompensant un fait militaire ou un fait civil d’exception. Cet ordre conduisit à établir une distinction entre les citoyens. La cérémonie de remise de la légion d’honneur rétablit l’apparat de l’Ancien Régime : les récipiendaires se présentèrent à genoux devant Bonaparte assis sur un fauteuil ressemblant à un trône.

Document : Jean-Baptiste Debret. Première distribution de décorations de la légion d’honneur dans l’église des Invalides, le 14 juillet 1804. 1812. Versailles, Musée de l’histoire de France



Une mesure essentielle fut la rédaction du Code civil promulgué le 27 mars 1804. Ce texte est essentiel puisqu’il organise encore aujourd’hui les relations sociales, même si un grand nombre d’articles ont été actualisés à plusieurs reprises depuis deux siècles, en fonction de l’évolution de la société. Le Code civil rassemblait en un seul document les 36 lois votées par les assemblées du Consulat en 1803 et 1804, pour former au total 2 281 articles. Il venait compléter le Code pénal promulgué en 1791. Il unifiait toutes les règles juridiques sur le territoire français et fixait par écrit les décisions de la Révolution portant sur l’organisation de la société. Il fixait l’égalité entre tous les citoyens jouissant des mêmes droits (art. 8), il fixait les conditions d’accès à la citoyenneté française qui relavait de la notion de citoyenneté universelle (art. 9, 10, 12). Cependant, le Code civil défendait une vision hiérarchique et inégalitaire de la société, notamment dans le cadre des relations entre le mari et sa femme (art. 212 à 216 et 1421). Si le droit au divorce était maintenu (il avait été instauré en 1792, il fut supprimé en 1816 puis rétabli en 1884), les conditions n’étaient pas les mêmes pour l’homme et la femme (art. 229 et 230). De même les enfants devaient obéissance à leur père qui pouvait les faire emprisonner s’il le jugeait bon (art. 371 à 377). Ces relations hiérarchiques existaient également dans les entreprises où, en cas de conflit sur les salaires par exemple, le patron était toujours cru sur parole (art. 1781). Bien entendu, ces dispositions n’existent plus dans le Code civil actuellement en vigueur.


Document : Le Code civil des Français, 1804 (extraits)


8. Tout Français jouira des droits civils.

9. Tout individu né en France d’un étranger, pourra, dans l’année qui suivra l’époque de sa majorité, réclamer la qualité de Français ; pourvu que, dans le cas où il résiderait en France, il déclare que son intention est d’y fixer son domicile, et que, dans le cas où il résiderait en pays étranger, il fasse sa soumission de fixer en France son domicile, et qu’il l’y établisse dans l’année, à compter de l’acte de soumission.

10. Tout enfant né d’un Français en pays étranger, est Français. Tout enfant né, en pays étranger, d’un Français qui aurait perdu la qualité de Français, pourra toujours recouvrer cette qualité, en remplissant les formalités prescrites par l’article 9.

12. L’étrangère qui aura épousé un Français, suivra la condition de son mari.

212. Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance.

213. Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari.

214. La femme est obligée d’habiter avec le mari, et de le suivre partout où il juge à propos de résider : le mari est obligé de la recevoir, et de lui fournir tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie, selon ses facultés et son état.

215. La femme ne peut ester en jugement sans l’autorisation de son mari, quand même elle serait marchande publique, ou non commune, ou séparée de biens.

216. L’autorisation du mari n’est pas nécessaire lorsque la femme est poursuivie en matière criminelle ou de police.

229. Le mari pourra demander le divorce pour cause d’adultère de sa femme.

230. La femme pourra demander le divorce pour cause d’adultère de son mari, lorsqu’il aura tenu sa concubine dans la maison commune.

371. L’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère.

372. Il reste sous leur autorité jusqu’à sa majorité ou son émancipation.

373. Le père seul exerce cette autorité durant le mariage.

374. L’enfant ne peut quitter la maison paternelle sans la permission de son père, si ce n’est pour enrôlement volontaire, après l’âge de dix-huit ans révolus.

375. Le père qui aura des sujets de mécontentement très-graves sur la conduite d’un enfant, aura les moyens de correction suivans.

376. Si l’enfant est âgé de moins de seize ans commencés, le père pourra le faire détenir pendant un temps qui ne pourra excéder un mois ; et, à cet effet, le président du tribunal d’arrondissement devra, sur sa demande, délivrer l’ordre d’arrestation.

377. Depuis l’âge de seize ans commencés jusqu’à la majorité ou l’émancipation, le père pourra seulement requérir la détention de son enfant pendant six mois au plus ; il s’adressera au président dudit tribunal, qui, après en avoir conféré avec le commissaire du Gouvernement, délivrera l’ordre d’arrestation ou le refusera, et pourra, dans le premier cas, abréger le temps de la détention requis par le père.

1421. Le mari administre seul les biens de la communauté. Il peut les vendre, aliéner et hypothéquer sans le concours de la femme.

