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  • Sujet possible : Henri IV et l'édit de Nantes / le respect d'autrui

    Par Didier Cariou, Maitre de conférence HDR en didactique de l'histoire à l'université de Brest Épreuve écrite d’application Domaine histoire, géographie, enseignement moral et civique Composante histoire (13 points) 1. Vous enseignez en classe de CM1. Vous préparez une séquence d’apprentissage portant sur Henri IV et l’édit de Nantes. En vous aidant de vos connaissances et du dossier documentaire (documents 2 à 9), indiquez les savoirs qui devront être construits avec les élèves à l’occasion de cette séquence. 2. Présentez une séquence sur Henri IV et l’édit de Nantes. Indiquez le titre de chaque séance de la séquence en indiquant les compétences travaillées par les élèves et les documents que vous utiliseriez dans chaque séance. Choisissez un document du dossier documentaire, indiquez sa place dans une séance et présentez son exploitation pédagogique précise. Composante EMC (7 points) 3. A partir de la lecture de l’article 2 de l’édit de Nantes, vous engagez un débat avec les élèves de. votre classe de CM1 au sujet du respect d’autrui. Expliquez comment vous amenez les élèves à réfléchir aux conditions selon lesquelles l’article 2 pourrait s’appliquer à une situation de notre époque. 4. Quelles valeurs peuvent être mobilisées avec les élèves, et de quelle manière, pour penser cette situation ? Document 1 : Extrait de la fiche EDUSCOL, classe de CM1, Thème 2 : le temps des rois Henri IV et l’édit de Nantes De même que « l’âge d’or capétien » avait débouché sur l’instabilité de la « guerre de Cent Ans » mettant aux prises les royaumes de France et d’Angleterre, la France d’après François Ier a connu les « guerres de religion » (8 conflits de 1562 à 1598). Elles témoignent à la fois de l’ampleur des conflits religieux entre protestants et catholiques et du rôle considérable que joue la noblesse dans la marche du royaume. Ce sont des clans qui s’affrontent ; Henri de Navarre, successeur d’Henri III, est protestant et ne peut arriver finalement à imposer son autorité à un royaume déchiré par la guerre civile qu’avec sa conversion au catholicisme. Henri IV met fin aux guerres de religion avec l’édit de Nantes en 1598, qu’il aura bien du mal à faire admettre. Les historiens reconnaissent sa valeur pacificatrice mais en relativisent également la portée. S’il s’agit bien d’un « édit de tolérance », il ne s’agit pas ici de la tolérance dans son sens actuel de valeur. Dans le langage du temps, « tolérer » c’est supporter quelque chose. Les protestants ont la liberté de conscience et doivent être traités comme les autres sujets du roi, mais le culte protestant n’est autorisé que dans certains lieux, alors que le culte catholique doit être rétabli partout où il avait disparu. Le protestantisme est ainsi cantonné ; les protestants obtiennent des « places de sûreté », places fortes pour garantir leur sécurité, qu’ils achèveront de perdre une trentaine d’années plus tard. La monarchie sacrée a pu extorquer un traité aux protagonistes, mais elle repose toujours clairement sur une base catholique. Henri IV incarne un équilibre fragile, ce qui lui vaut d’être assassiné en 1610 par Ravaillac. Document 2 : Frans Hogenberg, L’assassinat du roi Henri III par le moine Jacques Clément, le 1er août 1589. Estampe, XVIe siècle, BNF. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jacques_Cl%C3%A9ment.jpg Document 3 : Anonyme,  Henri IV à la bataille d’Arques contre les Ligueurs, le 21 septembre 1589.  Huile sur bois, vers 1590. Versailles, Musée de l’histoire de France Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Henri_IV_%C3%A0_la_bataille_d%27Arques_21_septembre_1589.jpeg Commentaire : Henri IV est reconnaissable à son écharpe blanche et à son panache blanc, signe de ralliement de ses partisans contre les Ligueurs. Document 4 : Jean Le Clerc, Les entre-paroles du manant dé-ligué et du maheustre , gravure, 1594. Paris, BNF. Source : https://histoire-image.org/etudes/henri-iv-premier-roi-mediatique-histoire-france Commentaire : La Ligue catholique est représentée sous la forme d’une vieille femme qui montre son vrai visage en quittant le masque de l’hypocrisie. Le manant (paysan) lui tourne le dos et salue le maheustre (nom attribué aux soldats partisans du roi Henri IV), comme le montre son écharpe blanche (symbole des partisans du roi). Derrière ce dernier, une pluie céleste apporte en abondance des épis de blé. Document 5 : Anonyme, Le sacre de Henri IV dans la cathédrale Notre-Dame de Chartres, le 24 février 1594 . Gravure. Paris, BNF. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sacre_Henri4_France_01.jpg Document 6 : Toussaint Dubreuil (1561-1602), Henri IV en Hercule terrassant l'hydre de Lerne ( c'est-à-dire la Ligue catholique). Huile sur toile, 91 x 74 cm. Musée du Louvres. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Henry_IV_en_Herculeus_terrassant_l_Hydre_de_Lerne_cad_La_ligue_Catholique_Atelier_Toussaint_Dubreuil_circa_1600.jpg Document 7 : Le texte de l’édit de Nantes (extraits), 30 avril 1598 (le jour de l’Ascension) 1. Premièrement, que la mémoire de toutes choses passées d'une part et d'autre, depuis le commencement du mois de mars 1585 jusqu'à notre avènement à la couronne et durant les autres troubles précédents et à leur occasion, demeurera éteinte et assoupie, comme de chose non advenue. Et ne sera loisible ni permis à nos procureurs généraux, ni autres personnes quelconques, publiques ni privées, en quelque temps, ni pour quelque occasion que ce soit, en faire mention, procès ou poursuite en aucunes cours ou juridictions que ce soit. 2. Défendons à tous nos sujets, de quelque état et qualité qu'ils soient, d'en renouveler la mémoire, s'attaquer, ressentir, injurier, ni provoquer l'un l'autre par reproche de ce qui s'est passé, pour quelque cause et prétexte que ce soit, en disputer, contester, quereller ni s'outrager ou s'offenser de fait ou de parole, mais se contenir et vivre paisiblement ensemble comme frères, amis et concitoyens, sur peine aux contrevenants d'être punis comme infracteurs de paix et perturbateurs du repos public. 3. Ordonnons que la religion catholique, apostolique et romaine sera remise et rétablie en tous les lieux et endroits de cestui notre royaume et pays de notre obéissance où l'exercice d'icelle a été intermis [ interrompu ] pour y être paisiblement et librement exercé sans aucun trouble ou empêchement. Défendant très expressément à toutes personnes, de quelque état, qualité ou condition qu'elles soient, sur les peines que dessus, de ne troubler, molester ni inquiéter les ecclésiastiques en la célébration du divin service, jouissance et perception des dîmes, fruits et revenus de leurs bénéfices, et tous autres droits et devoirs qui leur appartiennent; et que tous ceux qui, durant les troubles, se sont emparés des églises, maisons, biens et revenus appartenant auxdits ecclésiastiques et qui les détiennent et occupent, leur en délaissent l'entière possession et paisible jouissance, en tels droits, libertés et sûretés qu'ils avaient auparavant qu'ils en fussent dessaisis. Défendant aussi très expressément à ceux de ladite religion prétendue réformée [ la religion protestante ] de faire prêches ni aucun exercice de ladite religion ès églises, maisons et habitations desdits ecclésiastiques. 9. Nous permettons aussi à ceux de ladite religion faire et continuer l'exercice d'icelle en toutes les villes et lieux de notre obéissance où il était par eux établi et fait publiquement par plusieurs et diverses fois en l'année 1596 et en l'année 1597, jusqu'à la fin du mois d'août, nonobstant tous arrêts et jugements à ce contraires. 13. Défendons très expressément à tous ceux de ladite religion faire aucun exercice d'icelle tant pour le ministère, règlement, discipline ou instruction publique d'enfants et autres, en cestui notre royaume et pays de notre obéissance, en ce qui concerne la religion, fois qu'ès [ en dehors des ] lieux permis et octroyés par le présent Édit (…). Source : http://www.museeprotestant.org Document 8 : La France religieuse à l’époque de l’édit de Nantes Source: https://museeprotestant.org/notice/le-protestantisme-sous-ledit-de-nantes/ Document 9 : Gaspar Bouttats, Assassinat d’Henri IV par Ravaillac , gravure, fin XVIIe siècle. Londres, National Portrait Gallery. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Assassination_of_Henry_IV_by_Gaspar_Bouttats.jpg Commentaire : le carrosse largement ouvert, sans escorte royale, est bloqué par une charrette de foin et un haquet de vin. Ravaillac, poignard en main, prend appui sur un rayon de la roue et s'apprête à donner le coup fatal.  Document 10 : Extrait du programme d’EMC, cycle 3 (2020) Attendus de fin de cycle - Respecter autrui : Accepter et respecter les différences dans son rapport à l’altérité et à l’autre Avoir conscience de sa responsabilité individuelle Adopter une attitude et un langage adaptés dans le rapport aux autres Tenir compte du point de vue des autres - Partager et réguler des émotions, des sentiments dans des situations et à propos d’objets diversifiés, mobiliser le vocabulaire adapté à leur expression. Tout au long du cycle 3, le respect par les élèves des adultes et des pairs fait l’objet d’une attention particulière, notamment les atteintes à la personne d’autrui. Les élèves doivent adapter leur attitude, leur langage et leur comportement au contexte scolaire. Ils respectent les biens personnels et collectifs dans la classe, dans l’école et l’établissement. Ils comprennent la notion de bien commun. Ils adoptent un comportement responsable envers eux-mêmes, envers autrui et envers l’environnement, des espaces familiers aux espaces plus lointains. Dans des situations concrètes, ils sont invités à comprendre la valeur de l’engagement moral. Dès lors qu’ils disposent d’un accès individuel aux outils numériques de l’école et l’établissement, les élèves sont invités à utiliser le numérique de manière responsable, conformément au cadre donné par la charte d’usage du numérique. Ils sont sensibilisés aux enjeux et aux dangers relatifs à l’usage des réseaux sociaux. Proposition de corrigé Composante histoire (13 points) 1. Vous enseignez en classe de CM1. Vous préparez une séquence d’apprentissage portant sur Henri IV et l’édit de Nantes. En vous aidant de vos connaissances et du dossier documentaire (documents 2 à 9), indiquez les savoirs qui devront être construits avec les élèves à l’occasion de cette séquence. Le programme de la classe de CM1 nous conduit à étudier « Henri IV et l’édit de Nantes », inclus dans le le thème 2 « Le temps des rois ». Il s’agit de comprendre comment Henri de Navarre, prince protestant, succède à Henri III, assassiné par un moine catholique fanatique, à la fin des guerres de religion, et se convertit au catholicisme pour accéder au trône. Il affronte les forces catholiques fanatiques de la Ligue et parvient à mettre fin aux guerres de religion avec l’édit de Nantes de 1598 qui tolère ponctuellement la présence des protestants dans certains lieux. Henri IV est à son tour assassiné par un catholique fanatique en 1610. Le dossier documentaire qui nous est proposé permet de retracer l’histoire de ce règne centré autour de l’édit de Nantes. Document 2 : L’assassinat du roi Henri III par le moine Jacques Clément, le 1er août 1589. Dans le contexte des guerre de religion, le roi Henri III était accusé par les membres de la Ligue catholique de mener une politique trop conciliante envers les protestants. C’est pourquoi le moine catholique fanatique Jacques Clément assassina le roi Henri III. Document 3 : Henri IV à la bataille d’Arques contre les Ligueurs Henri de Navarre, prince protestant, était l’héritier le plus proche du roi Henri III, mort sans enfants. Le nouveau roi Henri IV fut obligé de conquérir militairement une grande partie du royaume aux mains de la Ligue catholique qui voulait détruire les protestants. Lors de ces batailles, Henri IV portait une écharpe blanche et un panache blanc à son chapeau, en tant que signe de ralliement, selon le célèbre slogan prêté à Henri IV (mais inventé au siècle suivant !) : « Ralliez-vous à mon panache blanc, vous trouverez le chemin de la victoire et le l’honneur ». Le blanc devint alors la couleur des rois des France. Document 4 : Les entre-paroles du manant dé-ligué et le maheustre Cette gravure de propagande royale montre un paysan, ancien soutien de la Ligue catholique (« dé-Ligué »), qui tourne le dos à la vieille femme incarnant la Ligue et présentée comme une hypocrite. Le paysan salue un cavalier qui arbore l’écharpe blanche de Henri IV. L’épée au fourreau montre que ce dernier vient en paix et son cheval majestueux incarne la richesse et la force du cavalier. Derrière ce dernier, une pluie céleste apportant des épis des blé. Le message politique est clair : en acceptant la souveraineté de Henri IV, les paysans retrouveront la prospérité. Document 5 : Le sacre de Henri IV à Chartres, le 24 février 1594. Pour imposer définitivement son autorité dans tout le royaume, Henri IV devait se faire sacrer pour montrer à tous son onction divine, après s’être converti au catholicisme. Il fut sacré en 1594 mais dans la cathédrale de Chartres et pas dans celle de Reims, encore aux mains des Ligueurs. Ce type de gravure sert à la propagande royale : largement diffusée, elle montre à tout le monde que le roi est désormais sacré et qu’il faut lui obéir. Document 6 : Henri IV en Hercule terrassant l’hydre de Lerne Ce tableau représente la victoire finale de Henri IV sous les traits d’un Hercule (vêtement grec et massue en bois) ayant réalisé l’un de ses douze travaux : terrasser l’hydre de Lerne, un serpent mythologique monstrueux à plusieurs têtes dont chaque tête repoussait une fois coupée. Ce tableau relève également de la propagande royale car il montre le pouvoir quasiment surnaturel du roi qui a été capable de terrasser la Ligue catholique. Document 7 : Extraits de l’édit de Nantes, 30 avril 1598 Alors que Henri IV venait de vaincre le dernier prince ligueur, le duc de Mercoeur, en Bretagne, il établit l’édit de Nantes, texte considéré comme marquant l’achèvement des guerres de religion. Les articles 1 et 2 intiment l’ordre aux magistrat et au peuple de ne plus évoquer la mémoire de ce conflit et interdisent tout conflit public ayant trait aux guerres de religion. Cette obligation de l’oubli est très rare, elle intervient souvent à l’issue de guerres civiles qui ont creusé des fractures très fortes dans une société. Les articles 3 et 4 indiquent la nature de la « tolérance » dont bénéficie désormais la religion protestante (la « RPR »). La religion catholique doit être rétablie partout. La religion protestante ne pourra s’exercer que dans les lieux où elle s’exerçait en 1596-1597 et nulle part ailleurs. L’exercice de la religion protestante est donc sévèrement réglementé et limité. Document 8 : la carte de la France religieuse en 1598 Cette carte indique les lieux où l’exercice de la religion protestante est autorisé par l’édit de Nantes, principalement dans l’ouest et le sud-ouest. Document 9 : Assassinat de Henri IV par Ravaillac En 1610, Henri IV est à son tour assassiné à Paris par un catholique fanatique, Ravaillac. Cet assassinat est à rapprocher de celui de Henri III (doc. 2). Ces deux régicides sont les seuls de toute l’histoire de France, ils montrent le vacillement du pouvoir royal à l’occasion des guerres de religion, alors que le sacre est sensé protéger les rois de France contre ce désagrément (porter atteinte au roi sacré, c’est porter atteinte à Dieu lui-même). 2. Présentez une séquence sur Henri IV et l’édit de Nantes. Indiquez le titre de chaque séance de la séquence en indiquant les compétences travaillées par les élèves et les documents que vous utiliseriez dans chaque séance. Choisissez un document du dossier documentaire, indiquez sa place dans une séance et présentez son exploitation pédagogique précise . Compétences travaillées : Se repérer dans le temps : construire des repères historiques Raisonner, justifier une démarche et les choix effectués Comprendre un document Pratiquer différents langages Problématique générale : Comment Henri IV est-il parvenu à mettre fin aux guerre de religion ? Séance 1 : le contexte de l’arrivée au pouvoir de Henri IV Rappel : Quelques années après le règne de François Ier, la France subit une terrible guerre civile opposant les catholiques aux protestants (qui ne reconnaissent pas que le roi est une personne sacrée) : les guerres de religion, entre 1562 et 1598. Document 2 : l’assassinat de Henri III par un moine catholique fanatique en 1589. Ce document permet d’expliquer le contexte de la fin des guerres de religion ; le roi tente de s’entendre avec la protestants, mais les catholiques fanatique de la Ligue veulent l’en empêcher. Henri de Navarre, prince protestant, se convertit au catholicisme pour pouvoir devenir roi de France, sous le nom de Henri IV. Document 3 : Henri IV affronte les catholiques fanatiques de la Ligue pour imposer son pouvoir. On peut évoquer le « panache blanc » du roi. Document 5 : Henri IV parvient à se faire sacrer dans la cathédrale de Chartres en 1594. Le sacre légitime son pouvoir au moment où il cherche à imposer son autorité sur le royaume. Production d’écrit possible en fin de séance : « Raconte les conditions de l’arrivée au pouvoir de Henri IV » Séance 2 : Henri IV et l’édit de Nantes Document 7 : Le texte de l’édit de Nantes (simplifié) permet de comprendre ce que signifie la « tolérance » religieuse à la fin du XVIe siècle. Document 8 : La carte permet de comprendre que les protestants sont confinés dans quelques places fortes bien identifiées. Document 9 : L’assassinat de Henri IV par le catholique fanatique Ravaillac, à mettre en parallèle avec l’assassinat de Henri III Production d’écrit possible en fin de séance : « Quels droits l’édit de Nantes accorde-t-il aux protestants » Séance 3 : Évaluation Production d’écrit à partir des deux écrits précédents : « Raconte comment Henri IV a mis fin aux guerres de religion » Étude d’un document : il est obligatoire d’étudier le texte de l’édit de Nantes L’étude du texte de l’édit de Nantes doit conduire les élèves à comprendre ce que signifie alors la notion de « tolérance » et comment Henri IV a mis fin par ce texte aux guerres de religion. L’enseignant.e présente tout d’abord le contexte historique : Henri IV vient de battre les derniers combattants de la Ligue catholique. Il peut alors régler la question religieuse par ce texte. L’enseignant.e présente aux élèves des extraits (articles 2, 3 et 9) traduits en français contemporain. Les élèves peuvent répondre aux questions par écrit en petits groupes. Article 2 : Questions : Quels sont les deux ordres donnés par Henri IV à ses sujets ? En quoi ces ordres peuvent-ils aider à mettre fin à la guerre civile dans le royaume ? Article 3 (4 premières lignes) : questions : Qu’est-ce que Henri IV ordonne dans cet article ? Pourquoi le culte catholique avait-il été parfois interrompu auparavant ? Article 9 : Questions : Qu’accorde Henri IV aux protestants ? D’après ce texte, les protestants sont-ils totalement libres dans le royaume désormais ? On peut conclure cette étude par un petit débat en classe entière sur la signification de la notion de « tolérance » en 1598, et sa différence avec la signification de cette notion aujourd’hui. Composante EMC (7 points) 3. A partir de la lecture de l’article 2 de l’édit de Nantes, vous engagez un débat avec les élèves de. votre classe de CM1 au sujet du respect d’autrui. Expliquez comment vous amenez les élèves à réfléchir aux conditions selon lesquelles l’article 2 pourrait s’appliquer à une situation de notre époque. On propose tout d’abord une version simplifiée de l’article 2 de l’édit de Nantes abordé au préalable en classe d’histoire. On l’étudie avec les élèves afin qu’ils comprennent que cet article stipule que l’on n’a plus le droit d’évoquer les guerres de religion et de se quereller à ce propos. Les sujets du roi doivent se comporter « comme frères, amis et concitoyens » pour garantir la paix et le « repos public ». On demande aux élèves si cet article pourrait toujours être appliqué aujourd’hui, dans la classe, dans la société, sur les réseaux sociaux (alors que notre société est très différente de celle de 1598). Les élèves pourraient être invités à évoquer des situations de conflit qui pourraient relever l’article 2, à expliquer en quoi elles sont inacceptables et comment le principe du respect d’autrui permet de s’opposer à ces situations de conflit (ex. : bagarre dans la cours de récréation, insultes, paroles déplacées, etc.). 4. Quelles valeurs peuvent être mobilisées avec les élèves, et de quelle manière, pour penser cette situation ? On peut évoquer ici les valeurs de la république : liberté, égalité, fraternité. La valeur à laquelle on pense ici en premier est celle de la fraternité : le respect d’autrui implique une société apaisée et un lien social fort entre les personnes. La fraternité suppose que l’on considère les autres personnes comme ses égales : le même traitement doit être accordé à tout le monde. C’est la garantie du respect d’autrui. Enfin, le respect de ces deux valeurs assure la liberté de chacun. Si chacun respecte autrui, alors la liberté d’autrui est respectée (liberté d’opinion, d’expression, d’aller et venir, etc.). Extrait du programme d’EMC (2020) : « Respecter autrui, c’est respecter sa liberté, le considérer comme égal à soi en dignité, développer avec lui des relations de fraternité. C’est aussi respecter ses convictions philosophiques et religieuses, ce que permet la laïcité ».

  • Sujet possible : François Ier et la dune de Léhan (sud Finistère)

    Par Didier Cariou, Maitre de conférences HDR en didactique de l'histoire, Université de Brest Épreuve écrite d’application Domaine histoire, géographie, enseignement moral et civique Durée 3 heures Composante histoire (12 points) 1. Vous enseignez en classe de CM1. Vous préparez une séquence d’apprentissage portant sur « François Ier, un protecteur des Arts et les Lettres à la Renaissance ». En vous aidant de vos connaissances et du dossier documentaire (documents 2 à 8), indiquez les savoirs qui devront être construits avec les élèves à l’occasion de cette séquence. 2. Présentez une séquence sur « François Ier, un protecteur des Arts et les Lettres à la Renaissance ». Indiquez le titre de chaque séance de la séquence en indiquant les compétences travaillées par les élèves et les documents (accompagné des savoirs que chaque document permet de travailler) que vous utiliseriez dans chaque séance. Choisissez un document du dossier documentaire, indiquez sa place dans une séance et présentez son exploitation pédagogique précise. Composante géographie (8 points) 3. Nous supposons que vous enseignez à l’école de Treffiagat-Lechiagat (à côté du Guilvinec, Finistère sud). Quels concepts géographiques pourraient être mobilisés pour étudier le cas de la dune de Lehan (documents 11 à 13). 4. Proposez une exploitation pédagogique des documents 12 et 13. Document 1 : Extrait de la fiche Eduscol « Thème 2 : le temps des rois » François I er , un protecteur des Arts et des Lettres à la Renaissance Le règne de François Ier (de 1515 à 1547) correspond à la période où la Renaissance gagne l’ensemble de l’Europe, où l’humanisme s’affirme et où la division religieuse de l’Europe entre catholicisme et protestantisme prend naissance. Nous sommes dans les « temps modernes » : la diffusion de l’imprimerie et les Grandes Découvertes élargissent l’horizon des Européens. Le roi lance la France dans cette dernière aventure, en l’orientant vers l’Amérique du Nord. Il n’est pas, à la différence de saint Louis, l’arbitre de l’Europe : il se heurte à l’empereur Charles Quint et ses ambitions italiennes sont contrariées. Mais dorénavant, la monarchie favorise les Arts et les Lettres, qui servent le prestige des princes de la Renaissance : Léonard de Vinci passe en France les trois dernières années de sa vie, accueilli par le roi, une Imprimerie royale est mise en place, le Collège de France est fondé en 1530, la Bibliothèque Royale, ancêtre de la Bibliothèque Nationale de France, est fondée en 1537 avec l’obligation d’y déposer un exemplaire de tout ouvrage imprimé. François Ier est un grand bâtisseur, ce dont témoigne notamment le château de Fontainebleau, lieu de résidence le plus fréquent d’une cour itinérante. Tout cela s’inscrit dans une construction progressive de l’État et une progressive unification du royaume : la Bretagne est rattachée à la France en 1532, et la célèbre ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) fait du français, remplaçant le latin, la langue officielle du droit et de l’administration. Document 2 : François Ier vers 1530 (par Jean Clouet, huile sur toile, 96 × 74 cm, Paris, musée du Louvre). Source : ttps://commons.wikimedia.org/wiki/File:François_Ier_Louvre.jpg Document 3 : François Ier à Cheval . Enluminure attribuée à Jean Clouet, vers 1540, 27 x 22 cm. BnF Cabinet des dessins. MI 1092. Source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:François_1er_attribué_à_Jean_Clouet_MI_1092.jpg?uselang=fr Document 4 : Noël Bellemare (vers 1495-1546) et François Clouet (vers 1515-1572) : François Ier, entouré de sa cour, reçoit un ouvrage de son auteur . Gouache rehaussée d’or sur vélin - 26,3 x 20,2 cm. 1534. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:BellemareClouetFrancois_ier_livre.jpg Document 5 : Vue aérienne du château de Chambord Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:ChateauChambordArialView01.jpg Document 6 : Fiorentino Rosso : Le roi garant de l’unité de l’État, fresque de la galerie François Ier du château de Fontainebleau. Crédit Photo (C) RMN-Grand Palais (Château de Fontainebleau) / Gérard Blot. Source : https://art.rmngp.fr/en/library/artworks/fiorentino-rosso_galerie-francois-ier-l-unite-de-l-etat_fresque-peinture_haut-relief_stuc Document 7 : Ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la justice (dite ordonnance de Villers-Cotterêts). Articles toujours en vigueur aujourd’hui : François, par la grâce de Dieu, roy de France, sçavoir faisons, à tous présens et advenir, que pour aucunement pourvoir au bien de notre justice, abréviation des proçès, et soulagement de nos sujets avons, par édit perpétuel et irrévocable, statué et ordonné, statuons et ordonnons les choses qui s'ensuivent. Article 110. Et afin qu'il n'y ait cause de douter sur l'intelligence desdits arrêts, nous voulons et ordonnons qu'ils soient faits et écrits si clairement, qu'il n'y ait ni puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude ne lieu à demander interprétation. Article 111. Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l'intelligence des mots latins contenus esdits arrests, nous voulons d'oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences testaments, et autres quelconques, actes et exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement. Source : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006070939 / Document 8 : La France de François Ier. Source : https://www.lhistoire.fr/carte/la-france-de-françois-ier Document 9  : Extrait du programme de géographie de la classe de CM1 (2020) (…) Les élèves découvrent ainsi que pratiquer un lieu, pour une personne, c’est en avoir l’usage et y accomplir des actes du quotidien comme le travail, les achats, les loisirs... Il faut pour cela pouvoir y accéder, le parcourir, en connaître les fonctions, le partager avec d’autres. Les apprentissages commencent par une investigation des lieux de vie du quotidien et de proximité ; sont ensuite abordés d’autres échelles et d’autres « milieux » sociaux et culturels ; enfin, la dernière année du cycle s’ouvre à l’analyse de la diversité des « habiter » dans le monde. La nécessité de faire comprendre aux élèves l’impératif d’un développement durable et équitable de l’habitation humaine de la Terre et les enjeux liés structure l’enseignement de géographie des cycles 3 et 4. Il introduit un nouveau rapport au futur et permettent aux élèves d’apprendre à inscrire leur réflexion dans un temps long et à imaginer des alternatives à ce que l’on pense comme un futur inéluctable (...). Document 10  : Extrait du programme de géographie de la classe de CM1 (2020) Thème 1 - Découvrir le(s) lieu(x) où j’habite - Identifier les caractéristiques de mon(mes) lieu(x) de vie. - Localiser mon (mes) lieu(x) de vie et le(s) situer à différentes échelles. Ce thème introducteur réinvestit la lecture des paysages du quotidien de l’élève et la découverte de son environnement proche, réalisées au cycle 2, pour élargir ses horizons. C’est l’occasion de mobiliser un vocabulaire de base lié à la fois à la description des milieux (relief, hydrologie, climat, végétation) et à celle des formes d’occupation humaine (ville, campagne, activités…). L’acquisition de ce vocabulaire géographique se poursuivra tout au long du cycle. Un premier questionnement est ainsi posé sur ce qu’est « habiter ». On travaille sur les représentations et les pratiques que l’élève a de son (ses) lieu(x) de vie. Document 11 : Extrait d’un article du journal Ouest-France du 10 novembre 2023 En Bretagne, la mer menace ces habitations : le rachat des maisons envisagé pour les détruire À Treffiagat (Finistère), chaque tempête fait courir un risque très fort de submersion à des maisons qui surplombent la mer. Les élus bigoudens se retrouvent au pied du mur : des solutions de rachat d’au moins sept maisons, pour déconstruction, seront faites prochainement. Ouest-France Publié le 10/11/2023 à 19h05 À chaque tempête, l’inquiétude enfle à la même mesure que le vent et les vagues dans le quartier de Lehan, à Treffiagat (Finistère). Ici, des maisons surplombent la plage. Mais en une décennie, la mer a gagné une bonne vingtaine de mètres sur la dune, et à chaque coup de vent, cette dernière recule.  « Sur le secteur, en dix ans, nous avons entrepris des travaux de prévention et d’urgence pour un million d’euros » explique la maire de Treffiagat, Nathalie Carrot-Tanneau. La tempête Céline, qui précédait que quelques jours Ciaran a encore mis à mal cet espace. La mer a gagné près de deux mètres. Entre ces deux épisodes, un chantier de renforcement d’urgence a eu lieu à Lehan. Bien qu’une évacuation temporaire d’une vingtaine de maisons ait été ordonnée pour assurer la sécurité des habitants, avec  Ciaran , la dune a moins souffert (...). En dix ans, un million d’euros ont déjà été investis pour sécuriser la dune de Lehan. | OUEST-FRANCE Sept habitations de Lehan sont directement concernées par la submersion, « à court terme » : chaque tempête risque d’ouvrir une brèche dans la dune par laquelle l’eau s’engouffrerait dans les maisons. Face à cela, les élus et l’État envisagent, depuis des mois déjà, de faire des propositions de rachat des logements à leurs propriétaires. Ces propositions pourraient intervenir dès 2024 et France Domaine évaluera les biens prochainement. « Une fois acquises, les maisons ne seront vouées qu’à être déconstruites », lâche Stéphane Le Doaré. Et ensuite, quel est l’avenir de Lehan ? « On privilégie des solutions fondées sur la nature. La mer regagnera du terrain, l’espace sera renaturé. En arrière, nous viendrons construire une digue retro-littorale de près de 2 kilomètres. Mais d’ici là, bien sûr, nous entretenons les ouvrages de protection existants pour nous accorder encore un peu de temps », termine Éric Jousseaume. Des travaux colossaux, à moyen terme, qui devraient coûter près de 5 millions d’euros. Document 12 : Vue de la dune du Léhan, commune de Treffiagat-Léchiagat (Finistère). Source : Le Télégramme , 15 décembre 2023 Légende de la photographie : Les riverains de Léchiagat, dans la commune de Treffiagat (29), qui risquent de voir leurs maisons déconstruites face à la montée des eaux, sortent de leur réserve. Ils pointent du doigt un manque d’informations et de concertations sur le projet de relocalisation de leurs domiciles. Document 13 : Carte IGN d’une partie de la commune de Treffiagat-Léchiagat (Finistère). Source : Géoportail Proposition de corrigé Composante histoire (12 points) 1. Vous enseignez en classe de CM1. Vous préparez une séquence d’apprentissage portant sur « François Ier, un protecteur des Arts et les Lettres à la Renaissance ». En vous aidant de vos connaissances et du dossier documentaire (documents 2 à 8), indiquez les savoirs qui devront être construits avec les élèves à l’occasion de cette séquence. François Ier règne de 1515 à 1547. Son règne symbolise la période Renaissance en France. En se faisant protecteur des arts et des lettres, il donne une légitimité culturelle et artistique au pouvoir royal, et les arts servent également à sa propagande. Le dossier documentaire qui nous est proposé ici permet d'aborder les différents aspects du rôle de François Ier. Document 2 (portrait de François 1er par jean Clouet) : La couronne royale figure seulement sur la tapisserie à l’arrière-plan. L’épée du roi symbolisant son pouvoir militaire est presque cachée par la main du roi. Le roi se reconnaît donc essentiellement par sa posture corporelle à la fois imposante et bienveillante, et par la richesse de son costume en soie avec des broderie en or. L’autorité du roi repose donc davantage sur la personne du roi que sur les signes extérieurs du pouvoir. Le roi de la Renaissance est une personne de goût, très distinguée. Document 3  : (François Ier à cheval) : Dans le même ordre d’idées, le roi est représenté comme un roi guerrier (il tient un sceptre et une épée), d’un type un peu particulier. Son armure est richement décorée, il porte un chapeau et non pas un casque et son cheval n’est pas équipé pour la bataille mais pour la parade (plumes sur la tête, caparaçon). Le roi est capable d’imposer un mouvement gracieux à son cheval (dressage) pour montrer sa maîtrise de l’art équestre. Document 4 (François Ier reçoit un ouvrage) : Le roi doit également être savant et lettré. Cette scène solennelle (présence de la cour, le roi est placé sous un dais décoré des fleurs de lys) montre l’importance attachée à la parution d’un ouvrage que le roi lira peut-être (il faut qu’il passe pour une personne lettrée, pour un roi humaniste qui s’intéresse aux sciences et à la pensée de son époque). On peut également supposer que l’auteur du livre a reçu un traitement de la part du roi (mécénat du roi). Le chien au premier plan symbolise la fidélité. Rappelons à l'occasion que François Ier a créé le Collège de France en 1530 (l’institution universitaire la plus prestigieuse en France encore aujourd’hui) et la Bibliothèque royale en 1537 où tout livre imprimé devait être déposé (l’ancêtre du « dépôt légal » encore aujourd’hui). Le roi de la Renaissance est une humaniste qui favorise la diffusion de la connaissance. Document 5 (le château de Chambord). Le roi est également un bâtisseur (mécène des architectes et des décorateurs). Il a construit ou aménagé plusieurs châteaux de la Loire dans lesquels il accueille sa cour encore itinérante. Ces châteaux servent à montrer la grandeur et la puissance du roi et de sa cour. Le château de Chambord construit à partir de 1515 suit un plan de château fort médiéval mais les tours et les murs sont percés de nombreuses fenêtre. De nombreux pilastres décorent les toitures. Il est possible que l’escalier à double révolution a été dessiné par Léonard de Vinci. Ce château n’a aucun rôle militaire, il a une fonction d’apparat et de manifestation de la richesse et du goût du roi et de sa cour. Document 6 (fresque de la galerie du château de Fontainebleau). Cette fresque représente le roi sous les traits d’un empereur romain victorieux (la couronne de laurier). Le roi n’est plus un monarque féodal secondé par les grands seigneurs du royaume, il exerce le pouvoir de manière solitaire et suscite le respect de tout le monde (les personnages ont la tête baissée devant lui), comme un empereur. Le décor antique rappelle que la Renaissance a remis en avant un retour à l’Antiquité. A nouveau, le roi peut être envisagé comme un mécène protecteur des grands artistes de son temps (ici : le Rosso) qui travaillent au service de sa gloire. (on peut rappeler le fait que François Ier avait fait venir Léonard de Vinci en France). Remarque : on ne peut pas encore parler de monarchie absolue, mais le règne de François Ier a constitué une étape vers le renforcement du pouvoir monarchique, sur le plan de l'accroissement des organes de l'Etat monarchique et de la propagande monarchique. Document 7 (Ordonnance de Villers-Cotterêts). En 1539, François Ier adopte l’ordonnance dans le château de Villers-Cotterêts. C’est le plus vieux texte de loi toujours en vigueur aujourd’hui. Cette ordonnance impose l’usage du français (la langue de l’Île-de-France et du roi) à la place du latin dans tous les actes administratifs. Cette ordonnance montre que le roi est désormais capable d’imposer une langue unique dans l’ensemble du royaume, qui permet un (petit) début de centralisation administrative du royaume. On peut rappeler que le latin demeure la langue de la science et de la religion, tandis que le français devient la langue de l’administration mais aussi de la littérature (Rabelais, Ronsard, etc.). Remarque : on peut éventuellement rappeler que cette ordonnance prote sur nu grand nombre de sujets, notamment l'obligation faite aux curés des paroisses de tenir des registres paroissiaux où doivent être enregistrés les baptêmes, les mariages et les enterrements (ancêtres de l'état civil actuel). Document 8 (carte de la France de François Ier) : Cette carte montre que la progression du domaine royal permet au roi de contrôler la plus grande partie du royaume. François Ier a incorporé au domaine royal de nombreux fiefs, dont le duché de Bretagne en 1532. Cela permet au roi de prélever des impôts et de rendre la justice dans la plus grande partie du royaume, ce qui explique sa richesse, sa force militaire et ses capacités à protéger les lettres et les arts (mécénat). 2. Présentez une séquence sur « François Ier, un protecteur des Arts et les Lettres à la Renaissance ». Indiquez le titre de chaque séance de la séquence en indiquant les compétences travaillées par les élèves et les documents (accompagné des savoirs que chaque document permet de travailler) que vous utiliseriez dans chaque séance. Choisissez un document du dossier documentaire, indiquez sa place dans une séance et présentez son exploitation pédagogique précise. Séquence sur « François Ier, un protecteur des Arts et les Lettres à la Renaissance ». Compétences  : se situer dans le temps, comprendre un document, pratiquer différents langages Séance 1  : François Ier, un prince de la Renaissance Objectif : Faire comprendre aux élèves deux tableaux qui célèbrent un roi de la Renaissance Document 2 : un roi raffiné de la Renaissance Document 3 : un roi guerrier, en majesté et en représentation Séance 2  : François Ier, un roi mécène Objectif : Faire comprendre aux élèves pourquoi le mécénat sert l'image du roi Document 4 : un roi protecteur des lettres, un prince humaniste Document 5 : un roi bâtisseur (Chambord) qui manifeste sa puissance, sa richesse et son goût Séance 3  : François Ier renforce le pouvoir royal Objectif : Faire comprendre aux élèves que le pouvoir du roi s'impose à tous Document 6 : l’art au service de la propagande royale Document 7 : l’ordonnance de Villers-Cotterêts = le roi impose sa langue à tout le royaume Document 8 : le domaine royal occupe la plus grande partie du royaume = le roi lève des impôts et impose sa justice dans presque tout le royaume Conclusion : production d’écrit : « Comment François Ier utilise-t-il les arts pour glorifier son propre pouvoir ? » Exploitation pédagogique d’un document : Proposition : document 2 : portrait de François Ier par Jean Clouet, vers 1530 Ce tableau est l’un des joyaux du musée du Louvre encore aujourd’hui. Il montre ce qu’était un prince de la Renaissance Les élèves peuvent étudier ce tableau en petits groupes en répondant aux questions ci-dessous: Questions 1. Qui est le personnage représenté ? (François Ier) 2. Comment savons-nous que ce personnage est un roi ? (La couronne sur la tapisserie) 3. Ce tableau rappelle-t-il les portraits habituels des rois ? (non, les symboles du pouvoir du roi sont peu présents : la couronne sur la tapisserie, le pommeau de l’épée est caché par la main du roi). 4. Par quels autres moyens l’artiste montre-t-il qu’il représente un roi ? (la grande richesse de son costume en soie brodée d’or, l’allure à la fois hautaine et bienveillante du personnage). L’enseignant.e montre ensuite aux élèves que François Ier se fait représenter comme un roi de la Renaissance, soucieux de son apparence et manifestant un goût très sûr qui prouve sa culture. Composante géographie (8 points) 3. Nous supposons que vous enseignez à l’école de Treffiagat-Lechiagat (à côté du Guilvinec, Finistère sud). Quels concepts géographiques pourraient être mobilisés pour étudier le cas de la dune de Lehan (documents 11 à 13). Plusieurs concepts géographiques peuvent être mobilisés pour étudier le cas de la dune de Léhan : Paysage  : Un paysage est l’étendue d’un pays ou d’un espace s’offrant au regard d’une observatrice ou d’un observateur à partir d’un lieu précis. Ici: un paysage de littoral (mer, plage, dune, habitations derrière la dune) Ressource  : Une ressource est un capital (matériel ou immatériel) mis en valeur pour répondre à un besoin dans une société à un moment donné, dans le but de créer des richesses. Ici, la proximité du littoral et la plage de sable constituaient auparavant une ressource incitant les habitants à venir s’installer dans le hameau de Léhan et attirant les touristes. Contraintes  : Une contrainte spatiale est un élément de l'espace qui gêne ou limite les activités humaines en un lieu donné et dans une société donnée. Ici, la proximité du littoral est devenu une contrainte en raison de la hausse du niveau de la mer et des tempêtes désormais violentes mettant en danger la dune qui protégeait auparavant les pavillons.   Aménagement  : Un aménagement permet de surmonter une contrainte spatiale en proposant des équipements permettant le déroulement des activités humaines en un lieu donné et dans une société donnée. Ici, les aménagements sont les maisons derrière la dune et les opérations de sécurisation de la dune (levée en pierre et pieux) Acteurs spatiaux  : L'ensemble des agents (individus, groupes de personnes, institutions, entreprises) susceptibles d’exercer une action sur les territoires. Ici : les habitant de Léhan, la maire de Treffiagat et l’État qui doit financer les travaux. 4. Proposez une exploitation pédagogique des documents 12 et 13. Ces documents peuvent donner lieu à la production d’un schéma qui permettra de distinguer les différentes unités paysagères sur la photographie ainsi que les aménagements de la dune de Léhan. La carte permet de nommer les différents éléments de ce schéma qui doit être accompagné d’une légende. On peut proposer quelques lignes de commentaire du schéma (faire verbaliser par les élèves les différents éléments du schéma) : la montée du niveau de la mer et les tempêtes de plus en plus violentes mettent en danger la plage et la dune de Léhan. Pour réduire les risques de submersion, la mairie a consolidé la dune par des aménagements (blocs de pierre, mur de poteaux) afin de protéger les maisons et le marais derrière la dune.

  • Glossaire simplifié de géographie

    Par Didier Cariou, maître de conférences HDR en didactique de l’histoire à l’Université de Brest Définitions établies à partir du glossaire en ligne : https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire Acteurs spatiaux L'ensemble des agents (individus, groupes de personnes, institutions, entreprises) susceptibles d’exercer une action sur les territoires. Aménagement Un aménagement permet de surmonter une contrainte spatiale ou de tirer profit d'une ressource spatiale en proposant des équipements permettant le déroulement des activités humaines en un lieu donné et dans une société donnée. Voir aussi : ressource, contrainte Axe (ou arc) Dans un réseau, un axe relie deux nœuds entre eux. Le long d’un axe s’écoulent des flux plus ou moins volumineux permettant de distinguer des axes majeurs et des axes secondaires. Voir aussi: flux, nœud, pôle, réseau Carte, croquis et schéma Carte, croquis et schéma sont trois manières de représenter graphiquement un espace géographique. Une carte représente tout ce qui se trouve à la surface d’un espace géographique donné. Elle permet de localiser des lieux et des phénomènes géographiques. Elle est accompagnée d’une échelle, d’une orientation et d’une légende permettant d’expliciter les symboles et les divers signes figurant sur la carte. Un croquis est une carte simplifiée réalisée à la main sur un fond de carte, pour représenter ces lieux ou des phénomènes géographiques sélectionnés. Il est pourvu d’une échelle et d’une orientation. Il suppose la mobilisation d'un figuré cartographique constitué de formes géométriques abstraites. Un schéma est une production cartographique réalisée à main levée et sans fond de carte. Il sert à représenter un phénomène ou des relations déduites de l’observation d’une carte ou d’un croquis. Voir aussi : figuré cartographique. Contrainte Une contrainte spatiale est un élément de l'espace qui gêne ou limite les activités humaines en un lieu donné et dans une société donnée. Une contrainte n’est jamais naturelle en soi, elle est toujours sociale car une contrainte constitue une limite aux activités humaines d'une société donnée. Une contrainte dans une société ou à une époque données peut devenir une ressource dans une autres société ou à une autre époque. Voir aussi : ressource, aménagement Développement durable Le développement durable est un concept développé dans le rapport Brundtland (1987) et défini comme un : « mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Il fut adopté lors de la Conférence mondiale des Nations Unies sur l’environnement à Rio de Janeiro en 1992. Il vise l’équilibre entre trois piliers : social, économique, environnemental. [Aujourd’hui, un nombre croissant de personnes considère que l’expression « développement durable » est un oxymore] Discontinuité Une discontinuité est une rupture marquée spatialement et permettant de distinguer deux types d’espaces présentant des disparités, de part et d’autre cette discontinuité. Disparité Une disparité est différence entre deux ou plusieurs espaces. La disparité peut être économique (espace agricole / espace industriel), sociale (espace rural / espace urbain, quartier d’habitat collectif / quartier pavillonnaire, quartier de populations aisées / quartier de populations défavorisées) ou culturelle (quartier densément pourvu d’équipements culturels, festifs, ou sportifs / quartier peu densément pourvus). Espace périurbain L'espace périurbain est l'espace situé en périphérie d’une agglomération et dont une part importante des habitants travaille dans cette agglomération. Figuré cartographique Un figuré est une forme graphique abstraite de base servant à représenter l’information géographique sur une carte , un croquis ou un schéma . Il peut être ponctuel (forme géométrique : point, carré, cercle, etc.), linéaire (trait, ligne, flèche, pour représenter principalement les axes et les flux ) ou de surface (surface colorée ou hachurée). Chaque figuré est représenté par une couleur (chaude, neutre ou froide) et par une épaisseur plus ou moins marquée en fonction de l'importance du phénomène représenté. Le choix du figuré dépend également de la nature de l'information représentée mais aussi de l'échelle  : à l'échelle mondiale, une agglomération peut être représentée par un figuré ponctuel, mais par un figuré surfacique à l'échelle locale. Flux Un flux est un déplacement de personnes, de marchandises, d’informations, d’énergie, de capitaux, etc. par un moyen de communication (trottinette, vélo, voiture, bus, camion, avion, bateau, fibre optique, ondes électromagnétiques) lié à un aménagement (route, voie ferrée, voie d’eau, couloir aérien, canalisation, câbles), le long d'un axe dans un réseau. voir aussi : axe, nœud, pôle, réseau Habiter (Extrait du programme du cycle 3, 2020) "En géographie, habiter ne se réduit pas à résider, avoir son domicile quelque part. S’intéresser à l’habiter consiste à observer les façons dont les humains organisent et pratiquent leurs espaces de vie, à toutes les échelles. Ainsi, l’étude des « modes d’habiter » doit faire entrer simplement les élèves, à partir de cas très concrets, dans le raisonnement géographique par la découverte, l’analyse et la compréhension des relations dynamiques que les individus-habitants et les sociétés entretiennent à différentes échelles avec les territoires et les lieux qu’ils pratiquent, conçoivent, organisent, représentent. Les élèves découvrent ainsi que pratiquer un lieu, pour une personne, c’est en avoir l’usage et y accomplir des actes du quotidien comme le travail, les achats, les loisirs... Il faut pour cela pouvoir y accéder, le parcourir, en connaître les fonctions, le partager avec d’autres". Voir aussi : Acteurs spatiaux, pratiques spatiales Lieu Un lieu est une portion d’espace donnant prise à des modes d’appropriation particulières. Mobilité Une mobilité est un changement de lieu accompli par des êtres humains. Parmi les mobilités, on distingue les mobilités quotidiennes (entre le domicile et le travail), les migrations (le fait de changer de domicile pour une durée longue ou définitive), le tourisme (tout déplacement en dehors du domicile habituel pour au moins une nuit et au plus une année). Mobilités douces Les mobilités douces désignent les moyens de transport non carbonés (marche à pied, trottinette, vélo) ou faiblement carbonés (vélo à assistance électrique, trottinette électrique, ainsi que les moyens de transport collectifs) et produisant peu de gaz à effet de serre. Nœud (voir pôle) Un nœud est un point de convergence de plusieurs axes au sein d’un réseau. Voir aussi : axe, flux, pôle, réseau. Paysage Un paysage est l’étendue d’un pays ou d’un espace s’offrant au regard d’une observatrice ou d’un observateur à partir d’un lieu précis. Les éléments observables d’un paysage constituent un ensemble complexe de relations dont la description permet de comprendre l’organisation de l’espace concerné. Un paysage est doté d’une dimension subjective et affective. Il est étudié à partir d’une photographie aérienne oblique et il peut être représenté (peinture, dessin, croquis, schéma). Pôle (voir nœud) Dans un réseau, un pôle est un nœud vers lequel convergent de nombreux axes importants. Comme il attire les flux de personnes, de marchandises, d’informations, de capitaux, le pôle exerce un influence (polarisation) plus ou moins importante sur l'espace environnant plus ou moins éloigné. Voir aussi : axe, flux, nœud, réseau. Pratiques spatiales Les pratiques spatiales sont les pratiques, les gestes habituels, les trajets réguliers, et plus généralement l’ensemble des microdécisions opérées par les groupes et les individus (les acteurs spatiaux) dans l’espace. Voir aussi : Habiter, acteurs spatiaux. Réseau Un réseau est un ensemble de connexions entre des axes et des nœuds. Un réseau peut être discontinu, affecté de disparités et polarisé par un ou plusieurs nœuds ou pôles majeurs. Voir aussi : Axe, flux, pôle, nœud Ressource Une ressource est un capital (matériel ou immatériel) mis en valeur pour répondre à un besoin dans une société à un moment donné, dans le but de créer des richesses ou de favoriser une action humaine. Il faut distinguer une ressource d’une réserve qui n’est pas exploitée. Une ressource dans certains espaces ou dans certaines sociétés peut constituer une contrainte ailleurs, et réciproquement. [Aujourd’hui, nous savons que les ressources de la planète sont limitées] Exemple : une plage de sable est une ressource pour le tourisme balnéaire ou pour l'industrie du BTP. Voir aussi : contrainte, aménagement.

  • La construction européenne

    Par Didier Cariou, maître de conférences HDR en didactique de l’histoire à l’Université de Bretagne Occidentale Références : Mots-clés Plan Marshall, OECE, Logique fédérale, Logique intergouvernementale, Alliance Atlantique, OTAN, Etats-Unis d’Europe, Conseil de l’Europe, CECRL, Convention européenne des droits de l’homme, Drapeau européen, Hymne européen Plan Schumann, Jean Monnet, CECA, CED, Traité de Rome, CEE, Libre-échange, De Gaulle, Politique de la chaise vide, Couple franco-allemand, Giscard d’Estaing, SME, ECU, Europe des 6, des 9, des 10, des 12, Convention de Schengen, Acte unique européen, ERASMUS, Communauté Européenne Chute du mur de Berlin, Réunification de l’Allemagne, Europe des 15, des 25, des 27, des 28, des 27, Brexit, Traité de Maastricht, BCE, Citoyenneté européenne, Euros, Union européenne, Traité de Lisbonne, Conseil européen, Conseil de l’UE, Commission européenne, Parlement européen, Cours de justice européenne. Que dit le programme ? Extrait du programme du cycle 3, classe de CM2 (2020) Thème 3 - La France, des guerres mondiales à l’Union européenne - La construction européenne. L’élève découvre que des pays européens, autrefois en guerre les uns contre les autres, sont aujourd’hui rassemblés au sein de l’Union européenne. Extraits de la fiche EDUSCOL : Thème 3 - La France, des guerres mondiales à l’Union européenne Quels sont les points forts du thème pour l’enseignant ? La construction européenne Après le profond traumatisme provoqué dans le monde entier par l’ampleur des désastres et des crimes commis, la conception d’une éthique universelle se développe ; l’Organisation des Nations Unies, fondée en 1945, adopte le 9 décembre 1948 la Convention pour la prévention et répression du crime de Génocide et le 10 décembre 1948 la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme . Les droits de l’Homme sont d’ailleurs au fondement de la construction européenne. Le contexte de la guerre froide rend encore plus urgente la réconciliation franco-allemande : la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) qui regroupe en 1951 la France, la République Fédérale Allemande, l’Italie et le Benelux permet de régler le différend franco-allemand sur la Sarre. Une dynamique est lancée qui, malgré l’échec de la Communauté Européenne de Défense, enterrée en 1954, aboutit à la création du Traité de Rome fondant le Marché commun (1957). Un espace de paix et de coopération économique existe désormais, qui s’élargit à partir des années 1970. Devenu en 1992 l’Union européenne (UE) par le traité de Maastricht, il connaît des mouvements centripètes et centrifuges : l’Euro est mis en place comme monnaie fiduciaire en 2002, dans la majorité des pays, mais l’UE ne parvient pas à se doter d’une constitution commune en 2005 et le Royaume-Uni, entré en 1973, choisit de s’en retirer en 2016. Comment mettre en œuvre le thème dans la classe ? La construction européenne Cette partie du thème a un lien fort avec l’enseignement moral et civique (EMC). La rubrique « sensibilité » comprend une initiation aux « valeurs et symboles » de l’Union européenne, la rubrique « le droit et la règle » implique de faire découvrir aux élèves « les grandes déclarations des droits » - ce qui comprend la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 mais aussi la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (2000) qui renvoie à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme de 1950. Toujours dans cette rubrique, il faut également présenter aux élèves la citoyenneté européenne. Des débats à visée philosophique pourront être engagés à partir des principes présents dans ces textes, afin de comprendre ce que l’on y affirme et ce que l’on veut éviter (ce qui renvoie à l’expérience des deux conflits mondiaux). Partir de la citoyenneté européenne, à laquelle on n’accède que par le biais de la citoyenneté nationale d’un des États membres de l’Union Européenne, permet de présenter celle-ci comme le fruit d’une coopération entre des États qui ont choisi d’exercer en commun certains domaines relevant de leur souveraineté. Les principales étapes de la construction européenne pourront être évoquées à partir par exemple de l’observation de cartes évolutives, d’une brève chronologie (1957 : traité de Rome ; 1992 : traité de Maastricht), en identifiant à chaque fois les États concernés et ce qu’ils mettent en commun, et en montrant ainsi que la construction de la paix s’est opérée par des coopérations concrètes. Introduction Le programme du cycle 3 présente la construction européenne comme une réponse aux deux guerres mondiales et comme le moyen d’éviter de nouvelles guerres sur le continent européen. C’est une vision un peu réductrice et un peu angélique. La fiche EDUSCOL est plus réaliste. Elle rappelle que la construction européenne fut d’abord un produit de la Guerre Froide : il s’agissait de renforcer l’Europe occidentale face au bloc soviétique, puis de construire un marché contribuant au développement économique des pays européens, selon la logique du libéralisme économique. L’histoire de la construction européenne est très complexe. Il est imprudent de l’envisager comme une histoire linéaire d’un regroupement de six à vingt-sept États et d’une construction d’un ensemble économique conduisant progressivement à une union politique. La construction européenne fut le fruit de nombreux tâtonnements, elle a subi de nombreuses crises. Surtout, elle résulte de l’application de divers projets contradictoires, ce qui explique ses errements encore aujourd’hui. Pour envisager cette histoire, nous articulerons deux concepts ( élargissement géographique et approfondissement des compétences) et deux conceptions de l’Europe ( Europe fédérale versus Europe des États , ou intergouvernementale). L’enseignement de ce chapitre est difficile. Avec les élèves, il faudrait suivre les orientations de la fiche EDUSCOL et articuler ce chapitre au programme d’EMC (Acquérir et partager les valeurs de la république). Il faudrait évoquer la citoyenneté européenne et les élections européennes, la monnaie unique, l’élargissement progressif de la construction européenne à l’aide de cartes et envisager les symboles de l’Europe (le drapeau, l’hymne européen, la devise européenne). Il est difficile d'en faire plus au cycle 3. Le chapitre qui suit d’expliciter les enjeux qui sous-tendent les réalisations concrètes de l’Europe. J’espère qu’il pourra éclairer un peu la lectrice ou le lecteur sur des enjeux qui nous concernent toutes et tous mais qu’il est parfois difficile d’appréhender. 1. Vers la construction européenne 1.1 Construire une Europe atlantique ? Les États-Unis peuvent être considérés comme les initiateurs de la construction européenne. C'est pourquoi il aurait été possible que la construction européenne se fasse directement sous l'égide des Etats-Unis, d'où le titre de cette sous-partie. Le 5 juin 1947, le Secrétaire d’État Marshall lança le plan Marshall ( European Recovery Program ) afin de financer la reconstruction de l’Europe dévastée par la guerre mais surtout afin que l’Europe de l’Ouest ne sombre pas dans la révolution communiste. Le plan Marshall constituait une application directe de la doctrine Truman de l’endiguement énoncée le 15 mars 1947 lors d’un discours qui est considéré comme le point de départ de la Guerre froide. Il fallait que l'Europe occidentale se renforce face au bloc soviétique. Le 16 avril 1948 fut créée l’Organisation Européenne de Coopération Économique ( OECE , qui devint l’OCDE en 1960). L’OECE regroupait au départ seize pays d’Europe de l’Ouest qui souhaitaient recevoir l’aide du plan Marshall, qui avait été refusée par les pays d’Europe de l’Est sous domination soviétique. L’aide du plan Marshall constituée de prêts et de dons de matériels d’un valeur totale de 12 milliards de dollars était attribuée en bloc à ces pays qui devaient la répartir entre eux. Document : la répartition de l’aide du Plan Marshall Source : https://www.alternatives-economiques.fr/y-a-70-ans-plan-marshall/00080237 Les États-Unis souhaitaient impulser de cette manière une coopération européenne susceptible de déboucher, qui sait, sur une fédération européenne selon le modèle américain (des institutions fédérales au-dessus des Etats membres de la fédération). Si les Français acceptèrent provisoirement cette logique fédérale, les Britanniques la refusèrent tout de suite. En conséquence, on n’alla pas plus loin que la répartition de l’aide du Plan Marshall et on ne mit en place ni une union douanière ni un programme fédéral de reconstruction européenne. Déjà s’affrontaient deux conceptions de la construction européenne : fédéraliste ou intergouvernementale . En 1949 fut conclue l’ Alliance Atlantique dirigée contre le bloc soviétique et conduisant à la mise en place de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ( OTAN ) plaçant toutes les armées de l’alliance sous commandement intégré américain. 1.2 Quelle Europe construire ? Le 19 septembre 1946, l’ancien premier ministre britannique Winston Churchill prononça un discours à Zurich sur les « États-Unis d’Europe » qui devint vite célèbre. Comme cette expression ne l’indique pas, Churchill ne défendait pas un modèle fédéral de construction européenne, sur le modèle américain, mais défendait une « Europe des États », intergouvernementale, fondée sur la coopération entre des États souverains. Surtout, il désengageait le Royaume-Uni de ce programme en affirmant que cette Europe des États devait être portée par la France et par l’Allemagne, et pas par le Royaume-Uni qui devait rester tourné vers le Commonwealth. Document : extraits du discours de Zurich de Winston Churchill (19 septembre 1946) La grande république au-delà de l’Atlantique a compris avec le temps que la ruine ou l’esclavage de l’Europe mettrait en jeu son propre destin et elle a alors avancé une main secourable faute de quoi une sombre période se serait annoncée avec toutes ses horreurs. Ces horreurs peuvent d’ailleurs encore se répéter. Mais il y a un moyen d’y parer et si la grande majorité de la population de nombreux États le voulait, toute la scène serait transformée comme par enchantement et en peu d’années l’Europe, ou pour le moins la majeure partie du continent, vivrait aussi libre et heureuse que les Suisses le sont aujourd’hui. En quoi consiste ce remède ? Il consiste à recréer la famille européenne, cela dans la mesure du possible, puis de l’élever de telle sorte qu’elle puisse se développer dans la paix, la sécurité et la liberté. Il nous faut édifier une sorte d’Etats-Unis d’Europe. Ce n’est qu’ainsi que des centaines de millions d’êtres humains auront la possibilité de s’accorder ces petites joies et ces espoirs qui font que la vie vaut la peine d’être vécue. On peut y arriver d’une manière fort simple. Il suffit de la résolution des centaines de millions d’hommes et de femmes de faire le bien au lieu du mal, pour récolter alors la bénédiction au lieu de la malédiction (…). J’en viens maintenant à une déclaration qui va vous étonner. Le premier pas vers la création de la famille européenne doit consister à faire de la France et de l’Allemagne des partenaires. Seul, ce moyen peut permettre à la France de reprendre la conduite de l’Europe. On ne peut pas s’imaginer une renaissance de l’Europe sans une France intellectuellement grande et une Allemagne intellectuellement grande (...). Source : https://www.cvce.eu/obj/discours_de_winston_churchill_zurich_19_septembre_1946-fr-7dc5a4cc-4453-4c2a-b130-b534b7d76ebd.html#:~:text=Le%2019%20septembre%201946%2C%20le,la%20libert%C3%A9%20sur%20le%20continent Ce discours déboucha sur la tenue de la Conférence de La Haye, du 7 au 10 mai 1948. Celle-ci rassembla 775 délégué enthousiastes venus de 19 pays. Elle fut perturbée par les heurts entre les défenseurs d’une Europe fédérale et les défenseurs d’une Europe intergouvernementale. Cette conférence contribua malgré tout à la création du Conseil de l’Europe par le traité de Londres, le 5 mai 1949. Le Conseil de l’Europe rassemblait au départ dix États. Il était constitué d’une Assemblée parlementaire délibérative, installée à Strasbourg et composée de députés issus des parlements nationaux des États membres. Cette assemblée sert toujours de laboratoire d’idées sur la défense de la démocratie car elle est dépourvue de toute compétence politique (rôle dévolu aux États membres), militaire (rôle dévolu à l’OTAN) ou économique (rôle dévolu alors à l’OECE, aujourd'hui à l'UE). Parallèlement, le Conseil de l’Europe comprenait un Comité des ministres des affaires étrangères des pays membres. Le vote devait s’y effectuer à l’unanimité pour ne léser les intérêts d’aucun État membre. Il s’agit donc ici d’une instance intergouvernementale. Cette logique contradictoire entre l'Assemblée (fédérale) et le Comité des ministres (intergouvernemental) paralysa dès le départ le Conseil de l’Europe qui resta essentiellement un laboratoire d’idées au service de la défense de la démocratie, des droits humains et de la culture. Il continue à produire des normes, des réglementation et des chartes, telles que le Cadre Européen Commun de Référence pour l'enseignement des Langues ( CECRL ) en 2001. L’un de ses organismes majeurs est la Cour européenne des droits de l’homme qui siège depuis 1998. Elle sert à garantir le respect des droits humains pour tous les Européens, notamment le droit à bénéficier d’un procès équitable. De fait, cette cour sert comme ultime instance d’appel pour les justiciables européens, au-dessus des instances judiciaires nationales. Nous devons quelques réalisations au Conseil de l’Europe. En 1950, il publia la Convention Européenne des Droits de l’Homme . En 1955 il proposa le drapeau européen que nous connaissons toujours et qui fut officiellement adopté par le Parlement européen en 1985. Ce drapeau ne symbolise nullement l’Europe des Douze. Ses douze étoiles disposées en cercle sur fond d’azur symbolisent la perfection (le nombre douze comme les 12 heures de l’horloge ou les 12 mois de l’année) et l’unité (le cercle). En 1985, Le Conseil de l’Europe décida que l’ hymne européen serait l’Ode à la joie, extrait de la 9eme symphonie de Beethoven. Un petit problème : on avait choisi l’adaptation instrumentale réalisée en 1972 par Herbert von Karajan (qui toucha des droits d’auteur à chaque représentation de cet hymne), charismatique chef d’orchestre de l’orchestre philharmonique de Berlin de 1955 jusqu’à mort en 1989. On avait juste oublié que, Autrichien, il avait adhéré au parti nazi en 1935 par sympathie pour l’idéologie nazie et pour accélérer sa carrière de chef d’orchestre en Allemagne. Le Conseil de l’Europe était conçu au départ pour devenir la base d’une construction européenne. Cependant, paralysé par la contradiction du fédéralisme et de la logique intergouvernementale, et comme il n’avait aucune compétence économique, il resta à l’écart. Il regroupe aujourd’hui 46 États européens car les anciens États du blocs soviétique y ont été intégrés après la chute du bloc soviétique, à l’exception de la Biélorussie qui était restée une dictature. La Russie en a été exclue après l’agression contre l’Ukraine du 24 février 2022. Document : Les États membres du Conseil de l’Europe en 2022 Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Conseil_de_l%27Europe 1.3 Construire la « petite Europe » De nombreux intérêts divergents s'affrontèrent au tournant des années 1940 et 1950. Les États-Unis souhaitaient la création en Europe d’une vaste zone de libre-échange (sans droits de douane aux frontières) intégrant la RFA, créée en 1949, en tant qu'avant-poste occidental face au bloc soviétique. Les Français ne voulaient pas entendre parler du moindre accord avec la RFA car les souvenirs de l’occupation allemande restaient encore très douloureux au sein de la population française. Les Français craignaient également la concurrence de l’industrie allemande qui s’était très rapidement remise des destructions de la Seconde Guerre mondiale et qui aurait fragilisé l’industrie française alors mal en point. Les Français souhaitaient transformer l’OECE en une vaste zone de libre échange avec les Britanniques, tout en excluant la RFA. Mais les Britanniques, isolationnistes et tournés vers le Commonwealth, ne souhaitaient pas s’impliquer dans les affaires continentales, et encore moins aux côtés des Français. Pour essayer de contenter les Américains, les Français firent semblant de mettre en place des pseudo-zones de libre échange, dont la plus ridicule, nommée Fritalux (ça en s'invente pas !), aurait rassemblé la France, l’Italie et le Luxembourg. Les États-Unis menacèrent alors de suspendre l'aide du plan Marshall si des avancées significatives n’étaient pas engagées. C’est dans ce contexte de pressions américaines que Robert Schuman (ministre des affaires étrangères français, MRP, centre droit) proposa le 9 mai 1950 le Plan Schuman rédigé par Jean Monnet, le commissaire au plan français. Cette date, considérée par l’histoire officielle de l’Europe comme le point de départ de la construction européenne, est célébrée chaque année comme la « journée de l’Europe ». Document : Le discours de Robert Schuman, ministre des affaires étrangères, le 9 mai 1950 (extraits) La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. La contribution qu'une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques. En se faisant depuis plus de vingt ans le champion d'une Europe unie, la France a toujours eu pour objet essentiel de servir la paix. L'Europe n'a pas été faite, nous avons eu la guerre. L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l'opposition séculaire de la France et de l'Allemagne soit éliminée. L'action entreprise doit toucher au premier chef la France et l'Allemagne. Dans ce but, le gouvernement français propose immédiatement l'action sur un point limité mais décisif. Le gouvernement français propose de placer l'ensemble de la production franco-allemande de charbon et d'acier sous une Haute Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des autres pays d'Europe. La mise en commun des productions de charbon et d'acier assurera immédiatement l'établissement de bases communes de développement économique, première étape de la Fédération européenne, et changera le destin de ces régions longtemps vouées à la fabrication des armes de guerre dont elles ont été les plus constantes victimes. La solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l'Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement impossible. L'établissement de cette unité puissante de production ouverte à tous les pays qui voudront y participer, aboutissant à fournir à tous les pays qu'elle rassemblera les éléments fondamentaux de la production industrielle aux mêmes conditions, jettera les fondements réels de leur unification économique (...). Source : https://european-union.europa.eu/principles-countries-history/history-eu/1945-59/schuman-declaration-may-1950_fr Le plan Schuman conduisit à la mise en place de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier ( CECA ), le 18 avril 1951. La CECA regroupait six pays : la France (représentée par les démocrates-chrétiens Jean Monnet et Robert Schuman), l'Italie (représentée par le président du conseil démocrate-chrétien Alcide De Gasperi), la RFA (représentée par le chancelier chrétien-démocrate Conrad Adenauer), la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg. On parlait de « l’Europe des Six ». La CECA visait le développement du libre échange du charbon et de l’acier entre les six pays membres. En supprimant les droits de douane entre les six pays sur ces deux produits, on espérait en réduire le coût et la circulation pour faciliter la reconstruction puis le développement économique. Les dirigeants français pensaient également que la concurrence des aciers allemands allait contraindre les industriels français à moderniser leur appareil de production pour rester compétitifs. La CECA fut présentée aux Français comme un instrument du rapprochement franco-allemand exigé par les Américains et comme un moyen d'éviter une nouvelle guerre entre les deux pays. Mais elle se limitait au charbon et à l’acier, en évitant un libre échange généralisé à toutes les marchandises, qui aurait ruiné l’économie française. Cette institution fut la première institution internationale à accueillir la jeune RFA. La CECA obéissait à une logique fédérale. Elle était dirigée par une Haute autorité de 9 membres, indépendante des États, présidée par Jean Monnet et siégeant à Luxembourg. De même, la Cour de Justice de la CECA, destinée à dire le droit et à régler les litiges entre les États membres, était indépendante des États. L’Assemblée parlementaire était composée de 78 députés nommés par les parlements nationaux. Elle conseillait et contrôlait la Haute autorité. La seule instance intergouvernementale était le Conseil des ministres qui donnait les grandes orientations mais qui avaient peu à dire sur le fonctionnement de la CECA. De fait, la CECA fut une réussite et contribua au développement de l’industrie sidérurgique européenne. Document : les institutions de la CECA Source : https://www.touteleurope.eu/histoire/qu-est-ce-que-la-ceca/ Au même moment, les États-Unis, engagés dans la guerre de Corée, souhaitaient le réarmement de la RFA pour qu'elle soit capable de faire face militairement au bloc soviétique sur le continent européen. Il était inenvisageable que l’Allemagne reconstitue une armée indépendante sans le contrôle des autres pays européens. Jean Monnet proposa alors, en 1952, le projet de Communauté Européenne de Défense ( CED ), suivant le modèle de la CECA. On aurait créé un armée européenne fédérale dans laquelle auraient été fondus les soldats allemands, évitant ainsi de recréer une armée allemande de sinistre mémoire. La CED provoqua une crise politique majeure en France où les deux principales forces politiques d’opposition, les gaullistes et les communistes, ne voulaient pas entendre parler du moindre réarmement allemand, ni d'une armée fédérale dans laquelle se serait fondue l'armée française. Ce projet fut abandonné en 1954, après avoir causé en France la chute de plusieurs gouvernements de la Quatrième république. Cela n’empêcha pas que l’armée allemande fut reconstituée en 1955 à l’instigation des Américains, et intégrée à l’OTAN. Documents : Affiches favorables à la CED Documents : affiches du Parti communiste hostiles à la CED La construction européenne fut relancée ensuite pour aboutir à la création de la Communauté Économique Européenne ( CEE ). La CEE consiste en un approfondissement de la CECA par la mise en place d’un libre échange généralisé à toutes les marchandises et plus seulement au charbon et à l’acier. Le libre-échange fut effectivement réalisé en juillet 1968, lorsque les droits de douanes entre les pays membres furent totalement supprimés. En fait, l’échec de la CED a provoqué un repli de la construction européenne sur l’économie. Le projet des "Pères de l'Europe", dont Jean Monnet était donc de construire une Europe fédérale fondée sur l'économie, et selon une logique libérale, mais sans institutions politiques fédérales. Ils supposaient que la convergence économique qui résulterait du marché unique conduirait à une construction politique. Or, habituellement, les fédérations sont d'abord construites sur le plan politique afin que les institutions politiques se chargent ensuite d'organiser l'économie. Les Pères de l'Europe considéraient en outre qu'il fallait avancer progressivement et sans jamais susciter de larges débats démocratiques sur le sujet. Le choix de l'économie avant la politique et le rejet de larges débats et consultations démocratiques rendent compte du fait que l'Europe fut construite dans le dos des populations et des opinions publiques. Document: un buvard d'écolier en 1957 Le 25 mars 1957 fut donc signé le traité de Rome instituant à la fois la CEE (voulue par les Allemands) et Euratom (voulu par les Français). Euratom consistait en un marché assurant la libre circulation des matières fissiles, sur le modèle de la CECA, au moment où la France se lançait dans la construction de la première bombe atomique française (expérimentée dans le désert algérien à partir de 1960) puis dans la filière électronucléaire française. Euratom ne suscita pas l’intérêt des autres pays européens et disparut rapidement. Le traité de Rome obéissait à la logique du libéralisme économique (une union douanière débarrassée des droits de douane à l’intérieur et protégé par des barrières douanières à l’extérieur). Si la CEE fut présentée comme un approfondissement de la CECA, elle fonctionnait en réalité selon une logique strictement intergouvernementale. La Haute Autorité de la CECA fut remplacée par la Commission européenne composée de 9 commissaires nommés par les gouvernements des six Etats membres. Le Conseil des ministres (regroupant les ministres du domaine concerné en fonction de l’ordre du jour) jouait désormais un rôle central : il émettait les directives à suivre mais rédigeait également les règlements. Le vote à l’unanimité permettait à chaque État d’en contrôler les décisions, chaque Etat ayant de fait un droit de veto. La Cour de justice de la CECA devint celle de la CEE. De même, l’Assemblée de la CECA devint l ’ Assemblée de la CEE . Simple organe de contrôle au pouvoir très symbolique, elle se renomma Parlement européen en 1962 mais ne joua un rôle législatif que beaucoup plus tard. Il était prévu que des politiques économiques communes assurent un développement économique équilibré de tous les pays afin de limiter les effets d’une concurrence déloyale. En fait, seule la Politique Agricole Commune ( PAC ) fut mise en place dans l’intérêt de la France en 1962. La PAC finança la modernisation de l'agriculture française et le développement d'une agriculture productiviste qui fit disparaitre une majorité de paysans français ainsi que la biodiversité. Document : Extraits du traité de Rome (25 mars 1957) Article premier : Par le présent traité, les Hautes Parties contractantes instituent entre elles une Communauté économique européenne. Article 2 : La Communauté a pour mission, par l'établissement d'un marché commun et par le rapprochement progressif des politiques économiques des États membres, de promouvoir un développement harmonieux des activités économiques dans l'ensemble de la Communauté, une expansion continue et équilibrée, une stabilité accrue, un relèvement accéléré du niveau de vie et des relations plus étroites entre les États qu'elle réunit. Article 3 : Aux fins énoncées à l'article précédent, l'action de la Communauté comporte, dans les conditions et selon les rythmes prévus par le présent traité : a) l'élimination, entre les États membres, des droits de douane et des restrictions quantitatives à l'entrée et à la sortie des marchandises, ainsi que de toutes autres mesures d'effet équivalent, b) l'établissement d'un tarif douanier commun et d'une politique commerciale commune envers les États tiers, c) l'abolition, entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux, d) l'instauration d'une politique commune dans le domaine de l'agriculture, e) l'instauration d'une politique commune dans le domaine des transports, f) l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun, g) l'application de procédures permettant de coordonner les politiques économiques des États membres et de parer aux déséquilibres dans leurs balances des paiements, h) le rapprochement des législations nationales dans la mesure nécessaire au fonctionnement du marché commun, i) la création d'un Fonds social européen, en vue d'améliorer les possibilités d'emploi des travailleurs et de contribuer au relèvement de leur niveau de vie, j) l'institution d'une Banque européenne d'investissement, destinée à faciliter l'expansion économique de la Communauté par la création de ressources nouvelles, k) l'association des pays et territoires d'outre-mer, en vue d'accroître les échanges et de poursuivre en commun l'effort de développement économique et social. Article 4 : 1. La réalisation des tâches confiées à la Communauté est assurée par - une Assemblée; - un Conseil ; - une Commission; - une Cour de justice (…). Source : Nicolas Rousselier, L’Europe des traités. De Schuman à Delors , Paris, CNRS éditions, 2007, p. 199-203. 2. La construction d’une Europe économique : le Marché commun 2.1. Les difficultés des années 1960 Le premier acte européen marquant de De Gaulle, après son retour au pouvoir en 1958, fut la réconciliation franco-allemande qu'il acta avec le chancelier Conrad Adenauer. La signature du Traité de l’Élysée institutionnalisa l’amitié franco-allemande, le 22 janvier 1963. Ce traité inaugura ce que, depuis, l’on appelle régulièrement le « couple franco-allemand » (tantôt « en panne », tantôt « moteur de l’Europe »). Document: La signature du traité de l'Elysée par Conrad Adenauer et Charles De Gaulle (à la gauche de De Gaule, le premier ministre Pompidou). Source Parallèlement, De Gaulle, président de la république française de 1958 à 1969, s’opposa à l’élargissement de la CEE, c’est-à-dire à l’intégration du Royaume-Uni qu’il considérait comme « le cheval de Troie des Américains » en Europe. A deux reprises, en 1963 et en 1967, il refusa la demande d’adhésion des Britanniques. De Gaulle s’opposait également à l’approfondissement de l’Europe et à une orientation plus fédérale. Face aux tenants d'une Europe fédérale, économique et libérale sur le plan économique, De Gaulle défendait une Europe inter-gouvernementale et politique où la souveraineté des Etats en matière de politique économique et sociale serait sauvegardée. En 1965, Walter Hallstein, le président de la Commission européenne, proposa que le vote au sein de la Commission s’effectue non plus à l’unanimité mais à la majorité qualifiée. Cela aurait rendu la Commission relativement indépendante de certains États. Elle aurait pu imposer ses décisions à des États en désaccord mais minoritaires lors des votes. En outre, Hallstein proposa que le budget européen soit voté par le Parlement européen, et non plus décidé par les États membres. Ces deux propositions s’engageaient clairement sur le chemin du fédéralisme auquel De Gaulle était totalement hostile. C’est pourquoi, entre le 30 juin 1965 et janvier 1966, la France pratiqua « la politique de la chaise vide » dans les instances européennes. De Gaulle eut finalement gain de cause contre Hallstein. Lors de la campagne pour les élections présidentielles de 1965, De Gaulle s'exprima sur l'Europe lors d'un entretien télévisé. Dans l'extrait ci-dessous, très célèbre, notamment en raison de sa formule " on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « l'Europe ! l'Europe ! l'Europe ! », mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien ", il formulait sa conception d'une Europe constituée d'une coopération d'Etats souverains. Document : la conception gaullienne de l'Europe Dès lors que nous ne nous battons plus entre Européens occidentaux, dès lors qu'il n'y a plus de rivalités immédiates et qu'il n'y a pas de guerre, ni même de guerre imaginable, entre la France et l'Allemagne, entre la France et l'Italie et, bien entendu, entre la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Angleterre, eh bien ! il est absolument normal que s'établisse entre ces pays occidentaux une solidarité. C'est cela l'Europe, et je crois que cette solidarité doit être organisée. Il s'agit de savoir comment et sous quelle forme. Alors, il faut prendre les choses comme elles sont, car on ne fait pas de politique autrement que sur les réalités. Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant « l'Europe ! l'Europe ! l'Europe ! », mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien. Je répète : il faut prendre les choses comme elles sont. Comment sont-elles ? Vous avez un pays français, on ne peut pas le discuter, il y en a un. Vous avez un pays allemand, on ne peut pas le discuter, il y en un. Vous avez un pays italien, vous avez un pays belge, vous avez un pays hollandais, vous avez un pays luxembourgeois et vous avez, un peu plus loin, un pays anglais et vous avez un pays espagnol, etc. Ce sont des pays, ils ont leur histoire, ils ont leur langue, ils ont leur manière de vivre et ils sont des Français, des Allemands, des Italiens, des Anglais, des Hollandais, des Belges, des Espagnols, des Luxembourgeois. Ce sont ces pays-là qu'il faut mettre ensemble et ce sont ces pays-là qu'il faut habituer progressivement à vivre ensemble et à agir ensemble. A cet égard, je suis le premier à reconnaître et à penser que le Marché commun est essentiel, car si on arrive à l'organiser, et par conséquent, à établir une réelle solidarité économique entre ces pays européens, on aura fait beaucoup pour le rapprochement fondamental et pour la vie commune (…). Chacun a sa patrie. Nous avons la nôtre, les Allemands ont la leur, les Anglais ont la leur, et c'est ainsi. J'ai parlé de la coopération des États, alors cela oui, j'en ai parlé, et je crois que c'est indispensable. Nous avons tâché de l'organiser à cette époque mais cela n'a pas réussi et, depuis, on n'a plus rien fait, excepté nous, qui avons fait quelque chose avec l'Allemagne , car nous avons solennellement, et c'était incroyable après tout ce qui nous était arrivé, nous avons fait avec l'Allemagne un Traité de réconciliation et de coopération. Cela n'a pas non plus jusqu'à présent donné grand-chose. Pourquoi ? Parce que les politiques sont les politiques des États, et qu'on ne peut pas empêcher cela (…). Source: Charles De Gaulle, « Deuxième entretien radiodiffusé et télévisé avec M. Michel Droit, 14 décembre 1965 », in Charles De Gaulle, Mémoires d’espoir, Allocutions et messages , Paris, Plon, 1970, réed. Plon, 2006, p. 965-969 A voir sur : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i12107935/charles-de-gaulle-comme-un-cabri-l-europe-l-europe-l-europe En revanche, De Gaulle ne s’opposa pas à la réalisation du marché commun par le libre échange et la suppression totale des droits de douane entre les six pays membres, qui fut effective le 1er juillet 1968. 2.2 L’accélération des années 1970 La démission de De Gaulle en 1969 permit de relancer la construction européenne car son ancien premier ministre et le nouveau président, Georges Pompidou, passé préalablement par la banque Rothschild, était favorable au libéralisme économique et à la réduction du rôle de l'Etat dans l'économie. En 1973, l’Europe des Six passa à neuf membres avec l’intégration du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark. L’Europe des Neuf se définissait alors par le libéralisme économique, le respect des droits humains et la protection sociale. Le modèle européen s’affirmait donc contre le modèle soviétique (par la référence au libéralisme et au respect des droits humains) et contre le modèle américain (par la référence à la protection sociale). Les grandes réalisations européennes des années 1970 furent portées par le premier véritable « couple franco-allemand », le président Valéry Giscard d’Estaing (VGE) (UDF, centre droit) et le chancelier Helmut Schmidt (SPD, centre gauche). A nouveau, la logique fédérale et la logique intergouvernementale s’affrontèrent. En 1974, VGE parvint à imposer la création des Conseils européens qui réunissent trois fois par an tous les chefs d’État et de gouvernement des pays membres. Selon une logique intergouvernementale, les Conseils européens formulent encore aujourd’hui les grandes orientations de la politique européenne, la Commission devant de décliner ensuite ces orientations. En échange, VGE dut accepter l’exigence des pays du Benelux de l’élection du Parlement européen au suffrage universel à partir de 1979. Ainsi le parlement devenait une instance fédérale qui ne dépendait plus des États, mais qui était dépourvue pour le moment de tout pouvoir. La première présidente élue du Parlement européen en 1979 fut Simone Veil (on jugera au choix si cela constituait pour elle une promotion politique ou un moyen de se débarrasser d'une autorité morale unanimement respectée et donc un peu gênante pour Giscard). La grande affaire des années 1970 était l’inflation, souvent entre 10 et 15 % de hausse des prix par an. Les causes (crise du dollar, choc pétrolier) en sont multiples et il est impossible de les aborder ici. L’inflation était aggravée par la spéculation boursière sur les cours des monnaies : la valeur de chaque monnaie variait constamment par rapport à celle des autres monnaies et cela rendait compliqué le règlement des achats internationaux. Pour les salariés, la situation n’était pas catastrophique puisque les salaires augmentaient automatiquement en même temps que l’inflation. Bien mieux, le taux d'inflation à 10-15 % et une hausse annuelle des salaires équivalente contribuaient à neutraliser les taux d'intérêts des prêts immobiliers ! Par exemple, les salariés qui contractèrent dans les années 1970 des prêts à des taux proches de 10 %, bénéficièrent en réalité d'emprunts à 0 % ! Pour faire face à ces difficultés, en 1978 et 1979, fut créé le Système Monétaire Européen ( SME ) vite rebaptisé « serpent monétaire européen ». Le SME instituait la solidarité entre les monnaies européennes. Tous les pays de la CEE devaient soutenir les monnaies des pays de la CEE en difficulté afin d’éviter que le cours de chaque monnaie ne varie au-delà de plus ou moins 2,25 %, à une époque de crises monétaires fréquentes et créées par la spéculation boursière. Il fallait éviter également que la chute de la valeur d’une monnaie ne réduise trop fortement le prix de ses marchandises exportées dans les autres pays européens et ne produise une concurrence déloyale par la "dévaluation compétitive". Le SME sécurisait les paiements entre les entreprises des différents pays qui étaient alors gênés par la variation permanente des taux de change entre les monnaies européennes. En même temps fut créé l’ European Currency Unit ( ECU ), dont Giscard d'Estaing, dans le texte ci-dessous s'attribue la paternité. Il s'agissait d'une monnaie de référence pour les règlements internationaux. La valeur globale de cette « monnaie panier » dépendait de la valeur de chacune des monnaies européennes. En fonction du poids économique d’un pays, la monnaie de ce dernier représentait une part plus ou moins importante de cette monnaie panier. Le deutschemark entrait pour 30 % de la valeur de l’ECU, le franc français pour 19 %, etc. Le nom de l’ECU fut inventé par VGE en référence à l’écu d’or de Saint-Louis. L’ECU était utilisé uniquement par les grandes entreprises européennes pour assurer leurs règlements internationaux. Il est l’ancêtre de l’Euro. Document : La naissance de l’ECU selon Valery Giscard d’Estaing L'après-midi, autour de la table du Conseil, nous discutons les termes du communiqué. L'accord monétaire européen suppose l'existence d'une unité, d'une monnaie de compte, qui sera l'embryon, le gène de la future monnaie européenne. Comment la nommer ? Embarras autour de la table. Donner à cette unité une appellation en langue anglaise paraît difficile, compte tenu de la non-participation des Britanniques. À l'exception du français, les autres langues de la Communauté sont peu envisageables. Et je devine, aux quelques réflexions échangées, les réticences de nos partenaires vis-à-vis d'un nom français, ressenti comme une manifestation nouvelle de l'impérialisme intellectuel de notre pays. Je demande à Helmut Schmidt, qui préside, de me donner la parole. Le malaise s'épaissit. « Je vous propose de ne pas donner à la nouvelle unité de compte un nom spécial, mais plutôt de la désigner tout simplement par sa fonction: European Currency Unit .» Et je prononce la formule en anglais. Surprise et soulagement général. Le visage de Jim Callaghan [le premier ministre britannique] s'illumine. Il chuchote sa satisfaction à l'oreille de son ministre des Affaires étrangères, David Owen. Il n'y a pas besoin d'un tour de table pour constater l'unanimité. Helmut Schmidt, qui a tout de suite compris le jeu de mots, paraît s'en amuser. Il doit penser que cela permettra de mieux « vendre » le système à l'opinion publique française, ce qui répond à son souhait. Il prend acte de l'accord sur ma proposition. « Dans la pratique, ajoutai-je, toujours en anglais, nous serons conduits à utiliser les initiales, comme pour les Droits de Tirages Spéciaux (DTS). Il vaut mieux les faire figurer entre parenthèses dans les textes : European Currency Unit (ECU). » Pas d'objection. Un peu d'étonnement. On se demande s'il n'y a pas là quelque tour de passe-passe caché. Le Premier ministre belge est le premier à sourire. Puis les autres. Car la monnaie européenne vient ainsi d'être baptisée « écu », du nom que les Français donnaient à la plus précieuse de leurs unités monétaires au temps de la dynastie des Valois. Le 13 mars 1979, le nouveau système monétaire européen entrait en vigueur, sur la base d'une parité du mark de 2,30 par rapport au franc. Celle-ci ne devait pas varier jusqu'en mai 1981. Source : Valéry Giscard d’Estaing, Le pouvoir et la vie , Paris, Compagnie 12, 1988 et 1991, réed. Livre de poche, 2004, p. 143. Enfin, les négociations d’adhésion furent engagée avec des pays qui étaient récemment sortis de la dictature. Ainsi, la Grèce adhéra à la CEE en 1981 pour créer l ’Europe des Dix , l’Espagne et le Portugal en 1986. On parla alors de l’ Europe des Douze . 2.3 Le tournant européen des années 1980 Au début des années 1980, la construction européenne était en panne. Le second choc pétrolier provoqué par la révolution iranienne de 1979 accéléra encore plus l’inflation. En outre, l’élection de Mitterrand puis les élections législatives en 1981 portèrent au pouvoir des hommes politiques de gauche généralement hostiles à la construction européenne présentée comme « l’Europe des marchands et des banquiers ». L'affiche ci-dessous, réalisée par le dessinateur Jean Effel pour le compte du PCF contre le référendum de 1972 en France sur l'adhésion du Royaume-Uni, de l'Irlande et du Danemark, montre bien le point de vue de la gauche de l'époque sur la CEE. Source : http://www.communcommune.com/2015/03/histoire-le-pcf-et-l-europe.html En 1981-1982, Le gouvernement Maurois d’union de la gauche (PS, PCF, MRG) mena une politique de relance d’inspiration keynésienne : hausse importante du SMIC, cinquième semaine de congés payés, retraite à 60 ans (après 37,5 années de cotisation), nationalisation de banques d’affaire et de sept grands groupes industriels. Pour financer ces dépenses, il était nécessaire d’émettre toujours plus de monnaie, ce qui augmentait le taux d’inflation et supposait de dévaluer le franc dont la valeur diminuait automatiquement par rapport à celle des autres monnaies. En 1983, Mitterrand abandonna cette politique de gauche et initia le « tournant de la rigueur » d’inspiration néo-libérale et personnifié par le ministre des finances Jacques Delors et le nouveau premier ministre Laurent Fabius. Ce dernier se débarrassa des ministres communistes du précédent gouvernement et engagea une politique néo-libérale proche de celle qui était menée par Thatcher au Royaume-Uni depuis 1979 et par Reagan aux États-Unis depuis 1980 : réduction des impôts, démantèlement des services publics, remise en cause des acquis sociaux, grandes vagues de licenciements, recul du contrôle de l'économie par l'Etat. Le tournant de la rigueur s’accompagna d’un « tournant européen » pour Mitterrand qui se rapprocha alors du chancelier conservateur Helmut Kohl (CDU) pour former un second couple franco-allemand dynamique. Kohl s’engagea à soutenir le Franc sur les marchés internationaux à condition que Mitterrand engage le tournant de la rigueur qui supposait une forte réduction des dépenses sociales, le gel des salaires et des licenciements massifs dans l’industrie. Tout cela pour défendre la politique du « Franc fort » sur les marchés monétaires internationaux et afin que le Franc ne sorte par du SME. Ainsi, à partir de 1983 le traitement des fonctionnaires fut gelé par Jacques Delors, le ministre de l’économie et des finances : c’est la fin des augmentations automatiques de leur traitement en fonction du taux d’inflation. Plus de quarante ans après, il en est toujours ainsi et les fonctionnaires continuent à perdre énormément de pouvoir d’achat. Le tournant de la rigueur en France montre clairement l'orientation néo-libérale et anti-keynésienne de la construction européenne. Rester dans le SME impliquait de réduire l'inflation qui était favorable aux salariés et aux emprunteurs, comme nous l'avons vu plus haut, mais défavorable aux détenteurs de capitaux dont la valeur se réduisait à cause de l'inflation. En voulant défendre un Franc fort arrimé au Deutschemark, le gouvernement socialiste français faisait le choix des détenteurs de capitaux contre les salariés. Cette politique du Franc fort renchérissait le coût des exportations qui se seraient vendues plus facilement avec un franc dévalué. En outre, en 1984, la loi Delors supprima la distinction entre les banques d'affaires (qui prêtaient aux entreprises et spéculaient sur les monnaient) et les banque des dépôt (qui recueillaient nos salaires et prêtaient aux particuliers). Désormais, toutes les banques pouvaient embaucher des traders et spéculer sur les marchés financiers. Le gouvernement de Laurent Fabius s'est alors clairement engagé dans une politique favorable à la finance et défavorable aux salariés. La conséquence en fut la désindustrialisation de la France : les salaires constituaient désormais la seule variable d'ajustement des entreprises qui furent obligées de délocaliser dans les pays à faibles salaires et à faible protection sociale pour sauvegarder leurs profits. Une autre conséquence de la rigueur budgétaire fut la détérioration continue des services publics, de plus en plus difficiles à financer en raison de la réduction continue des impôts. Désormais, dans le cadre européen, les politiques keynésienne ou "de relance" ne sont plus possibles. Le tournant européen de Mitterrand fut symbolisé par la cérémonie du 22 septembre 1984 devant l’ossuaire ce Douaumont à Verdun, lors de laquelle Mitterrand prit la main de Kohl. Document : la poignée de mains de Verdun, le 22 septembre 1984 . Source : https://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2014/09/22/mitterrand-kohl-main-dans-la-main-a-douaumont-le-pelerinage-de-la-paix Le processus de construction européenne était relancé sous la houlette de Jacques Delors, président de la Commission européenne. En 1985, fut adoptée la Convention de Schengen permettant la libre circulation des citoyens européens à l’intérieur de l’Europe des Douze à partir de 1992 (ce qui signifiait la fin des contrôles d’identité aux frontières entre les Etats de la CEE et le démantèlement des postes de douane aux frontières) et un contrôle accru des frontières extérieures pour limiter l’entrée des migrants non-européens. Cette convention fut l'une des premières pierres du rempart érigé comme les migrants venus du Sud. Tous les États européens n’adhérèrent pas à la convention Schengen (le Royaume-Uni notamment, c’est pourquoi il fallait toujours présenter une pièce d’identité pour s’y rendre) alors que certains États hors communauté européennes (Norvège, Islande, Suisse) adhérèrent à cette convention, comme l’indique la carte suivante : Source : https://www.touteleurope.eu/les-pays-membres-de-l-espace-schengen/ Plus ambitieux fut l’ Acte unique européen élaboré par Jacques Delors, désormais président de la Commission européenne et adopté le 17 février 1986. L’Acte unique annonçait la liberté totale de circulation des marchandises, des capitaux et des personnes (Convention de Schengen) à compter du 21 décembre 1992, dans ce que l’on nomma alors le Grand marché. La libéralisation de la circulation des capitaux doit être replacée dans le contexte mondial de dérégulation des marchés financiers. Pour que ce grand marché fonctionne, il fallut harmoniser les normes des produits (la norme CE) pour qu’ils puissent se vendre dans toute la communauté européenne. Cela concerna les jouets, les prises de courant, la couleur des phares des voitures (en France, pour les voitures, on passa des phares jaunes aux phares blancs), etc. Il fallut également développer la politique commune de la monnaie, de la recherche, etc. Dès lors, la Communauté Européenne remplaça la Communauté Économique Européenne créée par la traité de Rome de 1957. Enfin, en 1987, fut mis en place le programme ERASMUS, précurseur du programme ERASMUS+. 3. Élargissement et approfondissement de la construction européenne 3.1 Les effets de la chute du bloc soviétique La chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, l’effondrement du bloc soviétique dans les semaines qui suivirent et la fin de l’URSS, le 25 décembre 1991, bouleversèrent évidemment le processus de construction européenne. En 1990, la réunification de l’Allemagne agrandit la superficie de la Communauté européenne par l'intégration de l’ancienne RDA à la RFA. En 1995, la Finlande, la Suède et l’Autriche, États théoriquement neutres durant la Guerre Froide et interdits d'adhésion à une organisation internationale, car ils étaient frontaliers du bloc soviétique, purent désormais adhérer à la Communauté européenne. On passa alors de l’Europe des 12 à l’Europe des 15. En 2004, furent intégrés dix nouveaux membres, des anciens pays du bloc soviétique ainsi que Chypre et Malte. En 2007, ce fut le tour de la Roumanie et la Bulgarie, ce qui porta l’Europe à 27. La Croatie fut intégrée en 2013, ce qui porta l’Europe à 28. Avec le Brexit en 2020, on revint à l’Europe des 27. Source : https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/les-elargissements-de-l-union-europeenne-de-6-a-27-etats-membres/ Ces intégrations successives élargirent considérablement la superficie de l’Union mais posèrent de nombreux problèmes. Le premier était celui du différentiel de développement économique entre les pays des Balkans et les pays européens les plus riches. Le second est était des migrations intra-européennes des populations des anciens pays de l'Est cherchant de meilleures conditions de travail à l’ouest, et des populations Roms de Hongrie ,de Roumanie et de Bulgarie, qui cherchent tout simplement à accéder à des conditions de vie dignes. Un autre problème est celui de la gouvernance d’une Europe à 28 États. 3.2 De l’union économique à l’union politique La chute du mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne inquiétèrent fortement Mitterrand qui était issu de la génération de la Seconde Guerre mondiale. Il craignait le renforcement de la puissance allemande qui attirait déjà tous les pays d’Europe de l’Est et qui risquait de marginaliser la France dans la construction européenne. Par exemple, le Deutschemark était devenu au début des années 1990 la monnaie de tous les ex-pays de l'Est dont l'économie et la société s'était trouvée totalement désorganisées par la chute du bloc soviétique et de l'économie collective. Mitterrand s’efforça donc de renforcer le couple franco-allemand et d’ancrer l’Allemagne à l’ouest par le traité de Maastricht en 1992. L’acceptation de ce traité, soumis à référendum en France, fit l’objet d’un intense débat politique en France où chacun devait se positionner pour ou contre "Maastricht". En plus, choisir la ville de Maastricht pour signer un traité d’une telle ampleur était de mauvais augure pour les Français : c’est lors du siège de Maastricht que fut tué d’Artagnan ! Notons en outre que l'adoption de ce traité marqua le premier véritable débat sur la construction européenne depuis les années 1950. Le traité de Maastricht fut surtout marqué par trois grands types de réalisations. La première réalisation du traité de Maastricht fut l’ Union Économique et Monétaire . Les États membres devaient respecter des critères de convergence économique afin de favoriser leur intégration économique. En outre, leur déficit budgétaire ne devait pas être supérieur à 3 % de leur PIB (au passage, ce nombre n'a aucune valeur scientifique. Il faut retenue en raison de sa valeur symbolique). La Banque Centrale Européenne ( BCE ) fut créée afin de préparer la mise en place en 2002 de la monnaie unique européenne, l' euro , puis de sa gestion (19 États aujourd’hui). La BCE, totalement indépendante des États, est une institution économique de type fédéral qui impose sa politique économique aux Etats. Elle est dirigée par Christine Lagarde depuis 2019. La seconde réalisation était la Politique étrangère et de sécurité commune ( PESC ) qui devait exprimer une sorte de diplomatie commune afin que tous les pays européens parlent d’une même voix à l’échelle internationale. Ce fut globalement un échec. Les prérogatives du Parlement européen furent renforcées : il investit la Commission européenne et joue un rôle plus important dans l’élaboration des règlements européens. Le principe de subsidiarité fut imposé : une loi ou une juridiction de niveau européen s’imposent au niveau de chaque État. On institua enfin la citoyenneté européenne (passeport européen, droit de vote de tous aux élections locales et aux élections européennes). Document : Extraits du traité de Maastricht Résolus à franchir une nouvelle étape dans le processus d'intégration européenne engagé par la création des Communautés européennes ; Rappelant l'importance historique de la fin de la division du continent européen et la nécessité d'établir des bases solides pour l'architecture de l'Europe future ; Confirmant leur attachement aux principes de la liberté, de la démocratie et du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'État de droit ; Désireux d'approfondir la solidarité entre leurs peuples dans le respect de leur histoire, de leur culture et de leurs traditions ; Désireux de renforcer le caractère démocratique et l'efficacité du fonctionnement des institutions, afin de leur permettre de mieux remplir, dans un cadre institutionnel unique, les missions qui leur sont confiées ; Résolus à renforcer leurs économies ainsi qu'à en assurer la convergence, et à établir une union économique et monétaire, comportant, conformément aux dispositions du présent traité, une monnaie unique et stable ; Déterminés à promouvoir le progrès économique et social de leurs peuples, dans le cadre de l'achèvement du marché intérieur et du renforcement de la cohésion et de la protection de l'environnement, et à mettre en œuvre des politiques assurant des progrès parallèles dans l'intégration économique et dans les autres domaines ; Résolus à établir une citoyenneté commune aux ressortissants de leurs pays ; Résolus à mettre en œuvre une politique étrangère et de sécurité commune, y compris la définition à terme d'une politique de défense commune qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune, renforçant ainsi "identité de l'Europe et son indépendance afin de promouvoir la paix, la sécurité et le progrès en Europe et dans le monde ; Réaffirmant leur objectif de faciliter la libre circulation des personnes, tout en assurant la sûreté et la sécurité de leurs peuples, en insérant des dispositions sur la justice et les affaires intérieures dans le présent traité; Résolus à poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe, dans laquelle les décisions sont prises le plus près possible des citoyens, conformément au principe de subsidiarité ; Dans la perspective des étapes ultérieures à franchir pour faire progresser l'intégration européenne; Ont décidé d'instituer une Union européenne (…). Source : Extrait de : « Traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992 », dans Traité sur l'Union européenne, Conseil des Communautés européennes, Luxembourg, Office des publications officielles des Communautés européennes, 1992. Cité par Ph. Mioche, penser et construire l’Europe XIXe – XXe siècle , Paris, Hachette 1996, p. 130-133. Ajoutons ici une analyse tirée de l'excellent ouvrage en BD de Benoit Collombat et Damien Cuvillier, Le choix du chômage. de Pompidou à Macron, enquête sur les racines de la violence économique (Futuropolis, 2021). Les choix qui ont présidé à la construction de l'Union européenne sont inspirés par une logique néo-libérale. Alors que le libéralisme suppose un marché libre et une intervention minimale de l'Etat, le néo-libéralisme suppose que l'Etat se mette au service de du marché. La monnaie unique est désormais gérée par la BCE, instance fédérale en l'absence d'Etat fédéral. L'objectif constamment affirmé de la BCE est d'assurer la libre circulation des capitaux, la lutte contre l'inflation au service d'une politique d'austérité. Les Etats ont perdu leur souveraineté budgétaire et monétaire. Il ne leur est plus possible de financer une politique sociale par le déficit budgétaire ou l'émission de monnaie, selon une logique keynésienne. En outre, comme l'Euro est maintenu à une valeur élevée, les exportations de certains pays furent pénalisées. La conséquence fut la "spécialisation" des pays membre de l'UE: tourisme et agriculture maraichère pour les pays du sud, tourisme et services pour la France, finances pour le Luxembourg et les Pays-Bas, industrie pour l'Allemagne, sous-traitance industrielle pour les anciens pays de l'Est. L'Euro constitue donc l'instrument d'une politique néo-libérale et de l'austérité budgétaire. Parler de "réindustrialisation de la France" dans un tel contexte relève d'une mystification pure et simple. En outre, la puissance de l'économie allemande reposait sur l'énergie à bon marché importée de Russie et sur l'exportation de sa production industrielle dans le reste de l'Europe et dans le monde. La guerre en Ukraine et la concurrence industrielle de la Chine ont considérablement fragilisé l'économie allemande. La Communauté Européenne à dimension essentiellement économique fut remplacée le 1er janvier 1993 par l’ Union Européenne dont s’affirmait désormais la dimension politique. Source : https://www.touteleurope.eu/les-pays-membres-de-la-zone-euro/ 3.3 Les limites de la construction européenne La construction européenne est à géométrie variable : certains États de l’UE ont intégré l’espace Schengen et d’autres non, certains États ont intégré l’union économique et monétaire (la zone euro) et d’autres non. Aujourd’hui la construction européenne est fragilisée par le Brexit et l’euroscepticisme manifeste de plusieurs dirigeants de pays d’Europe de l’Est. La construction européenne a certes sauvegardé la paix entre ses États membres. Elle n’a cependant pas su empêcher la guerre civile en ex-Yougoslavie entre 1991 et 1995 et elle reste dépourvue d’une politique étrangère cohérente, comme on l’a vu le voir lors de l’intervention américaine en Irak en 2003 (soutenue par le Royaume-Uni, refusée par la France) et comme on le voit depuis le début de la guerre en Ukraine. Il ne faut pas non plus oublier l’inhumanité et l’incohérence de la politique de l’Union européenne à l’égard des migrants venus du Moyen Orient et d’Afrique. Enfin, d'aucuns considèrent que la mise en place d'un marché unique a contribué à spécialiser l'économie des Etats européens : l'Espagne est devenue le jardin de l'Europe (les serres irriguées ont remplacé les oliveraies en Andalousie), la Hongrie et la Roumanie, grâce à leurs bas salaires, ont accueilli les usines automobiles délocalisées depuis la France et l'Allemagne, la France est devenue un pays de services, etc. Cette division internationale du travail a contribué à rendre les économies nationales totalement interdépendantes et à générer d'énormes flux de transports routiers internationaux. Pour terminer, présentons le fonctionnement actuel des institutions européennes renforcées par le traité de Lisbonne de 2007, qui reprit les dispositions du traité constitutionnel de 2005 rejeté par référendum en France. Nous proposons deux schémas différents d'un système complexe. La lectrice ou le lecteur choisira celui qui lui parle le plus. Source : https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/les-institutions-europeennes/ Source : https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/europe-mdv61 Le Conseil européen regroupe les chefs d’État et de gouvernement et le ou la président·e de la Commission européenne. Il fixe les grandes orientations de la politique européenne et nomme les membres de la Commission européenne. Le Conseil de l’Union européenne rassemble les ministres des États membres. Il propose les textes de loi examiné par la Commission et le Parlement puis les applique : il concentre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Le Parlement européen , à Strasbourg, est constitué de 705 députés (depuis le Brexit) élus au suffrage universel de liste tous les cinq ans. Il investit la commission et examine les projets de loi européens. Il est dirigé par Roberta Metsola depuis 2022. Le Qatargate puis le Moroccogate qui ébranlèrent le Parlement européen à la fin de l'année 2022 ont montré que certains parlementaires manquent de prudence face aux lobbystes très nombreux dans les couloirs des institutions européennes. La Commission européenne située à Bruxelles est composée de 27 commissaires (un par État membre). Elle est dirigée par Ursula von der Leyen depuis 2019 (réélue en 2024). Elle rédige les textes législatifs proposés par le Conseil de l’Union européenne et s’assure de leur exécution. Ainsi, elle exerce en même temps le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Enfin la Cour de justice européenne règle les conflits entre les États et dit le droit européen. A partir des élections européennes de 2024, la répartition des responsabilités européennes est la suivante : Ursula von der Leyen dirige la Commission européenne (second mandat), Antonio Costa (Portugal) préside la Conseil européen (il succède à Charles Michels), Roberta Metsola préside la Parlement (second mandat), Kaja Kallas (Estonie) dirige la politique étrangère. Il est difficile de commenter les institutions européennes : elles mélangent la logique fédérale et la logique intergouvernementale. Elles ne suivent pas la logique de la séparation des pouvoirs car une même institution peut exercer à la fois un pouvoir législatif et un pouvoir exécutif. Conclusion Plus que tout autre histoire, l’histoire de la construction européenne est complexe car elle s’est bâtie à l’occasion de nombreuses crises nécessitant des compromis entre des intérêts et des visions opposées. En outre les discours politiques rendent encore plus opaque le fonctionnement des institutions européennes. On a longtemps reproché à l’Europe un fonctionnement peu démocratique alors que ses orientations sont décidées par les chefs d’État et de gouvernement et non pas par ceux que l’on appelait à une époque les « eurocrates » de Bruxelles, qui ne rendaient compte de leurs décisions à personne. Les partisans d’une Europe intergouvernementale disent qu’il y a trop d’Europe, les partisans d’une Europe fédérale disent qu’il y a trop peu d’Europe.