1781. Le maître est cru sur son affirmation, Pour la quotité des gages ; Pour le paiement du salaire de l’année échue ; Et pour les à-comptes donnés pour l’année courante.



Le Code civil s’appliqua à tous les territoires annexés alors par la France (les actuelles Belgique et Rhénanie). Il fut par la suite imposé, malgré des résistances, aux pays incorporé dans le Grand Empire (Allemagne, Pologne, Italie actuelles). Il ne fut en revanche pas appliqué dans les colonies de l’époque puisque l’esclavage y avait été rétabli en 1802.

Les limites de l'Empire français en 1811 ("la France des 130 départements")

Source : Georges Duby (dir.). Atlas historique Larousse. Paris, Larousse , p. 118.

Ces nouvelles institutions (Banque de France et franc germinal, préfet, légion d’honneur, lycée et Code civil) furent qualifiées par Bonaparte en 1802, de « masses de granit ». Cette expression montre qu’elles visaient le renforcement durable de l’héritage de la Révolution par des institutions solides et durables. Ces institutions devaient également souder entre elles et avec le pouvoir les différentes parties de la société, mais surtout les élites qui étaient concernées par elles.


3.2 Le premier Empire 1804-1815

3.2.1 Le couronnement de Napoléon

La Constitution de l’an VIII (le Consulat) octroyait le pouvoir à Bonaparte en tant que premier consul pour dix ans. En 1802, Bonaparte fit voter par le Sénat le Consulat à vie qui fut validé par un plébiscite de tous les citoyens. Le 11 frimaire an XIII (2 décembre 1804), Napoléon et sa femme Joséphine furent sacrés empereur et impératrice. Désormais devenu un souverain, Napoléon était appelé par son seul prénom. La Constitution de l’an VIII n’évolua qu’à la marge puisque le titre d’empereur résultait de la transformation de la fonction de consul en consul à vie (réforme de 1802, après la signature de la Paix d'Amiens) puis en consul héréditaire (réforme de 1804), créant ainsi une dynastie impériale. Le passage à l’Empire fut voté par le Sénat le 28 floréal an XII (18 mai 1804) et approuvé par plébiscite le 2 août 1804 par 3 521 675 « oui » et 2 579 « non ». Ce résultat signale que Napoléon devait la légitimité de son pouvoir à la souveraineté nationale et il montre également à quel point les oppositions politiques étaient muselées.

Il est utile d’analyser le déroulement de la cérémonie du sacre pour comprendre la nature du pouvoir de Napoléon. Pour cela, il est habituel d’analyser le tableau du sacre réalisé par David (celui-là même qui avait commencé à peindre le Serment du jeu de paume en 1789).


Jacques-Louis David: Le couronnement de Napoléon. 1808. Huile sur toile, 979 cm x 621 cm. Paris, Musée du Louvre. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jacques-Louis_David,_The_Coronation_of_Napoleon.jpg

Pour un commentaire détaillé : https://histoire-image.org/etudes/sacre-napoleon


Cette cérémonie mixa plusieurs traditions. Dans la tradition de la monarchie de droit divin, Napoléon reçut l’onction du Saint-Chrême, et arborait les regalia : épée, manteau, main de justice et sceptre. En outre, exactement au centre du tableau de David, se trouve la croix, qui affirme la prééminence de la religion catholique. Il conviendrait également de décrire l’apparat de la cérémonie, la place de la famille Bonaparte et des généraux qui sont ainsi présentés comme les piliers du nouveau régime. Mais le sacre eut lieu dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, et pas à Reims, et le sacre fut réalisé par le pape Pie VII lui-même, à l’image du sacre de Charlemagne à Rome en 800. L’affirmation de l’héritage carolingien est essentielle puisque Napoléon n’est pas un roi mais un empereur et il prétendait, par ses conquêtes militaires, ressusciter l’Empire de Charlemagne. Enfin, le titre du tableau ne correspond pas à l’action représentée : il représente le couronnement de Joséphine et non pas celui de Napoléon. En fait, Napoléon s’était couronné lui-même quelques instants auparavant. Il montrait ainsi qu’il ne devait son pouvoir qu’à lui-même et surtout pas à Dieu, comme le montre cette esquisse de David.





Document : L’empereur Napoléon se couronnant lui-même. Dessin de David. Paris, Musée du Louvre. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:David_-_L%27Empereur_Napoleon_se_couronnant_lui-meme.png











Ce fait renvoie à la légitimité de la Révolution française. En effet, Napoléon devait son pouvoir à un vote du Sénat et au vote des citoyens. Officiellement, son pouvoir émanait donc de la souveraineté nationale (quoiqu’un peu manipulée). En outre, Napoléon prononça le serment du sacre par lequel il s’engageait à faire respecter l’intégrité du territoire de la République, le concordat, la liberté et l’égalité des citoyens, de respecter le consentement à l’impôt. Il stabilisait de cette manière, du moins officiellement et en apparence, les acquis de 1789. Cette cérémonie montre donc bien les ambiguïtés du régime du Premier Empire : une monarchie issue d’une dictature militaire et policière, stabilisant durablement les principaux acquis de la Révolution.