  • Le temps des rois : la traite négrière et l'esclavage

    Par Didier Cariou, maître de conférences HDR en didactique de l’histoire à l’Université de Bretagne Occidentale Quelques références BOUCHERON, Patrick (dir.) (2017). Histoire mondiale de la France. Paris : Seuil. GUILLET, Bertrand (2009). La Marie-Séraphique, navire négrier. Nantes : Musée d’histoire de Nantes – Éditions MeMo. PETRE-GRENOUILLEAU, Olivier (2003). Les traites négrières. Documentation photographique n° 8032. Le site du Mémorial de l’abolition de l’esclavage de Nantes : https://memorial.nantes.fr/ Mots-clés du cours Loi Taubira, Crime contre l’humanité, Îles à sucre, Îles à esclaves, Marronnage, Colbert, Mercantilisme, Manufactures, Traite négrière, Compagnie des Indes occidentales, Compagnie de Indes orientales, Compagnie de Guinée, Exclusif colonial, Martinique, Guadeloupe, Saint-Domingue, Île Bourbon, Commerce triangulaire, Indiennes, Économie de plantation, Société esclavagiste, Code noir, Interdictions de la traite, Abolitions de l’esclavage, Victor Schoelcher, Révolte de Saint-Domingue, Compensations. Que dit le programme ? Extrait du programme du cycle 3 (classe de CM1), 2020 Thème 2 : Le temps des rois Contenus et démarches : "On inscrit dans le déroulé de ce thème une présentation de la formation du premier empire colonial français, porté par le pouvoir royal, et dont le peuplement repose notamment sur le déplacement d’Africains réduits en esclavage". Extrait de la fiche Eduscol Thème 2 : le temps des rois C’est sous Louis XIV que le premier empire colonial français devient une priorité économique et politique, même si l’expansion coloniale commence dès le début du XVIIe siècle, notamment en Nouvelle France (du Canada à la Louisiane), après les balbutiements inaboutis de Jacques Cartier et de la France Antarctique au XVIe siècle. Les départements et les régions d’outremer constituent les traces de cet empire colonial français dans la France d’aujourd’hui. La participation de la France à la traite négrière doit beaucoup à la volonté du pouvoir royal de favoriser le grand commerce français (mercantilisme). Introduction Le texte du programme et celui de la fiche Eduscol sont assez elliptiques. Dans la fiche Eduscol, seule la traite négrière est évoquée, seulement en lien avec le mercantilisme. Le programme évoque l’esclavage en lien avec le peuplement du premier empire colonial français. Des termes très vagues pour évoquer l’une des pages les plus sombres de l’histoire de France. Pourquoi étudions-nous ce thème en classe de CM1 ? Pour le comprendre, revenons à la loi Taubira , promulguée par le président Chirac le 21 mai 2001. Christiane Taubira, députée de Guyane, rapporteure de la loi, avait porté la voix des populations antillaises qui réclamaient une meilleure visibilité de l’histoire de leurs ancêtres dans l’espace national. L’article 1 de la loi reconnaît la traite négrière transatlantique et dans l’océan indien, ainsi que l’esclavage, comme un crime contre l’humanité . La notion de crime contre l’humanité est une catégorie juridique mobilisée pour la première fois lors du tribunal de Nuremberg contre les criminels de guerre nazis, en 1945. Il est défini par l’article 6 du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg comme : « l’assassinat, l ’extermination, la réduction en esclavage, l a déportation, et tout autre acte inhumain inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisés en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile ». Alors que le crime de génocide, officiellement reconnu comme catégorie juridique en 1948, vise l’extermination de l’ensemble d’un groupe humain identifié par des caractéristiques soi-disant ethniques ou religieuses, le crime contre l’humanité désigne plus généralement un ensemble d’atteintes qui nient humanité des personnes qui en sont les victimes. Selon cette définition, comme nous le verrons, la traite négrière et l’esclavage relèvent bien de la catégorie du crime contre l’humanité. L’article 2 de la loi Taubira stipule que « Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent ». La loi attend donc des professeur.es une étude de ces thèmes à l’école primaire, au collège et au lycée. Cette étude est essentielle en raison de la nature même de ces faits historiques et de leurs répercussions dans la société française d’aujourd’hui. Document : Loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité Article 1. La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité. Article 2. Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent. La coopération qui permettra de mettre en articulation les archives écrites disponibles en Europe avec les sources orales et les connaissances archéologiques accumulées en Afrique, dans les Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres territoires ayant connu l'esclavage sera encouragée et favorisée. Article 3. Une requête en reconnaissance de la traite négrière transatlantique ainsi que de la traite dans l'océan Indien et de l'esclavage comme crime contre l'humanité sera introduite auprès du Conseil de l'Europe, des organisations internationales et de l'Organisation des Nations unies. Cette requête visera également la recherche d'une date commune au plan international pour commémorer l'abolition de la traite négrière et de l'esclavage, sans préjudice des dates commémoratives propres à chacun des départements d'outre-mer. Source : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000405369/#:~:text=Dans%20les%20r%C3%A9sum%C3%A9s-,Loi%20n%C2%B0%202001%2D434%20du%2021%20mai%202001%20tendant,que%20crime%20contre%20l'humanit%C3%A9 Il faut savoir que les historien·nes sont divisé.es sur le texte de cette loi. Certain.es considèrent que la loi n’a pas à leur ordonner ce qu’elles et ils doivent penser d’un fait historique. Elles et ils considèrent également que cette loi n’exprime que la mémoire d’un groupe, à savoir les citoyen·nes ultramarin·es. Elle pourrait également ouvrir la voie aux revendications identitaires d’autres groupes qui pourraient ainsi remettre en cause l’unité de la nation française. D’autres historien·nes considèrent au contraire que les élu·es de l’Assemblée nationale et du Sénat jouent leur rôle quand elles et ils expriment, en tant que représentant·es de la nation, la façon dont la société française ressent et envisage aujourd’hui ces faits historiques. En outre, la mémoire de la traite et de l’esclavage n’est pas seulement la mémoire d’un groupe particulier. Elle concerne l’ensemble de la communauté nationale, comme nous le verrons. J’adhère personnellement à ce second point de vue. En faisant attention à ne pas tomber dans l’anachronisme (les esclavagistes de l’époque n’avaient pas conscience de commettre une crime contre l’humanité, notion inconnue à l’époque), nous pouvons étudier cette histoire avec les élèves en montrant en quoi elle a nié l’humanité des Africain·es déporté·es à travers l’océan Atlantique et l’océan Indien et les a soumis à des traitements dégradants et inhumains. En outre, le texte de la loi Taubira me semble plus digne que le texte du programme qui se contente de relier la traite et l’esclavage au peuplement des actuels départements et régions d’outre-mer et au mercantilisme. 1. Le contexte : le premier empire colonial français 1.1 La recherche d'un empire français outre-Atlantique La question de la traite négrière et de l’esclavage s’inscrit dans la construction, aux XVIe et XVIIe siècles, du premier empire colonial français situé dans les Amériques. Rappelons que l’intérêt français pour les Amériques remonte au règne de François Ier. Ce dernier avait missionné le Florentin Jean Verrazzano pour explorer la côte atlantique de l’Amérique du nord. En 1524, il découvrit une baie qu’il nomma la Nouvelle-Angoulême en hommage à François Ier, natif d’Angoulême. Plus tard, les Hollandais nommèrent ce lieu la Nouvelle-Hollande, puis les Anglais le nommèrent New York. Le pont Verrazzano à New York perpétue le souvenir de ce premier explorateur des côtes américaines qui mourut peut-être en Guadeloupe en 1528 et qui est bien oublié de ce côté-ci de l’Atlantique. Par la suite, François Ier commandita les trois expéditions du malouin Jacques Cartier vers le nord du continent américain le long du fleuve Saint-Laurent en 1534, 1535-1536 et en 1541-1542. A la suite de ses échecs en Italie, le roi voulait que soit trouvée une voie vers la Chine en contournant le continent américain par le nord (le mythique passage du nord-ouest). Jacques Cartier explora l’embouchure du Saint-Laurent, puis le futur site de Québec et le futur site de Montréal. Par la suite Champlain fonda la ville de Québec en 1608 et fonda la colonie de la Nouvelle-France (le Québec actuel). Parallèlement, en 1556, le vice-amiral de Villegagnon fonda une colonie, relevant de ce que l’on appela la « France antarctique », dans la baie de Rio, avant d’en être chassé par les Portugais en 1559. Entre 1562 et 1565 des protestants français avaient tenté de s’installer en Floride, mais il en furent chassés par les Espagnols. Alors que l’influence française s’étendait dans toute l’Amérique du nord, de Québec à la Nouvelle-Orléans en passant par Détroit, Saint-Louis et Bâton-Rouge (villes fondées et nommées par des Français), c’est seulement un siècle après les voyages de Jacques Cartier et de Verrazzano que les Français parvinrent à s’implanter durablement dans les îles des Antilles. Les principales îles françaises étaient Saint-Domingue (l'actuelle Haïti), possession française à partir du traité de Ryswick en 1697 et jusqu’en 1804, et la Martinique et la Guadeloupe, colonisées à partir de 1635 par la Compagnie des Îles d’Amérique. La Guyane fut colonisée à partir de 1643. La carte ci-dessous suffit à montrer la disproportion territoriale entre Saint-Domingue d’une part, la Guadeloupe, la Martinique et les îles voisines, d’autre part. Au départ, les autorités hésitèrent sur la fonction de ces nouvelles possessions. Elles servirent tout d’abord de bases pour des actions de piraterie menées par les boucaniers et les flibustiers contre les convois de galions espagnols. L’Espagne étant l’un des ennemis principaux de la monarchie française aux XVIe et XVIIe siècle. Source : L’histoire n°353, mai 2010, p. 46. 1.2 Des iles esclavagistes aux Antilles Au milieu du XVIIe siècle, la recherche de nouvelles sources de profits conduisit les Français à développer les cultures de plantation sur ces îles au climat tropical afin de ne plus devoir les acheter aux Portugais et aux Espagnols. Au départ, ces îles produisaient des cultures vivrières et du tabac cultivés par des petits propriétaires employant une main d'œuvre servile composée d'Amérindiens et d'"engagés" venus de métropole. Ces marins, paysans et artisans pauvres étaient recrutés en métropole pour une durée de trois ans. Le propriétaire payait leur traversée qui devaient être remboursée par une forme de travail servile durant trois ans. Le défrichement des îles des Antilles fut donc réalisé par une population servile blanche. Cependant cette dernière supporta difficilement le climat tropical et surtout la rigueur du travail servile. En général les engagés qui survivaient ne renouvelaient pas leur contrat, si bien que la main d'œuvre restait toujours trop peu nombreuse. Le cardinal de Richelieu autorisa alors l’esclavage en provenance d'Afrique dans les îles des Antilles, en 1642, afin de développer les plantations de tabac, d’indigo et de sucre. A partir des années 1660, la traite négrière atlantique prit son essor alors que se développait la culture sucrière aux Antilles. Saint-Domingue, La Guadeloupe et la Martinique devinrent devinrent des « îles à sucre » ou des « îles à esclaves ». Il en alla de même dans l’océan indien avec l’île Bourbon (l’actuelle île de la Réunion) et l’île de France (l’actuelle île Maurice). Ces îles présentaient un double intérêt. Situées dans la zone intertropicale, elles étaient évidemment propices à la culture de plantes tropicales, notamment la canne à sucre dont la consommation était exponentielle dans les pays européens. Étant des îles d’assez petite taille (à l’exception de Saint-Domingue), elles réduisaient la possibilité du marronnage (la fuite des esclaves qui parvenaient temporairement à constituer des communautés libres dans les endroits les plus reculés de ces îles). 2. La traite négrière 2.1 Le cadre institutionnel de la traite Dans l’Ancien Régime, le mot « traite » désignait le commerce en général et le mot « traitant » un négociant. La traite négrière , considérant les populations africaines comme une marchandise, naquit d’un besoin important de main-d’œuvre que l’on ne pouvait pas obtenir par le simple accroissement naturel des populations locales des îles. Elle supposait l’existence de vastes réseaux commerciaux transocéaniques. Des Africains étaient capturés par d’autres populations africaines à l’occasion de guerres ou de razzias puis vendus à des navigateurs européens qui les transportaient de l’autre côté de l’Atlantique. Les principaux pays impliqués dans la traite négrière étaient le Portugal (dominant aux XVIe et XVIIe siècle), puis l’Angleterre, la Hollande et la France (qui dominèrent le marché de 1675 à 1800). N’oublions pas que la traite atlantique n’était que l’un des « marchés » de ce sinistre commerce. Il existait une traite transsaharienne en direction du monde arabe ainsi qu’une traite orientale dans l’océan indien qui alimentait en main d’œuvre servile l’île Bourbon (l’actuelle île de la Réunion) et l’île de France (l’actuelle île Maurice). On estime que la traite atlantique conduisit à la déportation d’environ 11 millions de personnes du XVIe au XIXe siècle, dont un million de personnes déportées par des bateaux français. Source : Les anneaux de la mémoire. Catalogue de l’exposition , Nantes, Château des ducs de Bretagne, 1992, p. 51. Pour le royaume de France, ce trafic s’intégrait dans la logique du mercantilisme que l’on appelle également le colbertisme car il était prôné par Colbert (1619-1683), le contrôleur général des finances de Louis XIV. Selon lui, la puissance d’un État se mesurait à la quantité d’argent qu’il pouvait accumuler. Il convenait donc de produire des richesses dans le royaume par le moyen des manufactures bénéficiant d’un privilège royal et de développer le commerce extérieur afin de dégager un excédent commercial. Il fallait réduire les importations et développer les exportations qui devaient provoquer un afflux de métaux précieux dans le royaume. L'augmentation des taxes douanières ainsi obtenues rempliraient les caisses de l’État. Les îles devaient donc produire du tabac puis du café et du sucre pour répondre aux besoins de la métropole, afin de ne plus acheter ces produits aux autres puissances coloniales. Or, pour le moment, les Hollandais transportaient les captifs vendus aux Antilles et commercialisaient le sucre des Antilles. En 1664, Colbert créa donc la Compagnie des Indes occidentales , basée au Havre. Elle obtint le monopole du commerce français dans tout l’Atlantique, entre l'Amérique (commerce du sucre) et l’Afrique (commerce des captifs). Cette compagnie racheta les îles de la Guadeloupe et de la Martinique ainsi que leurs dépendances. La même année, Colbert créa la Compagnie des Indes orientales basée à Lorient, afin de concurrencer les Anglais et les Hollandais sur le marché les cotonnades et les épices indiennes en Asie du Sud. Cette compagnie avait le monopole du commerce français dans l’océan indien. L’île Bourbon (La Réunion) et l’île de France (l’Île Maurice) offraient une étape sur la route des possessions françaises en Inde. Cependant, comme elle était lourdement taxée, car elle devait contribuer à remplir les caisses de l’État, la Compagnie des Indes occidentales ne parvenait pas à fournir suffisamment de captifs aux Antilles et le prix du sucre vendu en France était trop élevé. Elle fut donc dissoute en 1674, les îles des Antilles devinrent alors des colonies royales, et le monopole commercial passa à la Compagnie de Guinée . En 1716, l’abolition de tout monopole laissa le champ libre aux armateurs des ports de La Rochelle, Bordeaux, Saint-Malo puis Nantes, Lorient et Saint-Malo. D’autres compagnies bénéficièrent d’un privilège royal. L’ exclusif colonia l subsista malgré tout, à savoir le monopole du commerce avec les Antilles françaises pour les navires français et l’interdiction pour les colonies de transformer leurs matières premières et d'échanger avec les autres iles des Caraïbes. Au début du XXIe siècle, cette situation est restée quasiment inchangée pour la Martinique et la Guadeloupe qui importent toujours une grande partie de leur nourriture et de leurs biens de consommation depuis la métropole. Enfin, par le traité de Nimègue qui clôtura la guerre de Hollande en 1678, la France acquit quatre anciens comptoirs hollandais sur les côtes de l’actuel Sénégal : Rufisque, Gorée , Portendal et Joal. Aujourd’hui, la maison des esclaves de Gorée est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Elle reste de symbole de la souffrance des captifs entassés dans les navires négriers à partir de ce comptoir, même si Gorée ne fut pas, et de loin, le comptoir esclavagiste français le plus important de la côte africaine. Les plus importants étaient Ouidah (dans l’actuel Bénin) et Louango (en actuelle Angola). 2.2 L’organisation de la traite négrière On a longtemps appelé « commerce triangulaire » les voies commerciales reliant l’Europe à l’Afrique et aux Antilles. Ce terme oublie le commerce en droiture entre l’Afrique et le Brésil. En outre, les seuls navires négriers ne suffisaient pas à transporter le sucre des Antilles. Des navires effectuaient donc des rotations régulières, en droiture, entre les ports français et les Antilles. Ce commerce enrichit considérablement les ports négriers tels que Liverpool (premier port négrier européen), Nantes (premier port négrier français), Bordeaux, etc. Document : Les traites négrières XVIe-XIXe siècle Source : Documentation photographique n°8032, p. 3. A partir de la fin du XVIIe siècles, les navires européens transportaient des produits textiles (notamment des indiennes , des tissus de coton fabriqués en Inde et imprimés en France, à Nantes en particulier), des articles de parure, des métaux, des armes et des spiritueux. Ces produits étaient échangés contre des captifs dans les comptoirs africains au cours de tractations qui pouvaient durer des semaines entières. Les captifs étaient alors enchaînés et entassés dans l’entrepont des bateaux. Prenons l’exemple du navire négrier nantais, la Marie-Séraphique, un navire de 20 m de long et de 150 tonneaux de port, bien connu par l’ouvrage de Bertrand Guillet, La Marie-Séraphique, navire négrier , paru en 2010. Cet ouvrage s’appuie sur une gravure assez rare décrivant l’organisation du navire durant la traversée de l’Atlantique. Le navire appareilla de Paimboeuf, dans l’estuaire de la Loire, le 1er mai 1769. A son bord se trouvaient de nombreuses pièces de tissu, dont des indiennes, des pièces de coton produites en Inde et imprimées en France. Document : Modèles d’empreinte pour l’impression d’indiennes de traite Source : Guillet, Bertrand (2009). La Marie-Séraphique, navire négrier. Nantes : Musée d’histoire de Nantes – Éditions MeMo, p. 58-59. Document : Dessin d'indiennes de traite. Entreprise Favre, Petitpierre et Compagnie, à Nantes. https://www.chateaunantes.fr/thematiques/traite-negriere-atlantique/ Document : Fusil de traite, fabriqué à Liège à la fin du XVIIIe siècle Source : Les anneaux de la mémoire. Catalogue de l’exposition , Nantes, Château des ducs de Bretagne, 1992, p. 26. La cargaison était complétée de fusils de traite fabriqués en Angleterre ou en Hollande, de barils de poudre et de plombs, ainsi que de sabres, de verroterie et de barres de fer. On le voit, ce commerce de produits venus d’Inde, d’Angleterre, des Pays-Bas et de France, destiné à déporter des Africains aux Antilles pour en ramener du sucre et de café en France, était déjà mondialisé. Dans la cargaison, il ne faut pas non plus oublier les barils d’eau douce et la nourriture des marins. Le navire longea les côtes africaines et cabotant et parvint à Louango, petit royaume esclavagiste (dans actuelle Angola) le 22 août 1769. Après les paiement de diverses taxes au souverain local, la traite se déroula pendant 116 jours. Il s’agissait de négocier l’achat de captifs à des fournisseurs locaux en échange des marchandises transportées par le bateau. Chaque soir, les captifs achetés dans la journée étaient acheminé sur le navire et enchaînés dans l’entrepont. Le texte et la gravure ci-dessous indiquent la manière habituelle de procéder. Document : Conseils pour l’achat des esclaves sur la côte africaine, "Si vous avez un petit navire, vous mouillez et allez à Bany (…). Il faut aller voir le roi et porter comme cadeaux à ses femmes une bonne pièce de bœuf salé, une vingtaine de ivres de biscuits, et une ancre d’eau de vie ; le presser d’ouvrir la traite, pour pouvoir acheter de suite ce qui vous est nécessaire, pour caser, ne pouvant rien acheter sans que la traite soit ouverte par le roi. Il faut lorsque le roi vient à bord avec son parlement et sa suite pour ouvrir la traite, faire cuire le bœuf salé et se précautionner de biscuits. On n’admet à la table que le roi et les principaux princes, le reste mange sur le pont ; ayant soin de surveiller car ils aiment à voter. Le capitaine ira le soir sur les 4 heures à terre pour visiter les courtiers et le roi ; on commence par leur demander les captifs qui leur sont venus dans la journée ; la valeur des présents faits à chaque courtier tient à la quantité de captifs qu’on présume qu’ils sont capables de vous faire faire". Lettre adressée à Vincent Magouët, capitaine du Guerrier , parti de Nantes avec 39 hommes le 18 mars 1790, arrivé à Saint-Domingue le 6 septembre avec 323 esclaves. Source : Les anneaux de la mémoire. Catalogue de l’exposition , Nantes, Château des ducs de Bretagne, 1992, p. 28-29 Document : Gravure extraite de : François Froger, Relation d’un voyage aux Côtes d’Afrique , 1699. Bibliothèque municipale du Havre, 35864. Source : https://archives.lehavre.fr/document-archives/gravures/commerce-des-esclaves Le navire appareilla le 18 décembre 1769 avec à son bord, 312 captifs : 192 hommes, 60 femmes, 51 garçons et 9 filles. Le déséquilibre des sexes montre que les planteurs achetaient d’abord des hommes vigoureux pour travailler sur les champs de canne à sucre. Les femmes et les enfants étaient destinés à la domesticité. Les dessins du navire montrent les 350 barriques d’eau et la nourriture stockées dans la cale et surtout l’entassement des captifs dans l’entrepont. Document : Vue de la Marie-Séraphine devant le Cap-Français à Saint-Domingue (Haïti) Source : Guillet, Bertrand (2009). La Marie-Séraphique, navire négrier. Nantes : Musée d’histoire de Nantes – Éditions MeMo. Document : Plan, profil et distribution du navire La Marie Séraphique. Source : Guillet, Bertrand (2009). La Marie-Séraphique, navire négrier. Nantes : Musée d’histoire de Nantes – Éditions MeMo. Autre source possible : https://www.chateaunantes.fr/thematiques/traite-negriere-atlantique/ Ce document est unique. De nombreuses gravures montrant l'organisation des navires négriers sont de longue date reproduites dans les manuels scolaires, mais elles furent le plus souvent publiés initialement par des sociétés anti-esclavagistes britanniques. On pouvait penser que ces gravures exagéraient les conditions d'entassement des captifs afin de susciter l'effroi et la compassion des lecteurs pour les convertir à la cause abolitionniste. Le plan de la Marie-Séraphique expose naïvement et de bonne foi les conditions atroces des captifs. Il nous apprend que les autres gravures, réalisées pourtant dans une logique militante, n'étaient pas du tout caricaturales. La traversée de l’Atlantique par la Marie-Séraphique dura deux mois, en suivant la route des alizés. Par beau temps, les captifs pouvaient monter sur le pont par petits groupe afin de s’aérer et de faire un peu de toilette, tandis que d’autres captifs nettoyaient l’entrepont pour limiter les risques d’infection et de maladie. Par mauvais temps, ils restaient en permanence dans l’entrepont où les conditions devenaient atroces. Malgré ces précautions, cinq marins moururent durant la traversée ainsi que cinq hommes, deux femmes et deux garçons parmi les captifs. En général, on estime qu’un peu plus de 10 % des captifs en moyenne mouraient durant les traversées. Une fois la traversée effectuée, les captifs étaient mieux nourris et soignés afin qu’ils fassent bonne figure lors des ventes aux enchères. Le 16 février 1770, la Marie-Séraphique mouilla dans la rade du Cap-Français (aujourd’hui Cap-Haïtien), à Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti). La vente dura près d’un mois. Document : « La vente des nègres ». Estampe, extraite de la revue La France maritime , 1837-1842, tome 3. Musées d’art et d’histoire du Havre, MA.1988.1.5. Source : https://archives.lehavre.fr/document-archives/gravures/la-vente-des-negres Le navire fut ensuite chargé de barriques de sucre et de café et appareilla pour la France le 18 mai 1770. Il entra dans l’estuaire de la Loire le 28 juin 1770. Ce trafic générait des profits d’environ 10 %, ce qui n’était pas négligeable dans le contexte économique de l’Ancien Régime. Il contribua au développement d’activités industrielles dans les ports négriers (manufacture d’indiennes, constructions navales, raffineries de sucre). Il enrichit les grandes familles d’armateurs nantais, bordelais, etc. Une grande partie du centre-ville de Nantes fut construite au XVIIIe siècle par ces armateurs avec l’argent de la traite. Ce commerce un peu particulier fut également à l’origine de la prospérité d’une bonne partie de la grande bourgeoisie nantaise. Par exemple, comme l’indique sa notice Wikipedia, Louis Drouin (1722-1813) a construit sa fortune en finançant des navires négriers et en acquérant une plantation à Saint-Domingue. Jusqu’en 1975, la société des Cars Drouin Frères assura tous les transports en autocar (lignes régulières, transports scolaires) dans le département de la Loire-Atlantique. 3. L’économie de plantations esclavagistes 3.1 L’organisation des plantations L'orientation vers la culture de la canne à sucre bouleversa totalement la société des Antilles. Elle nécessitait une main d'œuvre nombreuse et réduite à l'obéissance importée de force depuis l'Afrique. Elle supposait également la mobilisation de capitaux abondants, ce qui conduisit une minorité de gros exploitants à s'emparer progressivement des possessions des petits propriétaires incapables de s'adapter. L’apogée des plantations esclavagistes sur les îles à sucre se situa au XVIIIe siècle. Une plantation employait entre 100 et 500 esclaves. Déracinés, déshumanisés, survivants d'un voyage terrifiant à fond de cale, ils étaient dispersés sur les plantations et mélangés à des populations très diverses, ce qui rendait difficile la solidarité et l'action collective. Au contraire, sur l'île de la Réunion, les révoltes furent beaucoup plus fréquentes car les esclaves partageaient une origine et une culture communes. Les esclaves étaient répartis selon une stricte hiérarchie qui fixait la valeur de chacun d’eux. Au sommet se trouvaient les « esclaves de maison », les domestiques, souvent des mulâtres et des femmes. Ensuite venaient les « nègres à talent » des artisans qualifiés. Ensuite venaient les « nègres de jardin » qui travaillaient durement dans les champs de tabac ou de canne à sucre. Dans toutes les Antilles, les trafiquants négriers vendaient en moyenne aux planteurs 9 hommes pour 5 femmes. Ce déséquilibre s’explique par le fait que les planteurs préféraient acheter des captifs mâles adultes plutôt que de compter parmi leurs esclaves des femmes qui seraient enceintes et des enfants en bas-âge improductifs. Des conditions de travail effroyables faisaient que près de la moitié des esclaves décédaient dans les cinq à dix ans suivant leur arrivée. Il était donc nécessaire d’en racheter constamment. Il était plus "rentable" d'acheter régulièrement des esclaves plutôt que de les nourrir correctement. Des sociétés esclavagistes très particulières se constituèrent : les esclaves représentaient entre 80 et 90 % de la population totale des îles à la fin du XVIIIe siècle, une proportion jamais vue jusque là dans une aucune société esclavagiste connue dans l’histoire. Par exemple, 500 000 esclaves sur les 560 000 habitants de Saint-Domingue, 90 000 esclaves sur les 100 000 habitants de la Guadeloupe à la veille de la Révolution, 9 400 esclaves sur les 11 500 habitants de Marie-Galante, 18 000 esclaves sur les 20 500 habitants de l'île de France (actuelle île Maurice). La gravure ci-dessous, tirée de l’Encyclopédie, décrit une grande plantation de sucre où la vie semble bien paisible. A gauche, sur une butte, se tient la maison du maître qui domine ainsi toute son exploitation. En contrebas se trouvent les cases où habitent les esclaves. Au premier plan apparaît un espace dédié au pâturage car la culture de la canne à sucre nécessitait de nombreux animaux de trait. Plus loin se situent les champs de canne à sucre. Enfin, à droite, apparaissent les bâtiments nécessaires à la transformation de la canne : le moulin (ici, à eau) pour le broyage des cannes, la sucrerie où les cannes cuisaient dans de grandes chaudières pour extraire le sucre et une étuve pour faire sécher les pains de sucre. Document : Une plantation aux Antilles . Gravure colorisée tirée de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Source : Documentation photographique , n°8032, p. 23. Document publicitaire : La récolte de la canne à sucre, dans une plantation de la Compagnie des Antilles, au XIXe siècle . Collection Kharbine-Tapabor. Source: https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/08/08/la-traite-negriere-passe-occulte-par-les-entreprises-francaises_6048483_3234.html Documents : la fabrication du sucre La canne à sucre est broyée par un moulin actionné par des mulets Le jus extrait est chauffé dans les chaudières de la sucrerie puis séché dans des formes en pain de sucre. Documents extraits de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Source : Source : Les anneaux de la mémoire. Catalogue de l’exposition , Nantes, Château des ducs de Bretagne, 1992, p. 76. 3.2 Le code noir de 1685 Afin de fixer les règles juridiques de l’organisation des sociétés esclavagistes du royaume de France, Louis XIV en 1685 promulgua l'ordonnance sur "la police des iles de l'Amérique française", appelée le Code noir à partir de 1718. De par ce texte, la traite négrière et l’esclavage ne relèvent pas de l’histoire des seuls descendants d’esclaves. Ces faits historiques participent de l’histoire de la monarchie absolue qui nous concerne toutes et tous. En effet, cette ordonnance découlait de la volonté royale de contrôler ces îles lointaines et de leur imposer un système administratif comparable à celui des provinces rattachées récemment au royaume. Le Code noir avait été rédigé par Colbert, peu avant sa mort en 1683. Ce texte, composé de 60 articles, organisait la vie religieuse des îles esclavagistes (articles 1, 2, 6, 11, 12, 14) en bannissant les Juifs, en obligeait à la conversion de tous les esclaves au catholicisme, en les obligeant de respecter le repos du dimanche et en obligeant les maîtres de les enterrer dans un cimetière. L’esclavage n’était pas manifestement considéré comme incompatible avec la doctrine catholique. Il conviendrait donc de mettre les dispositions religieuses du Code noir en relation avec la révocation de l’édit de Nantes (édit de Fontainebleau), la même année, en 1685. Il apparait donc que la motivation première de ce texte était moins d'ordre racial que politique et religieux. Le texte obligeait les maîtres à nourrir et à vêtir leurs esclaves (articles 22 et 26). Il fixait les sanctions qui pouvaient être infligées aux esclaves en cas de vol ou de fuite (articles 33, 36, 38, 42). Enfin, il réduisait les esclaves au statut de bien meuble (article 44) et leur déniait les droits de tout sujet du roi et plus largement de tout être humain. Document : Le Code noir rédigé par Colbert en 1683 et promulgué en 1685 par Louis XIV (extraits) 1. Voulons que l'édit du feu Roi de Glorieuse Mémoire, notre très honoré seigneur et père, du 23 avril 1615, soit exécuté dans nos îles; ce faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser de nos dites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d'en sortir dans trois mois à compter du jour de la publication des présentes, à peine de confiscation de corps et de biens. 2. Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achètent des nègres nouvellement arrivés d'en avertir dans huitaine au plus tard les gouverneur et intendant desdites îles, à peine d'amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire et baptiser dans le temps convenable. 6. Enjoignons à tous nos sujets, de quelque qualité et condition qu'ils soient, d'observer les jours de dimanches et de fêtes, qui sont gardés par nos sujets de la religion catholique, apostolique et romaine. Leur défendons de travailler ni de faire travailler leurs esclaves auxdits jours depuis l'heure de minuit jusqu'à l'autre minuit à la culture de la terre, à la manufacture des sucres et à tous autres ouvrages, à peine d'amende et de punition arbitraire contre les maîtres et confiscation tant des sucres que des esclaves qui seront surpris par nos officiers dans le travail. 11. Défendons très expressément aux curés de procéder aux mariages des esclaves, s'ils ne font apparoir du consentement de leurs maîtres. Défendons aussi aux maîtres d'user d'aucunes contraintes sur leurs esclaves pour les marier contre leur gré. 12. Les enfants qui naîtront des mariages entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves et non à ceux de leurs maris, si le mari et la femme ont des maîtres différents. 14. Les maîtres seront tenus de faire enterrer en terre sainte, dans les cimetières destinés à cet effet, leurs esclaves baptisés. Et, à l'égard de ceux qui mourront sans avoir reçu le baptême, ils seront enterrés la nuit dans quelque champ voisin du lieu où ils seront décédés. 22. Seront tenus les maîtres de faire fournir, par chacune semaine, à leurs esclaves âgés de dix ans et au-dessus, pour leur nourriture, deux pots et demi, mesure de Paris, de farine de manioc, ou trois cassaves pesant chacune 2 livres et demie au moins, ou choses équivalentes, avec 2 livres de bœuf salé, ou 3 livres de poisson, ou autres choses à proportion: et aux enfants, depuis qu'ils sont sevrés jusqu'à l'âge de dix ans, la moitié des vivres ci-dessus. 26. Les esclaves qui ne seront point nourris, vêtus et entretenus par leurs maîtres, selon que nous l'avons ordonné par ces présentes, pourront en donner avis à notre procureur général et mettre leurs mémoires entre ses mains, sur lesquels et même d'office, si les avis viennent d'ailleurs, les maîtres seront poursuivis à sa requête et sans frais; ce que nous voulons être observé pour les crimes et traitements barbares et inhumains des maîtres envers leurs esclaves. 33. L'esclave qui aura frappé son maître, sa maîtresse ou le mari de sa maîtresse, ou leurs enfants avec contusion ou effusion de sang, ou au visage, sera puni de mort. 36. Les vols de moutons, chèvres, cochons, volailles, canne à sucre, pois, mil, manioc ou autres légumes, faits par les esclaves, seront punis selon la qualité du vol, par les juges qui pourront, s'il y échet, les condamner d'être battus de verges par l'exécuteur de la haute justice et marqués d'une fleur de lys. 38. L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l'aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d'une fleur de lis une épaule; s'il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d'une fleur de lys sur l'autre épaule; et, la troisième fois, il sera puni de mort. 42. Pourront seulement les maîtres, lorsqu'ils croiront que leurs esclaves l'auront mérité les faire enchaîner et les faire battre de verges ou cordes. Leur défendons de leur donner la torture, ni de leur faire aucune mutilation de membres, à peine de confiscation des esclaves et d'être procédé contre les maîtres extraordinairement. 44. Déclarons les esclaves être meubles et comme tels entrer dans la communauté, n'avoir point de suite par hypothèque, se partager également entre les cohéritiers, sans préciput et droit d'aînesse, n'être sujets au douaire coutumier, au retrait féodal et lignager, aux droits féodaux et seigneuriaux, aux formalités des décrets, ni au retranchement des quatre quints, en cas de disposition à cause de mort et testamentaire. Source : https://www.axl.cefan.ulaval.ca/amsudant/guyanefr1685.htm Le Code noir est à juste titre considéré comme un texte monstrueux. Les esclaves étaient déshumanisés, dépouillés de tout droit, ils pouvaient être fouettés, amputés, punis de mort pour des faits relativement bénins. L’article 38 est notamment le passage le plus terrible de tous, celui qui est constamment cité. Ce code légitimait une terreur institutionnelle pour garantir la domination d’une infime minorité de colons blancs sur une société composées à 80 ou 90 % d’esclaves. Il est donc utile de rapporter l’image idyllique de la plantation de canne à sucre ci-dessus à la terrible réalité juridique et judiciaire qui pesait sur les esclaves des plantations. Faisons-nous cependant, l’espace de quelques lignes, l’avocat du diable. On suppose en effet que la situation était encore pire avant la promulgation du code. Si ce texte stipulait que les maîtres devaient nourrir et vêtir leurs esclaves, c’est sans doute parce que cela n’était pas toujours le cas (articles 22 et 26). S’il interdisait aux maîtres de torturer leurs esclaves et de les mettre à mort (article 42), c’est sans doute parce que ces pratiques étaient assez courantes. Cette ordonnance fut d'abord appliquée en Guadeloupe et en Martinique dès 1685, puis à Saint-Domingue en 1687, en Guyane en 1704, dans les actuelles iles de la Réunion et Maurice en 1723 et en Louisiane en 1724. A chaque fois, elle tenait compte de la réalité locale. Des recherches archéologiques récentes ont prouvé l’extrême dureté des conditions de l’esclavage aux Antilles (voir l'article du journal Le Monde ci-dessous). L’analyse des ossements retrouvés dans un ancien cimetière d’esclaves de la Guadeloupe signale des conditions de travail très difficiles, une sous-alimentation importante, des conditions d’hygiène effroyables et parfois des amputations. Il apparaît donc que les articles du code noir obligeant les maîtres à nourrir leurs esclaves n’étaient même pas toujours respectés. Document : Le cimetière, miroir de l'esclavage La découverte, il y a quinze ans, de squelettes humains sur une plage de Guadeloupe a renouvelé les études sur la traite négrière. L'effroyable dureté des conditions de vie est confirmée par l'analyse de ces ossements. Par Benoît Hopquin, Le Monde , 12 novembre 2010 En 1995, deux cyclones labourent coup sur coup la plage de l'anse Sainte-Marguerite, sur la commune du Moule, un lieu de pique-nique dominical très prisé des Guadeloupéens. Dans leur déchaînement, la mer et le vent déterrent de nombreux ossements humains dont nul ne soupçonnait la présence. L'année suivante, une équipe d'archéologues met au jour des dizaines de sépultures supplémentaires, datant du XVIIIe et du XIXe siècle. "La morphologie crânienne présentait les caractères des populations de l'Afrique noire. Quelques individus avaient des dents taillées en pointe, une mutilation pratiquée par certains peuples de ce continent" , explique Patrice Courtaud (UMR 5199 CNRS-Laboratoire d'anthropologie), qui conduisait les fouilles. Venait d'être sorti du néant un cimetière d'esclaves. Trois autres campagnes ont été depuis entreprises et 300 corps exhumés, d'hommes, de femmes, et aussi, pour un tiers, d'enfants. "On peut estimer que près d'un millier de personnes ont été enterrées dans ce lieu sur une période d'un siècle" , poursuit Patrice Courtaud. Pour la première fois, une étude archéologique d'envergure était menée aux Antilles françaises sur la population esclave, un siècle et demi après l'abolition définitive de cette pratique, en 1848. Jusqu'alors, les scientifiques s'étaient surtout intéressés aux vestiges amérindiens. "L'opération de l'anse Sainte-Marguerite a véritablement lancé l'archéologie de l'époque coloniale" , estime Patrice Courtaud (…). Il semble que le cimetière de l'anse Sainte-Marguerite - le plus grand jamais retrouvé - ait servi aux morts de plusieurs "habitations", ainsi qu'on appelle les plantations aux Antilles. Patrice Courtaud identifie deux périodes, l'une courant jusqu'à la première abolition, en 1794 (l'esclavage sera rétabli par Bonaparte en 1802), l'autre s'achevant avec la seconde, en 1848. Dans la partie ancienne du cimetière, "les corps sont enterrés de manière plus anarchique, avec des orientations aléatoires. Les corps sont souvent nus" . Dans la partie plus récente, "les corps sont plus régulièrement orientés est-ouest" , comme le veut le rite catholique. Les dépouilles sont habillées, accompagnées de crucifix en os, parfois d'autres pauvres ornements comme une pipe en terre. Des fosses réunissent parfois un homme et une femme ou une femme et, pense-t-on, son enfant. Mais l'étude médicale des ossements dénote de conditions de vie abominables. "Les squelettes portent des marqueurs d'activité très développés, y compris les enfants" , constate Olivier Dutour, professeur de paléopathologie à la faculté de médecine de l'université de la Méditerranée. L'expert a étudié dans sa carrière des séries d'ossements très différentes, des cimetières du Moyen Age aux charniers des guerres napoléoniennes. Il a appris à y déceler les ravages des maladies et des labeurs exténuants. "Mais avec cette population, nous sommes dans un registre atypique. Je suis impressionné par la souffrance endurée." Presque tous les corps ont moins de 30 ans. Olivier Dutour a diagnostiqué sur des sujets de 20 ans des arthroses vertébrales qui n'apparaissent normalement qu'à 50 ans. L'examen des insertions musculaires et les anomalies repérées signent un stress physique exceptionnel. Le scientifique a observé des édentations partielles ou totales chez des jeunes adultes et jusque chez des enfants. L'hypothèse est que les esclaves compensaient la malnutrition en mangeant la canne plus que de raison : le sucre et la silice contenue dans la fibre ravageaient la denture. Des marqueurs de tuberculose osseuse ont également été retrouvés. Des estimations de prévalence, Olivier Dutour tire une conclusion radicale : "On peut penser que 100 % de la population était atteinte de cette maladie." L'indice de terribles conditions d'hygiène et de promiscuité. Deux cas d'amputation d'une phalange du gros orteil sont les signes de sévices physiques : d'après certains textes, cette mutilation était infligée aux esclaves ayant tenté de s'enfuir. Laurence Verrand, archéologue et historienne, a complété le travail de terrain par une plongée dans les archives coloniales réunies à Aix-en-Provence. Elle a épluché les registres paroissiaux et les actes notariés des environs de l'anse Sainte-Marguerite. Un travail de recherche difficile : responsables des états civils, "les curés ne faisaient pas preuve d'une rigueur absolue avec les esclaves" , ravalés par la loi de l'époque au rang de "biens meubles". Seuls importaient leur nombre et leur valeur marchande, sans souci de leur existence sociale. Parfois, ils apparaissent dans un registre, par un prénom puis une mention lapidaire : " nègre, inhumé à Sainte-Marguerite" (…). Ce compte-rendu de fouilles archéologiques établit que les esclaves enterrés à cet endroit avaient moins de trente ans. Ils mourraient d’épuisement, de mauvais traitements et de sous-alimentation. Ce constat corrobore les analyses des historien·nes selon lesquelles les planteurs jugeaient plus rentable d’acheter régulièrement de nouveaux esclaves que d’entretenir correctement la force de travail servile qui se trouvait déjà sur place et de lui permettre de se reproduire. D’une certaine manière, au risque de commettre un anachronisme, nous pouvons affirmer que les îles à sucre des Antilles et de l’océan Indien étaient de vastes camps de travail forcé, voire de vastes camps de concentration. Des polémiques éclatent régulièrement au sujet de Colbert, le rédacteur du Code noir. Certaines personnes demandent que la statue de Colbert située devant l’Assemblée nationale soit déboulonnée, que les collèges, les lycées et les rues qui portent son nom soient débaptisés, à l’image de ce qui s'est passé aux États-Unis et en Grande-Bretagne à la suite du meurtre de George Floyd. Il est curieux de ne jamais voir des critiques équivalentes adressées à Louis XIV qui a promulgué ce texte... En général, plutôt que de stigmatiser certains individus, les historien·nes en France considèrent qu’il faut d’abord faire progresser la connaissance de ce qu’ont effectivement fait les « grands hommes » du passé. 4. Les abolitions de l’esclavage 4.1 Des abolitions concédées ? L’horreur de l’esclavage suscita, durant le siècle des Lumières, de nombreux mouvements réclamant son abolition. Les philosophes des Lumières (Montesquieu, Voltaire, Condorcet) considéraient qu'un esclave n’était pas un marchandise mais un être humain. En 1787 fut créée à Londres une Société des Amis des Noirs . Une société au nom identique fut créée à Paris en 1788. Afin d’éviter d’attaquer frontalement les planteurs, les abolitionnistes demandèrent tout d’abord l’interdiction de la traite. Afin de gagner le soutien de l’opinion publique, les abolitionnistes publièrent, comme nous l'avons vu, des plans de navires négriers pour dénoncer l’entassement inhumain des esclaves dans les entreponts des navires. En France, l’esclavage fut aboli par la Convention en 1794, puis rétabli en 1802 par Napoléon Bonaparte dont la femme, Joséphine de Beauharnais, était issue d’une famille de colons de la Martinique (voir le post sur la Révolution française et l'Empire) La traite fut interdite en Angleterre en 1807, et l’esclavage fut aboli dans les colonies britanniques en 1833. L’esclavage fut aboli en France le 27 avril 1848 à l’initiative de Victor Schoelcher, aux États-Unis en 1865 à la fin de la guerre de Sécession et au Brésil en 1888. Comme l’avait fait l’État britannique en 1833 dans ses possessions des Caraïbes, l’État français versa une compensation pour la perte de leur main d’œuvre aux propriétaires de la Réunion, de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane, concernant 248 560 esclaves en tout. Aucune compensation, évidemment, pour les anciens esclaves eux-mêmes. La question des compensations reste encore aujourd'hui une blessure à vif pour les descendants des esclaves qui, eux, ne furent pas indemnisés pour les souffrances qu’ils avaient endurées. La question de la commémoration de l’abolition de l’esclavage dans les colonies française pose également problème. Tout se passe comme si un grand homme, Victor Schoelcher , avait accordé la liberté à des populations d’esclaves passives. Or des voix ultra-marines s’élèvent désormais pour faire reconnaître le rôle des révoltes des esclaves et du « marronnage » (les fuites d’esclaves). Ainsi, les esclaves de la Martinique se révoltèrent le 22 mai 1848 pour obtenir leur libération qui tardait à venir après la proclamation de l’abolition du 27 avril 1848. En mai 2022, des manifestants hostiles à l’héritage colonial déboulonnèrent deux statues de Victor Schoelcher en Guadeloupe et en Martinique pour mettre en avant le rôle des révoltes d’esclave dans le processus d’abolition de l’esclavage. Le président Macron a vivement condamné ces agissements. 4.2 La révolte de Saint-Domingue (Haïti) La situation fut très différente à Saint-Domingue, premier producteur mondial de sucre et de café à l’époque. L’île d'Hispaniola était divisée entre une colonie française et une colonie espagnole. Saint-Domingue, la partie française de l'île, était peuplée de 500 000 esclaves environ dont les deux tiers étaient nés en Afrique, pour 80 000 personnes libres dont 30 000 affranchis, les "libres de couleur". Au début de la Révolution française, à Paris, les députés de Saint-Domingue, élus uniquement par les planteurs, favorables aux mesures de la Révolution pour eux-mêmes, bloquèrent toutes les tentatives d’abolition de l’esclavage. Dans un premier temps, les hommes libres de couleur cherchèrent à obtenir les mêmes droits que les blancs. Des délégations, dont fit partie le négociant Ogé, se rendirent à Paris pour défendre leurs droits, au nom du respect de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui ne s'appliquait même pas aux hommes libres de couleur. A son retour à Saint-Domingue à la fin de 1790, déçu par l'inaction de l'Assemblée nationale, Ogé tenta d'organiser une révolte. Il fut arrêté, jugé pour parricide et roué en public le 25 février 1791, 22 de ses complices furent pendus et 13 furent envoyés aux galères. A la suite de ces exécutions, un climat de guerre civile s'installa à Saint-Domingue jusqu'au vote de l'Assemblée du 4 avril 1792, obtenu par les Girondins dirigés par Brissot, qui reconnut l'égalité des droits des libres de couleur, mais pas encore celle des esclaves. En vertu de cette loi, les populations libres des colonies devaient désormais élire leurs propres députés. Cependant, les esclaves de Saint-Domingue se révoltèrent à partir du 22 août 1791 pour réclamer la fin du châtiment du fouet et l’application dans l'île de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Dans le nord de la colonie, à Bois-Caïman, des milliers d’esclaves détruisirent les plantations et en massacrèrent les propriétaires, suscitant l’inquiétude de toutes les colonies esclavagistes alentour. Document : La révolte d’Haïti, 1791-1804 . L’Histoire , n° 415, septembre 2015 Source : https://www.lhistoire.fr/carte/la-r%C3%A9volte-de-ha%C3%AFti-1791-1804 Document : La révolte des esclaves à Saint-Domingue le 23 août 1791 . Paris, BnF Commentaire détaillé : https://histoire-image.org/etudes/revolte-esclaves-saint-domingue-1791 Les Anglais et les Espagnols en profitèrent pour envahir Saint-Domingue avec l’aide des insurgés. Face à la confusion régnant sur place, les deux commissaires français envoyés depuis Paris par la Convention, Sonthonax et Polverel, décidèrent de proclamer localement l’abolition de l’esclavage, le 29 aout 1793, afin de rétablir l'ordre dans la colonie. Entre temps, trois députés élus de Saint-Domingue, Dufays (un blanc), Mils (un métis) et Belley (un libre de couleur) parvinrent à Paris pour siéger à la Convention, parmi les rangs des Montagnards. Jean-Baptiste Belley (Gorée 1847- Belle-Ile en mer 1805) fut donc le premier député noir de l'histoire, entre 1793 et 1797. Ces trois députés défendirent l’abolition de l’esclavage devant la Convention. A l’issue de débats houleux, les députés de la Convention abolirent l’esclavage dans toutes les colonies françaises, le 4 février 1794 (à l’exception de la Martinique occupée alors par l’armée anglaise). Document : Anne-Louis Girodet de Roussy-Trioson, Portrait du député Jean-Baptiste Belley, 1797. Huile sur toile. Musée de l'histoire de France, Versailles. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Depute-jean-baptiste_belley-492-688.jpg Mais les conflits se poursuivirent à Saint-Domingue. Toussaint Louverture, ancien esclave affranchi, prit la tête de l’armée française à Saint-Domingue et chassa les Anglais de l’île en 1798. Afin de relancer l’économie, il rétablit l’économie de plantation en respectant l’abolition de l’esclavage mais sans rompre avec la métropole. Cette forme d’autonomie ne convenait pas au parti des planteurs qui entouraient Bonaparte, arrivé au pouvoir en 1799. Rappelons que sa femme Joséphine de Beauharnais était d'origine créole. Bonaparte rétablit l’esclavage en 1802 et envoya un corps expéditionnaire de 20 000 hommes à Saint-Domingue pour y rétablir l’esclavage et l’autorité de la France. Les militaires français affrontèrent les armées de Toussaint Louverture et parvinrent à capturer ce dernier. Il fut emprisonné au fort de Joux dans le Doubs où il mourut de froid et de mauvais traitements. Ajoutons que les les officiers métis et noirs fidèles à la France furent alors destitués car ils n'avaient plus le droit d'assumer un commandement. C'est ainsi que l'ancien député Belley, général de gendarmerie à Saint-Domingue depuis 1797, fut destitué et incarcéré à Belle-Ile en mer où il décéda. Parallèlement, de nombreux soldats noirs de l'armée française à Saint-Domingue firent défection. Toussaint Louverture, chef des insurgés de Saint-Domingue . Estampe en couleur Anonyme, 19e siècle. Source: Paris, bibliothèque nationale de France. Rights: (C) RMN, Agence Bulloz. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Toussaint_Louverture,_chef_des_insurg%C3%A9s_de_Saint-Domingue.jpg Constatant que les Français voulaient rétablir l’esclavage, la population noire renforcée par les anciens soldats noirs de l'armée française se révolta à nouveau. L’armée française se livra à l’extermination des populations civiles noires coupables d’avoir connu la liberté. Mais les soldats français furent décimés par la fièvre jaune et battus par l’armée des anciens esclaves à la bataille de Vertières, le 18 novembre 1803. Cette défaite cuisante, la première défaite subie dans une colonie par une armée de métropole, fut une humiliation pour Bonaparte. Le 1er janvier 1804 fut proclamée l’indépendance de Saint-Domingue qui devint Haïti, sous l’autorité du général Dessalines, ancien lieutenant de Toussaint Louverture. Haïti fut le second État des Amériques, après les États-Unis, à obtenir l’indépendance. On estime que les deux tiers de la population de Saint-Domingue disparurent dans les combats et les massacres. La population de l’île passa de 540 000 habitants en 1791 à 180 000 en 1804. Les Américains et les Britanniques refusèrent de reconnaître le nouvel État et de commercer avec lui, car il était devenu le symbole de la lutte victorieuse d’un peuple d'esclaves noirs contre les colons blancs. Par l'ordonnance du 17 avril 1825, le roi de France Charles X reconnut officiellement l’indépendance d’Haïti, moyennant le versement d’une somme extravagante de 150 millions de francs or, réduite à 90 millions en 1838 (l’économiste Thomas Pickety a évalué cette somme à l’équivalent de 27 milliards d’euros actuels), destinée à indemniser les anciens propriétaires français des plantations confisquées durant la révolution de Saint-Domingue. Les victimes devaient donc indemniser leurs bourreaux ! En outre, pour contraindre les Haïtiens à accepter cette ordonnance, quatorze vaisseaux de guerre français mouillèrent au large de l'île, prêts à intervenir militairement contre Haïti. Ce pays fut contraint de maintenir les cultures d'exportation, au détriment des cultures vivrières qui auraient permis de nourrir la population, et dont les recettes servirent à s'acquitter partiellement du paiement de cette somme. Surtout, comme les recettes des exportations ne suffisaient pas au paiement de la somme, Haïti emprunta auprès de banques françaises (notamment la Caisse des dépôts) pour parvenir à verser cette indemnité à la France jusqu'en 1952 ! On parle donc de "la double dette d'Haïti". Tout s'est passé comme si on avait voulu punir le seul pays où une armée d’anciens esclaves noirs avait victorieusement combattu l’armée de la métropole. Le 17 avril 2025 marquera donc le triste anniversaire du bicentenaire de cette dette effarante. A ce propos, En 2015, le président Hollande avait déclaré : "Quand je viendrai à Haïti, j'acquitterai à mon tour la dette que nous avons". Arrivé à Port-au-Prince, il déclara que cette dette était uniquement une "dette morale" (sans commentaire). Le président Macron ne fut pas en reste quand il déclara le 19 novembre 2024, après avoir dit que les dirigeants haïtiens étaient "complètement cons" : "Ce sont les Haïtiens qui ont tué Haïti" (sans commentaire). Toujours est-il que le paiement de cette énorme indemnité à la France a quelque chose à voir avec le fait qu’Haïti est le pays le plus pauvre du monde et sans doute l’un des pires endroits de la planète où vivre aujourd’hui . Conclusion Les faits évoqués dans ce chapitre montrent clairement que, selon nos catégories du début du XXIe siècle, la traite négrière et l’esclavage ont conduit à infliger un traitement qui a nié l’humanité de plusieurs millions d’êtres humains entre le XVIe et le XIXe siècle. Mais du point de vue de la science historique, il ne s’agit pas porter un jugement moral à partir de nos catégories, ni de porter un jugement sur Louis XIV, Colbert, les armateurs, les capitaines de navires négriers, les propriétaires de plantation, etc. Il ne s’agit pas non plus de dire « plus jamais ça ! » car nous savons que l’esclavage existe toujours dans de nombreuses parties du monde, y compris dans notre pays. Il est sans doute plus utile de produire un récit fondé sur des faits vérifiables qui nous conduisent à comprendre et à faire comprendre comment la volonté d’enrichissement de certains et leur logique de domination ont meurtri et détruit des populations entières. L’étude de ce chapitre est particulièrement accablante. Pour se remettre, il faut voir et revoir le film Django unchained de Quentin Tarentino, dont l'épilogue est particulièrement réjouissant !

  • Sujet possible : Napoléon Bonaparte, du général à l'Empereur / Se déplacer : l'aéroport Roissy-CDG

    Didier Cariou, Université de Brest Composante histoire (12 points) 1. En vous appuyant sur le dossier documentaire, identifiez et définissez les objectifs notionnels qui peuvent être travaillés avec les élèves à partir des documents 2 à 10 pour le traitement de la séquence sur : « Napoléon Bonaparte, du général à l’Empereur, de la Révolution à l’Empire ». 2. Pour conclure le chapitre sur « le temps de la Révolution et de l’Empire », vous décidez de travailler sur le rôle historique de Napoléon Bonaparte. Indiquez les titres des différentes séances envisagées ; développez – au choix – une des séances en définissant les objectifs d’apprentissage et les compétences travaillées. Indiquez précisément quels documents issus du dossier documentaire vous utiliserez et détaillez l’exploitation pédagogique de l’un de ces documents. Composante géographie (8 points) 3. À partir du dossier documentaire (documents 11 à 16), identifiez et définissez les notions essentielles qu’il faudrait faire découvrir et comprendre aux élèves lors de la l’étude d’un aménagement de transport : le cas de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle. 4. Vous décidez d’exploiter les documents 15 et16 en classe : quels choix opérez-vous pour conduire cette exploitation ? Document 1 : Extrait du programme du cycle 3, classe de CM1 (2020 Document 2 : Une représentation du coup d’État des 18-19 brumaire an VIII (9-10 novembre 1799). Légende : « Séance du Conseil des Cinq-Cents tenue à St Cloud le 19 brumaire an huit : les braves grenadiers du corps législatif en sauvant Buonaparte ont sauvé la France », par Jean-Baptiste MORRET (1799) © BnF Source : https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/iconographie/seance-du-conseil-des-cinq-cents-tenue-a-st-cloud-le-19-brumaire-an-huit-les-braves-grenadiers-du-corps-legislatif-en-sauvant-buonaparte-ont-sauve-la-france/ Document 3: Portrait de Napoléon Bonaparte en costume de premier consul en 1802, par Document 4 : L’uniforme des lycéens Antoine-Jean Gros . du Premier Empire Document 5 : Une pièce de 40 francs en or, 1804 Document 6: La circulaire du 21 Ventôse an VIII (17 février 1800) envoyée par Lucien Bonaparte, ministre de l’intérieur, aux préfets Vous êtes appelé à seconder le gouvernement dans le noble dessein de restituer la France à son antique splendeur, d'y ranimer ce qu'elle a jamais produit de grand et de généreux, et d'asseoir enfin ce magnifique édifice sur les bases inébranlables de la liberté et de l'égalité (…).Votre premier soin doit être de détruire sans retour dans votre département l’influence morale des événements qui nous ont trop longtemps dominés. Faites que les passions haineuses cessent, que les ressentiments s’éteignent, que les souvenirs douloureux s'effacent (…). Ralliez tous les cœurs dans un sentiment commun, l'amour de la patrie (…). Dans vos actes publics, et jusque dans votre conduite privée, soyez toujours le premier magistrat du département, jamais l'homme de la révolution (…). Vos attributions sont multipliées; elles embrassent tout ce qui tient à la fortune publique, à la prospérité nationale, au repos des administrés (…). A la tête de ces mesures, je place la prompte rentrée des contributions ; leur acquittement est aujourd’hui un devoir sacré(…). Vous surveillerez avec sévérité toutes les caisses de votre département. De longs abus dans le maniement des deniers publics ont excités une juste défiance (…). La répression de tous les abus administratifs vous appartient (…). Aimez, honorez les agriculteurs. Protégez le commerce, sa liberté de peut avoir d’autre borne que l’intérêt de l’État. Visitez les manufactures (…). Encouragez les arts qui sont les fruits les plus heureux de la civilisation (…). Vous savez que la facilité des communications est l'un des premiers besoins de l'agriculture et du commerce (…), vous aurez à vous en occuper sans relâche (…). Occupez -vous de la génération qui monte : donnez des soins à l'éducation publique. Formez des hommes, des citoyens, des Français(…). Vos succès feront la gloire du gouvernement et la prospérité publique deviendra votre récompense. L'influence de vos travaux peut être telle que dans quelque mois le voyageur, en parcourant votre département, dise avec douce émotion : Ici, administre un homme de bien. Aidez donc le gouvernement à rendre à la France cette splendeur et surtout ce bonheur qu’elle n’aurait jamais dû perdre. Source : https://www.meuse.gouv.fr/layout/set/print/Services-de-l-Etat/Prefecture-et-sous-prefectures/La-Prefecture-de-la-Meuse/Histoire-des-prefets Document 7: Loi rétablissant l’esclavage dans les colonies françaises le 30 floréal an X (20 mai 1802) Loi du 30 floréal an X (20 mai 1802) sur la traite des Noirs et le régime des colonies, Centre des Archives d'Outre-Mer. © WikimediaCommons, Sejan-Travail personnel, CC BY-SA 3.0 Source : https://www.napoleon.org/enseignants/documents/video-napoleon-bonaparte-et-le-retablissement-de-lesclavage-20-mai-1802-5-min-40/ Document 8 : Le Code civil des Français, 1804 (extraits) 8. Tout Français jouira des droits civils. 371. L’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère. 372. Il reste sous leur autorité jusqu’à sa majorité ou son émancipation. 373. Le père seul exerce cette autorité durant le mariage. 374. L’enfant ne peut quitter la maison paternelle sans la permission de son père, si ce n’est pour enrôlement volontaire, après l’âge de dix-huit ans révolus. 375. Le père qui aura des sujets de mécontentement très-graves sur la conduite d’un enfant, aura les moyens de correction suivans. 376. Si l’enfant est âgé de moins de seize ans commencés, le père pourra le faire détenir pendant un temps qui ne pourra excéder un mois ; et, à cet effet, le président du tribunal d’arrondissement devra, sur sa demande, délivrer l’ordre d’arrestation. 377.Depuis l’âge de seize ans commencés jusqu’à la majorité ou l’émancipation, le père pourra seulement requérir la détention de son enfant pendant six mois au plus ; il s’adressera au président dudit tribunal, qui, après en avoir conféré avec le commissaire du Gouvernement, délivrera l’ordre d’arrestation ou le refusera, et pourra, dans le premier cas, abréger le temps de la détention requis par le père. Document 9 : Napoléon se couronne lui-même, le 2 décembre 1804 L’empereur Napoléon se couronnant lui-même. Dessin de David. Paris, Musée du Louvre. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:David_-_L'Empereur_Napoleon_se_couronnant_lui-meme.png Document 10 : Le serment prononcé par Napoléon lors de la cérémonie du sacre du 2 décembre 1804 « Je jure de maintenir l'intégrité du territoire de la République, de respecter les lois du Concordat et de la liberté des cultes ; de respecter et de faire respecter l'égalité des droits, la liberté politique et civile, l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux ; de ne lever aucun impôt, de n'établir aucune taxe qu'en vertu de la loi ; de maintenir l'institution de la Légion d'honneur ; de gouverner dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français ». Document 11 : Extrait de la fiche EDUSCOL « Se déplacer », classe de CM2 Thème 1 - Se déplacer • Se déplacer au quotidien en France • Se déplacer au quotidien dans un autre lieu du monde. • Se déplacer de ville en ville, en France, en Europe et dans le monde. Présenter un aménagement de transports L’étude peut s’organiser à partir de la présentation d’un aménagement de transports, comme un aéroport international : Roissy-Charles-de-Gaulle, Nice, Toulouse, Lyon St-Exupéry. Ce type d’exemple permet de relever la diversité des moyens de déplacement rassemblés en un seul lieu et des différentes échelles de mobilités : locale avec le tramway, régionale avec la route ou l’autoroute, nationale avec le TGV et les vols nationaux, internationale. Un témoignage de professionnel effectuant des déplacements internationaux réguliers peut permettre de saisir ce que signifie se déplacer sur des longues distances. Ex : un pilote d’avion de ligne, un routier… C’est par ces exemples que la diversité des moyens de transport, des durées de parcours, peut être abordée, tout comme la qualité des aménagements routiers, ferroviaires ou aéroportuaires, indispensables aux déplacements des individus. Cette dernière thématique permet d’utiliser des cartes à d’autres échelles spatiales : cartes des réseaux autoroutiers, des LGV, des vols long-courriers, qui permettent de fixer quelques repères géographiques. À l’aide du planisphère et du globe terrestre, l’enseignant peut montrer les distances exprimées en kilomètres, mais aussi en temps de transport. L’appui sur la carte des fuseaux horaires peut être également recherché. Document 12 : Plan de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle Source : https://fr.maps-paris.com/cartes-de-paris-a%C3%A9roport/l%27a%C3%A9roport-charles-de-gaulle-carte Document 13 : Vue du Terminal 2 de l’aéroport Paris-CDG Source : https://www.urbanistesdesterritoires.com/roissy-charles-de-gaulle-un-territoire-indecidable-par-jacques-grange/ Document 14 : Les destinations aériennes à partir de l’aéroport Paris-CDG Source : https://www.flightsfrom.com/explorer/CDG?mapview Document 15 : Les concentrations moyennes de dioxyde d’azote en microgrammes / m³ en 2017 dans le nord-est de la région parisienne. Données Airparif Source : https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-35817-deliberation-creation-t4-roissy.pdf Document 16: Carte d’exposition au bruit à long terme de l’aéroport Paris-CDG. Source : Ministère de la transition écologique et solidaire (en bleu : nuisance modérée, en rouge : nuisance très forte) Source : https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-35817-deliberation-creation-t4-roissy.pdf Propositions de corrigé Didier Cariou, université de Brest Composante histoire (12 points) 1. En vous appuyant sur le dossier documentaire, identifiez et définissez les objectifs notionnels qui peuvent être travaillés avec les élèves à partir des documents 2 à 10 pour le traitement de la séquence sur : « Napoléon Bonaparte, du général à l’Empereur, de la Révolution à l’Empire ». Le thème « Napoléon Bonaparte du général à l’empereur, de la Révolution à l’Empire » intervient à la fin de la séquence sur « Le temps de la Révolution et de l’Empire », qui est la dernière séquence de la classe de CM1. L’objectif de ce thème est de montrer aux élèves qu’un général s’empare du pouvoir par la force, qu’il met en place une dictature militaire qui, paradoxalement, permet de sauvegarder les principaux acquis de la Révolution. Il organise les fondements de la société toujours en place aujourd’hui. Les documents proposés dans le dossier permettent d’envisager la plupart des aspects de l’œuvre de Napoléon Bonaparte. Attention : Napoléon Bonaparte est appelé Bonaparte jusqu’en 1804, puis Napoléon quand il devient empereur Document 2 : cette gravure décrit le coup d’État du 19 brumaire an VIII. Bonaparte s’impose aux membres du conseil des 500 dont certains s’enfuient par la fenêtre. Ce document montre que Bonaparte a mis en place une dictature (le Consulat, de 1799 à 1804) par un coup d’État militaire qui met fin à la période de la Révolution (1789-1799). Attention, ce document est de la propagande, il cherche à faire croire que Bonaparte a été agressé alors qu’il fait un coup d’État ! Document 3 : Le portrait de Bonaparte en costume de 1er consul (qui dirige le pouvoir exécutif) montre un costume militaire (bottes de cavalier, gants, culotte de cheval, épée). Le geste de la main vers les liasses de textes qui signale la prise de décision solitaire. Son regard est tourné vers l'avenir Document 4 : décrit l’uniforme des lycéens et signale la dimension militaire de l’éducation dans les lycées créés en 1802 (une masse de granite) Document 5 : la pièce de 40 francs représente Bonaparte, 1er consul, de profil, comme un empereur romain. On retrouve la couronne de laurier romaine au revers. Cela signale la personnification du pouvoir du 1er consul et sa dimension autoritaire qui annonce la mise en place de l’Empire. Le franc germinal (1802), émis par la Banque de France (1800) est une autre masse de granite qui a permis le redémarrage de l’économie. Document 6 : la circulaire du ministre de l’intérieur Lucien Bonaparte (le frère) aux préfets (une autre masse de granite) permet de comprendre la nature des pouvoirs du préfet. Il rappelle que le préfet dirige le département (« premier magistrat du département ») et qu’il en dirige tous les aspects : impôts et finances, soutien à l’agriculture et au commerce, école, etc. Il est également chargé du maintien de l’ordre dans le département, y compris de la répression des mouvements politiques issus de la Révolution (« détruire sans retour dans votre département l’influence moral des événements qui nous ont trop longtemps dominés »). Document 7 : La loi du 20 mai 1802 rétablit la traite et l’esclavage dans les colonies. Cette loi, appliquée pour répondre aux intérêts des planteurs antillais, annule l’abolition de 1794 et elle est une négation des principes de 1789 (liberté, égalité). Document 8 : le Code civil (une masse de granite), recueil des lois adoptées depuis 1800, organise tous les aspects des relations sociales et garantit les principaux acquis de 1789 (art. 8 : égalité de tous les citoyens qui bénéficient de tous les droits). Le code civil introduit cependant une vision autoritaire de la société et de la famille : le père exerce seul l’autorité parentale sur les enfants, il peut les faire mettre en prison. Souvent modifié, il reste encore le principal document juridique en France aujourd’hui. Document 9 : Le dessin de David montre Napoléon se couronnant lui-même lors de la cérémonie du sacre en 1804 et tenant son épée à la main, alors que le pape reste assis sur son trône. Il montre ainsi qu’il ne doit son pouvoir qu’à lui-même et à sa force militaire. L’Empire apparaît ici comme une dictature militaire. Le fait de se couronner soi-même est une totale transgression des usages et montre que Napoléon exerce un pouvoir très particulier. Référence au sacre de Charlemagne ne 800 (référence à l’Empire romain avec la toge et la couronne de laurier, et le pape) Document 10 : Le serment prononcé par Napoléon lors de la cérémonie du sacre montre qu’il s’engage à protéger les acquis de la Révolution (égalité des droits, liberté des cultes, liberté politique et civile, biens nationaux, impôts votés par les assemblées, le bonheur) mais aussi des acquis du Consulat (légion d’honneur) avec une certaine dimension militaire (« la gloire du peuple français »). Conclusion : ces documents permettent de comprendre la nature politique du Consulat et de l’Empire : une dictature militaire qui stabilise certains acquis de la Révolution. 2. Pour conclure le chapitre sur « le temps de la Révolution et de l’Empire », vous décidez de travailler sur le rôle historique de Napoléon Bonaparte. Indiquez les titres des différentes séances envisagées ; développez – au choix – une des séances en définissant les objectifs d’apprentissage et les compétences travaillées. Indiquez précisément quels documents issus du dossier documentaire vous utiliserez et détaillez l’exploitation pédagogique de l’un de ces documents. Séance 1 : L’arrivée au pouvoir de Bonaparte Rappel rapide sur la campagne d’Italie et d’Égypte Le coup d’État de Brumaire an VIII (document 2) Séance 2 : Un régime politique autoritaire Le consulat (1799) (documents 3 et 5) Le contrôle de la population (document 6) et l’autoritarisme (document 8) Séance 3 : La conservation de certains acquis de la Révolution française Le sacre de Napoléon : le tableau de David Le sacre de Napoléon : le dessin de David (document 9) Le serment du sacre (document 10) Nous pouvons développer la séance 3 centrée sur le sacre de Napoléon qui permet de comprendre la nature de ce régime, à la fois dictature militaire et conservation de certains acquis de la Révolution On commence par étudier le tableau du sacre de Napoléon par David. Le but est de faire noter aux élèves que le titre du tableau ne correspond pas à l’action décrite (le couronnement de Joséphine par Napoléon). Pourquoi ? (ici, je propose l’exploitation pédagogique de 2 documents et pas d’un seul) Document 9 : le dessin de David montre Napoléon avec un couronne de laurier sur la tête (empereur romain), se mettre la couronne lui-même sur la tête (geste totalement transgressif) et tenant à sa main son épée. Le pape Pie VII semble prostré sur son trône. Questions posées aux élèves : - Que porte Napoléon sur sa tête ? Une couronne de Laurier - Comment Napoléon est-il habillé ? Comme un empereur romain - Quel geste fait-il ? Il se met lui-même la couronne sur sa tête. - Normalement, qui aurait dû lui mettre la couronne sur la tête ? Le pape - Que veut-il montrer en tenant son épée à la main ? Il est arrivé au pouvoir grâce à ses victoires militaires. Synthèse (par le.la PE) : (réponse à la question initiale) David n’a pas représenté ce couronnement de Napoléon car ce dernier a commis un geste inhabituel. Il s’est mis lui-même la couronne sur la tête pour montrer qu’il ne doit son pouvoir qu’à lui-même et à son épée. Cela diffère du couronnement de Charlemagne en 800 (couronné par le pape) et du couronnement du roi de France (couronné par l’archevêque de Reims). Il montre qu’il n’est pas désigné par Dieu. L’Empire est une dictature militaire fondée sur la souveraineté nationale (un peu manipulée !) puisqu’il a été désigné empereur par plébiscite. Document 10 : le serment du sacre Questions posées aux élèves : - Quels éléments évoquent les principes de la Révolution (vus auparavant) ? La République, égalité des droits, liberté politique et civile, biens nationaux, impôts levés selon la loi - Quels éléments évoquent l’œuvre de Napoléon Bonaparte ? Le concordat, la légion d’honneur, la gloire (militaire) Synthèse (par le.la PE) : dans le pouvoir de Napoléon il y a le rappel à des éléments militaires qui doivent servir à garder les principaux acquis de la DDHC de 1789. C’est un régime politique un peu contradictoire. Production d’écrit (individuelle ou en petits groupes) : Lors de la cérémonie du couronnement, comment Napoléon montre-t-il que son pouvoir est différent de celui des rois de France ? Composante géographie (8 points) 3. À partir du dossier documentaire (documents 11 à 16), identifiez et définissez les notions essentielles qu’il faudrait faire découvrir et comprendre aux élèves lors de la l’étude d’un aménagement de transport : le cas de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle. Document 11 : (Fiche eduscol) Les concepts évoqués : aménagements (un aéroport, aménagements routiers, ferroviaires), mobilités (déplacements humains d’un lieu à un autre), réseaux (vols long courriers), à des échelles différentes. Aménagement : mise en place d’équipements destinés à satisfaire les besoins d’acteurs, en fonction des ressources et des contraintes du lieu Réseau : un ensemble d’axes qui relient des nœuds ou des pôles et le long desquels se réalisent des flux d’humains, de marchandises, d’informations, etc. Document 12 : aménagements aéroportuaires (terminal 1, 2, 3), réseaux routiers (autoroutes, parkings, autobus), ferroviaires (TGV, RER, CDG Val). Ces réseaux sont connectés. Aménagements hôteliers (Sofitel, Ibis). Document 13 : aménagement aéroportuaire (terminal 2, pistes de décollage), aménagements routiers (réseau routier, parkings) Document 14 : Réseau aérien mondial à partir de Paris-CDG, mobilités Document 15 : Aménagements urbains (banlieue nord-est de Paris), routiers (autoroutes) et aéroportuaires (Paris Le Bourget, Paris-CDG), développement durable (pollution de l’air = pilier environnemental) Document 16 : Aménagements urbains (banlieue nord-est de Paris), réseau routier, développement durable (exposition au bruit = pilier environnemental) 4. Vous décidez d’exploiter les documents 15 et 16 en classe : quels choix opérez-vous pour conduire cette exploitation ? Le concept dominant est celui du développement durable (un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre les capacités des générations futures à développer leurs propres besoins) pour étudier les nuisances liées à l’aéroport Paris-CDG. Trois piliers du DD : ici, surtout le pilier environnemental Démarche possible pour étudier les deux documents : 1. Repérer l’aéroport Paris-CDG et le tracé de l’autoroute A1. sur le doc.15 et sur le doc. 16 (recours à Géoportail) 2. Repérer les zones les plus foncées (les plus polluées) sur le doc. 15. Les élèves doivent repérer les autoroutes et la zone de Paris-CDG. 3. Question : pourquoi les zones de nuisances sonores sont-elles allongées d’est en ouest ? Réponse attendue : Elles correspondent au trajet des avions qui décollent et atterrissent à Paris-CDG 4. Bilan : quels sont les effets de l’aéroport Paris-CDG sur l’environnement ? Réponse attendue : nuisances sonores et forte pollution au dioxyde d’azote. Cet aéroport a des effets nocifs sur le climat et sur la santé des riverains. Possibilité de faire produire par les élèves un schéma à l’aide d’un papier calque