Document : Le serment prononcé par Napoléon lors de la cérémonie du sacre

« Je jure de maintenir l'intégrité du territoire de la République, de respecter les lois du Concordat et de la liberté des cultes ; de respecter et de faire respecter l'égalité des droits, la liberté politique et civile, l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux ; de ne lever aucun impôt, de n'établir aucune taxe qu'en vertu de la loi ; de maintenir l'institution de la Légion d'honneur ; de gouverner dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français ».


3.2.2 L’Empire de Napoléon

Il n’est pas le lieu ici de raconter précisément le déroulement de l'histoire de l’Empire de Napoléon.

Signalons d’une part que les tendances monarchiques s’exacerbèrent progressivement avec la création d’une cour impériale et d’une noblesse impériale. Les titres de noblesse étaient attribués au mérite par l’empereur ou achetés très cher par la nouvelle bourgeoisie. En outre, en 1810, après avoir répudié Joséphine de Beauharnais qui ne lui avait pas donné d’héritier, Napoléon épousa Marie-Louise d’Autriche et devint membre par alliance d’une grande famille régnante d’Europe, celle de l'empereur d'Autriche.

Sous l'Empire, les tendances répressives s'accentuèrent encore. Par le décret du 5 février 1810, les imprimeurs et la presse furent étroitement contrôlés et censurés.

A partir de 1805, l’Empire fut presque constamment en guerre contre le reste de l’Europe. A Austerlitz (le 2 décembre 1805, jour anniversaire de son couronnement), Napoléon l’emporta sur les Autrichiens. A Iéna, en 1806, il l’emporta sur les Prussiens. Il affronta ensuite l’armée russe à Eylau et à Friedland en 1807. Napoléon imposa à toute l’Europe le Blocus continental destiné à empêcher le commerce avec la Grande-Bretagne, la seule puissance invaincue, et de ruiner son économie (en fait, c’est plutôt l’inverse qui se produisit). Ces victoires lui permirent d’attaquer l’Espagne par laquelle il espérait envahir le Portugal, allié des Britanniques. Cette guerre contre tout un peuple fut émaillée d’atrocités dont le peintre Francisco Goya rendit compte avec ses tableaux (El dos de Mayo et El tres de Mayo), et surtout ses eaux fortes sur les Malheurs de la guerre. L’armée française s’embourba dans ce conflit qui affaiblit considérablement l’Empire.


Francisco de Goya, El tres de mayo, 1814. Madrid, Musée du Prado










L’occupation par l’armée française de l’Espagne eut pour effet les révolutions et les guerres d’indépendance de l’Amérique espagnole au début des années 1810.

Une nouvelle guerre éclata, qui se solda par la victoire de Wagram sur les Autrichiens en 1809. Dès lors l’Empire connut son extension maximale. Les territoires annexés constituaient « la France des 130 départements » où le code civil français s’appliquait. La Confédération du Rhin, l’Italie et de Grand duché de Varsovie étaient des protectorats sous occupation militaire. La Russie et l’Autriche étaient des alliées. Cette situation explique par exemple la différence d’appréciation de la Révolution française entre les Français et les Allemands aujourd’hui. Pour nous, elle fut un événement positif qui apporta à tous la liberté et l’égalité. La perception des Allemands est très négative car la Révolution est pour eux synonyme de massacres et d’occupation militaire.


Source : Atlas de la France. Les atlas de l’Histoire, L’Histoire n° 390, août 2013, p. 85.

En juin 1812, Napoléon, à la tête de la Grande Armée composée de 600 000 hommes, attaqua la Russie. Son armée parvint en hiver dans Moscou livrée aux flammes par les Russes appliquant la politique de la terre brûlée. A partir de ce moment, l’armée impériale ne cessa de reculer, battue lors de la campagne de Prusse en 1813 puis lors de la campagne de France en 1814. Napoléon fut exilé à l’île d’Elbe et la monarchie fut restaurée en France avec l’intronisation de Louis XVIII, frère de Louis XVI. Napoléon revint en France à l’occasion des Cent jours, puis fut battu par une coalition dirigée par Wellington à Waterloo, le 18 juin 1815 (fort opportunément, un autre 18 juin nous permet d’occulter cette défaite). Napoléon fut exilé à l’île d’Elbe, dans l’Atlantique sud, où il mourut en 1821.


Conclusion

La période de la Révolution et de l’Empire a marqué une accélération de l’histoire. Elle a vu le renversement radical de l’ordre ancien autoritaire et inégalitaire et l’émergence d’une société nouvelle fondée sur les valeurs de liberté et d’égalité juridique qui sont toujours les nôtres aujourd’hui.

Cette période est passionnante également car elle montre que, à plusieurs reprises, les acteurs de l’époque se trouvèrent confrontés à différents possibles et que leurs décisions impulsèrent un cours des choses qui aurait pu être fort différent.


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