  • Le temps des rois : de Louis IX à Louis XIV

    Cours de Didier Cariou, maitre de conférence HDR en didactique de l'histoire à l'Université de Bretagne Occidentale Quelques références BOUCHERON, Patrick (dir.) (2017). Histoire mondiale de la France. Paris : Seuil. CORNETTE, Joël (2003). Louis XIV et Versailles. Textes et documents pour la classe n° 850, Scéren. CORNETTE, Joël (2007). La monarchie absolue. De la Renaissance aux Lumières. Documentation photographique , n°8057. CORNETTE, Joël (2022). Le roi absolu. Une obsession française 1515-1715 . Paris : Taillandier, Texto. CROUZET, Denis (2020). Humanisme, réformes et conflits religieux. Documentation photographique , n° 8135. EL KENTZ, David (2014). La Réforme. Textes et documents pour la classe , n° 1072, Scéren. GUERRE Stéphane et PAQUET Fabien (2024). L'Etat monarchique XIVe-XVIIe siècle. Documentation photographique , n°8158. LE GOFF, Jacques (1996). Saint-Louis. Paris : Gallimard LE PAGE, Dominique & EL KENTZ, David (2013). La naissance de l’État moderne XIVe-XVIe siècles. Textes et documents pour la classe, n° 1056. Sceren. Mots-clés du cours : Hugues Capet, Sacre, Onction, Insignes royaux, Acclamation, Domaine royal, Seigneuries, Pouvoir thaumaturge. Louis IX / Saint Louis, Prévôts, Baillis, Sénéchaux, Parlement, Justice d’appel, Écu, Croisades, Canonisation François 1er, Charles Quint, Henri VIII, Marignan, Pavie, Renaissance, Humanisme, Érasme, Marguerite de Navarre, Réforme religieuse, Luther, Calvin, Concile de Trente, Cour, Courtisan, Étiquette, Collège des lecteurs royaux (Collège de France), Affaire des Placards, Mécénat, Léonard de Vinci, Chambord, Fontainebleau, Rosso Fiorentino, Le Primatice, Parlement, État de justice, État de finance, Concordat de Bologne, Ordonnance de Villers-Cotterêts. Henri IV, Guerres de religion, Saint-Barthélemy, Ligue, Henri III, Jacques Clément, Abjuration, Sacre, Conseil du roi, Sully, Paulette, Pont Neuf, Place des Vosges, Place Dauphine, Ravaillac, Édit de Nantes. Louis XIV, Roi soleil, Régence, Mazarin, Fronde, Monarchie de droit divin, Jansénisme, Édit de Fontainebleau / Révocation de l’édit de Nantes, Ballet de la nuit, Devise « Nec pluribus impar », Monarchie absolue, Justice retenue (lettres de cachet, droit de grâce), Justice déléguée (Parlements), Conseils, Chancelier, Secrétaires d’État, Colbert, Intendants, Académie française, Académie de peinture et de sculpture, d’architecture, de danse, de musique, Limites à l’absolutisme, Roi de guerre, Conquêtes, Vauban, Ceinture de fer, Versailles, Molière, Lully, Le Vau, Hardouin-Mansart, Le Nôtre, Jardins, Château, Cour, Galerie des glaces, Le Brun, Ambassades, Étiquette, société de cour, Spectacles. Que dit le programme ? Extrait du programme du cycle 3, classe de CM1 (2020), classe de CM1 Soulignons pour commencer une incohérence du programme : aucune des femmes citées ici (Aliénor d’Aquitaine, Anne de Bretagne, Catherine de Médicis) ne vécut sous le règne de chacun des rois que nous devions étudier. Ce strabisme divergeant conduit à exclure l’histoire des femmes de ce chapitre. D’ailleurs, la fiche ressource Eduscol afférente à ce chapitre n’évoque pas ces femmes. Autre incohérence : le programme évoque la « monarchie capétienne » alors que seul Louis IX appartient à cette dynastie. François Ier était un Valois, Henri IV et Louis XIV étaient des Bourbons. Le programme et la fiche Eduscol concernée (qu’il convient de consulter car elle est plutôt bien faite) conduisent à étudier la construction de l’État monarchique en lien avec sa construction territoriale à travers les règnes de quatre rois jugé représentatifs de cette construction. Afin d’éviter un exposé exhaustif du règne de chacun d’entre eux, le programme nous demande d’aborder chaque règne par le prisme d’une thématique spécifique. Nonobstant les deux incohérences signalées plus haut, cette approche d’une évolution politique sur le temps long abordée à travers quatre cas spécifiques semble très pertinente. Il n’est évidemment pas question de raconter la totalité du règne de chacun des rois ni de raconter ce qui se passe entre chaque règne. La cohérence du programme n’est pas chronologique, elle est conceptuelle : on étudie quelques étape de la construction politique et territoriale de l’État moderne en France. En conséquence, ce chapitre est lié au thème précédent (Et avant la France ?) où l’on observe la construction des modèles politiques de la monarchie française et au thème suivant (Le temps de la Révolution et de l’Empire) qui voit la mise en place d’un nouveau régime politique. Nous abordons la question de la traite négrière et de l’esclavage dans une autre fiche. Préambule: les logiques de la construction de l’État monarchique Ce préambule vise la compréhension des logiques qui ont présidé à la construction de l’État monarchique et qui constituent la trame de ce chapitre. Il est utile d’évoquer à cet effet le règne d’Hugues Capet qui ne figure pas au programme et ne doit pas être évoqué devant les élèves de CM1. Au IXe siècle, le roi carolingien de Francie occidentale s’appuyait sur les grandes familles aristocratiques qui dirigeaient les comtés et qui tiraient leurs revenus de vastes domaines fonciers. Les chefs de ces familles rendait l’hommage au roi et se trouvaient eux-mêmes à la tête de vastes réseaux de vassaux dans leurs comtés. Le 22 mai 987, le roi carolingien Louis V mourut sans héritier lors d’un accident de chasse. Le 1er juin 987, lors d’une assemblée réunie à Senlis, Hugues Capet fut élu roi des Francs, sur le territoire de la Francie occidentale, par les grands du royaume et les évêques. Par cette élection d'un souverain n'appartenant pas à la famille carolingienne, la Francie occidentale se détacha du reste de l’Empire carolingien qui se maintint en Francie orientale (Germanie). Hugues fut ensuite sacré roi à Noyon le dimanche 3 juillet 987, selon le cérémonial déjà mis en place par Pépin le Bref mais codifié réellement par les premiers capétiens. Encart : Le déroulement du sacre du roi de France dans la cathédrale de Reims Le sacre a lieu dans la cathédrale de Reims, lieu présumé du baptême présumé de Clovis Le roi est vêtu de la tunique de sous-diacre : il devient partiellement un homme d’Église. Il promet par serment de défendre l’Église et de faire respecter la justice. L’archevêque de Reims lui applique l’onction du saint-Chrême sur le front, l’épaule, la poitrine et les bras, comme un évêque. Le roi est donc « oint de Dieu » (traduction du mot « Messie ») Les évêques lui donnent les insignes royaux (les regalia : les deux sceptres et la couronne) Puis le roi est acclamé par les grands seigneurs du royaume (rappel de son élection et de l’acclamation de l’ imperator romain) A partir de la fin du XIe siècle, le roi est considéré comme thaumaturge : comme il possède une parcelle de pouvoir divin par le sacre, il dispose de pouvoirs surnaturels de guérisseur de la maladie des écrouelles (adénite tuberculeuse) en prononçant la phrase : « Le roi te touche, Dieu te guérit ». Hugues Capet associa son fils aîné Robert à l’exercice de son pouvoir, en le faisant sacrer six mois plus tard. Cette monarchie héréditaire perdura jusqu’au 10 août 1792, date de la déchéance de Louis XVI, avec des tentatives de restauration en 1814 et en 1830. Cependant, Hugues Capet n’était le seigneur ni le plus riche ni le plus puissant du royaume. Le domaine royal (l’ensemble des seigneuries dont le roi est le seigneur direct, dont il tire ses revenus de l’exploitation de la terre, où il rend la justice et prélève des impôts) était très réduit. On peut même supposer que c’est en partie pour cette raison qu'il fut choisi par les grands seigneurs du royaume, notamment les comtes de Blois et de Troyes. Ces derniers pensaient que ce roi faible ne mettrait pas en danger leurs prérogatives et ne les empêcherait pas de régler leurs différends entre eux. Cependant, les rois capétiens s’appuyèrent sur la dimension religieuse de leur pouvoir pour étendre leur autorité sur tout le royaume. La carte ci-dessous indique la faible étendue du domaine royal sous le règne d’Hugues Capet. Remarquons que ces territoires étaient situés dans l’actuelle Île-de-France et manifestent l’enracinement de la nouvelle dynastie autour de Paris. Source : Duby, G. (dir.) (1978). Atlas historique. Paris : Larousse, p. 108. Il convient toutefois de ne pas imaginer le domaine royal comme un territoire continu. La carte ci-dessous montre que le roi exerçait son autorité sur des seigneuries plus ou moins contiguës mais parfois séparées les unes des autres par des seigneuries appartenant à d’autres seigneurs. Source : Duby, G. (1987). Histoire de France. Le Moyen Age de Hugues Capet à Jeanne d’Arc, 987-1460 . Paris : Hachette, p. 177. Au cours du Moyen Age, le royaume était donc constitué de deux types de territoires : d’une part le domaine royal, administré et exploité directement par le roi qui en était le seigneur, d’autre part les comtés, les duchés, etc., ne dépendant pas directement du roi qui n’y percevait aucun revenu. Mais leurs détenteurs reconnaissaient l’autorité sacrée du roi par le biais de l’hommage. Nous pouvons grossièrement considérer l’histoire de la construction administrative et territoriale du pouvoir royal depuis le Moyen Age jusqu’aux Temps modernes selon une triple logique : 1. Une logique d’extension du domaine royal, jusqu’à ce qu’il coïncide avec les frontières du royaume, sous le règne d’Henri IV, par des mariages avec de riches héritières, par des achats, par des guerres et par la confiscation des terres des seigneurs rebelles. Par exemple, en 1189, le roi Philippe Auguste (1180-1223) épousa Isabelle de Hainaut qui lui offrit l’Artois en dot. En 1204, il s’empara du duché de Normandie après avoir battu le roi d’Angleterre que nous nommons Jean sans Terre précisément parce qu’il perdit la Normandie. Dans les films hollywoodiens et dans les dessins animés, ce roi, le petit frère de Richard Cœur de Lion, est nommé le Prince Jean. Le seigneuries ainsi acquises appartenaient dès lors au roi. Il concédait parfois l’autorité sur ces seigneuries à des seigneurs qui lui prêtaient alors hommage. 2. Une logique de centralisation administrative. Le domaine royal était administré par des prévôts qui rendaient la justice au nom du roi, et qui prélevaient les impôts et les amendes pour son compte. Plus le domaine royal s’agrandissait et plus le roi devenait riche et capable de lever des armées de plus en plus puissantes. Philippe Auguste institua les baillis ( baillés , envoyés par le roi, dans la moitié nord de la France) et les sénéchaux (dans le sud de la France) pour contrôler les prévôts d’une zone plus ou moins bien délimitée. Un bailliage ou une sénéchaussée avait, très approximativement, une taille équivalente à celle d’un département actuel. Progressivement, par les moyens que nous verrons avec l’étude du règne de Louis IX, les rois imposèrent leur autorité aux sujets qui résidaient hors du domaine royal. 3. Une logique d’extension des frontières du royaume. A partir du XVe siècle, une fois le roi devenu le plus puissant seigneur du royaume, grâce à l’extension et à l'exploitation du domaine royal, la monarchie réalisa de nombreuses expéditions militaires hors du royaume pour conquérir des territoires au-delà des frontières fixées lors du traité de Verdun de 843. Ce fut notamment l’une des grandes orientations du règne de Louis XIV. Passons maintenant à l’étude des règnes qui nous incombent. 1. Louis IX, le « roi chrétien » au XIIIe siècle Louis IX (1214-1270) devint roi à la mort de son père Louis VIII et fut sacré le 29 novembre 1226, trois semaines après le décès de son père, dans la cathédrale de Reims. Sa mère Blanche de Castille assura la régence jusqu’à sa majorité. La miniature représente l’onction du roi ainsi que les symboles de son pouvoir, les regalia . Le sacre de Louis IX , miniature du manuscrit de l' Ordo du sacre de 1250, BNF , Lat.12 46, folio 17. Source : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/87/Louis_ix_sacre.jpg Sceau en majesté de Louis IX Légende : Ludovicus Dei gratia Francorum Rex Source : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Premier_sceau_de_majest%C3%A9_de_Louis_IX_d%C3%A9tour%C3%A9.png 1.2. L’administration du royaume 1.2.1 La gestion du domaine royal Contrairement à ses prédécesseurs, Philippe Auguste et Louis VIII (voir les cartes ci-dessous), Louis IX ne produisit pas une extension considérable du domaine royal. Source : Duby, G. (1987). Histoire de France. Le Moyen Age de Hugues Capet à Jeanne d’Arc, 987-1460 . Paris : Hachette, p. 177. Par le traité de Paris en 1259, il fit renoncer le roi d’Angleterre Henri III à ses revendications sur le duché de Normandie, sur le comté d’Anjou et du Maine, et sur le comté de Touraine qui avaient été conquis par Philippe Auguste. Louis IX annexa uniquement les sénéchaussées de Beaucaire et de Tarascon, au bord du Rhône. Le domaine royal à la mort de Louis IX (1270) Source : https://www.lhistoire.fr/carte/le-domaine-royal-%C3%A0-la-mort-de-louis-ix-de-france-1270 Louis IX se consacra principalement au renforcement de l’administration du domaine royal et du royaume. Il jeta ainsi les bases d’un État moderne qui ne reposait plus seulement sur les liens personnels de vassalité avec les grands seigneurs du royaume, mais sur un ensemble d’institutions peuplées par des juristes professionnels. Par la Grande ordonnance de 1254, le roi renforça son contrôle sur les prévôts et les baillis qui administraient le domaine royal. Il leur ordonna de rendre la justice à tous les justiciables sans distinction de richesse ou de statut, et de ne pas faire payer d’amendes sans jugement. Louis IX commença ainsi à disposer d’un personnel mieux payé, moins corrompu, plus compétent et dévoué au service de l’État. Surtout, le texte de la Grande ordonnance signale des personnels au service exclusif du roi, hors de toute logique de vassalité envers un autre seigneur. Enfin, si le roi prend la peine de détailler tout ce qui est interdit aux prévôts et aux baillis, c’est sans doute parce que ces derniers commettaient jusqu’à présent tous ces méfaits. Document : La Grande ordonnance de Louis IX sur l’administration du royaume (1254) (extraits) Nous Louis, par la grâce de Dieu roi de France, établissons que tous nos baillis, vicomtes, prévôts, maires et tous autres, en quelque affaire que ce soit, et en quelque office que ce soit, fassent serment que, tant qu’ils seront en office ou en fonction de baillis, ils rendront justice à chacun sans exception, aux pauvres comme aux riches, à l’étranger comme au familier, et qu’ils respecteront les us et coutumes qui sont bonnes et qui ont fait leurs preuves. Et s’il arrive que les baillis, ou les vicomtes ou autres, comme sergents ou forestiers, agissent contre leurs serments, et qu’ils en soient convaincus, nous voulons qu’ils en soient punis en leurs biens et en leurs personnes si le méfait est suffisant, et les baillis seront punis par nous, et les autres par les baillis. Les prévôts, les baillis et les sergents jureront de garder loyalement nos rentes et nos droits, et ne pas supporter que nos droits soient supprimés ou amenuisés ; et ils jureront en outre de ne prendre ou recevoir ni par eux-mêmes ni par d’autres ni or, ni argent, ni bénéfice par en-dessous, ni d’autres choses, si ce n’est de la nourriture, du pain et du vin, jusqu’à la valeur de dix sous et pas au-delà. (…). Et ils jureront encore de ne recevoir aucun cadeau quel qu’il soit, d’homme appartenant à leur baillie, ni d’autres qui ont cause ou plaident devant eux (…). Et ils promettront et jureront que s’ils apprennent qu’un officier, sergent ou prévôt est déloyal, rapineur, usurier, ou empli d’autres vices à cause desquels ils doivent abandonner le service royal, ils ne les soutiendront nullement à cause de cadeaux ou de promesses qui leur auraient été faites, par bienveillance ou d’autres raisons, mais ils les puniront et jugeront en toute bonne foi (...). Nous voulons et établissons que tous nos prévôts et nos baillis se retiennent de proférer des jurons contre Dieu, Notre-Dame et tous les saints et se tiennent éloignés des jeux des dés et des tavernes. Nous voulons que la fabrication des dés soit défendue dans tout notre royaume et que les « folles femmes » soient jetées hors des maisons ; et quiconque louera une maison à une « folle femme » devra donner au prévôt ou bailli le loyer de la maisons pendant un an (…). Nous établissons qu’aucun de nos baillis ne lève des amendes pour dettes de nos sujets, ou pour malfaçon, si ce n’est en assemblée plénière devant laquelle la dette soit jugée et estimée, et avec le conseil de bonnes gens (…). Nous défendons que les baillis, maires ou prévôts ne contraignent par des menaces, par la peur ou autre contrainte, nos sujets à payer des amendes, ni ne les accusent sans raisons valables (…). Texte cité par Joinville, Histoire de Saint Louis , éd. N. De Wailly, 1869, p. 383-389 ; adapté de l’ancien français et cité par Brunel, G. et Lalou, E. (dir.) (1992). Sources d’histoire médiévale IXe – milieu du XIVe siècle . Paris : Larousse, p. 728-730. Dans l’esprit du roi, si la justice royale était correctement rendue et si les sujets se conduisaient mieux (le texte montre que le blasphème était également interdit, ainsi que les jeux d’argent et de hasard et la prostitution), alors le roi pourrait contribuer au salut de leur âme. A l’époque, il n’existait pas de distinction entre l’exercice du pouvoir politique et les impératifs liés à la religion. 1.2.2 L’affirmation de l’autorité du roi sur l’ensemble du royaume Louis IX imposa également son autorité sur le reste du royaume. Au milieu du XIIIe siècle, l’autorité du roi ne s’imposait plus seulement à ses vassaux directs et aux sujets vivant dans le domaine royal, mais aussi à tous ses sujets du royaume. Désormais, l’empereur et le pape n'étaient plus considérés comme les supérieurs du roi et la chancellerie royale de Louis IX commença à présenter le roi comme « empereur en son royaume ». L’autorité du roi se manifestait surtout par l’exercice de la justice. Par la justice, le roi pouvait concurrencer la justice exercée traditionnellement par les seigneurs dans leurs seigneuries, il exerçait ainsi une autorité visible sur ses sujets, et il tirait des bénéfices du paiement des amendes. Il dépêcha donc dans le royaume des envoyés qui contrôlaient l’exercice de la justice par les seigneurs locaux. L’épisode de la condamnation du sire de Coucy, racontée par Guillaume de Nangis, est un exemple célèbre de la manière dont Louis IX fit de la justice royale une justice d’appel de la justice seigneuriale et imposa son autorité aux seigneurs qui ne se trouvaient pas dans le domaine royal. L’histoire raconte que le sire de Coucy fit pendre trois jeunes nobles qui avaient été pris en train de chasser sur ses terres. Même si la mesure est brutale, elle rentre dans les attributions d’un seigneur. Louis IX décida de le juger et de la condamner à mort. L’entourage du roi parvint à le faire changer d’avis et à transformer cette peine en une forte amende. Cet épisode montre que la cour du roi était alors en train de devenir l’organe judiciaire suprême du royaume, une justice d’appel au-dessus des justices seigneuriales. Saint Louis condamne le sire Enguerrand de Coucy pour avoir fait pendre trois jeunes nobles. Enluminure du manuscrit du chroniqueur Guillaume de Saint-Pathus, Vie et miracles de saint Louis , XIVe siècle, Bibliothèque nationale de France, Français 5716, folio 245 verso Document : Le récit de la condamnation du sire de Coucy par Louis IX Il advint en ce temps qu’en l’abbaye de Saint-Nicolas au bois qui est près de la cité de Laon, demeuraient trois nobles jeunes gens natifs de Flandre, venus pour apprendre le langage de France. Ces jeunes gens allèrent jouer un jour dans le bois de l’abbaye avec des arcs et des flèches ferrées pour tirer et tuer les lapins. En suivant leur proie qu’ils avaient levée dans le bois de l’abbaye, ils entrèrent dans un bois appartenant à Enguerrand le seigneur de Coucy. Ils furent pris et retenus par les sergents qui gardaient le bois. Quand Enguerrand apprit ce qu’avaient fait ces jeunes gens par ses forestiers, cet homme cruel et sans pitié fit aussitôt pendre les jeunes gens. Mais quand l’abbé de Saint-Nicolas qui les avait en garde l’apprit, ainsi que messire Gilles le Brun, connétable de France au lignage de qui appartenaient les jeunes gens, ils vinrent trouver le roi Louis et lui demandèrent qu’il leur fît droit du sire de Coucy. Le bon roi, dès qu’il apprit la cruauté du sire de Coucy, le fit appeler et convoquer à sa cour pour répondre de ce vilain cas (…). Le roi Louis fit prendre et saisir le sire de Coucy, non pas par ses barons ni par ses chevaliers, mais par ses sergents d’armes et le fit mettre en prison dans la tour du Louvre et fixa le jour où il devait répondre en présence des barons. Au jour dit les barons de France vinrent au palais du roi et quand ils furent assemblés le roi fit venir le sire de Coucy et le contraignit à répondre sur le cas susdit (…). L’intention du roi était de rester inflexible et de prononcer un juste jugement, c’est-à-dire de punir ledit sire selon la loi du talion et de le condamner à une mort semblable à celle des jeunes gens. Quand les barons s’aperçurent de la volonté du roi, ils le prièrent et requirent très doucement d’avoir pitié du sire de Coucy et de lui infliger une amende. Le roi, qui brûlait de faire justice, répondit devant tous les barons que s’il croyait que Notre Seigneur lui sût aussi bon gré de le pendre que de le relâcher, il le pendrait, sans se soucier des barons de son lignage. Finalement, le roi se laissa fléchir par les humbles prières des barons et décida que le sire de Coucy rachèterait sa vie avec une amende de dix mille livres et ferait bâtir deux chapelles où l’on ferait tous les jours des prières chantées pour l’âme des trois jeunes gens. Il donnerait à l’abbaye le bois où les jeunes gens avaient été pendus et promettrait de passer trois ans en Terre sainte. Le bon roi prit l’argent de l’amende, mais ne le mit pas dans son trésor, il le convertit en bonnes œuvres (…). » Guillaume de Nangis, Gesta Ludovici IX , éd. Cl. Fr. Daunon, Recueil des historiens de la France , XX, Paris, 1840, p. 399-401 ; trad. J. Le Goff, Saint Louis , Paris, Gallimard, 1996, p. 240-242. L’image du roi justicier fut à l’origine d’une représentation erronée mais largement diffusée par les manuels scolaires de la Troisième république montrant Saint-Louis rendant la justice sous un chêne à proximité du château de Vincennes. Une autre mesure essentielle concerne la monnaie. Au Moyen Age, chaque grand seigneur possédait un atelier de frappe monétaire et émettait des pièces qui avaient cours sur ses terres. Si des marchands voulaient acheter ou vendre des produits dans une autre province, ils étaient obligés de changer leur monnaie. En 1263 puis en 1265, deux ordonnances du roi instaurèrent le privilège de la monnaie royale de circuler dans tout le royaume tout en autorisant la circulation locale des monnaies locales. Cette mesure, extraordinaire à l’époque, montre que la richesse et l’autorité du roi étaient désormais reconnues dans tout le royaume et pas seulement dans le domaine royal. Extrait de l’ordonnance de Louis IX sur la monnaie (1263) (traduction en langue moderne) La monnaie royale aura désormais cours dans tout le royaume. Il est décidé que nul ne puisse faire une monnaie semblable à la monnaie du roi sans qu’il n’y ait une différence évidente du côté croix comme du côté pile. Et qu’on ne se serve d’aucune autre monnaie que celle du roi, et que nul ne vende, n’achète, ne passe de contrat qu’avec cette monnaie, là où il n’existe pas de monnaie particulière. Et les monnaies parisis [frappées à Paris] ni tournois [frappées à Tours] ne seront pas refusées, même si elles sont usées, pourvu que l’on reconnaisse du côté croix ou du côté pile qu’elles sont les monnaies parisis ou tournois, pour qu’il n’y ait aucune tromperie sur aucune pièce. Et le roi veut et commande que de telles monnaies soient acceptées pour le paiement de ses redevances. Et que nul ne puisse refondre ni rogner la monnaie du roi sous peine d’emprisonnement et de voir ses biens confisqués. Ordonnance des roys de France de la troisième race , Tome I, Paris, 1723, p. 93-94. Source : d ’après http://classes.bnf.fr/franc/reperes/textes/c.htm Par la suite, des ordonnances instaurèrent deux monnaies, le gros tournois (frappé à Tours) en argent et l’écu d’or. L’ écu d’or fut nommé ainsi car, sur son avers, figurait l’écu (le bouclier) du roi orné de fleurs de lys. Sa valeur élevée le destinait au grand commerce international, mais il connut un relatif échec. Cependant, cette monnaie, symbole de la richesse de Saint-Louis, resta célèbre et donna son nom à l’ECU ( European Currency Unit) qui préfigura l’Euro. écu d’or de Louis IX d’un poids de 4,04 gramme d’or (1266). BNF. Description : Avers : écu semé de six fleurs de lys dans un polylobe. Inscription : LVDOVICVS DEI GRACIA FRANCOR REX (Louis par la grâce de Dieu roi des Francs) Description : Revers : croix grecque aux bras fleuronnés et fleurs de lys. Inscription : XPC VINCIT XPC REGNAT XPC IMPERAT (Christ vainc, Christ règne, Christ commande) Source : 1.3 Un « roi chrétien » Le règne de Louis IX fut marqué par un attachement très fort à la dévotion religieuse. Louis IX se livrait fréquemment à des exercices de piété (prières et messes fréquentes), il s’efforçait d’imiter la vie du Jésus lors de certaines fêtes religieuses (il lavait les pieds des mendiants, il offrait à manger aux pauvres lors du Jeudi-Saint, etc.). Louis IX acquit également des reliques d’une grande valeur. Il acheta à l’empereur de Constantinople Baudouin II la couronne en épines du Christ, une partie de la Vraie Croix, la Sainte-Éponge et le fer de la Sainte-Lance (nous ne ferons pas de commentaires sur la potentielle réalité de ces reliques). Pour héberger ces reliques, il fit construire la Sainte-Chapelle située dans l’enceinte du palais royal sur l’île de la cité (aujourd’hui dans l’enceinte de la préfecture de police de Paris), inaugurée en 1248. Cette très belle église gothique, dont les murs sont remplacés par des vitraux, permettait d’associer étroitement le pouvoir royal à la religion, le roi à Jésus. Le roi se trouvait ainsi au contact quotidien des reliques de la Passion du Christ. L’int érieur de la Sainte-Chapelle Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_IX#/media/Fichier:Sainte-Chapelle_gnosne.j Louis IX prit également des mesures contre les juifs, considérés comme un peuple déicide. A plusieurs reprises, il interdit les prêts usuraires consentis par les juifs et permit à leurs clients de ne pas rembourser leurs dettes. En 1240, des exemplaires du Talmud, considéré comme un livre infâme, furent brûlés en place de Grève à Paris. En 1269, il obligea les juifs à porter la rouelle, une marque jaune cousue sur la poitrine et le dos, afin que l’on puisse les reconnaître. Il semblerait que ces mesures discriminatoires, de sinistre mémoire pour nous aujourd’hui, relevaient, dans l’esprit de Louis IX et de l’époque, d’une volonté de conversion des juifs à la religion catholique. En 1248, à la suite d’un vœu formulé alors qu’il était gravement malade, Louis IX embarqua à Aigues-Mortes pour accomplir la 7eme croisade . L’expédition se dirigea vers Chypre pour se ravitailler, puis vers l’Égypte. Il était en effet trop difficile d’attaquer directement la Terre Sainte : la conquête de l’Égypte semblait pouvoir ouvrir la voie vers la Terre Sainte. Rien ne se passa comme prévu. Le roi fut capturé puis libéré contre une forte rançon. Ayant appris le décès de sa mère Blanche de Castille, qui exerçait la régence durant son absence, il revint à Paris en 1254. Malgré cet échec cinglant, Louis IX décida de repartir en croisade. En 1270, la 8eme croisade se dirigea cette fois vers la Tunisie qui devait elle aussi servir de base pour la reconquête de la Terre sainte, par une stratégie que nous qualifierions de périphérique. Mais une épidémie ravagea le camp des croisés et Louis IX décéda à Carthage le 25 août 1270. Le 25 août devint ensuite le jour de la Saint-Louis. Les entrailles et le cœur du roi furent enterrés dans la cathédrale de Monreale à Palerme, capitale du royaume de Charles d’Anjou, un frère du roi. Le corps fut ébouillanté afin de séparer les chairs du squelette. Ce dernier fut ramené en France et inhumé dans la basilique de Saint-Denis, le 23 mai 1271. Par son mode de vie très pieux, Louis IX était quasiment considéré comme un saint de son vivant. Sa mort en terre de croisade renforça évidemment cette dimension sacrée. En outre, de nombreux miracles eurent lieu au passage de sa dépouille en Sicile et à Saint-Denis. Cela permit à la famille royale et aux ordres monastiques du royaume de demander une procédure de canonisation auprès du pape. A l’issue d’une enquête particulièrement rapide, le pape Boniface VIII annonça la canonisation de Saint-Louis en 1297. Évidemment, l’insistance du roi Philippe le Bel, le petit-fils de Louis IX, et la volonté du pape d’établir de bonnes relations avec le roi de France, ne sont pas étrangères à la rapidité de la procédure. Cette opération fut une excellente affaire pour la monarchie française. Les rois de France étaient déjà sacrés mais ils descendaient désormais d’un saint. La religion leur offrait ainsi une double légitimité. 2. François Ier, un protecteur des Arts et des Lettres à la Renaissance 2.1 Un roi guerrier Dans la continuité du règne des rois de France précédents, Charles VIII et Louis XII, le règne de François Ier (né en 1494, roi de 1515 à 1547) fut en partie occupé par les guerres d’Italie, motivées par la volonté de conquérir le duché de Milan. Mais les principaux enjeux de ces conflits étaient l’affrontement avec l’empereur Charles Quint (1500-1558), qui régnait sur le Saint-Empire et sur l’Espagne, et la rivalité avec le roi Henri VIII d’Angleterre (1491-1547). François Ier remporta tout d’abord la bataille de Marignan en 1515 contre une coalition constituée du duc de Milan, du pape Léon X et des cantons suisses. Puis il subit une défaite à Pavie en 1525 face à une armée au service de Charles Quint et à l’issue de laquelle il fut retenu prisonnier pendant un an à Madrid. Le roi dut payer une rançon qui contribua également au développement des institutions financières du royaume. François Ier et Charles Quint s’affrontèrent à nouveau en Provence entre 1535 et 1538 puis sur la frontière du Nord-Est de la France en 1544. En effet, au cours du règne de François Ier, un basculement stratégique s’opéra depuis l’Italie vers les Flandres et la Rhénanie qui firent l’objet de l’essentiel des campagnes des successeurs de François Ier. La carte ci-dessous montre l’encerclement du royaume de France par les possessions de Charles Quint et le problème géopolitique que cela posait. Source : L’histoire, les collections n°68, juillet-septembre 2005, p. 41. Ces guerres incessantes et, à l’exception de la bataille de Marignan, assez peu favorables au prestige militaire du roi, présentaient toutefois l’intérêt de coûter très cher. Alors que Louis XII, son prédécesseur, disposait de 20 000 soldats, François Ier en engagea 40 000 à Marignan en 1515, dont une majorité de mercenaires de diverses origines. L’armement (fusils individuels et canons), de plus en plus sophistiqué et efficace, coûtait de plus en plus cher. La levée de l’ost féodal n’étant plus en mesure de satisfaire aux besoins de la guerre moderne, le roi devait financer l’emploi de soldats professionnels. Les guerres justifiaient donc des levées d’impôts, toujours présentées comme exceptionnelles, qui renforçaient l’appareil de l’État monarchique qui s’appesantissait sur les populations. A la fin de son règne, François Ier avait pris l'habitude de prélever des impôts sur l'ensemble de ses sujets. L’historien Philippe Hamon a montré que les caisses de l’État ont recueilli près de 200 millions de livres entre 1515 et 1547. Sur cette somme, près des deux tiers servirent à financer la guerre. Le fil conducteur du programme de CM1 nous incite à articuler cette dimension militaire à la dimension artistique et culturelle du règne de François Ier. En effet, la protection des arts et les sciences et la conduite de la guerre et de la diplomatie avaient en commun d’occasionner de très fortes dépenses. Ces dernières nécessitaient le développement des institutions qui permettaient de lever et de gérer ces fonds et qui participaient ainsi à la construction de l’État moderne. 2.2 Un roi mécène et bâtisseur 2.2.1 Renaissance, humanisme, réforme religieuse Le principal apport des guerres d’Italie fut de connecter le royaume de France à la Renaissance italienne. François Ier est considéré comme le roi emblématique de la Renaissance et le programme de CM1 nous demande d’aborder ce personnage à travers le prisme de l’humanisme et de la Renaissance. La Renaissance , terme utilisé pour la première fois par le peintre et historien de l’art italien Giorgio Vasari en 1568, désigne un renouveau de l’art par la redécouverte de l’Antiquité. Les historiens du XIXe siècle en firent une période historique à part entière : la Renaissance désignait la renaissance de l’Antiquité et, entre les deux, se situe le Moyen Age, l’âge médian et sombre séparant ces deux périodes brillantes. La Renaissance dura approximativement du milieu du XVe siècle jusqu'au milieu du XVIe siècle. Elle s’illustra principalement en Italie, mais également en Flandres, en Allemagne, en France et dans la plus grande partie de l’Europe. La Renaissance artistique est inséparable de l’humanisme sur le plan des idées. A partir de la fin du XVe siècle, face aux inquiétudes concernant le salut de l’âme, l’humanisme proposait de chasser l’ignorance en développant le savoir sur Dieu et sur le monde grâce à un retour aux textes de l’Antiquité. Les hommes se délivreraient ainsi de ce qui les empêchait d’accéder à leur dignité d’êtres humains, créatures de Dieu, et d'assurer ainsi le salut de leur âme. L’humanisme mettait donc en avant une confiance dans l’homme et considérait que le savoir et les arts alliés à la charité chrétienne permettraient une amélioration continue de l’humanité et du monde, qui assurerait le salut de l’âme de chaque fidèle. Cela supposait le retour aux textes originaux de la Bible et de l’Antiquité gréco-latine, dépouillés de toutes les erreurs de transcriptions du Moyen Age qui en obscurcissaient le sens. Il convenait de les compléter par la réalisation d’expériences scientifiques et médicales permettant de mieux connaître l’homme et le monde. Le savoir ancien enrichi des expériences nouvelles circulait largement grâce à l’imprimerie inventé en 1455 par Gutenberg. L’objectif était de mieux connaître Dieu et la création (à savoir le monde créé par Dieu). Cependant, cette volonté de connaitre la création de Dieu eut des conséquences inattendues. La volonté de connaitre le corps humain conduisit certains scientifiques et certains artistes à opérer des dissections clandestines de cadavres. En 1543, le flamand Vésale fonda l'anatomie moderne en publiant son livre De humani corporis fabrica constitué de planches de corps écorchés donnant à voir les muscles et les tendons du corps humain. En 1545, le médecin militaire Ambroise Paré mit au point la ligature des artères pour stopper les hémorragies provoquées par les boulets de canons qui arrachaient les jambes et les bras et qui, jusque-là, étaient stoppée par la cautérisation au fer rouge ou à l'huile bouillante. En 1553, Michel Servet découvrit "la petite circulation sanguine" depuis le cœur vers les poumons. Sur le plan de l'astronomie le polonais Copernic présenta les preuves scientifiques du fait que la terre tournait autour du soleil, et non l'inverse. dans son De Revolutionibus Orbium Coelestium publié en 1543, peu après sa mort. Ces découvertes firent considérablement avancer la science mais accrurent en même temps l'angoisse religieuse : si la terre n'est plus au centre de l'univers et si les êtres humains sont d'abord des êtres de chair et d'os, alors où Dieu se trouve-t-il et qu'en est-il de l'âme ? L’humanisme se développa d’abord en Italie avec Pétrarque, Lorenzo Valla (1405-1457), Marsile Ficin, Pic de la Mirandole (1463-1492). Jacques Lefèvre d’Étaples fut sans doute l’humaniste français le plus célèbre. Mais la figure principale de l’humanisme européen était celle de Didier Érasme (Rotterdam vers 1478 - Bâle 1539). Théologien, philologue, éditeur et commentateur d’un grand nombre de textes de l’Antiquité, il a publié notamment une version grecque du Nouveau testament (1516) réalisée à partir de plusieurs manuscrits, afin d’en retrouver le texte original. Il reste célèbre pour son Éloge de la folie (1511), une satire des hommes d’Église et des courtisans. Comme il entretenait une correspondance assidue avec des princes, des théologiens et des savants dans toute l’Europe, il est parfois considéré comme l’un des premiers européens et son nom fut donné au programme d’échanges européen ERASMUS+. Mais il fut ensuite accusé par l’Église d’avoir ouvert la voie à la critique luthérienne. En effet, la dénonciation des travers d’un clergé ignorant, jouisseur, considéré comme incapable d’assurer le salut de l’âme des fidèles, et la volonté de retrouver le texte originel et non corrompu des textes sacrés, a conduit certains humanistes vers la réforme religieuse . Ainsi, Martin Luther considérait que seule la foi pouvait assurer le salut de l’âme (le salut par foi) et que les fidèles devaient établir une relation directe à Dieu par la lecture des textes et la participation au culte dirigé par un pasteur. C’est pourquoi il traduisit la Bible en allemand pour la mettre à la portée du plus grand nombre. En incitant chaque fidèle à lire la Bible, il rendait inutile le clergé catholique dirigé par le pape et qui se considérait comme un intermédiaire nécessaire entre Dieu et les fidèles. L’autre grande figure de la Réforme fut celle de Jean Calvin qui rédigea notamment plusieurs versions de L'Institution de la religion chrétienne (1536). Il rejetait lui aussi le clergé catholique et considérait notamment que le salut de l’âme des fidèles était décidé par Dieu (la prédestination). La pensée de Calvin constitua une rupture majeure dans l'histoire des religions : les œuvres humaines (bien agir ici-bas pour gagner sa place au paradis) ne garantissait pas le salut de l'âme, le culte de la Vierge Marie et des saints n'étaient d'aucune utilité et, en conséquence, leurs images devaient être bannies des temples. Seule la lecture de la Bible garantissait le lien entre les fidèles et Dieu. Bien entendu, l'imprimerie joua un rôle essentiel dans la diffusion des exemplaires de la Bible en langue vernaculaire, mais également des pamphlets contre le clergé catholique. La réforme protestante donna lieu en retour à la réforme catholique, longtemps appelée contre-réforme. Elle découla du concile de Trente , dans le nord de l’Italie, réuni sous l’autorité du pape de 1545 à 1563 pour répondre au défi de la réforme protestante. Ce concile rappela les principaux dogmes de la fois catholique (les sept sacrements, le culte de la Vierge, des saints, et des reliques, la transsubstantiation, le salut par les œuvres, etc.), il interdisait aux fidèles la lecture de la Bible (en latin) réservée aux seuls membres du clergé. Il organisa surtout une véritable formation des prêtres dans les séminaires diocésains. Pour marquer une différence accrue avec l'austérité des temples protestants, les églises de la réforme catholique de l'époque baroque furent chargées de statues, de peintures et de dorures. L'objectif de toutes ces réformes était le même : rassurer les fidèles en leur permettant de trouver une voie spécifique (salut par la foi, prédestination, salut par les œuvres) pour le salut de leur âme. Cette présentation de la Réforme est évidemment simpliste. Pour davantage de précisions, la lectrice ou le lecteur peut se référer à la bibliographie. Ce fichier n’est pas le lieu pour un exposé de théologie ou d’histoire des religions. Dans la logique de la définition des faits religieux en vigueur dans l’Éducation nationale, il s’agit de présenter quelques thèmes qui permettent de comprendre le problème politique posé par la réforme religieuse dans le royaume de France au XVIe siècle, que nous aborderons plus loin. 2.2.2 Un prince de la Renaissance Après la bataille de Marignan, François Ier souhaita adopter le modèle des cours qu’il avait rencontrées en Italie. Depuis la Moyen Age, la cour du roi rassemblait les proches du roi qui le conseillaient pour la direction du royaume. Durant la Renaissance, la cour entra dans une nouvelle dimension. En raison de la complexification constante de la direction de l’État, les conseillers du roi et les administrateurs à son service devinrent de plus en plus nombreux. Les courtisans devaient être de plus en plus instruits et devaient avoir reçu une éducation humaniste. Progressivement, la cour fut gérée par une étiquette que seules les personnes éduquées maîtrisaient, ce qui prouvait leur distinction et justifiait leur présence à la cour. En outre, une cour brillante, où les courtisans portaient de riches habits, où des fêtes somptueuses étaient données, où les artistes (Léonard de Vinci, Buenvenuto Cellini, Le Primatice, Jean Clouet…) étaient accueillis, manifestait également la distinction du roi lui-même et participait de la propagande royale. François Ier considérait également que les femmes étaient indispensables à la vie de la cour. Il aimait être entouré de femmes et il pensait qu’elles contribueraient au rayonnement artistique et culturel de la cour en incitant les courtisans à y dépenser leur fortune. Les deux œuvres suivantes de Jean Clouet, le portraitiste de la cour, montrent bien en quoi François Ier était un prince de la Renaissance. La magnificence de ses vêtements signale son goût, sa posture signale sa sagesse et son autorité. Il n'était même pas utile de représenter les regalia (seule la couronne figure sur la tapisserie en arrière-plan) pour montrer qu’il était le souverain. François Ier vers 1530 (par Jean Clouet, huile sur toile, 96 × 74 cm, Paris, musée du Louvre). Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Fra nç ois_Ier_Louvre.jpg François Ier à Cheval . Enluminure attribuée à Jean Clouet, vers 1540, 27 x 22 cm. BnF Cabinet des dessins. MI 1092 Source: h ttps://commons.wikimedia.org/wiki/File:Fran ç ois_1er_attribu é_à _Jean_Clouet_MI_1092.jpg?uselang=fr De même, le portrait équestre de François Ier renvoie à la tradition de la représentation de l’empereur romain conquérant sur son cheval et arborant les insignes de son pouvoir : le bâton de commandement et l’épée. La splendeur du cheval ainsi que de l’armure du roi révèlent la magnificence du prince de la Renaissance, homme de goût mais également brillant cavalier capable de faire produire un mouvement gracieux par son destrier. 2.2.3 Un roi humaniste Durant sa jeunesse, François Ier reçut une éducation qui fit de lui un homme cultivé. Sa mère Louise de Savoir lui transmit son goût pour l’art et la collection d’œuvres d’arts. Sa sœur Marguerite de Navarre , protectrice notamment de Rabelais et poétesse elle-même, eut une grande influence sur François Ier. Le roi favorisa la création de bibliothèques. En 1530, à l’instigation de l’humaniste Guillaume Budé, le roi créa le Collège des lecteurs royaux payés par le roi et chargés d’enseigner les disciplines ignorées par l’université : le grec, l’hébreu, puis les mathématiques, la médecine, la philosophie grecque, les langues orientales, etc. Ce collège est à l’origine du Collège de France, qui aujourd’hui encore, est l’institution universitaire la plus prestigieuse en France et qui emploie les meilleurs scientifiques de chaque spécialité. Sur le plan religieux, par l’intermédiaire de sa sœur Marguerite de Navarre, le roi soutenait les humanistes du Cercle de Meaux, dirigé par Lefèvre d’Etaples qui souhaitaient retrouver la pureté des textes originels. Il souhaitait maintenir un compromis entre l’Église catholique et les humanistes évangélistes. Document :  Noël Bellemare (vers 1495-1546) et François Clouet (vers 1515-1572) François Ier, entouré de sa cour, reçoit un ouvrage de son auteur Gouache rehaussée d’or sur vélin - 26,3 x 20,2 cm. 1534. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:BellemareClouetFrancois_ier_livre.jpg Mais le compromis devint difficile à tenir à la fin du règne. Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, des affiches dénonçant le pape et le dogme catholique furent collées sur les murs de plusieurs villes et jusqu’aux portes de la chambre du roi au château d’Amboise. Cette « affaire des Placards » (pour désigner les affiches placardées sur les murs) fut perçue par le roi comme un crime de lèse-majesté et entraîna l’organisation de grandes processions d’expiation. A l’occasion de l’une d’elles, le 21 janvier 1535, les reliques de la Sainte-Chapelle qui avaient été achetées par Louis IX (la couronne d’épine, le morceau de la Vraie-Croix, la Sainte-Eponge, le fer de la Sainte-Lance, etc.) furent portées en procession. Le roi prononça un discours contre les réformés. Pour marquer les esprits, trente-cinq réformés, considérés désormais comme hérétiques, furent brûlés vifs. 2.2.4 Un roi bâtisseur François Ier fit venir auprès de lui Léonard de Vinci (1452-1519) qu’il installa au Clos-Lucé, à proximité du château d’Amboise. Ce dernier apporta avec lui La Joconde mais aussi La Vierge, l’enfant Jésus et Sainte Anne . Il se vit chargé d’organiser quelques fêtes et, peut-être, les plans de l’escalier à double révolution du château de Chambord. Le roi fit également venir les peintres Rosso Fiorentino et Le Primatice. Il inaugura également la collection d’art de la couronne en achetant des tableaux de Michel-Ange, du Titien ou de Raphaël. Son action de mécène s’illustra principalement dans la construction ou la reconstruction de nombreux châteaux : Amboise, Blois (1515), Chambord (1519), Fontainebleau (1528), Villers-Cotterêts (1532), Saint-Germain en Laye (1539), Le Louvre (1545), etc. En effet, la cour était itinérante, elle allait de château en château. Le roi devait se montrer dans son royaume et en avoir également une connaissance personnelle. L’état des circuits commerciaux de l’époque contraignait la cour (entre 5 000 et 15 000 personnes) à se déplacer une fois les ressources locales épuisées. En raison des conditions sanitaires, il était également nécessaire d’abandonner périodiquement un château pour procéder à son nettoyage. En outre, du fait de son augmentation quantitative, la cour devait pouvoir être hébergée dans des résidences de plus en plus grandes. Mais il s’agissait également de représenter, de mettre en scène le pouvoir du roi. Comme la guerre était désormais expulsée du royaume, les murs furent percés de fenêtres et les éléments défensifs furent remplacés par des éléments décoratifs. Les pièces furent plus nombreuses, mieux aménagées et préservèrent désormais l'intimité. Ces châteaux s’inspiraient partiellement de la Renaissance italienne mais présentaient certaines spécificités qui permettent de parler d’une Renaissance française sur le plan architectural. Source : La Renaissance de François Ier. L’histoire, les collections n°68, juillet-septembre 2015, p. 62. Comme le montre la carte ci-dessus, on distingue deux périodes dans la construction/reconstruction de ces châteaux. La première génération de châteaux se situe dans le val de Loire. Elle accueillait une cour composée de gentilshommes et de négociants. La seconde génération, occupée au retour de la captivité du Roi à Madrid, à la fin des années 1520, se situe autour de Paris, alors que les organismes d’État devenaient plus lourds à gérer et réduisirent leur itinérance à l’Île-de-France. Le nombre de nuits passées dans chaque château montre au final la prééminence des châteaux de la région parisienne dans l'histoire du règne de François Ier. Cette évolution apparaît avec l’examen du château de Chambord et du château de Fontainebleau. Vue aérienne du château de Chambord Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:ChateauChambordArialView01.jpg Le château de Chambord fut construit à partir de 1519 (les travaux durèrent près de vingt ans) sous la supervision du roi qui aimait chasser dans la région. Ce château est inspiré d’une part de la tradition française : le plan d’un château fort autour d’un donjon central et flanqué de tours, les décoration gothiques des fenêtres. Il emprunte d’autre part des éléments de la Renaissance italienne : à l'extérieur des clochetons, des pilastres et des tourelles, à l'intérieur des plafonds à caissons, des éléments décoratifs évoquant des dauphins, des oiseaux, des cornes d’abondance autour du motif principal de la salamandre (un animal mythique sensé survivre au feu), l’emblème de François Ier. La magnificence du château de Chambord était en soi un véritable programme politique : elle manifestait la puissance du roi incarnée dans la pierre par la multitude de F couronnés et de salamandres elles aussi couronnées. Mais surtout, l’escalier à double révolution entourant un puit de lumière, situé au centre du massif donjon du château, constitue l’un des joyaux architecturaux de ce château. Il est possible, mais pas certain, que Léonard de Vinci en conçut le plan. En effet, comme il ne subsiste aucun plan du château, nous ignorons tout des architectes qui le conçurent. Cet escalier était un élément central de l’architecture mais également de la vie de cour car il permettait de se montrer tout en observant les personnes qui empruntaient l’autre escalier, et réciproquement. Partie inférieure de l’escalier à double révolution (ou double hélice ou double colimaçon) du château de Chambord. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Escalier_Chambord.jpg?uselang=fr Une explication simple et claire de la structure de cet escalier sur : https://www.lumni.fr/video/chambord-les-secrets-de-son-escalier-revolutionnaire Le château de Fontainebleau fut rénové à partir de 1531. A la suite de la défaite de Pavie et du paiement de sa rançon, François Ier décida de se rapprocher de Paris. Il fit venir Giovanni Battista di Iacopo (1494-1540), dit le Rosso Fiorentino en raison de la couleur de ses cheveux, et Francesco Primaticcio (1504-1570) dit Le Primatice . Il furent chargé de la décoration du château : les fresques, les tapisseries, les fontaines, les sculptures, etc. La galerie François Ier du château de Fontainebleau, d’une longueur de 60 mètres, est particulièrement intéressante car les fresques du Rosso détaillent le programme politique du roi. Château de Fontainebleau : la galerie François Ier Source : https://www.chateaudefontainebleau.fr/les-grands-appartements-des-souverains/les-salles-renaissance/ Rosso Fiorentino (1494-1540) : La fresque de l’éléphant royal 1533/1539. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Fontainebleau_interior_francois_I_gallery_02.JPG?uselang=fr La fresque de l’éléphant royal, ou L'éléphant fleurdelysé , est placée sous une salamandre, emblème de François Ier. L’éléphant, symbole de force et de sagesse symbolise la royauté. D’ailleurs, il porte une salamandre sur le front et un F majuscule sur son caparaçon. A ses pieds se trouvent trois dieux symbolisant les éléments qui caractérisent les espaces sur lesquels règne le roi : de gauche à droite, Jupiter et la foudre à ses pieds (le feu), Neptune avec un trident (l’eau) et Pluton avec Cerbère (la terre). La cigogne symbolise la piété filiale à l’égard de la mère du roi, Louise de Savoie. Fiorentino Rosso : Le roi garant de l’unité de l’État Crédit Photo (C) RMN-Grand Palais (Château de Fontainebleau) / Gérard Blot Source : https://art.rmngp.fr/en/library/artworks/fiorentino-rosso_galerie-francois-ier-l-unite-de-l-etat_fresque-peinture_haut-relief_stuc La fresque intitulée l’unité de l’État représente le roi en costume d’empereur romain, au centre. Il tient dans sa main gauche une grenade tandis qu’un nain, à ses pieds, lui en présente une autre. Les graines de la grenade renvoient à la société tenue en main par le roi qui dirige l’État. Les personnages entourant le roi, sont issus de plusieurs milieux socio-professionnels (soldats, marchands, religieux…) et symbolisent à nouveau l’unité de la société autour de la personne du roi. La centralité de la personne du roi détenteur de l’ imperium hérité des empereurs romains est vue par certains historiens comme une première représentation de la marche vers la monarchie absolue. Bien entendu, lors des guerres de religion, les châteaux retrouvèrent leurs vertus défensives, comme le montre le château de Kerjean, construit en 1598, dans le nord-Finistère actuel, entouré d'une muraille défensive et de casemates abritant des batteries d'artillerie. 2.2 La poursuite de la construction de l’État moderne 2.2.1 Le renforcement de l’administration et du pouvoir du roi Sous le règne de François Ier, la formule « Le sire, notre roi » (considérant le roi comme le suzerain d’un ordre féodal) fut abandonnée au profit de la formule « Sa majesté » (jusque là réservée à l’empereur du Saint-Empire) pour affirmer la toute puissance du souverain sur l'ensemble de ses sujets. Pour cette raison, il est possible de voir (mais avec des précautions) le règne de François Ier comme une étape décisive vers la construction de la monarchie absolue. Cependant, il ne faut pas voir en François Ier un monarque absolu semblable à Louis XIV. Les juristes du XVIe siècle considéraient que François Ier, étant désigné par Dieu, détenait le pouvoir d’édicter les lois et de les faire appliquer. Mais le roi ne gouvernait pas seul et s’appuyait sur ses conseillers, qu'il réunissait tous les jours, et sur les magistrats des parlements pour prendre les décisions les plus justes, c’est-à-dire conformes à ce que l’on pensait être la justice divine. Encart : Qu’est-ce qu’un parlement en France à l’époque moderne ? A la fin du Moyen Age et à l’époque moderne, ce que l’on nommait un parlement avait peu à voir avec le parlement britannique et avec le parlement au sens contemporain du terme, composé d’un ou deux chambres regroupant des membres élus détenant le pouvoir législatif et budgétaire. En France, ce type de parlement aurai pu naître des États généraux composés d’élus qui, au XIVe siècle notamment, conseillaient le roi sur le budget et la levée des impôts. L’évolution absolutiste de la monarchie française n’a pas permis cette évolution. Dans le royaume de France, en raison du développement de la justice royale, la cour du roi ( curia regis ) ne trouvait plus le temps de juger toutes les affaires judiciaires importantes. Cette fonction fut déléguée aux parlements, composés de juristes professionnels, qui étaient donc initialement une émanation de la cour du roi ( Curia in Parlamento ). Louis IX institua le Parlement de Paris au milieu du XIIIe siècle, puis treize autres parlements furent créés au XVe siècle. La compétence de chacun s’exerçait sur un territoire donné pour juger en appel les affaires judiciaires remontant des tribunaux des bailliages et des sénéchaussées relevant de sa compétence. Comme il était la cour du justice du roi lui-même, le Parlement de Paris exerçait une prééminence sur les autres parlements. Le Parlement de Paris avait également pour fonction d’enregistrer les édits et les ordonnances du roi. S’il ne les jugeait pas conformes au droit, il disposait d’un droit de remontrance consistant à refuser de les enregistrer. A partir du XVIIe siècle, au terme d’une procédure complexe, le roi pouvait imposer l’enregistrement de ses édits et de ses ordonnances en tenant au Parlement de Paris un lit de justice . Ce pouvoir du Parlement de Paris fut à l’origine de très nombreux conflits avec le roi. Le Conseil du roi réunissait de grands princes mais également des juristes spécialistes de différents domaines. Ce conseil fut dirigé par des personnalités marquantes qui secondaient efficacement le roi : Louise de Savoie, duchesse d'Angoulême, la mère du roi, de 1515 à 1531, puis le connétable Anne de Montmorency puis, à partir de 1541, les amiraux Chabot et d'Annebaut et le cardinal de Tournon, soutenus en fait par Anne de Pisseleu, duchesse d'Etampe, la favorite du roi. Le règne de François Ier se déroula après une série de mesures qui contribuèrent à renforcer le pouvoir monarchique. Sous Louis IX, l’autorité du roi s’exprimait surtout par l’exercice de la justice. La Guerre de Cent Ans (1337-1453) contribua à renforcer les prérogatives financières de l’État en imposant le prélèvement régulier d’impôts destinés à financer les guerres du roi et en mettant en place à cet effet une administration fiscale de plus en plus efficace. En 1523, François Ier créa le Trésor de l’épargne, institution financière qui centralisait de façon plus rationnelle toutes les recettes et toutes les dépense de l’État. En 1539, il créa la première loterie d’État dont on sait qu’elle sert toujours à remplir les caisses de l’État avec les mises des joueurs. On suppose que l’État employait entre 7 000 et 8000 agent en 1515 et près de 20 000 au milieu du XVIe siècle, pour une population totale estimée à 17 ou 18 millions d’habitants. L’ État de justice de la fin du Moyen Age devint donc également un État de finances . Cette évolution fut renforcée par un accroissement de l'activité législative de la monarchie. Certes, le roi n'était pas la seule source du droit car les coutumes locales se maintinrent. Le roi ne devait légiférer que pour remédier aux insuffisances de ces coutumes et dans le sens du bien commun, ce qui constituait un prétexte commode pour légiférer sur un grand nombre de sujets. Alors que François Ier émit environ 1 000 actes législatifs par an en moyenne, son successeur Henri II en émit environ 2 400 par an. L'Etat devint également un Etat législateur . Une mesure important fut le Concordat de Bologne signé avec le pape Léon X en 1516, après la victoire de Marignan. Ce concordat organisa les rapports entre le roi et la religion catholique jusqu’en 1790. Ce concordat attribuait au roi de France le droit de nommer les évêques, les archevêques et les abbés (dirigeants des abbayes) français qui étaient ensuite confirmés par le pape. Il s’agit d’une décision essentielle qui permettait aux rois de France de contrôler le haut clergé et l’Église de France. Enfin, le domaine royal avait continué à s’étendre. Comme la carte ci-dessous le montre, le règne de François Ier marqua lui aussi une extension considérable du domaine royal qui recouvrait désormais la plus grande partie du royaume. L’événement le plus marquant à ce sujet est évidemment l’acte d’union du duché de Bretagne au royaume en 1532. Cette évolution contribua à réduire l’importance financière du domaine royal. Il ne représentait plus que 2 % des recettes de la monarchie à la fin du XVe siècle. L’essentiel des recettes venait de la taille (impôt créé au XIVe siècle pour financer la guerre), des aides et de la gabelle (impôt sur le sel) , des impôts à la consommation pesant sur tous les sujets. A titre d’exemple, la taille rapportait 3,9 millions de livres à la fin du règne de Louis XI en 1483, et 4,4 à la fin du règne de François Ier en 1547. Source : https://www.lhistoire.fr/carte/la-france-de-fra nç ois-ier 2.2.2 L’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) En 1539, François 1er édicta l’ ordonnance de Villers-Cotterêts , un texte juridique de 192 articles portant notamment sur l’exercice de la justice. Les articles 110 et 111 imposent l’usage du français (c’est-à-dire la langue du roi parlée en Île-de-France) à la place du latin dans la rédaction de tous les actes publics. Ces deux articles, les plus anciens de tous les textes législatifs toujours en vigueur aujourd’hui en France, sont considérés comme la marque d’un processus d’unification linguistique du royaume. Document : Ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la justice (dite ordonnance de Villers-Cotterêts). Articles toujours en vigueur aujourd’hui : François, par la grâce de Dieu, roy de France, sçavoir faisons, à tous présens et advenir, que pour aucunement pourvoir au bien de notre justice, abréviation des proçès, et soulagement de nos sujets avons, par édit perpétuel et irrévocable, statué et ordonné, statuons et ordonnons les choses qui s'ensuivent. Article 110. Et afin qu'il n'y ait cause de douter sur l'intelligence desdits arrêts, nous voulons et ordonnons qu'ils soient faits et écrits si clairement, qu'il n'y ait ni puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude ne lieu à demander interprétation. Article 111. Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l'intelligence des mots latins contenus esdits arrests, nous voulons d'oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences testaments, et autres quelconques, actes et exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement. Cité par Isambert, Decrusy, Armet, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la révolution de 1789 , Tome XII, Paris, Belin-Le Prieur, 1828, p. 600 Source : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006070939/ Cette ordonnance obligeait également les curés à inscrire les baptêmes, les mariages et les enterrements de leur paroisse dans les registres paroissiaux qui devenaient un outil de gouvernement essentiel pour connaitre l'état de la population du royaume. Cette mesure est essentielle car elle est à l'origine de notre Etat civil qui a succédé aux registres paroissiaux lors de la Révolution française, en 1792). Cette mesure contribua également à fixer les noms de famille puisqu'il fallait désormais donner un nom aux personnes inscrites sur ces registres. Les patronymes furent attribués en fonction des caractéristiques psychologiques ou physiques des chefs de famille (le roux, le gros, le petit, etc.) de leur lieu de résidence (du bois, du pont, du chemin, etc.), de leur métier (boulanger, Febvre (forgeron), etc.)... Certes, le roi ne disposait d’aucun moyen d’imposer par la force le français à tous ses sujets. Si le français gagna la bataille contre les parlers locaux, c’est parce que les notables souhaitaient se distinguer du peuple en parlant la langue de l’administration. Le français était utile également aux marchands qui commerçaient au-delà de leur propre province. L’ordonnance de Villers-Cotterêts correspond également au souhait des humanistes de défendre la langue vernaculaire face au latin. De même que Luther traduisit la Bible en allemand, Lefèvre d’Etaples traduisit la Bible en français. Rabelais et les poètes publièrent leurs œuvres en Français. N’oublions pas la célèbre Défense et illustration de la langue française de Joachim du Bellay, en 1549. Désormais, le français était la langue de l’administration, de la justice et de la littérature tandis que le latin restait la langue de l’Église, de l’Université et de la science. Si nous suivons les analyses de l'anthropologue américain James C. Scott dans L'œil de l'Etat. Moderniser, uniformiser, détruire (La Découverte, 2024), il n'y a rien d'étonnant à ce que ces diverses mesures figurent ensemble dans l'ordonnance de Villers-Cotterêts. Les balbutiements de la simplification linguistique (le français à la place du latin et des parlers locaux) visaient un meilleur contrôle de l'Etat naissant sur les actes juridiques et sur les institutions locales. La tenue des registres paroissiaux et l'invention de patronymes fixes et transmis héréditairement allait progressivement permettre d'identifier et de contrôler les individus afin de les soumettre à l'impôt. En outre, comme le patronyme familial était celui du père de famille, sujet fiscal vis-à-vis de l'Etat, son autorité légale sur sa femme (obligée d'adopter le patronyme de son mari) et sur ses enfants (auxquels il transmettait son patronyme) était considérablement renforcée. 3. Henri IV et l’édit de Nantes 3.1 Les guerres de religion (1562-1598) Le programme du CM1 nous conduit à envisager le règne d’Henri IV dans la perspective de la fin des guerres de religion. Il est impossible de résumer simplement les guerres de religion et il ne nous appartient pas de le faire ici. Disons, pour simplifier très grossièrement, qu’il s’agit d’une guerre civile atroce aux motivations certes religieuses, mais également sociales et politiques. Elles durèrent plus de trente-cinq ans car elles exprimaient des revendications sociales, politiques et culturelles de tous les milieux. L'aristocratie et la bourgeoisie urbaine y trouvèrent le moyen de chercher à s'émanciper de l'autorité royale de plus en plus pesante soit en s'orientant vers le protestantisme, soit en adhérant à la Ligue catholique dans les années 1580. Quelques grands seigneurs utilisèrent la question religieuse pour mobiliser leurs clientèles contre les autres grands seigneurs. A leur niveau, les artisans souvent alphabétisés, prirent la tête de la contestation sociale des classes populaires. En 1560, un Français sur dix environ était protestant, surtout dans le Sud du royaume. Ces guerres de religion se déroulèrent de 1562 à 1598. Ces guerres opposèrent essentiellement le camps catholique aux réformés, principalement calvinistes en France, que l’on nommait aussi protestants ou huguenots. Sur le plan religieux et politique, les protestants mettaient directement en cause l’organisation de l’Église et de la monarchie. Rappelons que, par le Concordat de Bologne en 1516, le roi était le chef de l'Eglise de France. L'Edit de Fontainebleau, en 1540, considéra l'hérésie protestante comme un crime de lèse-majesté et confia sa répression à des juges royaux. Comme nous l'avons vu plus haut, le calvinisme promouvait un rapport direct à Dieu par la lecture des textes religieux par chaque fidèle et par les cérémonies religieuses dirigées par de simples pasteurs, des laïcs désignés par la communauté. Il remettait en cause le rôle du clergé catholique, des saints et de la Vierge Marie considérés par les catholiques comme des intermédiaires et des intercesseurs entre les fidèles et Dieu. Précisons au passage que cet élément fut réaffirmé par la réforme catholique à l’occasion du Concile de Trente. Ce qui nous intéresse le plus ici, c’est la conséquence politique de la théologie calviniste. Selon Calvin, aucun chrétien n’était supérieur à un autre et ne pouvait s’arroger une autorité sacrée en se présentant comme un intermédiaire entre les hommes et Dieu. En conséquence, les protestants remettaient directement en cause la légitimité religieuse du roi. C’est sans doute ce point qu’il faut retenir avant tout. Les historien·nes distinguent huit guerres de religion entrecoupées d'édits de pacification précaires promulgués par les rois successifs, en 1562, 1563, 1568, 1570, 1573, 1576, 1577, 1579. Si ces guerres durèrent aussi longtemps, c’est aussi parce qu’elles répondaient aux intérêts de grandes familles nobiliaires, catholiques et protestantes, qui accaparèrent, à la faveur des troubles, des postes prestigieux et des subsides considérables par les pillages et les levées d’impôts. L’épisode le plus atroce fut sans doute le massacre de la Saint-Barthélemy , le 24 août 1572 et les jours suivants. Le mariage du protestant Henri de Navarre (futur Henri IV) et de la catholique Marguerite de Valois avait eu lieu à Paris le 18 août. La monarchie espérait ainsi réconcilier les deux camps. Cependant, les catholiques les plus intransigeant, soutenus sans doute par le roi Charles IX et sa mère Catherine de Médicis, profitèrent de l’occasion pour massacrer les protestants venus participer au mariage princier. Près de 3 000 protestants furent massacrés à Paris entre le 24 et le 29 août, et environ 10 000 durant les jours qui suivirent, dans le reste du royaume. Ces massacres furent souvent commis par des voisins qui en profitèrent pour régler des comptes mais le but était surtout d'extirper de la communauté ceux qui remettaient en cause les croyances majoritaires. Cela explique sans doute l'extrême violence des mutilations infligées aux corps des des hommes, des femmes et des enfants victimes des massacres. Les historien·nes restent en désaccord sur les raisons et le déroulement du massacre . Document : François Dubois (1529-1584) . Le massacre de la Saint-Barthélemy. Musée cantonal des Beaux-arts, Lausanne. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_la_Saint-Barthélemy#/media/Fichier:La_masacre_de_San_Bartoloméo,_por_François_Dubois.jpg En tout cas, il est fort utile de visionner à ce propos le magnifique film La reine Margot (1994) de Patrice Chéreau, avec Isabelle Adjani dans le rôle titre. A la suite de l’avènement du roi Henri III en 1584, le parti catholique dirigé par les Guise constitua la Sainte-Ligue catholique qui voulait éradiquer le protestantisme et empêcher le roi Henri III de mener une politique de conciliation avec les protestants. La Ligue se présentait comme un parti fanatisé, ultra-catholique, qui avait pour objectif l'extermination des protestants. Elle peut être envisagée également comme une forme d'opposition à l'affermissement de la monarchie : elle réclamait une monarchie limitée, le vote des impôts par des Etats généraux réunis régulièrement, l'indépendance des villes à l'égard du roi et une certaine forme de démocratie locale. Dans diverses régions, les revendications politiques des protestants étaient relativement similaires. Le 15 mai 1588, pour empêcher l'armée du roi d'occuper Paris, le peuple parisien gagné aux idées de la Ligue bloqua les rues de Paris avec des barriques. Cette "journée des barricades" fut à l'origine d'une pratique politique fréquente au XIXe siècle et jusqu'en mai 1968 au moins. 3.2 L’avènement et le règne d’Henri IV (1589-1610) Le roi Henri III fut assassiné le 1er août 1589 par un moine ligueur fanatique, Jacques Clément , qui lui reprochait d’être trop conciliant avec les protestants. Comme le roi n’avait pas d’héritier direct, le plus proche prétendant à la couronne était son cousin Henri de Navarre, un prince protestant de la branche des Bourbon, celui-là même que l'on avait marié quelques jours avant la Saint-Barthélemy de 1572. Pour accéder au trône de France, ce dernier dût affronter les armées de la Ligue catholique (bataille d’Arques en 1589, bataille d’Ivry en 1590, où il aurait proclamé : « Ralliez vous à mon panache blanc, vous le trouverez au chemin de la victoire », bataille de Fontaine Française en 1595). De fait, l'écharpe blanche devint le signe de ralliement des partisans du roi contre les ligueurs. Mais ces victoires militaires ne suffisaient pas et Paris restait toujours aux mains des ligueurs. Hanri IV abjura sa foi protestante et se convertit au catholicisme dans la basilique de Saint-Denis, le 25 juillet 1593. En ce lieu, il se présenta comme l’héritier des rois des dynasties des Mérovingiens, des Capétiens et des Valois inhumés dans la basilique. Henri IV fut ensuite sacré à Chartres le 27 février 1594 car Reims restait aux mains de la Ligue. Puis il effectua son entrée à Paris le 22 mars 1594 afin de se faire reconnaître par le peuple de Paris qui se trouvait auparavant du côté de la Ligue. On a raconté qu’il aurait dit à cette occasion : « Paris vaut bien une messe ». Fort de cette légitimité religieuse et désormais populaire, le roi Henri IV obtint progressivement la soumission de la plupart des chefs ligueurs . Le sacre de Henri IV dans la cathédrale Notre-Dame de Chartres, 1594. Paris, BNF Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sacre_Henri4_France_01.jpg Apportant la paix religieuse et la stabilité, Henri IV connut une grande popularité forgée également par la reconstruction patiente de sa propre image car le roi était autrefois présenté comme un démon protestant. La propagande royale le présenta par exemple comme le nouvel Hercule qui avait terrassé l’hydre de la Ligue soutenue par le roi d’Espagne. Toussaint Dubreuil (1561-1602) Henri IV en Hercule terrassant l'hydre de Lerne, c'est-à-dire la Ligue catholique. Huile sur toile, 91 x 74 cm. Musée du Louvres Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/ F ile:Henry_IV_en_Herculeus_terrassant_l_Hydre_de_Lerne_cad_La_ligue_Catholique_Atelier_Toussaint_Dubreuil_circa_1600.jpg Une fois la paix revenue après la rédaction de l’édit de Nantes en 1598, que nous abordons plus loin, Henri IV s’attacha à restaurer les finances et l’autorité de l’État. Avec l’aide de son ministre, le duc de Sully , il s’efforça de redresser l’agriculture et le commerce. On doit à Sully ce superbe aphorisme : « Pâturage et labourage sont les deux mamelles de la France ». Les horreurs perpétrées durant les guerres de religion incitèrent un certain nombre de penseurs à défendre un renforcement du pouvoir monarchique garant de la paix civile et à imposer un rapport d'obéissance totale des sujets à leur roi. Le principal d'entre eux fut Jean Bodin qui, dans ses Six livres de la République , publiés en 1572, peut être considéré comme le premier théoricien de l'absolutisme. Il définissait les pouvoirs du roi non plus par le catalogue de ses attributions et de ses possessions territoriales, mais par le concept abstrait de souveraineté. Il considérait que la souveraineté du roi était absolue, c'est-à-dire supérieure à celle des seigneurs, des provinces, des villes, du parlement, etc. Surtout, il faisait dériver l'adjectif absolu du verbe absoudre : le pouvoir du roi est absolu en ce sens que le roi est absout de la puissance des lois humaines. Seule s'impose à lui la loi divine. Dans cette logique, le règne de Henri IV constitua une nouvelle étape vers la monarchie absolue par la limitation du droit de remontrance des parlements. La composition du Conseil du roi , dont les grands du royaume furent exclus, fut limitée à douze conseillers nommés par le roi. Enfin, la Paulette (du nom de son instigateur, Charles Paulet) en 1604, institutionnalisa l’hérédité de la vénalité des offices. Depuis le règne de François Ier, les officiers au service du roi (les magistrats, les avocats, les notaires, les greffiers, les membres de administration fiscale, les officiers de l’armée) pouvaient en effet acheter leur office. Cette pratique (la "vénalité des offices") permettait de remplir les caisses de l’État et les officiers se remboursaient par l’exercice de leur charge. Elle présentait également l'intérêt de lier des dizaines de milliers de familles d'officiers au destin de la monarchie. Désormais, un office pouvait être transmis de père de fils, contre le paiement annuel de la Paulette, à savoir un soixantième de la valeur de l’office chaque année. Les fonctions de l’État étaient désormais assumées par des spécialistes compétents et assidus. Certains offices, les plus chers, tels que ceux de membre d’un parlement par exemple, permettaient même d’obtenir un titre de noblesse. Cela contribua au développement de la noblesse de robe, par opposition à la noblesse d’épée plus ancienne. Certains mauvaises langues nommaient ces offices anoblissants « la savonnette à vilains ». Vers 1515, il y avait environ 4 000 officiers, soit 1 pour 4 750 habitants, en 1665, il y en avait 46 047 (dix fois plus), soit 1 pour 380 habitants. Henri IV fut également un roi bâtisseur. Il fit achever le Pont neuf , il fit construire l’actuelle place des Vosges et la place Dauphine à Paris, contribuant à la transition de l'usage du bois vers la pierre comme matériau de construction des maisons parisiennes, afin de réduire le risque d'incendie en ville. Le 14 mai 1610, Henri IV fut à son tour assassiné de trois coups de couteau par un catholique fanatique, François Ravaillac , rue de la Ferronnerie à Paris. Ce dernier avait été élevé dans un milieu ligueur très hostile aux protestants. « Questionné » (torturé) durant plusieurs jours par le premier président du Parlement de Paris, il indiqua que son geste était motivé par la volonté de contraindre le roi à reprendre la guerre contre les protestants. Il fut écartelé pour parricide (il avait tué le Père) et sacrilège (il avait porté la main sur une personne sacrée) le 27 mai 1610, en place de Grève. Il apparaît donc que deux rois successifs, Henri III et Henri IV furent assassinés, au moment où les catholiques fanatiques instillaient le doute sur la légitimité de ces rois qu’ils accusaient de favoriser la religion protestante. Jamais aucun autre roi de France ne fut assassiné. Cela montre a contrario la force de la légitimation du pouvoir des rois de France par le sacre et la religion. Paradoxalement, le geste de Ravaillac contribua à établir pour la postérité la légende du « bon roi Henri IV ». Il constitua surtout une étape décisive dans la construction de l’absolutisme en France : lors des États généraux de 1614, les derniers avant ceux de 1789, les délégués des trois ordres, craignant qu’un nouvel attentat de ce type ne replonge le royaume dans les affres de la guerre civile, réaffirmèrent la nécessité de l’autorité absolue du roi. Ils réclamèrent un roi « souverain en son État, ne tenant sa couronne que de Dieu seul ». 3.3 L’édit de Nantes (1598) L’ édit de Nantes est un texte essentiel de l’histoire de France. Le programme nous incite à aborder le règne d’Henri IV par le prisme de l’édit de Nantes qui constitue effectivement l’apport majeur de ce règne. Il fut promulgué à Nantes le 30 avril 1598 par Henri IV qui venait de signer la paix dans cette ville avec le duc de Mercœur, chef des derniers ligueurs et gouverneur de la Bretagne dont le siège était à Nantes (puisque, comme chacun sait, Nantes est la capitale de la Bretagne historique). Cet édit marquait la fin des guerres de religion et permit le retour à une certaine stabilité politique. Nous en proposons quelques extraits : Document : Le texte de l’édit de Nantes (extraits), 30 avril 1598 (…) Pour ces causes, ayant avec l'avis des princes de notre sang, autres princes et officiers de la Couronne et autres grands et notables personnages de notre Conseil d'État étant près de nous, bien et diligemment pesé et considéré toute cette affaire, avons, par cet Édit perpétuel et irrévocable, dit, déclaré et ordonné, disons, déclarons et ordonnons : 1. Premièrement, que la mémoire de toutes choses passées d'une part et d'autre, depuis le commencement du mois de mars 1585 jusqu'à notre avènement à la couronne et durant les autres troubles précédents et à leur occasion, demeurera éteinte et assoupie, comme de chose non advenue. Et ne sera loisible ni permis à nos procureurs généraux, ni autres personnes quelconques, publiques ni privées, en quelque temps, ni pour quelque occasion que ce soit, en faire mention, procès ou poursuite en aucunes cours ou juridictions que ce soit. 2. Défendons à tous nos sujets, de quelque état et qualité qu'ils soient, d'en renouveler la mémoire, s'attaquer, ressentir, injurier, ni provoquer l'un l'autre par reproche de ce qui s'est passé, pour quelque cause et prétexte que ce soit, en disputer, contester, quereller ni s'outrager ou s'offenser de fait ou de parole, mais se contenir et vivre paisiblement ensemble comme frères, amis et concitoyens, sur peine aux contrevenants d'être punis comme infracteurs de paix et perturbateurs du repos public. 3. Ordonnons que la religion catholique, apostolique et romaine sera remise et rétablie en tous les lieux et endroits de cestui notre royaume et pays de notre obéissance où l'exercice d'icelle a été intermis pour y être paisiblement et librement exercé sans aucun trouble ou empêchement. Défendant très expressément à toutes personnes, de quelque état, qualité ou condition qu'elles soient, sur les peines que dessus, de ne troubler, molester ni inquiéter les ecclésiastiques en la célébration du divin service, jouissance et perception des dîmes, fruits et revenus de leurs bénéfices, et tous autres droits et devoirs qui leur appartiennent; et que tous ceux qui, durant les troubles, se sont emparés des églises, maisons, biens et revenus appartenant auxdits ecclésiastiques et qui les détiennent et occupent, leur en délaissent l'entière possession et paisible jouissance, en tels droits, libertés et sûretés qu'ils avaient auparavant qu'ils en fussent dessaisis. Défendant aussi très expressément à ceux de ladite religion prétendue réformée de faire prêches ni aucun exercice de ladite religion ès églises, maisons et habitations desdits ecclésiastiques. 9. Nous permettons aussi à ceux de ladite religion faire et continuer l'exercice d'icelle en toutes les villes et lieux de notre obéissance où il était par eux établi et fait publiquement par plusieurs et diverses fois en l'année 1596 et en l'année 1597, jusqu'à la fin du mois d'août, nonobstant tous arrêts et jugements à ce contraires. 13. Défendons très expressément à tous ceux de ladite religion faire aucun exercice d'icelle tant pour le ministère, règlement, discipline ou instruction publique d'enfants et autres, en cestui notre royaume et pays de notre obéissance, en ce qui concerne la religion, fois qu'ès lieux permis et octroyés par le présent Édit. 14. Comme aussi de faire aucun exercice de ladite religion en notre Cour et suite, ni pareillement en nos terres et pays qui sont delà les monts, ni aussi en notre ville de Paris, ni à cinq lieues de ladite ville. Toutefois ceux de ladite religion demeurant esdites terres et pays de delà les monts, et en notre ville, et cinq lieues autour d'icelle, ne pourront être recherchés en leurs maisons, ni astreints à faire chose pour le regard de leur religion contre leur conscience, en se comportant au reste selon qu'il est contenu en notre présent Édit. 15. Ne pourra aussi l'exercice public de ladite religion être fait aux armées, sinon aux quartiers des chefs qui en feront profession, autres toutefois que celui où sera le logis de notre personne. (...) Source : http://www.museeprotestant.org Remarquons tout d'abord l’obligation d’oublier les événements des guerres de religion (articles 1 et 2). Une telle décision est assez rare dans les sociétés humaines et elle intervient lorsqu’une société sort de conflits internes tellement graves qu’ils ne permettent pas la réconciliation des différents partis. L’oubli devient alors le seul moyen de vivre ensemble et de reconstruire une société. Il s’agit ensuite d’un édit de « tolérance ». Ce mot ne doit pas être entendu au sens où nous l’utilisons aujourd’hui, mais dans son sens littéral, c’est-à-dire le fait de « supporter » quelqu'un en espérant que cela ne durera pas trop longtemps. Le texte de l’édit considérait que la religion naturelle du royaume était le catholicisme. La religion protestante était tolérée en attendant qu’elle disparaisse d’elle-même et que tous les sujets du royaume reviennent d’eux-mêmes à la religion catholique (article 3). C’est pourquoi le culte protestant fut autorisé uniquement là où il existait en 1596-1597 et pas ailleurs (article 9). En conséquence, le culte protestant était notamment interdit à Paris et dans les environs, à la cour du roi et dans les armées, sauf si le chef d’un corps d’armée était protestant. L’édit de Nantes figeait donc la situation afin de rétablir la paix civile. Il consiste essentiellement en un compromis très fragile. La carte ci-dessous indique les lieux autorisés au culte protestant. France catholique, France protestante à la fin du XVIe siècle. Source : El Kenz, David (2014) La Réforme. Textes et documents pour la classe n°1072, SCEREN, p. 20. Mais l’édit de Nantes s’intégrait également dans la construction de l’État monarchique qui constitue le fil rouge de notre étude. Les historien.nes considèrent que, par ce texte, Henri IV a refondé la monarchie. Elle était désormais perçue comme un État absolu, placé au dessus des factions et des deux religions professées dans le royaume, unique garant de l’intérêt commun, de la stabilité, de l'ordre public et de la concorde entre les partis rivaux. L’État monarchique se trouva alors doté d’une nouvelle sacralité qui conduisit à la religion royale de Louis XIV. En outre, l’édit de Nantes introduisait une distinction entre le sujet obéissant à la loi du roi et le croyant, libre de ses choix religieux. Des historien·nes voient dans ce texte une première ébauche, certes très relative, de la laïcité. 4. Louis XIV, le Roi-soleil à Versailles 4.1 La monarchie absolue de droit divin 4.1.1 L’avènement du roi Le surnom de Roi-soleil fut inventé au milieu du XIXe siècle. Ce terme nous est resté car il résume bien les caractéristiques du règne de Louis XIV. Louis XIV est né le 5 septembre 1638. Il est mort le 1er septembre 1715. Au regard de l’espérance de vie moyenne de l’époque, nous pouvons considérer qu'il vécut trois vies. Il vit mourir ses fils et ses petits-fils si bien que c'est son arrière-petit-fils qui lui succéda sous le nom de Louis XV. On peut également considérer que Louis XIV fut le souverain de trois règnes successifs : celui de l'enfant qui vécut la Fronde, celui du jeune souverain qui imposa son pouvoir en 1661 et qui fit donner des fêtes somptueuses à Versailles, celui du vieux souverain austère qui révoqua l'édit de Nantes en 1685. Louis XIV n’avait pas cinq ans à la mort de son père Louis XIII en 1643. La reine Anne d’Autriche secondée par le cardinal Mazarin exerça la régence jusqu’à la majorité du roi. Toute période de régence produit un affaiblissement du pouvoir royal et permet l’expression des mécontentements. Ce fut le cas avec la Fronde (1648-1653). On distingue par commodité la « Fronde parlementaire » (1648-1650) menée par des officiers du Parlement hostiles au renforcement absolutiste du pouvoir royal, au cours de laquelle le futur louis XIV dut fuir Paris et se réfugier au château de Saint-Germain, puis la « Fronde des princes » (1650-1653) dirigée par le prince de Condé et par laquelle les grands du royaume revendiquèrent davantage de place dans l’État. Mazarin parvint à réduire les oppositions et à restaurer l’autorité du jeune roi qui resta durablement traumatisé par cet épisode. Louis XIV fut alors sacré à Reims le 7 juin 1654. Notons au passage que la Fronde fut contemporaine de la première révolution anglaise, à l'occasion de laquelle le roi Charles Ier fut décapité, le 30 janvier 1649. Cet évènement traumatisa la famille royale française. Le 10 mars 1661, le lendemain de la mort de Mazarin, au château de Vincennes, Louis XIV annonça sa décision de gouverner seul, sans premier ministre. Il congédia les membres du conseil royal, sa mère et ancienne régente, la reine Anne d'Autriche, les princes et les ducs et les grands ministres. A partir de cette date, il exerça une forme de monarchie absolue à l’état pur, pourrait-on dire, aboutissement de l’évolution en germe depuis la fin du XVe siècle et surtout depuis le règne d’Henri IV (aidé du duc de Sully) et de Louis XIII (aidé du cardinal de Richelieu puis du cardinal Mazarin). Désormais, Louis XIV fut aidé par des ministres qui n'étaient pas issus de la grande noblesse, qui lui devaient tout et ne pouvaient pas contester ses décisions. De fait Louis XIV gouverna en fonction des structures sociales de l'époque, toujours fondées sur les relations d'homme à homme et que nous qualifierions aujourd'hui de claniques. Il s'appuya sur le clan des Colbert et sur le clan des Le Tellier pour imposer son autorité à la noblesse. Hyacinthe Rigaud : Portrait de Louis XIV en costume de sacre (1700-1701). Huile sur toile, 277 x 194 cm. Musée du Louvre. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Louis_XIV_of_France.jpg?uselang=fr Le célèbre tableau de Hyacinthe Rigaud est d’un grand intérêt pédagogique. Il sert à définir la monarchie absolue de droit divin avec les élèves. Il permet de repérer les regalia (le sceptre, la couronne, la main de justice, l’épée dite de Charlemagne) qui symbolisent l’autorité du roi et les pouvoirs qu’il exerce. Le manteau évoque plutôt la monarchie de droit divin. Il évoque le manteau du grand prêtre du temple de Jérusalem dans la Bible. La doublure blanche symbolise la pureté tandis que les fleurs de lys sur fond d’azur évoquent aussi bien Marie que les astres et les cieux. Le roi paraît comme appartenant aussi bien au monde terrestre au qu’au monde céleste. 4.1.2 La monarchie de droit divin Le roi se considérait comme le lieutenant de Dieu sur terre par la vertu du sacre ( monarchie de droit divin ) et, en conséquence, comme le détenteur de tous les pouvoirs, source de la législation, de la justice et comme le chef de l’administration ( monarchie absolue ). Il convient toutefois de ne pas confondre la monarchie absolue avec un rég ime totalitaire ou arbitraire. L’adjectif absolu vient du latin ab-solutus (détaché, délié des lois). Le roi ne connaissait pas de limite externe à son pouvoir car il ne dépendait ni de l’empereur ni du pape, et il exerçait une pleine souveraineté. Mais il pensait devoir rendre des comptes à Dieu, il devait gouverner dans la perspective du bien commun, il devait rendre une bonne justice et il était contraint par certaines règles. On ne doit donc pas considérer que le roi faisait ce qu’il voulait ni que la monarchie absolue était une dictature au sens moderne du terme. La conception religieuse du pouvoir conduisit Louis XIV à intervenir dans les affaires religieuses de son temps. Il interdit le jansénisme , une doctrine catholique austère, considérant que le salut de l’âme était lié à l’intention de Dieu et non pas au salut par les œuvres des catholiques qui sont attachés au libre arbitre, et prônant une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir royal. Mais la grande mesure religieuse du règne de Louis XIV fut la révocation de l’édit de Nantes par l’édit de Fontainebleau enregistré par les parlements le 17 et le 18 octobre 1685. En effet, le compromis mis en place par l’édit de Nantes était considéré comme provisoire et se révéla difficile à tenir. Des conflits avec les protestants avaient éclaté sous le règne de Louis XIII et avaient conduit à la paix d’Alès en 1629. Or, l’unité religieuse semblait nécessaire au roi et à ses conseillers pour garantir la stabilité du royaume et le respect de l’autorité du roi. On institua par exemple les dragonnades : des soldats du roi étaient logés chez des protestants. Leur comportement indigne produisait fréquemment la conversion de ces derniers au culte catholique. Par l’édit de Fontainebleau, le culte protestant fut donc totalement interdit. On pense que 200 000 protestants environ quittèrent le royaume alors que l’exil leur avait été interdit par l’édit de Fontainebleau. En effet, seuls les pasteurs refusant d’abjurer leur foi étaient incités à quitter le royaume. Dans les Cévennes, les Camisards se révoltèrent en 1702 pour pouvoir garder leur foi. Document : La révocation de l’édit de Nantes par l'édit de Fontainebleau (1685) Édit du roi, portant défenses de faire aucun exercice public de la R.P.R. dans son royaume 1. Faisons savoir que Nous pour ces causes et autres à ce nous mouvant et de notre certaine science, pleine puissance, et autorité royal, avons par ce présent édit perpétuel et irrévocable, supprimé et révoqué, supprimons et révoquons l’édit du roi notre aïeul, donné à Nantes au mois d’avril 1598, en toute son étendue (…). Et en conséquence, voulons et nous plaît que tous les temples de ceux de ladite R.P.R. situés dans notre royaume, pays terres et seigneurie de notre obéissance, soient incessamment démolis. 2. Défendons à nos dits sujets de la R.P.R. de ne plus s’assembler pour faire l’exercice de ladite religion en aucune lieu ou maison particulière, sous quelque prétexte que ce puisse être (…). 3. Défendons pareillement à tous seigneurs de quelque condition qu’ils soient de faire l’exercice dans leurs maisons et fiefs, de quelque qualité que soient lesdits fiefs, le à peine contre nos dits sujets qui feraient ledit exercice, de confiscation de corps et de biens. 4. Enjoignons à tous les ministres de ladite R.P.R. qui ne voudront pas se convertir et embrasser la religion catholique, apostolique et romaine, de sortir de notre royaume et terres de notre obéissance, quinze jours après la publication de notre présent édit, dans y pouvoir séjourner au-delà, ni pendant ledit temps de quinzaine de faire aucun prêche, exhortation ni autre fonction, à peine de galères. 7. Défendons les écoles particulières pour l’instruction des enfants de la dite R.P.R. et toutes les choses généralement quelconques, qui peuvent marquer une concession, quelle que ce puisse être, en faveur de la dite religion. 8. A l’égard des enfants qui naîtront de ceux de ladite R.P.R. voulons qu’ils soient dorénavant baptisés par les curés des paroisses. Enjoignons aux pères et mères de les envoyer aux églises à cet effet là à peine de cinq cents livres d’amende (…). 10. Faisons très expresses et itératives défenses à tous nos sujets de ladite R.P.R. de sortir, eux, leurs femmes et enfants de notre dit royaume, pays et terres de notre obéissance, ni d’y transporter leurs biens et effets, sous peine pour les hommes des galères et de confiscation de corps et de bien pour les femmes (…) Donné à Fontainebleau au mois d’octobre l’an de grâce 1685 et de notre règne le 43eme. Signé Louis, visa Le Tellier. Par le Roi, Colbert. Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86224359/f1.item Les protestants restés en France furent ensuite obligés de se convertir au catholicisme, ainsi que le dénonce le dessin ci-dessous. Le dragon missionnaire , d’après une gravure de 1686 Source : https://fr.vikidia.org/wiki/Fichier:Le_dragon_missionnaire.j La monarchie de droit divin fut illustrée durant tout le règne par le thème solaire et l’évocation du dieu Apollon. L’une des premières évocation de ce thème eut lieu lors du Ballet de la nuit , donné le 23 février 1653, alors que la Fronde n’était pas encore terminée. Grand amateur de danse et de musique, qu’il pratiquait assidûment, le jeune roi apparut lors du final du ballet revêtu d’un costume doré dans le rôle du soleil. Il était accompagné des génies de l’Honneur, de la Grâce, de l’Amour, de la Valeur, de la Victoire, de la Renommée, de la Justice et de la Gloire. Tous ces génies étaient bien entendu à son service et étaient joués par les fils des grands du royaume. Ce ballet annonçait le programme politique de la monarchie absolue de droit divin et Louis XIV mit fréquemment les arts au service de son pouvoir. Ballet royal de la nuit. Louis XIV en costume d’Apollon . BnF, Paris Source : https://art.rmngp.fr/en/library/selections/37/81 Pour un commentaire détaillé : https://histoire-image.org/etudes/roi-danse-louis-xiv-mise-scene-pouvoir-absolu Cette scène est reprise au début du film Le roi danse (2000) de Gérard Corbiau avec Benoît Magimel dans le rôle titre. A voir absolument sur : https://www.youtube.com/watch?v=PdeqbpfXaK8 Le thème solaire apparaît également autour de la devise du roi : « Nec pluribus impar » (A nul autre pareil). La devise « Nec pluribus impar » sur un fût de canon dans la cour des Invalides à Paris Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Prise_sur_un_des_canon_dans_la_cours_des_Invalides_%C3%A0_Paris-_2013-12-03_13-11.jpg 4.1.3 Une monarchie absolue Comme nous l'avons vu plus haut, il est erroné d'assimiler la monarchie absolue à un pouvoir totalitaire. L'adjectif absolu signifie que le roi est absous de la domination du pape et de l'empereur. La centralisation administrative devint la règle de l’exercice de la monarchie absolue . En 1661, après la mort de Mazarin, Louis XIV décida de gouverner sans premier ministre, même si le rôle de Colbert et de Le Tellier fut essentiel durant plus de vingt ans. Dès lors, le roi dirigeait lui-même trois des quatre conseils du gouvernement : Conseil d’en haut (conseil restreint et principal lieu de décision politique), Conseil des finances, Conseil des parties (la justice dirigée par le chancelier Séguier) et Conseil des dépêches (assurant la transmission en direction des intendants créés par Richelieu et qui dirigeaient les généralités, l'équivalent des provinces ou des régions). Dans la continuité de l’exercice du pouvoir monarchique hérité du Moyen Age, il continuait à diriger la justice. Plus précisément il exerçait la j ustice « retenue" (lettres de cachet, droit de grâce) et les Parlements exerçaient la justice « déléguée » à eux par le roi. Document : Le métier de roi selon Louis XIV Quant aux personnes qui devaient seconder mon travail, je résolus sur toutes choses de ne point prendre de Premier ministre, rien n’étant plus indigne que de voir d’un côté toutes les fonctions et de l’autre le seul titre de roi. Pour cela, il était nécessaire de partager ma confiance et l’exécution de mes ordres sans la donner tout entière à une seule, appliquant diverses personnes à diverses choses, selon leurs divers talents (…). J’aurais pu sans doute jeter les yeux sur des gens de plus haute considération, mais pour découvrir toute ma pensée, il n’était pas de mon intérêt de prendre des hommes d’une qualité plus éminente. Il fallait faire connaître au public que mon intention n’était pas de partager mon autorité avec eux. Quand, dans les occasions importantes, les ministres nous ont rapporté tous les partis et toutes les raisons contraires, c’est à nous, mon fils, à choisir ce qu’il faut faire car la décision a besoin d’un esprit de maître (…). C’est à la tête seulement qu’il appartient de délibérer et de résoudre, et toutes les fonctions des autres membres ne consistent que dans l’exécution des commandements qui leur sont donnés. Voilà pourquoi on me vit toujours vouloir être informé de tout ce qui se faisait, traiter immédiatement avec les ministres étrangers, recevoir les dépêches, faire moi-même une partie des réponses et donner à mes secrétaires la substance des autres, me faire rendre compte à moi-même par ceux qui étaient dans les emplois les plus importants, conserver en moi seul mon autorité. D’après Louis XIV, Mémoires pour servir à l’instruction du Dauphin , 1661. Source : Cornette, Joël (2003). Louis XIV et Versailles. Textes et documents pour la classe n° 850, Scéren, p. 43. Le roi s’entoura de conseillers d’autant plus fidèles qu’il les choisissait dans la petite noblesse de robe et que ces derniers lui devaient leur carrière : le contrôleur général des finances ( Colbert, 1619-1683) et les quatre secrétaires d’État (l'équivalent des ministres) à la guerre (Le Tellier puis son fils Louvois), à la marine, aux affaires étrangères et à la maison du roi. Pour faire fonctionner l’État, le nombre des officiers serait passé de 45 000 dans les années 1660 à 60 000 à la fin du règne de Louis XIV, en 1715. Toujours traumatisé par la période de la Fronde, le roi réduisit encore plus le pouvoir des parlements dénommées « cours supérieures » et non plus « cours souveraines » à partir de 1665. Les 32 intendants dirigeaient les généralités au nom du roi et ils faisaient également remonter les informations nécessaires à l'administration du royaume. La centralisation administrative s’appuya également sur la rédaction de codes et d’ordonnances qui servirent à homogénéiser les pratiques dans divers domaines : code Louis (1667) sur la justice civile, ordonnance des Eaux et Forets (1669), ordonnance criminelle (1670), code marchand (1673), ordonnance maritime (1681), code noir (1685) sur la religion et les esclaves dans les colonies. Toutes ces réformes mirent en place une véritable monarchie administrative. Anonyme : Louis XIV tenant les sceaux en présence des conseillers d’État et des maîtres des requêtes . Huile sur toile, 110 x 128 cm. Musée national du château de Versailles. Source : https://fr.vikidia.org/wiki/Fichier:Louis_XIV_au_conseil_des_parties.jpg Pour un commentaire détaillé : https://histoire-image.org/etudes/autorite-louis-xiv Le tableau ci-dessus est considéré comme une bonne représentation des pratiques de pouvoir de Louis XIV. Après la mort du chancelier (ministre de la justice) Séguier, le roi exerça quelques temps la charge de chancelier. Il préside donc ici le Conseil des parties (de la justice). Le roi, assis sur un fauteuil, est mis en valeur par son costume coloré et par le jeu de la lumière. Le geste de sa main suggère la prise de décision. Les secrétaires d’État sont assis sur des tabourets. Ils sont assistés par les maîtres des requêtes qui se tiennent debout derrière eux. A l’autre bout de la table, des greffiers préparent les documents. A l’arrière-plan, se trouvent les secrétaires du roi, coiffés d’une perruque, qui ont acheté leur office très cher. Ils présentent des rapports sur l’administration de l’armée, de la justice et des provinces et s’initient ainsi à la direction des affaires de l’État. Enfin, dans le fond à droite se tiennent trois gentilshommes dont le petit nombre sert à montrer en réalité leur éviction du service du roi. Ce dernier leur préférait des hommes issus de la petite noblesse de robe compétents et dévoués. A l’arrière plan deux statues représentent la justice (à gauche) et la tempérance (à droite). Le tableau montre que le roi ne prenait pas ses décisions seul. Il s’appuyait sur les rapports des secrétaires du roi et sur l’avis des secrétaires d’État et des maîtres des requêtes pour prendre des décisions qui devaient théoriquement aller dans le sens de l’intérêt général du royaume. Encart : Pourquoi Louis XIV portait-il une perruque ? Alors qu’il avait 19 ans, le roi fut atteint de typhus exanthématique. A l’article de la mort, il reçut un vomitif à base d’antimoine (un produit proche de l’arsenic) et de vin. Le traitement lui sauva miraculeusement la vie mais lui coûta définitivement sa chevelure. Le roi fut contraint de porter des perruques à fenêtres (laissant passer les mèches de cheveux qui lui restaient) puis des perruques à balcon faites à partir de cheveux féminins qu’il fallait régulièrement faire bouillir et poudrer pour en chasser les poux et les odeurs. Elles devinrent de plus en plus grandes, jusqu’à peser près de 2 kg. Les courtisans et les officiers détenteurs d’une quelconque autorité imitèrent le roi et les perruques devinrent un signe de distinction. (D’après Le Monde , mardi 19 juillet 2022). La monarchie absolue s’exerça également à travers le contrôle des arts et des lettres. S’affirmant en cela l’héritier de François Ier, Louis XIV soutint l’art et la littérature avec Jean de La Fontaine, Molière, Jean Racine, Boileau, Lully, Charles Le Brun, André Le Nôtre, etc. Dans les années 1660-1670, les pièces de théâtre, les bals, les carrousels, les feux d’artifices servaient la glorification du roi. Certaines fêtes restées célèbres, comme le Ballet d’Hercule amoureux (1662) ou les Plaisirs de l’île enchantée (1664) donnés à Versailles, coûtèrent une fortune et associaient tous les corps de métiers : musiciens, comédiens, danseurs, sculpteurs, décorateurs, jardiniers, cuisiniers, artificiers, etc. Les académies devinrent l’instrument principal de l’absolutisme culturel. Le cardinal Richelieu avait créé l’ Académie française en 1635. Elle rassemblait des serviteurs de l’État et des écrivains dont le rôle était de donner des règles à la langue française tant sur le plan grammatical que lexical. L’absolutisme s’exerçait donc également par la codification de la langue. Comme c’est toujours le cas aujourd’hui, l'Académie devait produire un dictionnaire de la langue française et contribua à la normalisation de cette dernière. En 1648 fut créée l’ Académie royale de peinture et de sculpture à laquelle tous les peintres du roi devaient adhérer s’ils voulaient bénéficier de commandes officielles. Conçue comme un lieu de formation, elle contribua à définir les contours d’un art officiel tout entier dévolu au service et à la glorification du roi. L’ Académie d’architecture , créée en 1671, joua un rôle équivalent. L’ Académie de danse fut créée par Louis XIV lui-même en 1662 pour former les danseurs des ballets de la cour et l’ Académie royale de musique , dirigée par Lully, fut créée en 1672. Cependant, il ne faut pas voir dans la monarchie absolue un régime centralisé implacable et parfaitement rationnel qui se serait exercé sur des populations totalement dominées. Cette image forgée par les historiens du XIXe siècle est aujourd’hui fortement remise en cause. Le roi devait respecter tout d’abord les "lois fondamentales" du royaume : la transmission de la couronne par primogéniture mâle, la non aliénabilité du domaine royal, le principe de catholicité. Le roi obtenait l’obéissance des nobles en leur accordant des pensions, des titres et des offices. Mais la désobéissance de ces derniers était fréquente. Le bon fonctionnement de l’administration dépendait de la bonne (ou de la mauvaise) volonté des officiers qui étaient propriétaires héréditaires de leur charge par le paiement de la Paulette et s'estimaient donc relativement indépendants. En outre le roi devait respecter les privilèges fiscaux de certaines villes et provinces. Ainsi, dans les « pays d’États », les régions rattachées tardivement au royaume (Languedoc, Provence, Bretagne), le prélèvement de l’impôt était soumis à l’accord du parlement de la province. Les populations rechignaient fréquemment à payer des impôts très lourds et les révoltes contre la fiscalité royale furent nombreuses. La fiscalité absorbait près de la moitié des revenus des paysans. L'une des dernières et des plus importantes révoltes antifiscales fut la "révolte du papier timbré" appelée aussi "révolte des bonnets rouges" en Bretagne, en 1675. Afin de financer la guerre de Hollande, Colbert avait décidé de rendre obligatoire l'usage du papier timbré (c'est-à-dire un timbre attestant le paiement d'une taxe) dans toutes les transactions officielles telles que les testaments et les ventes de biens. Il y ajouta une taxe sur le tabac dont la Bretagne était dispensée jusque-là. Ces mesures signalent la capacité nouvelle du pouvoir monarchique à imposer sa volonté jusque dans les régions les plus reculées du royaume. La révolte partit de Bordeaux (dont la population obtint vite satisfaction), de Nantes et de Rennes et se répandit dans toutes les campagnes bas-bretonnes au cours de l'été. La révolte antifiscale se mua localement en révolte antiseigneuriale. Il fallut faire venir une armée de 20 000 hommes dirigée par le duc de Chaulnes, le gouverneur de Bretagne, pour ramener les révoltés à la raison. La tradition raconte que des centaines de paysans furent pendus, mais aucune source n'atteste une répression aussi massive. Il semblerait que quelques dizaines de révoltés furent pendus ou condamnés aux galères. Les clochers de sept églises ou chapelles des environs de Quimper furent rasés sur l'ordre du duc de Chaulnes. Toujours est-il que la révolte des bonnets rouges fut la dernière des révoltes antifiscales qui avaient débuté dans les années 1630. La puissance de l'Etat était telle qu'il devint désormais impossible aux paysans de se révolter. Pourtant, à partir de la guerre de Hollande, en 1672, les ressources manquèrent en permanence et l’État devait constamment s’endetter auprès des financiers du royaume qui en tiraient un grand profil. Les dépenses militaires étaient soldées en réalité par l'emprunt car les levées d'impôts servaient surtout à cautionner de nouveaux emprunts. A la mort de Louis XIV, en 1715, l’État était endetté pour la somme de 1,5 milliards de livres. Il n'empêche que le royaume de France était alors le pays le plus peuplé et le plus riche du continent. Les historien·nes considèrent désormais que l’État monarchique fonctionnait tant bien que mal par des négociations permanentes avec les élites détentrices de la dette de l’État et qui finançaient ainsi l'Etat, avec le clergé, avec les oligarchies urbaines et les officiers. Loin d’imposer brutalement sa volonté (ce qui fut néanmoins le cas avec les protestants et lors des guerres de conquêtes) le roi et ses conseillers cherchèrent constamment le consensus pour permettre le fonctionnement de l’État. 4.1.4 Le roi de guerre La guerre joua également un rôle important dans la centralisation et le renforcement du pouvoir royal. Sur 43 ans de règne personnel, Louis XIV fut en guerre durant près de 30 ans. Encart : Les guerres du règne de Louis XIV Guerre de Dévolution (1667-1668) ; nombre de soldats du roi : 150 000 Guerre de Hollande (1672-1678) Guerre de la ligue d’Augsbourg (1688-1697) ; nombre de soldats du roi : 450000 Guerre de succession d’Espagne (1701-1714) ; nombre de soldats du roi : 350000 Cet état de guerre quasi permanent contribua au renforcement du pouvoir royal. En effet, les historien·nes ont montré que la guerre et le violence d'Etat furent les moteurs de la construction de l'Etat et de l'affirmation des souverains. La guerre justifia l'accroissement considérable du prélèvement des impôts et du développement de l'administration chargée de leur recouvrement. En outre, il fallut mettre en place une lourde administration militaire au service du roi chargée de recruter, d'équiper, de ravitailler, de déplacer des troupes de plus en plus nombreuses. Enfin, l'usage massif de canons et de fusils donna la primauté à l'infanterie constituée de militaires professionnels, au détriment de la cavalerie, apanage traditionnel de la noblesse. La carte des annexions réalisées sous le règne de Louis XIV laisse percevoir une évolution vers la forme moderne des frontières de la France. Il n’était désormais plus question de contrôler le domaine royal. Il s’agissait d’annexer des territoires pour agrandir le royaume, le rendre plus riche et plus puissant pour peser davantage sur la scène européenne. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:France_1643_to_1715-fr.svg Ces frontières furent partiellement stabilisées par les fortifications réalisées par l’ingénieur du roi Vauban (1633-1707), et nommées la « ceinture de fer ». Brest participait de cet ensemble défensif. Richelieu avait déjà installé un arsenal sur la Penfeld, mais le véritable essor de la ville et de son arsenal fut impulsé par Louis XIV. En 1681, il réunit à la ville de Brest le quartier de Recouvrance situé sur la rive droite de la Penfeld et qui appartenait jusque-là à la commune de Saint-Pierre. Il transféra également à Brest le siège du tribunal, les foires et les marchés qui se tenaient jusque-là à Saint-Renan. Dès lors, la Penfeld abrita l'un des principaux arsenaux du royaume, situé à proximité de l'Angleterre, le principal rival maritime de la France. Par la suite, pour protéger la rade et l’arsenal de Brest, Vauban fit abaisser les murailles du château médiéval de Brest et les tailla en biseau pour les adapter aux tirs de l’artillerie, il entoura Brest de murailles qui furent détruites après la Seconde Guerre mondiale et il fit construire un série de forts (Portzic, Le Minou, Le Mengan, Bertheaume) et la tour de Camaret pour interdire l’accès à la rade de Brest à des ennemis potentiels. L e plan-relief de Brest avec le château modifié par Vauban et les fortifications de Vauban. Un fragment de cette muraille subsiste à côté du monument aux morts situé place de la Liberté. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Brest_-_plan-relief_1811.jpg?uselang=fr La tour Vauban à Camare t, construite en 1693-1695. Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2008. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:20100712_Tour_Vauban_-_4.jpg Source : https://www.lhistoire.fr/carte/le-pré-carré-frontières-et-places-fortes-sous-louis-xiv A l’occasion de ces guerres, les troupes françaises commirent de nombreuses atrocités : le sac du Palatinat (la destruction systématique de villes telles que Mannheim, Heidelberg, Spire, Stuttgart, Tübingen, etc. accompagnée de pillages, de viols et d’exécutions de masse) fut ordonné par le roi en 1688-1689. La Franche-Comté fut également dévastée avant son annexion par la France. Dans ces deux régions, la mémoire des guerres de Louis XIV reste encore très douloureuse. Comme nous l’avons vu pour les règnes précédents, le financement de la guerre toujours plus coûteuse justifiait la création et le prélèvement d’impôts toujours plus nombreux (la capitation en 1695, le dixième en 1710) ainsi que l’accroissement de l’administration chargée de gérer les recette et les dépenses. Pour la population, la fin du règne de Louis XIV fut des plus terribles : les prélèvements d’impôts toujours plus lourds alliés à au passage des armées et à des crises de subsistances (notamment en 1693 et lors du « Grand Hiver » de 1709-1710) provoquèrent une augmentation considérable de la misère et de la mortalité dans les campagnes. 4.2 Versailles, miroir de la monarchie absolue de droit divin 4.2.1 La structure du château de Versailles La troisième partie du règne de Louis XIV débuta avec l'installation de la cour dans le château de Versailles, qui précéda de peu la mort de Colbert en 1683 et la révocation de l'édit de Nantes en 1685. Louis XIV fit du château de Versailles sa résidence principale en 1682. Il avait fait édifier un premier château dans les années 1660 à partir du pavillon de chasse de Louis XIII pour servir de cadre aux fêtes somptueuses telles que Les plaisirs de l’île enchantée qui furent données du 7 au 12 mai 1664 devant 600 personnes, durant lesquels fut joué le Tartuffe de Molière (pour une description précise voir : https://www.chateauversailles.fr/decouvrir/histoire/grandes-dates/fetes-plaisirs-ile-enchantee ). Mais ces fêtes montrèrent que ces bâtiments étaient trop exigus pour accueillir la cour. Il fut alors décidé d’agrandir ce château selon les plans de Louis Le Vau (1612-1670) puis de Jules Hardouin-Mansart . De nombreuses raisons expliquent ce choix : la proximité de la forêt pour les chasses du roi, la méfiance du roi à l’égard du peuple de Paris et à l’égard des grandes familles nobiliaires depuis la Fronde, la nécessité de regrouper en un même lieu la famille royale, le gouvernement et l’administration du royaume, ainsi que la cour et les grands seigneurs, au total près de 6 000 personnes. Les travaux durèrent jusqu'en 1789. Vue aérienne du château de Versailles Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Vue_a%C3%A9rienne_du_domaine_de_Versailles_par_ToucanWings_-_Creative_Commons_By_Sa_3.0_-_083.jpg La façade du château de Versailles (coll. part.) Mais le château de Versailles servait surtout à représenter et à magnifier le pouvoir du roi. Le plan ci-dessous montre que le château est une représentation parfaite de la monarchie absolue de droit divin. Les jardins réalisés par Le Nôtre , alternant bosquets, jardins à la française, bassins et fontaines, relèvent de la mythologie et de la figure d’Apollon. Ils se situent du côté du divin et symbolisent la monarchie de droit divin. Du côté de la ville, les ailes des ministres accueillent les organes du gouvernement et les trois avenues rectilignes qui en partent symbolisent le rayonnement de l’autorité du roi sur le royaume. En 1701, la chambre du roi fut située exactement au milieu du château, à côté de la salle du Conseil, au croisement de l’axe matérialisé par le château et de l’axe qui structure les jardins et les avenues situées devant le château. La chambre du roi se situait donc exactement au cœur du royaume et elle abritait le culte quotidien de la personne royale à travers les cérémonies du lever et du coucher du roi. L e « système-Versailles » Source : Cornette, Joël (2007). La monarchie absolue. De la Renaissance aux Lumières. Documentation photographique , n°8057, p. 59. Le thème solaire se retrouve partout, sur les décorations intérieures du château comme sur les grilles extérieures. Détails d'une grille du château de Versailles (coll. part.) Détail d'une des grilles dorées du château de Versailles Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:D%C3%A9tail_grille_Versailles.jpg?uselang=fr Moulures d'une porte dans les appartements du château de Versailles (coll. part.) La grande chapelle, dédiée à Saint-Louis, fut achevée en 1710. Elle ne se trouve pas au centre du château organisé autour de la chambre du roi. L'austérité de son style s'explique par le changement du goût à la fin du règne de Louis XIV marqué par les difficultés financières, les guerres et les famines, mais aussi par une conception plus rigoriste de la religion, sous l'influence de sa dernière favorite, Mme de Maintenon. Le roi assistait tous les matins aux offices depuis la tribune située au même niveau que le Grand Appartement, tandis que les courtisans étaient massés dans la nef. Le roi se tenait ainsi entre les fidèles et la voute où le Christ était représenté, entre la terre et le ciel. La chapelle du château de Versailles, vue depuis la tribune (coll. part.) 4.2.2 La Galerie des glaces : un programme politique L’espace le plus somptueux du château de Versailles et le plus représentatif est sans doute la Galerie des glaces , de 76 m de long, 10 m de large et 13 m de haut, le long de la façade du château, côté jardins. Elle fut conçue par Le Brun entre 1678 et 1684, après la guerre de Hollande et le traité de Nimègue de 1678. La galerie est pavée de marbre et ornée de miroirs réalisés par la manufacture de Saint-Gobain sur lesquels se reflète la lumière venant des 17 fenêtres qui ouvrent la galerie sur les jardins. Le 25 août, jour de la Saint-Louis, le soleil se couche exactement face à la Galerie des glaces, selon un axe qui passe par le bassin d’Apollon et de le bassin de Latone, sa mère. La Galerie des glaces Source : https://www.chateauversailles.fr/photos (pour une description précise : https://www.chateauversailles.fr/decouvrir/domaine/chateau/galerie-glaces#la-galerie-des-glaces ) Le plafond de la galerie des glaces (coll. part.) Le plafond de la Galerie des glaces est recouvert de 27 tableaux réalisés par le Le Brun qui illustrent l’histoire des campagnes militaires de Louis XIV lors des guerre de Dévolution (1667-1668) et de Hollande (1672-1678). Ces peintures représentent le programme politique de la monarchie absolue de droit divin et servent à exalter la personne du roi. « Le roi gouverne par lui-même » Source et analyse détaillée : https://galeriedesglaces-versailles.fr/html/11/collection/c17.html La fresque de Le Brun intitulée "Le roi gouverne par lui-même" est située au milieu du plafond de la Galerie des Glace. Louis XIV est assis au centre, en habits d’empereur romain, accompagné des trois Grâces. Au-dessus de lui, Saturne, le maître du temps brandissant une faux et un sablier, s’apprête à révéler les actions héroïques du roi. Minerve, la déesse de la sagesse, à sa gauche, pointe du doigt la Gloire assise sur un nuage et tend vers le roi la couronne d’immortalité. Mars, le dieu de la guerre, désigne également la Gloire. Le roi accède donc à la Gloire par sa sagesse et son courage. Au pied du trône, des Amours écrivent, jouent de la musique, jouent aux cartes tandis que la France, en bas à gauche, tient un rameau d’olivier symbolisant la paix et est appuyée sur un faisceau symbolisant la justice. Paix et justice étant bien évidemment apportées par le roi. Prise de la ville et de la citadelle de Gand en six jours, 1678 (coll. part.) Sur cette autre fresque, le roi porté par l’aigle de Jupiter lance la foudre qui effraie les défenseurs de Gand. Les rayons du soleil apparaissent derrière lui et illustrent à nouveau le thème solaire qui accompagne Louis XIV. Minerve, la déesse de la sagesse casquée, tient l’étendard de Gand et s’efforce d’arracher les clés de la ville pour les remettre au roi. Cette galerie était un lieu de passage et de rencontre pour les courtisans. Elle servit également à éblouir certains ambassadeurs reçus par le roi. La gravure ci-dessous décrit la réception des ambassadeurs du royaume de Siam qui avaient débarqué à Brest en 1686. Nicolas de Larmessin : La réception des ambassadeurs du royaume de Siam, le 1er septembre 1686. Source : ttps://commons.wikimedia.org/wiki/File:SiameseEmbassyToLouisXIV1686NicolasLarmessin.jpg (pour une analyse précise : https://www.chateauversailles.fr/decouvrir/histoire/grandes-dates/reception-ambassade-siam ) 4.2.3 La vie à la cour La vie à la cour était strictement réglée par « l’étiquette » organisant toutes les cérémonies, dont le lever et le coucher du roi, réglementant le droit de s’asseoir sur un fauteuil, une chaise ou un tabouret (seules les duchesses avaient le droit de s’asseoir lors du souper du roi), le type de vêtements à porter selon les heures de la journée, les divers signes de respect, etc. Le sociologue Norbert Elias a montré que cette « société de cour », en tant que « processus de civilisation » servait à dresser les corps et à imposer des règles de bienséance à des fins de contrôle social. Louis XIV en compagnie des dames de la cour. Gravure d’un almanach royal de 1687. Source : Cornette, Joël (1995). Versailles et Louis XIV. Le miroir de l’absolutisme. Textes et documents pour la classe , CNDP, p. 32. Mais aujourd’hui les historien·nes tendent à nuancer cette approche, sans la nier. Il n’est pas certain que la noblesse fut totalement domestiquée par le roi à Versailles. D'une part, 10 000 nobles environ se trouvaient à Versailles vers 1690 sur un total de 200 000 environ dans tout le royaume. D'autre part, le roi n’était pas le seul dispensateurs des faveurs et des postes rémunérateurs. Le clientélisme organisé par les grandes familles nobiliaires organisait des réseaux d’influence selon un principe de réciprocité. Les principaux conseillers du roi (Colbert, Le Tellier, par exemple) bénéficièrent du soutien de leur famille élargie et de grands personnages qu’ils ont récompensés en retour une fois arrivés au sommet de l’État. Dans les correspondances des puissants revenait fréquemment l'expression "Cet homme est à moi", caractéristique des relations de patronage dans toute société aristocratique. Enfin, l'Etat manquait constamment d'argent car le prélèvement des impôts se faisait difficilement. L'Etat empruntait donc aux nobles et aux bourgeois fortunés, charge à eux de récupérer leur mise (augmentée d'un fort intérêt) en prélevant eux-mêmes les impôts du roi, par le système de la ferme (affermage du prélèvement des impôts). La noblesse fut donc domestiquée, mais elle trouva un grand intérêt à l'affermissement de la monarchie absolue et à sa propre domestication. De même, les historien·nes insistent davantage sur l’importance du spectacle par lequel le pouvoir se représentait afin de susciter l’adhésion à une forme de religion royale. Les pièces de théâtre (Molière, Racine), les ballets (le roi dansa jusqu’en 1670) et la musique (Lully, Marc-Antoine Charpentier, François Couperin), les opéras, les spectacles les plus divers rythmaient la vie de la cour. Mais la vie de la cour était en soi un spectacle dont le metteur en scène et le principal acteur était le roi lui-même. La représentation permanente du pouvoir servait à affirmer l’autorité et la gloire du roi d’une manière éclatante. Concert de musique dans le jardin de Trianon. Gravure, Paris, BnF. Source : Cornette, Joël (2003). Louis XIV et Versailles. Textes et documents pour la classe n° 850, Scéren, p. 9. Conclusion Quelques thèmes transversaux peuvent être mis en évidence dans ce long chapitre. Nous avons tout d’abord assisté à un contrôle accru du territoire, depuis l’extension du domaine royal de mieux en mieux administré (prévôts, baillis, sénéchaux) pour le service du roi, jusqu’à l’accroissement du territoire du royaume par la guerre, notamment sous le règne de Louis XIV. Parallèlement au contrôle du territoire, l’administration se développa et se complexifia. La cour du roi constituée des grands du royaume se spécialisa en plusieurs conseils où officiaient des personnels de plus en plus compétents, dévoués au service de l’État. De la cour du roi se détachèrent les parlements, ces cours souveraines de justice exerçant la justice au nom du roi. L’État de justice originel fut complété d’un État de finances employant un personnel de plus en plus nombreux, les officiers, devenu nécessaire pour gérer la levée des impôts au service des dépenses croissantes du roi pour la guerre et pour les arts. L’accroissement considérable de l’État monarchique s’accompagna d’une transformation de sa justification. Au Moyen Age, le roi se présenta comme « empereur en son royaume » (libéré de tout pouvoir supérieur au sien, celui de l’empereur et du pape) et l’évolution de l’exercice du pouvoir conduisit à la théorisation de la monarchie absolue de droit divin. La religion catholique joua un rôle essentiel dans la légitimation du pouvoir monarchique depuis le sacre, les croisades et la canonisation de Louis IX, jusqu’à l’exercice de la monarchie de droit divin par Louis XIV, en passant par le refus de la religion protestante dans le royaume. Cette légitimation passait également par les arts mis au service de la splendeur du roi mécène, protecteur des artistes et constructeur de palais, depuis François Ier jusqu’à Louis XIV. Le pouvoir se représentait autant qu’il s’exerçait.

  • Dossier documentaire : Brest dans la Deuxième Guerre mondiale

    Par Didier Cariou, maitre de conférence HDR en didactique de l’histoire à Université de Bretagne Occidentale Ce dossier brestois a pour fonction de fournir un ensemble de documents avec lesquels il serait possible de construire des séquences autour de différents thèmes : l’Occupation, la violence de guerre, la résistance à Brest. Ces documents viennent principalement des ressources en ligne fournies par les archives municipales de Brest et les archives départementales du Finistère, très facilement accessibles (voir les liens sous chaque document). Le programme du cycle 3 propose à juste titre de partir des « traces » pour étudier la Deuxième guerre mondiale. Dans la région de Brest, ces traces sont toujours très présentes sous la forme de blockhaus et de bunkers, de rues portant le nom de résistants exécutés ou morts en déportation, de tombes de soldats dans le cimetière de Kerfautras. Les témoignages et les archives constituent également des traces utiles pour faire travailler les élèves. Le sort funeste de la ville de Brest, la violence des bombardements et des combats de la Libération, le sort réservé aux résistants permettent de travailler avec les élèves le concept de violence de guerre . Ce dossier est organisé en rubriques qui servent uniquement à le structurer. Chacun·e peut en faire ce qu’il ou elle souhaite. 1. Rapide présentation de la situation de Brest durant la Deuxième Guerre mondiale A l’issue de la Débâcle de l’armée française, les troupes allemandes parvinrent à Brest le 19 juin 1940. En vertu du traité d’armistice du 22 juin 1940, La région de Brest et tout le littoral constituèrent une zone interdite étroitement contrôlée par l’armée allemande, où l'on ne pouvait circuler que muni d'un laisser-passer. L’arsenal de Brest présentait un double intérêt pour l’armée allemande : il fournissait les infrastructures et la main d’œuvre qualifiée nécessaires à l’entretien et à la réparation des navires de la Kriegsmarine et il se situait à proximité de l’Angleterre. Depuis Brest, les sous-marins et surtout les croiseurs Scharnorst, Gneisenau et Prinz Eugen (présents à Brest durant toute l’année 1941) pouvaient harceler les convois maritime britanniques. C’est pourquoi, dès le mois de septembre 1940, les avions de la Royal Air Force (RAF) commencèrent à bombarder le port de Brest. Au départ, ces bombardements étaient peu nombreux et peu précis, ils s’amplifièrent progressivement avec l'apport américain. Ils remplissaient une double fonction : détruire les infrastructures de l’arsenal, faire fuir la population civile en bombardant la ville afin de réduire le volume de la main d’œuvre de l’arsenal. A partir de 1942, les populations civiles furent évacuées vers le centre de la France. Entre 1940 et 1944, Brest subit 165 bombardements qui firent plusieurs centaines de morts. Afin de protéger leurs sous-marins contre les bombardements, les Allemands construisirent à partir de 1941 une base sous-marine, sur le même modèle que celles de Lorient, Saint-Nazaire et La Rochelle. Cette base résista à tous les bombardements alliés. Seule des bombes de 5 tonnes lui occasionnèrent quelques dommages en 1944. Les Allemands construisirent également de nombreux blockhaus et bunkers, et firent de la région de Brest un élément fortifié essentiel du Mur de l’Atlantique. La construction de ces fortifications supposa l’emploi de main d’œuvre forcée à côté des ouvriers civils, et constitua une vraie manne financière pour les entreprises de bâtiment de la région. Durant l’Occupation, la population civile cohabita avec une forte garnison allemande. Comme l’arsenal constituait le principal employeur de la région, les ouvriers de l’arsenal furent employés au service de la machine de guerre allemande. Assez vite, apparemment, la population brestoise manifesta son hostilité à l’égard des occupants, comme l’indiquent certains articles de journaux du dossier. Certains Brestois s’engagèrent dans des réseaux de renseignement au service des Britanniques (pour cacher des aviateurs alliés, pour renseigner la RAF sur le mouvement des navires et des sous-marins dans le port de Brest, pour fournir le plan des fortifications de la ville, etc.), d’autres menèrent des actions de sabotage (coupure de câbles téléphoniques, sabotage de machines), des militants trotskistes s’efforcèrent d’établir des liens avec les travailleurs et les soldats allemands pour les appeler à la grève. Progressivement, les résistants brestois intégrèrent les mouvements de résistance nationaux. Mais la pratique la plus courante de résistance quotidienne dans l'arsenal consistait à « perdre » des outils ou des pièces essentielles à la réparation des navires. Plusieurs dizaines de résistants brestois furent fusillés ou déportés. On retient notamment les onze fusillés du groupe Elie en 1941, qui ont donné leur nom à la place de Onze-martyrs à Brest. A ce sujet, on consultera le site très précieux https://www.resistance-brest.net/ qui fournit une notice détaillée de plus d’un millier de résistants brestois et de leurs groupes de résistance. Lors du débarquement en Normandie, les Alliés rencontrèrent une très forte résistance de la part de l’armée allemande. Ce n’est qu’après avoir réalisé la percée d’Avranches (à l'ouest du Cotentin), le 30 juillet 1944, que l’armée américaine put progresser en Bretagne. Comme le port de Cherbourg avait été partiellement détruit, il lui fallait absolument se rendre maître de ports dotés d'infrastructures, tel que le port de Brest pouvant accueillir de gros navires américains de transport de troupes, de matériel et de ravitaillement. Le 7 août 1944, le 8e corps d’armée américaine commandé par le général Middleton, lui-même sous les ordres du général Patton, commença le siège de Brest. La ville était défendue par un impressionnant complexe de fortifications, depuis les forts entourant la ville jusqu’aux fortifications de la presqu’île de Crozon, et surtout par une division de parachutistes commandés par le général Ramcke qui avait l’ordre de mourir sur place. La bataille de Brest dura quarante-trois jours, du 7 août au 18 septembre 1944. Les combats furent acharnés et extrêmement difficiles. Comme les soldats allemands étaient retranchés dans les immeubles de la ville, il fallut conquérir la ville immeuble par immeuble. Les pertes américaines s'accroissant, les Américains décidèrent de détruire les immeubles les uns après les autres à l’aide de l’artillerie, de l’artillerie de marine (celle du cuirassé britannique HMS Warspite positionné au large de Portsall) et de l’aviation. Sur les 16 500 immeubles existants, 200 restaient debout après la bataille, et seulement quatre dans le centre-ville. Les pertes humaines furent très lourdes, près de 10 000 soldats américains et allemands perdirent la vie. 30 000 soldats allemands furent faits prisonniers. Bien entendu, le port de Brest avait été rendu totalement inutilisable par les combats et les bombardements. Deux vidéos postées sur YouTube permettent de se faire une idée de la dévastation de Brest lors de la Libération : Brest sous les bombes : https://www.youtube.com/watch?v=p1UD_dk3k3s Brest détruite en 1944 : https://www.youtube.com/watch?v=j5f62-DP5pc Au cours de la bataille, une tragédie toucha également la population civile. Environs 2 000 brestois étaient restés dans la ville, dont le maire Victor Eusen et des membres des services administratifs de la ville. La plupart s’était réfugiée dans l’abri Sadi-Carnot en compagnie de plusieurs centaines de soldats allemands. Dans la nuit du 8 au 9 septembre 1944, une explosion accidentelle des munitions stockées dans cet abri provoqua la mort de 371 Brestois, dont Victor Eusen, et de 500 à 600 soldats allemands. Échaudés par leur expérience brestoise, les Alliés évitèrent de renouveler la tentative de reconquête des ports de l'Atlantique. Ils se contentèrent d’assiéger les "poches" de Lorient, de Saint-Nazaire et de Royan, où se trouvaient également des bases sous-marines, en attendant la capitulation allemande. 2. L’installation des Allemands à Brest Document : Carte de la France occupée 1940-1944 Source : http://www.enseigner-histoire-shoah.org/outils-et-ressources/chronologie-et-cartes/cartes.html Source : Lars Hellwinkel (2022). La base navale allemand de Brest, 1940-1944 . PUR, p. 66. Document : Le croiseur lourd allemand Admiral Hipper dans un bassin de Laninon (arsenal de Brest) en 1941. Photo RAF. Archives municipales de Brest, 2Fi12227. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi12227/ILUMP354 Document : Les cuirassés allemands Gneisenau (au centre) et Scharnhorst (à gauche) protégés par des filets de camouflage dans une forme de radoub de Laninon, en 1941 . Archives municipales de Brest 2Fi10505. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi10505/ILUMP354 Document : Deux avions anglais Halifax bombardent les formes de radoub de Laninon en 1942 . Source : Archives municipales de Brest, 10Fi3316. https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/10Fi3316/ILUMP26694 Document : Un sous marin allemand U65 amarré dans le bassin Tourville le 28 août 1940 (en haut à droite, la rue Pasteur). Archives municipales de Brest 12Fi2378. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/12Fi2378/ILUMP21868 Document : Base des sous-marins allemands à Brest en construction, septembre 1941. Archives municipales de Brest 11Fi842. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/11Fi842/ILUMP21868 Document : Base des sous-marins allemands à Brest, vue de marins sortant d’une alvéole. Archives municipales de Brest 11Fi843. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/11Fi843/ILUMP21868 Document : Un témoignage sur la construction de la base sous-marine de Brest. (L’auteur est un ancien combattant républicains espagnol, réfugié en France lors de la défaite de la République espagnole et interné dès son arrivée dans le camp de Rivesaltes. En 1941, avec ses camarades, il fut transféré à Brest pour travailler en tant que détenu politique sur le chantier de la base sous-marine). Des heures plus tard, nous arrivons au terme de notre voyage : Brest, base navale française de la côte Atlantique, actuellement occupée par les nazis. Il est dix heures du soir, 29 juillet 1941 ; nous avons parcouru un total de 1496 km ; nous attendons dans les wagons jusqu’à minuit, et l’on nous ordonne de nous diriger vers la sortie de la gare où nous attendent les autocars qui nous conduisent à notre nouvelle résidence… Un camp de concentration, un autre camp, pour ne pas changer d’habitude. Il est situé au milieu d’un forêt de pins, le lieu paraît agréable ; on nous donne deux couvertures par tête et l’on nous montre nos baraques et nos lits respectifs ; ce sont des lits individuels superposés, avec une paillasse. Des Espagnols en provenance de Rivesaltes, nous ne somme que deux cents environs dans dans ce camp, les autres sont à Keroual, et ici c’est Sainte-Anne (…). Enfin vient l’heure d’aller travailler. Nous dînons et montons aussitôt dans les autobus qui, en une demi-heure, nous conduisent à destination. C’est le port de Brest, où d’énormes bases sous-marines sont en cours de construction ; c’est un travail gigantesque, il y a parait-il sept mille travailleurs de toutes nationalités ; il y a aussi quelques prisonniers de guerre mais très peu. La plupart sont des volontaires civils : beaucoup, beaucoup de Juifs (pas volontaires) qui viennent de l’Europe entière, surtout de l’Est (…). Ce sont les souffre-douleur des Allemands. Ces derniers leur confient les pires travaux et ils sont battus constamment, leur ration de nourriture est bien inférieure à la nôtre (…). L’œuvre qui, ici est en train d’être réalisée est plus qu’un chantier ; c’est une vision dantesque presque infernale, un bruit assourdissant de machines énormes qui ne s’arrêtent jamais ; il y en a des centaines de toutes sortes et de toutes catégories : à vapeur, essence, gas-oil, électriques et à compression… C’est quelques chose de gigantesque à un point inimaginable. La base sous-marine est une immense masse de fer et de béton ; des murs de dix mètres quasiment d’épaisseur, tout est construit à l’épreuve des bombes ; il y a un va-et-vient d’hommes comme je n’en ai jamais vu. J’ai la malchance de tomber dans l’une des pires équipes du chantier, dont le travail consiste à transporter sur les épaules des sacs de ciment de cinquante kilos douze heures consécutives, avec trente minutes de repose pour la soupe. Il est pratiquement impossible de s’arrêter une seule minute à cause des machines qui tournent nuit et jour et surtout, des Allemands qui surveillent constamment et n’autorisent pas une seule minute de repos : ils crient comme des bêtes et distribuent des coups et pieds et nous bousculent si ça ne tourne pas (...). (p. 126-129). Dans ce chantier si gigantesque, il est impossible de tout contrôler, surtout à cause des accidents du travail et des bombardements ; alors nous profitons de la nuit pour effectuer le maximum de sabotages… Nous savons que si on nous pince, les sanctions seront très graves, certainement la peine de mort, et ce n’est pas vraiment que nous voulions mourir mais nous pensons qu’il faut le faire, et si ce n’est pas nous, les Espagnols, personne ne le fera, car ils sont tous complètement terrifiés. Un des mauvais tours que nous préférons jouer, et qui cause d’énormes dommages, est le suivant : nous attendons une alerte aérienne, et quand tout le monde est dans les abris nous mettons en marche les machines, surtout les tracteurs et des locomotives ; une fois qu’elles sont en marche, nous filons à toute vitesse car les bombes tombent à foison de tous les cotés. Les machines s’écrasent les une contre les autres, certaines tombent directement à la mer, à une profondeur de près de dix mètres ; un autre sabotage facile et qui cause des dommages irréparables consiste à ouvrir les robinets d’eau et à diriger les tuyaux en caoutchouc vers les énormes tas de ciment : au contact de l’eau, les sacs en papier s’ouvrent et les tas s’affaissent, provoquant des dommages énorme et irréparables ; dans le meilleur des cas, les pertes se comptent en tonnes de ciment, c’est notre revanche sur les hitlériens. En même temps, les bombardements des Alliés commencent sérieusement à nous enquiquiner, ils ne nous laissent pas tranquilles un seul moment et, comme si ce n’était suffisant, les avions de chasse nous mitraillent aussi à basse altitude, causant de nombreuses victimes parmi les ouvriers et les prisonniers (p. 133-134). Extraits de Ernest Urzainqui-Falcon (2010). Polvorientos caminos. Itinéraire européen d’un républicain espagnol (1936-1945) . Privat. Document : Un orchestre de l’armée allemande empruntant la rue de Siam . Archives municipales de Brest 2Fi11266. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi11266/ILUMP21868 Document : Une colonne de soldats allemands armés montant la rue de Siam . Archives municipales de Brest 2Fi11828. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi11828/ILUMP21868 Document : Brestois et soldats allemands sur le Pont national. Dans le fond, les ateliers des Capucins. 1941. Archives municipales de Brest, 12Fi2390. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/12Fi2390/ILUMP21868 Document : Dessin d'une file d’attente devant la boucherie Perouas à Brest, juin 1942 . Archives municipales de Brest 12Fi2471. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/12Fi2471/ILUMP21868 Document : Un témoignage sur les bombardements de Brest Dans ce temps [1940-1941], les Anglais ont effectué plus de cent bombardements. Ils cherchent à toucher les trois navires allemands Prinz Eugen , Scharnhorst et Gneisenau . Les Anglais ne sont pas encore riches et n’envoient pas de grosses escadrilles. Les Allemands ont une énorme DCA [Défense contre avions]. On dit que c’est la deuxième après Berlin. Dès l’alerte, les Allemands foncent dans les abris. Peu de Brestois vont dans les caves. Incroyable ! Mais beaucoup semblent convaincus que les bombes alliées ne peuvent tomber sur eux et se moquent des Allemands galopant au bunker. Ça leur passera vite. Bien entendu, personne ne reste dans la rue. Les éclats de DCA tombent comme de la pluie, très vite, les morceaux d’acier coupant. Puis, après un temps, les culots de duralumin. Tous les matins, on monte sur le toit retirer les morceaux de métal qui y sont plantés, puis on met du goudron. Mon frère avait commencé une collection d’éclats. Quand sa caisse fut pleine, il se lassa. . Tout le monde regarde l’avion pris dans les projecteurs et fait des vœux pour qu’il s’en tire. C’est encore un peu à l’échelle humaine. Trois ans plus tard, une radio alliée dira que des aviateurs américains voyaient Brest grande comme une pièce de monnaie. Avril ou mai. Alerte ! La famille est couchée. La DCA tire. Un grand éclair rouge. Les volets de ma chambre dégringolent. Tout le monde se lève en vitesse, sauf ma mère qui prie sur son lit devant le lustre de la chambre qui s’est décroché. Il n’y a pas d’autres dégâts dans la maison. Mon frère s’engage dans le jardin et tombe sur un grand trou, à vingt mètres de la maison. Source : André Calvès (1984). Sans bottes ni médailles. Un trotskyste breton dans la guerre. La Brèche, p. 53. Document : L’évocation du premier bombardement meurtrier sur Brest. La dépêche de Brest , 30 octobre 1940. Source : https://yroise.biblio.brest.fr/ark:/12148/bpt6k349515t/f1.item.zoom Document : L’évocation d’un bombardement sur Brest . La dépêche de Brest , 5 avril 1941. https://yroise.biblio.brest.fr/ark:/12148/bpt6k3496667/f1.item.r=Le%20Gorgeu.zoom Document : Bombes lancées par un bombardier anglais Lockheed Ventura sur les ateliers d’usinage des Capucins, vue prise par la RAF. 3 avril 1943. Photo Apwire. Archives municipales de Brest 2Fi12228. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi12228/ILUMP21868 Document : Bombardement de Brest par une escadrille de B 26 "Marauders". Source : Archives municipales de Brest,2Fi02472. https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi02472/ILUMP26694 3. Vers la résistance Document : extrait de La dépêche de Brest , 17 janvier 1941 Source : https://yroise.biblio.brest.fr/ark:/12148/bpt6k3495912/f2.item Document : Message du maire de Brest contre les inscriptions de la résistance , La dépêche de Brest, 1er avril 1941. Source: https://yroise.biblio.brest.fr/ark:/12148/bpt6k349662q/f2.item.zoom (Remarque : Victor Le Gorgeu n'était pas un collabo. Il fut démis de ses fonctions en 1942 et s'engagea aussitôt dans la résistance, à un haut niveau de responsabilité. Nous pouvons supposer que ces communiqués de presse lui étaient imposés par les autorités allemandes) Document: Interdiction de l’écoute de la radio anglaise. La dépêche de Brest , 31 octobre 1941. Cette interdiction signale vraisemblablement une écoute relativement courante de la BBC. Source : https://yroise.biblio.brest.fr/ark:/12148/bpt6k349848x/f1.image.zoom Document : Le journal trotskiste brestois La Bretagne rouge , août 1942. Source : Archives départementales du Finistère, cote : 208j_252_001-002-ad29 Document : Un récit de la réaction populaire à une réquisition de travailleurs de l’arsenal de Brest en octobre 1942 Octobre 1942. L’autorité allemande décide d’expédier sept cents ouvriers de l’Arsenal à Hambourg. Ils ne sont pas raflés par les policiers mais simplement convoqués. A cette époque, il n’y a pas de maquis. Il n’y a même pas l’idée d’une résistance massive. La majorité des Brestois écoute Londres, mais ça ne va pas plus loin. Nous rédigeons un tract, très vague quant aux perspectives. Seulement une dénonciation des déportations d’ouvriers et un appel à s’organiser. Nous glissons un millier de tracts dans les boites aux lettres. La foule est très grande ce soir-là à l’entrée de l’Arsenal. C’est là que les Allemands ont formé un train, pensant sûrement qu’ainsi ça se passerait mieux qu’à la gare. Les ouvriers convoqués arrivent par la rue Louis-Pasteur. Presque tous sont en famille. Certains ont bu et crient leur colère. La foule est silencieuse. Près de la porte de l’Arsenal, quelques marins allemands, assis sur le toit d’une baraque. En face un groupe de jeunes. Quelques flics français dans la foule. Il ne semble pas y avoir beaucoup d’absents à l’appel. Plus tard, on m’a dit qu’il y en avait tout de même eu une cinquantaine. Les portes de l’Arsenal se ferment. Le groupe de jeunes se met à crier : « A mort Laval ! » . Les marins allemands leur lancent deux paquets de cigarettes. Nouveau temps de silence. On entend le bruit de a locomotive. Puis l’Internationale s’élève du train. La foule se met à crier : « A mort Laval ! A mort Laval ! » (…). Maintenant, des milliers de personnes courent jusqu’au cours d’Ajot et descendent au port de commerce. Le train est déjà passé, mais on entend encore l’Internationale (…). Tout le monde remonte vers le château et on se sépare en deux colonnes. L’une se dirige vers Recouvrance, l’autre vers Saint-Martin. Nous sommes peut-être cinq à dix mille qui remontons la rue de Siam en chantant l’Internationale et la Jeune garde (…). Ce qui est sûr, c’est qu’à dater de ce jour, personne ne répondra aux convocations. Quand les Allemands voudront des travailleurs pour le Reich, ils devront les arrêter d’abord. L’idée qu’on est nombreux à vouloir résister est née à Brest ce soir-là. Source : André Calvès (1984). Sans bottes ni médailles. Un trotskyste breton dans la guerre . La Brèche, p. 66-67. Document : Avis de condamnation à mort et d'exécution d'André Gueziec, mai 1941. Archives du Finistère 200w97. Source: https://archives.finistere.fr/espace-de-recherche-dans-archives-publiques-posterieures-1940/seconde-guerre-mondiale Document : Évocation de la condamnation à mort d'Hervé Crenn de Landerneau , 8 janvier 1942. Archives départementales du Finistère, 200 W 26. Source : https://recherche.archives.finistere.fr/viewer/viewer/medias/collections/W/200W/200W026/FRAD029_200W_026_00325_01.jpg Document : Evocation d'un attentat contre des cables téléphoniques allemands à Lambezellec, le 13 mai 1942 . Source : Archives départementales du Finistère. 200w_70_08-ad29 Document : Affiche annonçant l’exécution de Jean Quémeneur, février 1941 . Archives municipales de Brest 6Fi2715. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/6Fi2715/ILUMP354 Voir également la notice de Jean Quéméneur : https://www.resistance-brest.net/article4402.html Document : Affiche annonçant la condamnation et l’exécution des onze membres du groupe Élie de Brest, 10 décembre 1941. Document : carte élaborée par la résistance et destinée aux Anglais pour leur permettre de bombarder l'arsenal de Brest . 4. La bataille de Brest et la destruction de Brest Document : Un char d'assaut américain M18 tire avec son canon de 76 mm à bout portant dans une position allemande, rue Kerfautras à Brest . Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sept_1944_brest_US_tank_m36_90707669.jpg#/media/File:2Fi05168.jpg Progression des fantassins américains de la 2e division d’infanterie à l’angle de la rue de la duchesse-Anne et de la rue Albert de Mun à Saint-Marc lors de l’assaut final, 14 septembre 1944 . US Army Photograph. Archives municipales de Brest 2Fi02468. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi02468/ILUMP354 Document : Reddition des soldats allemands, place Wilson . Archives municipales de Brest 12Fi645 Source: https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/12Fi645/ILUMP354 Document : Des soldats américains contemplent les ruines du Pont national dynamité par les Allemands . A l’arrière plan, la tour Tanguy et le quartier de Recouvrance. Archives municipales de Brest 2Fi02473. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi02473/ILUMP21868 Document : Vue aérienne du centre de Brest, 19 septembre 1944 (en bas à gauche, la place du château). Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:12Fi701_-_LIBERATION_DE_BREST.jpg Document : Soldats américains devant les ruines de la place de la liberté, 1944 . Photo Ouest France. Archives municipales de Brest 2Fi02374. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi02374/ILUMP354 Document : Bâtiment de la poste centrale de Brest, en haut de la rue de Siam, 1944 . Archives municipales de Brest 2Fi02657. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi02657/ILUMP354 Document : Soldats américains dans les ruines de la rue de Lyon, 1944. Archives municipales de Brest 2Fi13645. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi13645/ILUMP354 Document : Soldats américains posant place du château à Brest, 1944 . Archives municipales de Brest 2Fi02372. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi02372/ILUMP354 Document : Soldat américain dans les ruines du quartier de l’octroi en septembre 1944. Archives municipales de Brest 2Fi02478. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi02478/ILUMP354 Document : Deux soldats américains dans les ruines du quartier de l’octroi en haut de la rue Jean Jaurès . Archives municipales de Brest 2Fi13250. Source: https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi13250/ILUMP354 Document : Vue du port de Brest fin 1944. Source : Brest France in 1944 : photoarchives.ca : Free Download, Borrow, and Streaming : Internet Archive Document : Vue du port de commerce de Brest, fin 1944. Source: Brest France in 1944 : photoarchives.ca : Free Download, Borrow, and Streaming : Internet Archive Document : Les vestiges de la corderie et des anciens bâtiments du bagne de Brest, 1944. 2WwiiDestructionNearBrestFrance194409. Source : https://ia600407.us.archive.org/7/items/BrestFranceIn1944/WwiiDestructionNearBrestFrance194409.jpg Document : Les vestiges de la corderie et du centre ville de Brest, fin 1944. A droite, la grande grue électrique . Brest France in 1944 : photoarchives.ca : Free Download, Borrow, and Streaming : Internet Archive Document : Le pont Albert Louppe en 1944. Source: Brest France in 1944 : photoarchives.ca : Free Download, Borrow, and Streaming : Internet Archive Document : Vue panoramique du centre ville de Brest en 1945 (au centre la rue Pasteur, à droite l’ancienne église Saint-Louis). Archives municipales de Brest 1Fi00211. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/1Fi00211/ILUMP354 Document : Le déblaiement de la rue Pasteur en 1945. Sur le côté de la rue, les remblais constitués des matériaux des immeubles ruinés. Archives municipales de Brest 2Fi02560. Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi02560/ILUMP354

  • L'école primaire au temps de Jules Ferry

    Par Didier Cariou, maître de conférences HDR en didactique de l’histoire à l’Université de Bretagne Occidentale Références bibliographiques Collectif (2009). L’école en France XVIIe-XXIe siècle. Textes et documents pour la classe n°986, SCEREN. LUC Jean-Noël, CONDETTE Jean-François, VERNEUIL Yves (2020). Histoire de l'enseignement en France XIXe-XXIe siècle. Paris : Armand Colin. MERLE Pierre (2009). La démocratisation de l’enseignement, 2e édition. Paris : La Découverte, Repères. PROST Antoine (1968). L'enseignement en France 1800-1967. Paris: Armand Colin, collection U. Mots clés Loi Guizot, Loi Falloux, Alphabétisation, Scolarisation, Ecoles normales, Ligne Saint-Malo / Genève, Lois de Jules Ferry, Sécularisation, Gratuité scolaire, Obligation scolaire, Certificat d'études, Laïcité des programmes, Ecoles Primaires Supérieures, Loi Paul Bert, Loi Goblet, Salles d'asile, Ecole maternelle, Pauline Kergomard. Que dit le programme ? Extraits de la fiche EDUSCOL Quels sont les points forts du thème pour l’enseignant ? L’école primaire au temps de Jules Ferry Depuis l’échec de la Seconde République, les Républicains sont persuadés que l’instruction du peuple est la clef de l’enracinement de la République en France. D’autre part, ils veulent limiter l’influence de l’Église catholique, dont le clergé est le plus souvent monarchiste, dans l’éducation. La loi Guizot de 1833 avait imposé à toutes les communes de plus de 500 habitants d’ouvrir une école de garçons et la loi Falloux de 1850, qui crée officiellement l’enseignement secondaire privé et accroît l’influence de l’Église catholique sur l’école, oblige également toutes les communes de plus de 800 habitants à ouvrir une école de filles (seuil ramené à 500 par la loi Victor Duruy de 1867). Mais l’école n’est pas gratuite, sauf pour les indigents, et les instituteurs ne sont pas payés par l’État. La loi du 16 juin 1881 fait des instituteurs des fonctionnaires de l’État et impose la gratuité de l’enseignement primaire, tandis que la loi du 28 mars 1882 rend l’école publique laïque et l’enseignement obligatoire de 6 à 13 ans. La laïcité de 1882 concerne les programmes, « l’instruction morale et religieuse » devenant « l’instruction morale et civique ». En 1886, tous les personnels d’enseignement sont laïcisés. Comment mettre en œuvre le thème dans la classe ? L’école primaire au temps de Jules Ferry Le programme suggère une double entrée par l’étude des bâtiments (qui permet là encore d’amorcer l’étude des symboles tout en établissant concrètement que l’école est au cœur de la République) et par celle des programmes (on pense aux programmes de 1882) qui peuvent établir l’aspect laïque de l’enseignement. Il existe par ailleurs de nombreuses représentations de salles de classe sous la Troisième République, et l’on peut trouver de nombreux documents sur le site du Musée National de l’Éducation. À partir de photographies de salles de classe de l’enseignement primaire, les élèves prennent conscience que l’école laïque, gratuite et obligatoire devient un espace de démonstration de la culture républicaine et doit porter les signes distinctifs de la modernité (horloge, cloche, chauffage, tableau noir, cartes, planches, imagerie d’Épinal, pupitre…). Les élèves peuvent être amenés à comparer les rites scolaires qui se développent au cours de cette période et leurs propres habitudes scolaires quotidiennes. Le recours aux sources du patrimoine local mais aussi familial (archives publiques et personnelles) pourrait permettre d’appuyer cette étude (par exemple en se référant à l’histoire de la construction même de l’école à partir de plans d’architecte faisant apparaître, le cas échéant, la séparation des bâtiments filles et garçons…jusqu’à l’instauration de la mixité). Il s’agirait ainsi de montrer le caractère évolutif de l’école. L’élève découvre que si tous les enfants vont à l’école pour la première fois jusqu’à 13 ans, les programmes scolaires sous la IIIe République sont différents pour les filles qui apprennent notamment la tenue du ménage et la cuisine par exemple. L’observation de cartes affichées dans les classes sous la IIIe République peut introduire le thème de la question coloniale. Cette question est liée à la problématique d’ensemble parce qu’elle s’est forgée autour de l’idéal républicain d’une grande nation civilisatrice. Les élèves observent que l’empire colonial français au tournant du siècle est vingt fois plus vaste que le territoire national (le deuxième du monde par l’étendue et sa population). On peut montrer ainsi que la présence française et la francophonie sur les continents africain et asiatique sont le résultat d’une nouvelle entreprise coloniale depuis la fin du XIXe siècle. 1. L’école avant les lois Jules Ferry Note : cette première partie ne concerne pas les attendus du programme. Elle sert uniquement à la connaissance de l'histoire du système éducatif des futur.es professeur.es des écoles Encart : les grandes lois scolaires avant la Troisième République Loi Daunou du 3 brumaire an IV (24 octobre 1795) instituant les écoles centrales et confiant l’enseignement primaire aux départements. Loi du 11 floréal an X (1er mai 1802) instituant les lycée et confiant l’instruction primaire aux communes Loi Guizot du 28 juin 1833 sur l’instruction primaire : obligation pour chaque commune d’entretenir une école de garçon et pour chaque département d’entretenir une école normale de garçons Loi Falloux du 15 mars 1850 sur la liberté de l’enseignement primaire et secondaire. Obligation pour chaque commune de plus de 800 habitants d’entretenir une école de filles Circulaire du 30 octobre 1867 instaurant les cours secondaires pour les jeunes filles 1.1 L'école avant et après la Révolution française Avant la Révolution française, l’instruction des enfants relevait du choix des familles. Elle pouvait se dérouler sous la houlette d’un maître privé rémunéré par les familles, ou bien dans des écoles communales, des écoles paroissiales ou dans des établissements tenus par des congrégations religieuses, telle la congrégation des Frères de écoles chrétienne. L’investissement de l’Église catholique dans l’instruction du peuple obéissait à une logique d’évangélisation et de moralisation des populations perçues comme menacées par les idées des Lumières. En outre, l’idée d’une instruction identique pour tous n’était pas répandue : on pensait que les enfants de chaque groupe social devaient recevoir l’instruction nécessaire à l’exercice du métier auquel ils étaient destinés. Il ne semblait même pas nécessaire d’instruire les laboureurs ou les cordonniers qui ne devaient pas s’extraire de leur condition et risquer ainsi de menacer l’ordre social. Les philosophes des Lumières eux-mêmes s’en tenaient à une vision élitiste de l’instruction et ne voyaient pas l’intérêt d’instruire le peuple, à l'exception peut-être de Diderot et de Rousseau. Avec la Révolution et la transformation des sujets du roi en citoyens composant la nation souveraine, il devint nécessaire de former les futurs citoyens responsables de leurs choix politiques. Ce principe fut énoncé par Condorcet en 1793 : « Un peuple éclairé confie ses intérêts à des hommes instruits ». Condorcet avait d’ailleurs prôné une instruction publique et laïque assurant l’égalité entre les filles et les garçons devant l’instruction. De nombreux projets visant à organiser l’instruction des enfants virent le jour durant la période de la Convention, entre 1793 et 1795. Les difficultés de la période ne permirent que la création d’un enseignement secondaire afin de former les garçons de la bourgeoisie, avec la création des lycées par l’État en 1802. En 1802 également, l’instruction primaire des enfants de peuple fut dévolue aux communes alors peu argentées. Au sortir de la Révolution, deux ordres scolaires avaient été mis en place. Pour le secondaire, le lycée, prolongé par l’École des Mines (1783), l’École normale supérieure (1794), le Conservatoire national des arts et métiers (1794) et l’École polytechnique (1795), scolarisaient les garçons de la bourgeoisie qui se destinaient au service de l’État. A partir de 1808, le baccalauréat sanctionnait la fin des études secondaires. Pour sa part, l’école primaire, quand elle existait, était destinée aux enfants des paysans et des ouvriers auxquels était dispensé un enseignement pratique en lien avec les métiers de la terre et de l’industrie. 1.2 La loi Guizot de 1833 et la loi Falloux de 1850 Dans ce contexte peu favorable à l’enseignement primaire, la loi Guizot (du nom du ministre de l’Instruction publique de Louis-Philippe) du 28 juin 1833 apparaît comme le véritable point de départ de la scolarisation des enfants du peuple en France. Elle obligeait chaque commune à créer une école de garçons et chaque département à créer une école normale d’instituteurs. Chaque commune devait fournir un local et garantir à l'instituteur, détenteur d'un brevet de capacité d'enseignement, un logement et un traitement de 200 francs par mois. Cette somme était complétée par l'écolage payé, ou non, par les familles. La loi Guizot instaurait également la "liberté" de l'enseignement primaire en autorisant les écoles privées fondées par des particuliers ou des congrégations religieuses, telles que les Frères des Ecoles chrétiennes (encore aujourd'hui à la tête de la majorité des établissements privés catholiques). Document : La loi Guizot du 28 juin 1833 Art. 1. – L'instruction primaire est élémentaire ou supérieure. L'instruction primaire élémentaire comprend nécessairement l'instruction morale et religieuse, la lecture, l’écriture, les éléments de la langue française et du calcul, le système légal des poids et mesures. L'instruction primaire supérieure comprend nécessairement, en outre, les éléments de la géométrie et ses applications usuelles, spécialement le dessin linéaire et l’arpentage, des notions des sciences physiques et de l'histoire naturelle applicables aux usages de la vie, le chant, les éléments de l'histoire et de la géographie, et surtout de l’histoire et de la géographie de la France (...). Art. 2. – Le vœu des pères de famille sera toujours consulté et suivi en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l'instruction religieuse. Art. 3. – L'instruction primaire est privée ou publique. Art. 4. – Tout individu âgé de dix-huit ans accomplis pourra exercer la profession d'instituteur primaire et diriger tout établissement quelconque d'instruction primaire, sans autres conditions que de présenter préalablement au maire de la commune où il voudra tenir école : 1° Un brevet de capacité obtenu, après examen, selon le degré de l'école qu'il veut établir ; 2° Un certificat constatant que l'impétrant est digne, par sa moralité, de se livrer à l'enseignement. Ce certificat sera délivré, sur l’attestation de trois conseillers municipaux, par le maire de la commune ou de chacune des communes où il aura résidé depuis trois ans. Art. 8. – Les écoles primaires publiques sont celles qu'entretiennent, en tout ou en partie, les communes, les départements ou l'État. Art. 9. – Toute commune est tenue, soit par elle-même, soit en se réunissant à une ou plusieurs communes voisines, d'entretenir au moins une école primaire élémentaire. Dans le cas où les circonstances locales le permettraient, le ministre de l'instruction publique pourra, après avoir entendu le conseil municipal, autoriser, à titre d'écoles communales, des écoles plus particulièrement affectées à l'un des cultes reconnus par l'État. Art. 10. – Les communes chefs-lieux de département, et celles dont la population excède six mille âmes, devront avoir en outre une école primaire supérieure. Art. 11. – Tout département sera tenu d'entretenir une école normale primaire, soit par lui-même, soit en se réunissant à un ou plusieurs départements voisins. Les conseils généraux délibéreront sur les moyens d'assurer l'entretien des écoles normales primaires. Ils délibéreront également sur la réunion de plusieurs départements pour l'entretien d'une seule école normale. Cette réunion devra être autorisée par ordonnance royale. Art. 12. – Il sera fourni à tout instituteur communal : 1° Un local convenablement disposé, tant pour lui servir d'habitation que pour recevoir les élèves ; 2° Un traitement fixe, qui ne pourra être moindre de deux cents francs pour une école primaire élémentaire, et de quatre cents francs pour une école primaire supérieure (...). Art. 17. – Il y aura près de chaque école communale un comité local de surveillance composé du maire ou adjoint, président, du curé ou pasteur, et d'un ou plusieurs habitants notables désignés par le comité d'arrondissement. Dans les communes dont la population est répartie entre différents cultes reconnus par l'État, le curé ou le plus ancien des curés, et un des ministres de chacun des autres cultes, désigné par son consistoire, feront partie du comité communal de surveillance (…). Fait à Paris, le vingt-huitième jour du mois de juin 1833. LOUIS-PHILIPPE Vu et scellé du grand sceau, Le Garde des sceaux de France, Ministre Secrétaire d'état au département de la justice, BARTHE Par le Roi : Le Ministre Secrétaire d'état au département de l'instruction publique, GUIZOT Source : https://www.education.gouv.fr/loi-sur-l-instruction-primaire-loi-guizot-du-28-juin-1833-1721 En réalité, il restait difficile, avec les moyens de l'époque, de vérifier l'application de ces mesures par toutes les communes. Bien souvent le local scolaire était une grange ou une salle de la mairie où l'on déposait les archives et où avaient également lieu les réunions du conseil municipal. En outre, la surveillance des instituteurs était confiée au maire ou au curé (qui était payé par l'Etat depuis le concordat de 1802). Les compétences pédagogiques de ces derniers étant inexistantes, Guizot instaura, par l'ordonnance du 26 février 1835, un corps d'inspecteurs départementaux auxquels il adjoignit très vite des sous-inspecteurs pour les assister. La création de l'inspection d'académie en tant que corps de la fonction publique donna à l'Etat les moyens de savoir ce qui se passait dans les écoles. La législation concernant l’instruction des filles fut plus tardive : la loi Falloux du 15 mars 1850 obligea les communes de plus de 800 habitants (500 habitants en 1867) à ouvrir une école de filles. Grâce à cette législation, la scolarisation des enfants, y compris celle des filles, progressa rapidement en France, alors même que l’instruction n’était pas encore obligatoire. La scolarisation des filles était le plus souvent assurée par un réseau d’école tenues par des congrégations religieuses féminines. Cependant, la loi Falloux fut votée dans un contexte de profonde réaction politique. Elle donnait une très large place aux hommes d’Église dans les organes de contrôle de l’école et dans l’inspection des instituteurs. Enfin, la loi Falloux est surtout célèbre pour avoir permis la création d’établissements privés (« libres ») du second degré, à côté des écoles primaires privées déjà prévues par la loi Guizot de 1833. Document : la loi Falloux du 15 mars 1850 Chapitre III Des écoles et de l'inspection Art. 17. – La loi reconnaît deux espèces d'écoles primaires ou secondaires : 1° Les écoles fondées ou entretenues par les communes, les départements ou l’État, et qui prennent le nom d’Écoles publiques ; 2° Les écoles fondées et entretenues par des particuliers ou des associations, et qui prennent le nom d’Écoles libres. Art. 18. – L inspection des établissements d instruction publique ou libre est exercée : 1° Par les inspecteurs généraux et supérieurs ; 2° Par les recteurs et les inspecteurs d'Académie ; 3° Par les inspecteurs de l'enseignement primaire ; 4° Par les délégués cantonaux, le maire et le curé, le pasteur ou le délégué du consistoire israélite, en ce qui concerne l’enseignement primaire. Les ministres des différents cultes n'inspecteront que les écoles spéciales à leur culte, ou les écoles mixtes pour leurs coreligionnaires seulement. Le recteur pourra, en cas d'empêchement, déléguer temporairement l'inspection à un membre du conseil académique (...). TITRE II DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE Chapitre I Dispositions générales Art.23. – L'enseignement primaire comprend : L'instruction morale et religieuse ; La lecture ; L'écriture ; Les éléments de la langue française ; Le calcul et le système légal des poids et mesures. Il peut comprendre en outre : L'arithmétique appliquée aux opérations pratiques ; Les éléments de l'histoire et de la géographie ; Des notions des sciences physiques et de l'histoire naturelle, applicables aux usages de la vie ; Des instructions élémentaires sur l'agriculture, l'industrie et l'hygiène ; L'arpentage, le nivellement, le dessin linéaire ; Le chant et la gymnastique. Art. 24. – L'enseignement primaire est donné gratuitement à tous les enfants dont les familles sont hors d'état de le payer. Chapitre II Des instituteurs Section I Des conditions d'exercice de la profession d'instituteur primaire public ou libre Art. 25. – Tout Français, âgé de vingt et un ans accomplis, peut exercer dans toute la France la profession d'instituteur primaire, public ou libre, s'il est muni d'un brevet de capacité. Le brevet de capacité peut être suppléé par le certificat de stage dont il est parlé à l'article 47, par le diplôme de bachelier, par un certificat constatant qu'on a été admis dans une des écoles spéciales de l’État, ou par le titre de ministre, non interdit ni révoqué, de l'un des cultes reconnus par l’État. Art. 26. – Sont incapables de tenir une école publique ou libre, ou d'y être employés, les individus qui ont subi une condamnation pour crime ou pour un délit contraire à la probité ou aux mœurs, les individus privés par jugement de tout ou partie des droits mentionnés en l'article 42 du Code pénal, et ceux qui ont été interdits en vertu des articles 30 et 33 de la présente loi (…). Chapitre III Des écoles communales Art. 36. – Toute commune doit entretenir une ou plusieurs écoles primaires. Le conseil académique du département peut autoriser une commune à se réunir à une ou plusieurs communes voisines pour l'entretien d'une école. Toute commune a la faculté d'entretenir une ou plusieurs écoles entièrement gratuites, à la condition d'y subvenir sur ses propres ressources. Le conseil académique peut dispenser une commune d'entretenir une école publique, à condition qu'elle pourvoira à l'enseignement primaire gratuit, dans une école libre, de tous les enfants dont les familles sont hors d'état d'y subvenir. Cette dispense peut toujours être retirée. Dans les communes où les différents cultes reconnus sont professés publiquement, des écoles séparées seront établies pour les enfants appartenant à chacun de ces cultes, sauf ce qui est dit à l'article 15 (…). Art. 37. – Toute commune doit fournir à l'instituteur un local convenable, tant pour son habitation que pour la tenue de l'école, le mobilier de classe et un traitement (…). Chapitre V Des écoles de filles Art. 48. – L'enseignement primaire dans les écoles de filles comprend, outre les matières de l'enseignement primaire énoncées dans l'article 23, les travaux à l'aiguille. Art. 49. – Les lettres d'obédience tiendront lieu de brevet de capacité aux institutrices appartenant à des congrégations religieuses vouées à l'enseignement et reconnues par l’État. L’examen des institutrices n'aura pas lieu publiquement (…). Art. 51. – Toute commune de huit cents âmes de population et au-dessus est tenue, si ses propres ressources lui en fournissent les moyens, d'avoir au moins une école de filles, sauf ce qui est dit à l'article 15 (…). Art. 52. – Aucune école primaire, publique ou libre, ne peut, sans l'autorisation du conseil académique recevoir d'enfants des deux sexes s'il existe dans la commune une école publique ou libre de filles. Source : https://www.education.gouv.fr/loi-relative-l-enseignement-du-15-mars-1850-3800 Au début du Second Empire, le décret de 1852 donna aux recteurs d'académie le pouvoir de nommer les instituteurs sans demander l'avis des maires des communes concernées. L'administration scolaire devenait ainsi autonome et indépendante des notables locaux. Victor Duruy, ministre de l'Instruction publique à partir de 1863, contribua à des avancées encore plus significatives. Il rendit obligatoire l'enseignement de l'histoire et de la géographie à l'école primaire afin de renforcer la conscience civique des futurs citoyens. La loi Duruy du 10 avril 1867 augmenta considérablement le budget de l'instruction publique. Elle encourageait les communes à prélever un impôt supplémentaire pour financer la scolarité des enfants les plus pauvres (les "indigents"). En conséquence, la scolarisation gratuite bénéficia alors à 60 % des écoliers, avant les lois Jules Ferry, alors qu'elle ne concernant que 40 % des écoliers en 1861. La loi Duruy compléta la loi Falloux en obligeant les communes de 500 habitants au moins à ouvrir une école publique de filles, ce qui permit le rattrapage de la scolarisation des filles. Enfin, elle imposa le Certificat d'étude primaire sanctionnant la fin de la scolarité primaire. A la fin du Second Empire, on estime que 70 % des enfants de 5 à 14 ans étaient (partiellement) scolarisés et que près des deux tiers des Français (plutôt les hommes) savaient (à peu près) lire et écrire. Bien entendu, les disparités régionales restaient très importantes. Cet effort de scolarisation répondait à une forte demande sociale des familles populaires qui souhaitaient une amélioration de la situation de leurs enfants par l’acquisition de la lecture, de l’écriture et du calcul. L'école suscita une adhésion progressive de la population car elle montra vite qu'elle favorisait une certaine réussite sociale. A partir du Second Empire, l'industrialisation et le développement de l'Etat firent s'installer dans chaque bourg un médecin ou un officier de santé, un notaire, et un nombre croissant de fonctionnaires, gendarmes, percepteurs des impôts, instituteurs, vivants modèles d'ascension sociale pour toutes les familles pauvres. L'exode rural et le rétablissement d'un service militaire quasiment universel en 1872, rendirent nécessaire la maitrise de la lecture et de l'écriture pour correspondre et maintenir le contact avec sa famille. De même, la bourgeoisie souhaitait désormais développer l'instruction du peuple pour réduire la misère et les risques de révolution, et pour disposer d'une main d'œuvre plus qualifiée et mieux adaptée aux transformations économiques. L'Eglise catholique elle-même était favorable à la scolarisation, mais plutôt dans ses propres écoles. De toute façon, le développement de deux ordres scolaire, l'école primaire du peuple et l'enseignement secondaire de la bourgeoisie, ne remettait nullement en cause la hiérarchie sociale. Malgré tout, certains enfants n’avaient pas accès, ou alors partiellement, à l’instruction scolaire. Nombreux étaient les enfants qui n’allaient à l’école que l’hiver, lors de interruption des travaux des champs. Pourtant, la loi Guizot et la loi Falloux stipulaient que les enfants nécessiteux ("indigents"), dont la liste était établie par la commune, devaient bénéficier de l’école gratuite. Ces enfants représentaient environ un tiers des effectifs scolaires. Les tableaux suivants montrent une augmentation continue des effectifs scolarisés à l’école primaire depuis le début du XIXe siècle. Le premier signale également la forte proportion de filles scolarisées dans des écoles privées catholiques. Le second montre l'accroissement de la scolarisation des filles par rapport à celle des garçons. Source : Briand, J.-P., Chapoulie, J.-M. Juguet, F., Luc, J.-N., Prost, A., L’enseignement primaire et ses extensions, XIXE-XXe siècles. Annuaire statistique, Economica – INRP, 1987. Source : Antoine Prost, L'enseignement en France 1800-1867, Paris, Armand Colin, p. 108. 1.3 La situation avant les lois scolaires de Jules Ferry Une grande enquête rétrospective menée sous la direction du recteur Maggiolo entre 1877 et 1880 avait chargé les instituteurs de dépouiller les registres paroissiaux et l’état civil de leur commune. Ces derniers établirent le pourcentage d’hommes et de femmes capables de signer de leur nom leur acte de mariage entre 1686 et 1876. En 1871-1875, à l’échelle de la France, avant même les lois scolaires de la Troisième république, 78 % des hommes et 64 % des femmes en moyenne savaient signer de leur nom. Malgré certains biais méthodologiques, dont celui de considérer que le fait de signer de son nom signifiait que l’on savait lire et écrire, l’enquête montre un progrès de l’alphabétisation au cours du XIXe siècle, surtout surtout du côté des hommes et surtout au nord d’une ligne Saint-Malo / Genève. Cette ligne structura toute la démographie française au cours du XIXe siècle, car elle séparait la France industrielle et urbaine de la France rurale. Les cartes qui suivent sont extraites de : Fleury M, Valmery, P. (1957). Les progrès de l'instruction élémentaire de Louis XIV à Napoléon III, d'après l'enquête de Louis Maggiolo (1877-1879). Population, 12(1), 71-92. En ligne : https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1957_num_12_1_5553 Légende commune aux cartes (le noir signale des valeurs inférieures à la moyenne, le blanc et encore plus le rouge signalent des valeurs supérieures à la moyenne nationale) Source : Luc, J.-N, Condette, J.-F. et Verneuil, Y. (2020). Histoire de l'enseignement en France XIXe-XXIe siècle. Paris: Armand Colin, p. 31. La situation des bâtiments scolaires s'améliora également. Les salles de classe exigées par la loi Guizot de 1833 étaient souvent des pièces insalubres, voire des granges qui pouvaient accueillir plusieurs dizaines d'élèves. Il arrivait aussi que les salles soient beaucoup trop petites. Les classes de 100 à 150 élèves n'étaient pas rares. En 1863 une enquête jugea que 59 % des écoles seulement étaient convenables. Dans les années 1850, des normes furent imposées aux bâtiments scolaires : présence de fenêtres, un plancher, si possible une cour de récréation et un préau. On fixa aux salles de classe une surface réglementaire, proportionnelle au nombre d'élèves. La loi de 1878 obligea les mairies à acquérir ou construire des écoles. Les nouvelles écoles suivaient généralement un plan identique : deux ailes attribuées respectivement aux classes de garçons et aux classes de filles de part et d'autre d'un bâtiment central dédié au logement des enseignants et, dans les petites communes, à la mairie. Le matériel scolaire se diffusa lentement en raison de son coût parfois trop élevé pour les petites communes. Avant 1880, les tables, les bancs, les cartes, les gravures manquaient encore dans de nombreuses communes rurales. Les livres restaient très rares. A partir des années 1870 l'édition scolaire se développa pour diffuser des manuels communs à tous les élèves dans chaque classe. Le modèle pédagogique dominant était le mode "simultané", hérité de la pédagogie des Frères des écoles chrétiennes. Les élèves étaient répartis en groupe selon leur âge. Pendant que le maitre enseignait à un groupe, les élèves plus avancés surveillaient les groupes d'élèves plus jeunes ou leur faisaient réviser leurs leçons. Ce modèle était particulièrement adapté aux petites écoles rurales et à ce que nous appelons aujourd'hui les classes multiniveaux. Du côté des maitres, la situation avait considérablement évolué. Depuis 1816, les instituteurs devaient posséder un brevet de capacité délivré par le recteur. Ce brevet était préparé en deux années dans les écoles normales ou, à défaut dans des cours communaux urbains, et contribuèrent à construire une culture primaire : maitrise du français, de l'orthographe et de la grammaire (par l'exercice de la dictée), connaissance de quelques auteurs classiques du XVIIe au XIXe siècle, un bagage en sciences et en mathématiques, quelques connaissances sur l'histoire et la géographie de la France. Cependant, le traitement des instituteurs était trop faible pour nourrir une famille, aussi l'instituteur était obligé d'être également secrétaire de mairie (car il était sous la dépendance du maire), ou bien sacristain (car il était également sous la dépendance du curé), fossoyeur, écrivain public, barbier, cabaretier... Fixé à 200 francs par mois en 1833, le traitement des instituteurs passa à 600 francs en 1850, à 700 francs en 1870, soit le salaire d'un ouvrier qualifié, et à 900 francs en 1875. Les instituteurs purent dès lors abandonner leur emploi secondaire, à l'exception de celui de secrétaire de mairie (rédaction des arrêtés municipaux, de la correspondance, tenue des registres d'état-civil) qui renforçait leur statut de notable dans leur village. La modicité de ce traitement fut progressivement et partiellement compensée par le prestige de la profession dont l'utilité sociale s'affirmait aux yeux des populations. Evidemment, le traitement des institutrices représentait en moyenne les deux tiers de celui des instituteurs car elles étaient concurrencées par les congréganistes qui acceptaient de faibles rémunérations. 2. Les lois scolaires de la Troisième République Encart : Les grandes lois scolaires de la Troisième République Loi Paul Bert du 9 août 1879 instituant une école normale d’institutrices par département Loi Camille Sée du 20 décembre 1880 instituant l’enseignement secondaire (lycées) pour les jeunes filles Loi Ferry du 16 juin 1881 instituant la gratuité de l’enseignement primaire Loi Ferry du 28 mars 1882 instituant l’école primaire obligatoire et laïque de l’âge de 6 ans jusqu'à 13 ans Loi Goblet du 30 octobre 1886 instituant la laïcité des programmes scolaires et du personnel enseignant Loi du 19 juillet 1889 faisant des instituteurs et institutrices des fonctionnaires de l’Etat rémunéré.e.s par le Trésor public Loi Combes du 5 juillet 1904 interdisant l’enseignement aux congréganistes 2.1 Fonder la République par l'école Lorsque les républicains furent élus aux postes clés de la République à la fin des années 1870, au détriment des monarchistes, ils s’inscrivirent dans cette volonté d’élargissement et d'achèvement de la scolarisation primaire. Comme nous l'avons vu, l'alphabétisation était acquise presque partout au cours des années 1880. Le rôle de l'école primaire était d'intégrer les classes populaires au sein de l'Etat-Nation en leur inculquant des références communes : la grammaire française, les poèmes de Victor Hugo et les fables de La Fontaine, les héros de l'histoire de France, la carte de France. Ces références permettaient de lire les professions de foi électorales et la presse alors en plein essor. Aux yeux des républicains, l’école primaire semblait constituer le meilleur outil pour installer la République dans les esprits : comme la République était l’héritière des principes politiques de la philosophie des Lumières, il fallait faire accéder les futurs citoyens au savoir et à la raison en les émancipant, par l'école, de la tutelle du curé et du notable royalistes. Rappelons que l'Eglise catholique restait hostile à la république, au moins jusque dans les années 1890. L'effort de scolarisation passait par la sécularisation de l'école qui, en tant que service public, devait être accessibles à tous les enfants de citoyens, quelle que soit leur religion. En outre, on considérait que des citoyens suffisamment éclairés par la raison seraient capables d’exercer leur droit de vote et leurs responsabilités en toute connaissance de cause. Précisons que les lois scolaires furent votées en même temps que la très libérale loi sur la liberté d’expression et de la presse du 29 juillet 1881 et avant la loi de 1884 rétablissant la liberté de divorcer et celle de 1884 accordant la liberté syndicale. L'ensemble de ces lois a contribué à façonner l'espace politique et social de la France. Document : Le rôle de l'école selon Paul Bert Il faut que l'enfant connaisse l'organisation politique de son pays, et qu'en même temps il reçoive quelques notions sur son organisation sociale (…). L'enfant devra non seulement connaître l'état de la société mais aussi l'aimer, afin de se dévouer s'il est nécessaire, lorsqu'il sera devenu homme, pour la défendre. Que l'instituteur lui dise: « Personne ne te commande, excepté la Loi ! Ici nul n'est maître, sauf la Nation. Toi, tu fais partie de la Nation et, s'il y a dix millions d'électeurs, tu participes, pour ton dix millionième, aux mêmes droits que tes concitoyens ». L'instituteur devra faire remarquer à l'enfant la supériorité du régime démocratique sur le régime monarchique; lui faire comprendre comment le premier est le règne de l'égalité et le second, le règne du privilège, l'un le régime du droit, l'autre le régime de l'arbitraire; qu'à force de travail, il est le maître de sa destinée. Discours de Paul Bert (1833-1886), le Havre. 21 mars 1880. La mission des instituteurs selon Jules Ferry Je ne dirai pas, et vous ne me laisseriez pas dire qu'il ne doit y avoir dans l'enseignement primaire, dans votre enseignement, aucun esprit, aucune tendance politique. À Dieu ne plaise ! pour deux raisons : d'abord, n'êtes-vous pas chargés, d'après les nouveaux programmes, de l'enseignement civique ? C'est une première raison ; il y en a une seconde et plus haute, c'est que vous êtes tous des fils de 89 ! Vous avez été affranchis comme citoyens par la Révolution française, vous allez être émancipés comme instituteurs par la République de 1880 : comment n'aimeriez-vous pas et ne ferez-vous pas aimer dans votre enseignement et la Révolution et la République ? Cette politique-là, c'est une politique nationale; et vous pouvez, et vous devez - la chose est facile - la faire entrer, sous les formes et par les voies voulues, dans l'esprit des jeunes enfants; mais la politique contre laquelle je tiens à vous mettre en garde est celle que j'appelais tout à l'heure la politique militante et quotidienne, la politique de parti, de personnes, de coterie ! Avec cette politique-là, n'ayez rien de commun ! Elle se fait, elle est nécessaire, c'est un rouage naturel, indispensable dans un pays de liberté; mais ne vous laissez pas prendre par le bout du doigt dans cet engrenage: il vous aurait bien vite emportés et déconsidérés tout entiers ! (…) Restez, messieurs les instituteurs, là où nos lois et nos mœurs vous ont placés, restez avec vos petits enfants dans les régions sereines de l'École ! Jules Ferry, discours au congrès pédagogique de 1881. Le rôle de l'école était donc de diffuser les valeurs de la République, de faire aimer la République et la France. Les manuels scolaires répondaient à cet objectif : Le tour de France par deux enfants, publiés en 1877, servait à faire connaitre les différentes régions françaises et le manuel d'histoire publié par Ernest Lavisse (le Petit Lavisse au cours élémentaire et le Grand Lavisse au Cours supérieur) diffusa l'histoire des grands hommes qui avaient fait la France jusqu'à l'aboutissement de la république. L'école servit en outre à diffuser le français, la langue des Lumières et le garant de l'unité nationale, par l'apprentissage de récitations et la pratique intensive de la dictée. L'uniformisation linguistique conduisit progressivement à l'effacement des patois et des langues régionales. 2.2 Les lois scolaires des années 1880 Les principales lois scolaires furent adoptées à l'instigation de Jules Ferry, ministre de l'instruction publique de 1879 à 1883 (avec quelques interruptions). La loi Ferry du 16 juin 1881 établit la gratuité de l’enseignement primaire, alors que l’enseignement secondaire demeura payant jusqu’en 1930. Cette loi sur la gratuité mit surtout fin à une distinction humiliante entre les élèves, entre ceux qui s'acquittaient d'une rétribution et les "indigents" qui ne payaient rien étant reconnus comme pauvres par la municipalité. La gratuité était donc une mesure d'égalité. La gratuité totale contribua également à affirmer la fonction de l'école comme un service public ouvert à tous et sous l'autorité de l'Etat. Document : LOI ÉTABLISSANT LA GRATUITÉ ABSOLUE DE L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE DANS LES ÉCOLES PUBLIQUES, 16 JUIN 1881 Art. 1. – Il ne sera plus perçu de rétribution scolaire dans les écoles primaires publiques, ni dans les salles d'asile publiques. Le prix de pension dans les écoles normales est supprimé (…). Art. 7. – Sont mises au nombre des écoles primaires publiques donnant lieu à une dépense obligatoire pour la commune, à la condition qu'elles soient créées conformément aux prescriptions de l'article 2 de la loi du 10 avril 1867 : 1° Les écoles communales de filles qui sont ou seront établies dans les communes de plus de 400 âmes ; 2° Les salles d'asile ; 3° Les classes intermédiaires entre la salle d'asile et l'école primaire, dites classes enfantines, comprenant des enfants des deux sexes et confiées à des institutrices pourvues du brevet de capacité ou du certificat d'aptitude à la direction des salles d'asile. La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l’État. Fait à Paris, le 16 juin 1881. Jules GREVY Par le Président de la République : Le Président du Conseil, Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, JULES FERRY Le Ministre de l'Intérieur, et des Cultes, CONSTANS Source : https://www.education.gouv.fr/loi-etablissant-la-gratuite-absolue-de-l-enseignement-primaire-dans-les-ecoles-publiques-du-16-juin-1655 La loi établissant la gratuité de l’enseignement primaire rendait possible la loi Ferry du 28 mars 1882 instituant l’obligation scolaire pour les garçons et les filles de l'âge de 6 ans jusqu’à 13 ans, ainsi que la laïcité des programmes d’enseignement. L'instruction religieuse et morale fut remplacée par l'instruction morale et civique. A cette date pourtant, la quasi totalité des enfants était déjà scolarisée, à l’exception des enfants de régions reculées telles que la basse Bretagne. Cependant, un peu partout, les enfants continuaient de travailler aux champs lorsque leur aide était nécessaire. Un grand nombre d'élèves quittait l'école dès l'âge de dix ans pour aider au travail des champs alors qu'ils savaient à peine lire et écrire. La scolarisation restait donc souvent superficielle. L'obligation scolaire de 1882 permit d'allonger la scolarisation effective et fit chuter le taux d'analphabétisme. Il fallut l'instauration des allocations familiales en 1932 pour faire pression sur les dernières familles qui rechignaient encore à scolariser leurs enfants. Le passage du certificat d’études primaires fut également rendu obligatoire par la loi de 1882, à partir de l’âge de onze ans. Mais lorsque des élèves risquaient de ne pas l’obtenir, ils étaient contraints par leur maître ou leur maîtresse de le passer en candidats libres afin de ne pas faire baisser le taux de réussite de leurs élèves au certificat d’études. C’est ce qui est arrivé à mon grand-père qui, pour faire enrager son maître qui avait refusé de le présenter à l’examen parce qu'il le prenait pour un idiot, a tout fait pour obtenir son certificat d’études. En 1914, seul un tiers des élèves obtenait le certificat d'études. On estime que, en 1935, la moitié des élèves sortait de l’école primaire sans avoir obtenu le certificat d’études. Il convient donc de ne pas se leurrer sur le niveau scolaire des élèves sous la Troisième République. Document : LOI SUR L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE OBLIGATOIRE DU 28 MARS 1882 (extraits) Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté, Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit : Art. 1. – L'enseignement primaire comprend : L'instruction morale et civique ; La lecture et l'écriture ; La langue et les éléments de la littérature française ; La géographie, particulièrement celle de la France ; L'histoire, particulièrement celle de la France jusqu'à nos jours ; Quelques notions usuelles de droit et d'économie politique ; Les éléments des sciences naturelles physiques et mathématiques ; leurs applications à l'agriculture, à l'hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers ; Les éléments du dessin, du modelage et de la musique ; La gymnastique ; Pour les garçons, les exercices militaires ; Pour les filles, les travaux à l'aiguille. L'article 23 de la loi du 15 mars 1850 est abrogé. Art. 2. – Les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine, en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s'ils le désirent, à leurs enfants, l’instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires. L'enseignement religieux est facultatif dans les écoles privées. Art. 3. – Sont abrogées les dispositions des articles 18 et 44 de la loi du 15 mars 1850, en ce qu'elles donnent aux ministres des cultes un droit d'inspection, de surveillance et de direction dans les écoles primaires publiques et privées et dans les salles d'asile, ainsi que le paragraphe 2 de l'article 31 de la même loi qui donne aux consistoires le droit de présentation pour les instituteurs appartenant aux cultes non catholiques. Art. 4. – L'instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus ; elle peut être donnée soit dans les établissements d'instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu'il aura choisie. Un règlement déterminera les moyens d'assurer l’instruction primaire aux enfants sourds-muets et aux aveugles. Art. 6. – Il est institué un certificat d'études primaires ; il est décerné après un examen public auquel pourront se présenter les enfants dès l'âge de onze ans. Ceux qui, à partir de cet âge, auront obtenu le certificat d'études primaires, seront dispensés du temps de scolarité obligatoire qui leur restait à passer. Art. 10. – Lorsqu'un enfant manque momentanément l'école, les parents ou les personnes responsables doivent faire connaître au directeur ou à la directrice les motifs de son absence. Les directeurs et les directrices doivent tenir un registre d'appel qui constate, pour chaque classe, l'absence des élèves inscrits. A la fin de chaque mois, ils adresseront au maire et à l’inspecteur primaire un extrait de ce registre, avec l'indication du nombre des absences et des motifs invoqués. Les motifs d'absence seront soumis à la Commission scolaire. Les seuls motifs réputés légitimes sont les suivants : maladie de l'enfant, décès d'un membre de la famille, empêchements résultant de la difficulté accidentelle des communications. Les autres circonstances exceptionnellement invoquées seront également appréciées par la Commission. Source : https://www.education.gouv.fr/loi-sur-l-enseignement-primaire-obligatoire-du-28-mars-1882-10526 L'année suivante, Jules Ferry, toujours ministre de l'instruction publique adressa une lettre à tous les instituteurs et toutes les institutrices (mais en commençant la lettre par : "Monsieur l'instituteur"...) dans laquelle il expliquait la fonction de l'enseignement qui, d'après la loi de 1882 remplaçait l'instruction religieuse instaurée par l'article 23 de la loi Falloux en 1850. Document : La lettre de Jules Ferry aux instituteurs (27 novembre 1883) Monsieur l’Instituteur, L’année scolaire qui vient de s’ouvrir sera la seconde année d’application de la loi du 28 mars 1882. Je ne veux pas la laisser commencer sans vous adresser personnellement quelques recommandations qui sans doute ne vous paraîtront pas superflues, après la première expérience que vous venez de faire du régime nouveau. Des diverses obligations qu’il vous impose, celle assurément qui vous tient le plus au cœur, celle qui vous apporte le plus lourd surcroît de travail et de souci, c’est la mission qui vous est confiée de donner à vos élèves l’éducation morale et l’instruction civique : vous me saurez gré de répondre à vos préoccupations en essayant de bien fixer le caractère et l’objet de ce nouvel enseignement ; et, pour y mieux réussir, vous me permettez de me mettre un instant à votre place, afin de vous montrer, par des exemples empruntés au détail même de vos fonctions, comment vous pourrez remplir, à cet égard, tout votre devoir, et rien que votre devoir. La loi du 28 mars se caractérise par deux dispositions qui se complètent sans se contredire : d’une part, elle met en dehors du programme obligatoire l’enseignement de tout dogme particulier ; d’autre part, elle y place au premier rang l’enseignement moral et civique. L’instruction religieuse appartient aux familles et à l’Église, l’instruction morale à l’école. Le législateur n’a donc pas entendu faire une œuvre purement négative. Sans doute il a eu pour premier objet de séparer l’école de l’Église, d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer enfin deux domaines trop longtemps confondus : celui des croyances, qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances, qui sont communes et indispensables à tous, de l’aveu de tous. Mais il y a autre chose dans la loi du 28 mars : elle affirme la volonté de fonder chez nous une éducation nationale, et de la fonder sur des notions du devoir et du droit que le législateur n’hésite pas à inscrire au nombre des premières vérités que nul ne peut ignorer. Pour cette partie capitale de l’éducation, c’est sur vous, Monsieur, que les pouvoirs publics ont compté. En vous dispensant de l’enseignement religieux, on n’a pas songé à vous décharger de l’enseignement moral ; c’eût été vous enlever ce qui fait la dignité de votre profession. Au contraire, il a paru tout naturel que l’instituteur, en même temps qu’il apprend aux enfants à lire et à écrire, leur enseigne aussi ces règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins universellement acceptées que celles du langage ou du calcul (…). J’ai dit que votre rôle, en matière d’éducation morale, est très limité. Vous n’avez à enseigner, à proprement parler, rien de nouveau, rien qui ne vous soit familier comme à tous les honnêtes gens. Et, quand on vous parle de mission et d’apostolat, vous n’allez pas vous y méprendre ; vous n’êtes point l’apôtre d’un nouvel Évangile : le législateur n’a voulu faire de vous ni un philosophe ni un théologien improvisé. Il ne vous demande rien qu’on ne puisse demander à tout homme de cœur et de sens. Il est impossible que vous voyiez chaque jour tous ces enfants qui se pressent autour de vous, écoutant vos leçons, observant votre conduite, s’inspirant de vos exemples, à l’âge où l’esprit s’éveille, où le cœur s’ouvre, où la mémoire s’enrichit, sans que l’idée vous vienne aussitôt de profiter de cette docilité, de cette confiance, pour leur transmettre, avec les connaissances scolaires proprement dites, les principes mêmes de la morale, j’entends simplement cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et mères et que nous nous honorons tous de suivre dans les relations de la vie, sans nous mettre en peine d’en discuter les bases philosophiques. Vous êtes l’auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille : parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre ; avec force et autorité, toutes les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée, d’un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge. Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu’où il vous est permis d’aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir. Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment : car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre propre sagesse ; c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité (...). Une seule méthode vous permettra d’obtenir les résultats que nous souhaitons. C’est celle que le Conseil supérieur vous a recommandée : peu de formules, peu d’abstractions, beaucoup d’exemples et surtout d’exemples pris sur le vif de la réalité. Ces leçons veulent un autre ton, une autre allure que tout le reste de la classe, je ne sais quoi de plus personnel, de plus intime, de plus grave. Ce n’est pas le livre qui parle, ce n’est même plus le fonctionnaire ; c’est, pour ainsi dire, le père de famille, dans toute la sincérité de sa conviction et de son sentiment (...). J’ai essayé de vous donner, Monsieur, une idée aussi précise que possible d’une partie de votre tâche qui est, à certains égards, nouvelle, qui de toutes est la plus délicate ; permettez-moi d’ajouter que c’est aussi celle qui vous laissera les plus intimes et les plus durables satisfactions. Je serais heureux si j’avais contribué par cette lettre à vous montrer toute l’importance qu’y attache le gouvernement de la République, et si je vous avais décidé à redoubler d’efforts pour préparer à notre pays une génération de bons citoyens. Recevez, Monsieur l’Instituteur, l’expression de ma considération distinguée. Le président du Conseil, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts Jules FERRY Source: https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2020/12/lettre_ferry_instituteurs.pdf La loi de 1882 fit de l’école primaire un service public sécularisé et accessible à tous les enfants du peuple sans exception. En revanche, les deux ordres scolaires étaient maintenus. Les enfants du peuple fréquentaient l’école primaire de l’âge de 6 ans jusqu’à 12 ou 13 ans et s’engageaient ensuite dans la vie active tandis que les enfants de la bourgeoisie effectuaient leur scolarité au « petit lycée », l’équivalent des écoles primaires, puis au lycée. Le petit lycée et le lycée se trouvaient généralement dans les mêmes bâtiments. Il était pratiquement impossible de passer de l’école primaire du peuple au lycée de la bourgeoisie car les disciplines enseignées étaient différentes. La présence limitée de boursiers issus du primaire (1 pour 200 élèves), tel Charles Péguy, permettait de maintenir la fiction d’un ordre secondaire ouvert aux pauvres méritants. La dénomination des niveaux différait dans les deux ordres scolaires. A l’école primaire, nous connaissons toujours le Cours élémentaire (6-8 ans) et le Cours moyen (8-10 ans). Le Cours supérieur (10-12 ans), où se préparait le certificat d’étude, a disparu avec la fusion des deux ordres scolaires dans le collège. Ces dénominations furent instituées dans le département de la Seine par Octave Gréard en 1868. En 1921, le Cours préparatoire fut distingué du Cours élémentaire. Dans le second degré, la numérotation des niveaux se faisait dans l’ordre décroissant depuis la 11e (l’équivalent du CP) jusqu’à la Première et la Terminale. La fusion des deux ordres scolaires après la Deuxième Guerre mondiale a donc fait se juxtaposer deux systèmes de dénomination hétérogènes (CP, CE, CM puis 6e, 5e, etc.). Cependant, le niveau d’étude offert par l’école primaire ne satisfaisait pas toujours les familles populaires soucieuses de faire accéder leurs enfants à des emplois dans l’administration ou dans l’encadrement des entreprises. La loi Guizot de 1833 avait acté la création des écoles primaires supérieures (EPS) dans les communes de plus de 6 000 habitants. Tombées ensuite en désuétude, les EPS furent réactivées par la loi Goblet en 1886 : elles recrutaient les élèves après leur certificat d’études pour une scolarité de trois ans. Elles permettaient d’accéder à des professions intermédiaires (employés de bureaux et de commerces, techniciens, cadres de l'industrie, membres de l'administration des impôts et de la poste) et, pour les meilleurs élèves, de préparer le concours d'entrée à l’école normale d’instituteurs ou d’institutrices. L'essor des EPS résulta un colossal effort financier de la République qui permit la construction de milliers d'écoles dotées d'un mobilier moderne. Rappelons que la loi Guizot avait institué les écoles normales d’instituteurs de garçons dans chaque département. La loi Paul Bert du 9 août 1879 institua les écoles normales d'institutrices de filles dans chaque département. Cette mesure était particulièrement urgente dans la mesure où, dans de nombreuses écoles primaires de filles, l’enseignement était encore assuré par des bonnes sœurs ou par des institutrices formées dans des cours tenus par des congrégations religieuses. Il fallut ensuite former les professeurs des écoles normales d’instituteurs et d’institutrices. Ce fut le rôle des écoles normales supérieures (ENS) de Fontenay-aux-Roses pour les femmes et de Saint-Cloud pour les hommes. Les tableaux suivants montrent l'ampleur des efforts consentis pour scolariser les jeunes français. Source : Antoine Prost, L'enseignement en France 1800-1967, Paris, Armand Colin, p. 294. Document : Enfants inscrits dans les écoles maternelles et élémentaires publiques et privées (1837-2019). Note: les effectifs en italiques ne comprennent plus ceux des écoles maternelles. Source : Luc, J.-N, Condette, J.-F. et Verneuil, Y. (2020). Histoire de l'enseignement en France XIXe-XXIe siècle. Paris: Armand Colin, p. 31. 2.3 La laïcisation du personnel d'enseignement Le processus de sécularisation se poursuivit. A la laïcisation des programmes scolaires répondit la laïcisation du personnel enseignant par la loi Goblet du octobre 1886. Puisque les école normales d’institutrices créées en 1879 avaient formé suffisamment d’institutrices, on pouvait désormais se passer des religieuses dans les écoles publiques de filles. Par la loi de finances du 19 juillet 1889, les instituteurs et les institutrices furent totalement rétribué.e.s par l'Etat et furent ainsi reconnu.e.s comme des fonctionnaires à part entière. Au début du XXe siècle, les instituteurs gagnaient entre 1 100 et 2 200 francs par an entre le début et la fin de carrière quand un ouvrier mineur gagnait 1 300 francs. En 1919, le traitement des institutrices fut aligné sur celui des instituteurs. Personnels laïques, formé.e.s dans les écoles normales, ils et elles ne dépendaient plus de la bonne volonté des municipalités. La sécularisation de l'école publique était achevée. Document : LOI SUR L'ORGANISATION DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE DU 30 OCTOBRE 1886 (Loi Goblet) (extraits) Art. 6. – L'enseignement est donné par des instituteurs dans les écoles de garçons, par des institutrices dans les écoles de filles, dans les écoles maternelles, dans les écoles ou classes enfantines et dans les écoles mixtes. Dans les écoles de garçons, des femmes peuvent être admises à enseigner à titre d'adjointes, sous la condition d'être épouse, sœur ou parente en ligne directe du directeur de l'école. (…). Art. 17. – Dans les écoles publiques de tout ordre, l'enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque. Art. 18. – Aucune nomination nouvelle, soit d’instituteur, soit d’institutrice congréganistes, ne sera faite dans les départements où fonctionnera depuis quatre ans une école normale, soit d'instituteurs, soit d'institutrices, en conformité avec l'article 1 de la loi du 9 août 1879. Pour les écoles de garçons, la substitution du personnel laïque au personnel congréganiste devra être complète dans le laps de cinq ans après la promulgation de la présente loi. Source : https://www.education.gouv.fr/loi-sur-l-organisation-de-l-enseignement-primaire-du-30-octobre-1886-8324 La gravure ci-dessous, réalisée par Léon Gerlier, auteur par ailleurs d’abécédaires et de livres de prières, publiée dans un journal catholique peu favorable aux réformes républicaines, donne un aperçu de la situation des écoles de filles à cette époque. Léon Gerlier, L’enlèvement des crucifix dans les écoles de la ville de Paris. Gravure publiée le 20 février 1881 dans le numéro 673 de La Presse Illustrée. Paris, Musée Carnavalet. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Enlevement_crucifix_1881.jpg Analyse détaillée dans : https://histoire-image.org/etudes/enlevement-crucifix-ecoles#:~:text=tragique%20et%20picturale-,L'Enl%C3%A8vement%20des%20crucifix%20dans%20le%20%C3%A9coles%20de%20la%20ville,%C2%AB%20sc%C3%A8ne%20d'enl%C3%A8vement%20%C2%BB. Cette scène sans doute caricaturale est censée se dérouler dans une classe d’un école publique de filles, le 20 février 1881, soit avant les lois Jules Ferry de 1881-1882. Elle découle d’une décision du préfet de Paris, Ferdinand Hérold, de retirer les signes religieux des écoles publiques de la ville de Paris, dans une logique de laïcisation de l’espace scolaire public. La violence de la mesure est marquée par le geste de l’homme en costume et chapeau arborant une ceinture tricolore (rappelant la République honnie par ce journal catholique) et par l’action des trois policiers ou soldats retirant le crucifix et confisquant des livres (religieux ?). Nonobstant la dimension polémique de cette gravure, trois éléments méritent d’être remarqués au sujet de l’organisation de la classe. Tout d’abord, les institutrices sont des religieuses ce qui, comme nous l’avons vu, était assez souvent le cas dans les écoles de filles avant la loi Goblet de 1886. Ensuite, la diversité des âges des filles, qui semblent être nombreuses dans cette classe, évoque sans doute ce que nous appelons aujourd’hui une « classe multi-niveaux » avec une pédagogie "simultanée". En effet, la présence de plusieurs tableaux aux murs et la présence de deux institutrices laisse supposer un enseignement simultané de différents niveaux dans la même classe. Pour conclure, notons que cette gravure de la presse catholique apporte de l’eau au moulin des républicains : elle montre qu'il est absolument nécessaire de recruter un personnel enseignant laïque afin d’arracher les petites filles à l’influence de la religion catholique qui, à l’époque, était hostile à la République. La circulaire ministérielle du 2 novembre 1882 demanda aux préfets ne pas installer de crucifix dans les locaux nouvellement construits et, dans la locaux plus anciens, de demander aux populations si elles souhaitaient les garder ou les enlever. 2.4 Des salles d'asile aux écoles maternelles A partir de 1826, suivant le modèle anglais, des dames patronnesses et des philanthropes ouvrirent des salles d'asile pour accueillir les petits enfants âgés de trois à six ans et dont les mamans travaillaient. Une ordonnance de 1837 leur apportait une reconnaissance officielle et soulignait leur dimension d'établissements "charitables". En 1881, 5 000 salles d'asiles, fréquemment tenues par des congréganistes, scolarisaient près de 40 % des petits enfants. A l'origine, les salles d'asile répondaient à un objectif moralisateur : permettre le travail "honnête" des mères et leur éviter de sombrer dans la misère ou la prostitution, dispenser une formation morale et religieuse aux petits enfants du peuple qui en étaient nécessairement dépourvus (puisqu'ils étaient pauvres). Malgré tout, les salles d'asiles furent le creuset de nombreuses innovations pédagogiques : exercices physiques, formation par le jeu, enseignement fondé sur la manipulation (ardoises, bouliers) et l'observation (leçons de choses). Mais la diversité l'emportait : certaines salles d'asiles servaient à préparer l'entrée à l'école primaire, d'autres se réduisaient à de la garderie. Par le décret du 2 août 1881, les républicains transformèrent les salles d'asile en écoles maternelles. Il reprirent ainsi le nom inventé par Marie Pape-Carpentier qui dirigeait une salle d'asile où elle s'efforçait de faire des leçons à des élèves qui devaient écouter en silence, assis sur des bancs. Même si elles occupaient des locaux séparés des écoles, les école maternelles furent intégrées à l'ordre scolaire primaire. Elles étaient divisées en deux classes pour accueillir les enfants âgés de 3 à 6 ans. Elles étaient dotées d'un programme et les institutrices formées dans les écoles normales remplacèrent là aussi les congréganistes. Le débat insoluble au sujet de l'école maternelle était posé : l'école maternelle doit-elle préparer à l'école primaire et constituer une forme d'instruction scolaire anticipée, ou bien doit-elle rester un lieu d'éveil et de socialisation enfantine ? L'inspectrice générale Pauline Kergomard, entre 1879 et 1917, défendit cette seconde option et appela au développement des enfants par le jeu, l'exercice physique, les activités manuelles et artistiques. Elle fit cesser les leçons et réclama un mobilier adapté à la taille des enfants. Elle fut à l'origine des écoles maternelles qui ne séparaient pas les garçons des filles et que nous connaissons aujourd'hui. La psychologie de l'enfant était alors balbutiante et c'est seulement au début du XXe siècle que l'on comprit que les petits enfants n'étaient pas des adultes en miniature et qu'il était nécessaire de prendre en compte leurs intérêts et leur développement. Le décret du 15 juillet 1921 tint compte de cette évolution et fixa les caractéristiques spécifiques des écoles maternelles, telles que nous les connaissons aujourd'hui, avec leur pédagogie fondée sur des observations, des exercices physiques, manuels et seulement une initiation à la lecture et au calcul. A partir des années 1920, les institutrices des écoles maternelles s'ouvrirent parfois aux pédagogies dites alternatives de Decroly ou Montessori. Au début du XXe siècle, près de la moitié des enfants d'âge préscolaire fréquentaient l'école maternelle. Document : Enfants inscrits dans les salles d'asile (1850-1880), les écoles maternelles (depuis 1881) et les classes enfantines (depuis 1950). Note: les classes enfantines sont les classes accueillies dans les écoles élémentaires, en l'absence d'école maternelle séparée. Source : Luc, J.-N, Condette, J.-F. et Verneuil, Y. (2020). Histoire de l'enseignement en France XIXe-XXIe siècle. Paris: Armand Colin, p. 361. 3. Le rapprochement des deux ordres scolaires au XXe siècle Encart : Quelques lois scolaires au XXe siècle Loi Carcopino du 15 août 1941 transformant les écoles primaires supérieures en collège modernes Loi du 3 mars 1945 supprimant les classes élémentaires des lycées et obligeant tous les élèves à fréquenter l’école primaire Ordonnance Berthoin du 6 janvier 1959 prolongeant l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans. Loi Haby du 11 juillet 1975 créant le collège unique Décret du 27 novembre 1985 portant création du baccalauréat professionnel C’est seulement après la Première Guerre mondiale, lors de laquelle les Français avaient vécu une expérience commune dans les tranchées, que se posa la question de la transformation des deux ordres scolaires parallèles en deux ordres successifs et socialement égalitaires. Paradoxalement, le régime de Vichy contribua à faire de l’école primaire la première étape de la carrière scolaire avant de passer dans l’enseignement secondaire. Par la loi du 15 août 1941, les écoles primaires supérieures auxquelles on accédait à l’issue d’une scolarité à l’école primaire, furent transformées en « collègues modernes » permettant d’accéder ensuite à la filière « moderne » (sans latin) du lycée. Cette évolution conduisit à la création du collège unique par la réforme Haby de 1975. Désormais, tous les enfants, quelle que soit leur origine sociale (du moins en théorie !), fréquentaient les mêmes écoles primaires, les mêmes collèges avant d’accéder soit au lycée général et technologique, soit au lycée professionnel menant à un bac professionnel à partir de 1985. Ces mesures permirent l’application du mot d’ordre du ministre de l’Éducation nationale Jean-Pierre Chevènement de faire parvenir à 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat. Mais la réforme la plus importante, celle qui bouleversa totalement la société française, fut l'ordonnance Berthoin qui instaura la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans. Désormais, tous les enfants pouvaient prétendre accéder à des études plus ou moins longues garantes de l'accès à des diplômes (CAP, baccalauréat) garantissant l'accès à des professions plus ou moins qualifiées. Cette réforme fut à l'origine d'une hausse sans précédent de la qualification des jeunes gens. 4. L’école au temps de Jules Ferry, propositions d’ensembles documentaires Les images qui suivent permettent d’envisager plusieurs dimensions de l’école sous la troisième république, en accord avec ce que stipule la fiche EDUSCOL On peut tout d’abord envisager les bâtiments scolaires et la symbolique politique qui s’y attache. Les dessins ou les photographies de salles de classe permettent de repérer le mobiliser scolaire : estrade sous le tableau noir, alignement des pupitres, encriers, le poêle à charbon, les affiches sur les murs, liés aux différentes disciplines enseignées. Il est utile également d’observer la posture et l’habillement des maîtres et maîtresses, très dignes, incarnant le savoir et la République. Les photographies de classe, très différentes des photographies de classe actuelles, permettent d’observer l’habillement et la posture contrainte des élèves. Enfin, il est utile d’étudier des manuels scolaires ainsi que les cahiers d'élèves pour avoir un aperçu de certains contenus de cours ainsi que de la façon d'écrire avec un porte-plume. La mairie-école d'Haramont dans l'Aisne vers 1910. Musée de l'Education nationale. Source : https://www.reseau-canope.fr/virtualhis/pedagogie/Classe/co/ecole%20republique.html Ecole de garçon de la rue Vauban (quartier de Recouvrance) à Brest. Plan de la façade sur rue. Début XXe siècle. Archives municipales de Brest, cote : 5Fi27 Source : https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/5Fi27/ILUMP26068 Cours de récréation de l’école maternelle République, Brest, vers 1928. Archives municipales de Brest, cote : 1Fi00126 https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/1Fi00126/ILUMP372 Richard Hall, La classe manuelle. École de petites filles au Pouldu, Finistère, 1889. Rennes, Musée des Beaux-arts. Analyse détaillée : https://histoire-image.org/etudes/ecole-republicaine-bretagne L a classe de 1910 du musée de l’école rurale en Bretagne de Trégarvan (Finistère) Source : https://www.tourismebretagne.com/offres/musee-de-lecole-rurale-en-bretagne-tregarvan-fr-2016655/ Jean Geoffroy, En classe, le travail des petits, 1889. Paris, Ministère de l’Éducation nationale. Analyse détaillée : https://histoire-image.org/etudes/modele-instruction-republicaine Albert Bettannier (1851-1932), La tache noire, 1887. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Bettannier_La_tache_noire.jpg Analyse détaillée à : https://histoire-image.org/etudes/annexion-alsace-lorraine?i=925 Cette image suggère que l'école contribua à insuffler l'esprit de la Revanche (reprendre l'Alsace-Lorraine aux Allemands) chez les jeunes de l'époque. Certes, en 1882, furent créés les bataillons scolaires où les garçons vêtus d'un uniforme apprenaient à marcher au pas et à manier des armes. Cependant, ces bataillons scolaires tombèrent en désuétude à la fin du siècle car les instituteurs, formés aux idées des Lumières, privilégièrent de plus en plus la défense de la paix. Orbigny (Indre-et-Loire) : une classe de l’école de garçons en 1909 Source : Archives départementales de la Drôme. Cote : 23 Fi111 https://archives.ladrome.fr/ark:/24626/ws0ltg93qp15/8c748e00-860f-44ce-9903-5622d0fe2d2b Orbigny (Indre-et-Loire) : une classe de l’école de garçons en 1909 Source : Archives départementales de la Drôme. Cote : 23Fi113 https://archives.ladrome.fr/ark:/24626/hxpq1926fdkm/fbc793ba-ca9d-4717-b590-16c63066217e Orbigny (Indre-et-Loire) : une classe de filles en 1910. Rouen, Musée national de l’histoire de l’éducation. Source : Textes et documents pour la classe n°986, p. 16. Ecole de filles rue Vauban à Brest, classe de Mlle Labory, 1935. Archives municipales de Brest, cote 2Fi14073 https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi14073/ILUMP26068 Document : L 'instruction morale et républicaine dans l'école de Buigny-les-Gamaches dans la Somme en 1905. Musée de l'éducation Nationale. Source : https://www.reseau-canope.fr/virtualhis/pedagogie/Classe/co/ecole%20ferry.html Une classe de l'école de filles de la rue Vauban (quartier de Recouvrance) à Brest en 1931. Archives municipales de Brest, cote : 2Fi14058. https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi14058/ILUMP26068 Une classe de l'école de garçons de la rue Vauban (quartier de Recouvrance) à Brest, classe de M. Masson, 1933. Cote : 2Fi14114. https://archives.mairie-brest.fr/4DCGI/Web_DFPict/034/2Fi14114/ILUMP26068 Cahier de devoirs, cours moyen, année scolaire 1891-1892. Source : Bukiet, Suzanne & Mérou Henri, Les cahiers de la république. Promenade dans les cahiers d’école primaire de 1870 à 2000, Éditions Alternatives, 2000, p. 21. Cahier de devoirs, cours moyen, année scolaire 1907-1908. Source : Bukiet, Suzanne & Mérou Henri, Les cahiers de la république. Promenade dans les cahiers d’école primaire de 1870 à 2000, Éditions Alternatives, 2000, p. 44. Cahier de devoirs, cours moyen, année scolaire 1910-1911. Source : Bukiet, Suzanne & Mérou Henri, Les cahiers de la république. Promenade dans les cahiers d’école primaire de 1870 à 2000, Éditions Alternatives, 2000, p. 44. Une plume sergent-major Encriers en porcelaine Source : https://www.brocante-auparadisperdu.fr/encrier-porcelaine/p-2371 Un porte plume avec plume insérée. Source : Rougé et Plé

  • Sujet possible : La persécution des Juifs en France durant l'Occupation / Le refus des discriminations

    Didier Cariou, maitre de conférence HDR en didactique de l'histoire à l'université de Brest Épreuve écrite d’application Domaine histoire, géographie, enseignement moral et civique Durée 3 heures 1. Vous enseignez en classe de CM2. Vous préparez une séquence d’apprentissage portant sur la persécution des Juifs en France durant l’Occupation. En vous aidant de vos connaissances et du dossier documentaire (documents 2 à 10), indiquez les savoirs à construire avec les élèves à l’occasion de cette séquence. 2. Indiquez le titre de chaque séance de la séquence en indiquant les compétences travaillées par les élèves et les documents que vous utiliseriez dans chaque séance. Choisissez un document du dossier documentaire, indiquez sa place dans une séance et présentez son exploitation pédagogique précise. 3. Des élèves de CM2 refusent de travailler avec certains autres élèves en invoquant l’appartenance religieuse de ces derniers. En tant qu’agent du service public de l’éducation, vous agissez pour faire cesser la situation : décrivez votre action et les valeurs que vous défendez à cette occasion. 4. Vous décidez ensuite de construire une séance d’EMC sur les discriminations en classe de CM2. Vous vous référez au document 11 et à un autre document extrait du dossier documentaire. Indiquez le plan du déroulé de cette séance. Document 1. Extrait du programme de la classe de CM2 (BO, 2020) Document 2 : Définition du crime de génocide adoptées par la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide (Assemblée générale de l’ONU, Paris, 9 décembre 1948 (extrait) : « Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel : a) meurtre de membres du groupe ; b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) mesure visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) transfert forcé d’enfant du groupe à un autre groupe ». Document 3 : La loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs (extraits) Source : https://fr.wikisource.org/wiki/Loi_du_3_octobre_1940_portant_statut_des_Juifs Nous, Maréchal de France, chef de l’État français, Le conseil des ministres entendu, Décrétons : Article premier : Est regardé comme Juif, pour l'application de la présente loi, toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est Juif. Article 2 : L'accès et l'exercice des fonctions publiques et mandats énumérés ci-après sont interdits aux Juifs : Chef de l'État, membre du gouvernement, Conseil d'État, Conseil de l'Ordre national de la Légion d'honneur, Cour de Cassation, Cour des comptes, Corps des Mines, Corps des Ponts et Chaussées, Inspection générale des Finances, Cours d'appel, Tribunaux de première instance, Justices de Paix, toutes juridictions d'ordre professionnel et toutes assemblées issues de l'élection ; Agents relevant, du, département des Affaires étrangères, secrétaires généraux des départements ministériels, directeurs généraux, directeurs des administrations centrales des ministères, préfets, sous-préfets, secrétaires généraux des préfectures, inspecteurs généraux des services administratifs au ministère de l'Intérieur, fonctionnaires de tous grades attachés à tous services de police ; Résidents généraux, gouverneurs généraux, gouverneurs et secrétaires généraux des colonies, inspecteurs des colonies ; Membres des corps enseignants ; Officiers des Armées de terre, de Mer et de l'Air ; Administrateurs, directeurs, secrétaires généraux dans les entreprises bénéficiaires de concessions ou de subventions accordées par une collectivité publique, postes à la nomination du Gouvernement dans les entreprises d'intérêt général (...). Article 4 : L'accès et l'exercice des professions libérales, des professions libres, des fonctions dévolues aux officiers ministériels et à tous auxiliaires de la justice sont permis aux Juifs, à moins que des règlements d'administration publique n'aient fixé pour eux une proportion déterminée. Dans ce cas, les mêmes règlements détermineront les conditions dans lesquelles aura lieu l'élimination des Juifs en surnombre. Article 5 : Les Juifs ne pourront, sans condition ni réserve, exercer l'une quelconque des professions suivantes : Directeurs, gérants, rédacteurs de journaux, revues, agences ou périodiques, à l'exception de publications de caractère strictement scientifique. Directeurs, administrateurs, gérants d'entreprises ayant pour objet la fabrication, l'impression, la distribution, la présentation de films cinématographiques; metteurs en scène et directeurs de prises de vues, compositeurs de scénarios, directeurs, administrateurs, gérants de salles de théâtres ou de cinématographie, entrepreneurs de spectacles, directeurs, administrateurs, gérants de toutes entreprises se rapportant à la radiodiffusion (...). Document 4 : L’application du recensement des juifs en zone occupée. Extrait du journal La dépêche de Brest, 25 octobre 1940. Document 5 : Un parc à jeu à Paris durant l’Occupation. Mémorial de la Shoah. Source : https://www.facebook.com/photo/?fbid=10165388336065076&set=a.1016160247245507 Document 6 : Bordeaux, 1942. Entrée de l'exposition antisémite : « Le Juif et la France ». Exposition organisée à l'initiative de l'Institut d’étude des questions juives de Paris. Source : https://www.yadvashem.org/fr/shoah/a-propos/declenchement-guerre-politique-anti-juive/france-et-belgique.html Document 7. Photographie des enfants Madeleine, Simone et Henri Magier, à Paris en juin 1942. Ils furent internés à Drancy avec leur maman Rosa le 6 août 1942 et déportés à Auschwitz le 14 septembre 1942. Source : https://www.memorialdelashoah.org/commemoration-du-29-mai-1942.html Document 8 : L’entrée du camp de Drancy surveillées par un gendarme français, en août 1941. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bundesarchiv_Bild_183-B10919,_Frankreich,_Internierungslager_Drancy.jpg Document 9 : Note de Dannecker, SS-Hauptsturmführer à l'Office Central de Sécurité du Reich à Berlin, le 6 juillet 1942. Objet : Évacuation des Juifs de France. Référence : Entretien entre le SS-Obersturmbannführer Eichmann et le SS-Hauptsturmführer Dannecker, le 1.7.1942 à Paris. Les négociations avec le gouvernement français ont donné entre temps les résultats suivants : l'ensemble des Juifs apatrides de zone occupée et de zone non occupée seront tenus prêts à notre disposition en vue de leur évacuation. Le président Laval a proposé que, lors de l'évacuation de familles juives de la zone non occupée, les enfants de moins de 16 ans soient emmenés eux aussi. Quant aux enfants juifs qui resteraient en zone occupée, la question ne l'intéresse pas. Je demande donc une décision urgente par télex pour savoir si, par exemple à partir du quinzième convoi de Juifs partant de France, nous pouvons inclure également des enfants de moins de 16 ans. Pour finir, je fais remarquer qu'à ce jour, nous n'avons pu aborder que la question des Juifs apatrides ou étrangers pour faire du moins démarrer l'action. Dans la seconde phase, nous passerons aux Juifs naturalisés après 1919 ou 1927 en France. Document 10 : Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, prononcée lors des cérémonies commémorant la grande rafle des 16 et 17 juillet 1942, le dimanche 16 juillet 1995 (extraits). Source : https://www.fondationshoah.org/sites/default/files/2017-04/Allocution-J-Chirac-Vel-dhiv-1995.pdf Monsieur le Maire, Monsieur le Président, Monsieur l'Ambassadeur, Monsieur le Grand Rabbin, Mesdames, Messieurs, Il est, dans la vie d'une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l'idée que l'on se fait de son pays. Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l'on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l'horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont vécu la tragédie. Celles et ceux qui sont marqués à jamais dans leur âme et dans leur chair par le souvenir de ces journées de larmes et de honte. Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l’État français. Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis. Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police. On verra des scènes atroces : les familles déchirées, les mères séparées de leurs enfants, les vieillards - dont certains, anciens combattants de la Grande Guerre, avaient versé leur sang pour la France - jetés sans ménagement dans les bus parisiens et les fourgons de la Préfecture de Police. On verra, aussi, des policiers fermer les yeux, permettant ainsi quelques évasions. Pour toutes ces personnes arrêtées, commence alors le long et douloureux voyage vers l'enfer. Combien d'entre-elles ne reverront jamais leur foyer ? Et combien, à cet instant, se sont senties trahies ? Quelle a été leur détresse ? La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. Conduites au Vélodrome d'hiver, les victimes devaient attendre plusieurs jours, dans les conditions terribles que l'on sait, d'être dirigées sur l'un des camps de transit - Pithiviers ou Beaune-la-Rolande - ouverts par les autorités de Vichy. L'horreur, pourtant, ne faisait que commencer. Suivront d'autres rafles, d'autres arrestations. A Paris et en province. Soixante-quatorze trains partiront vers Auschwitz. Soixante-seize mille déportés juifs de France n'en reviendront pas. Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible (…). Document 11 : Définition, critères et exemples de discriminations d’après le site du Défenseur des droits. Source : https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/institution/competences/lutte-contre-discriminations Proposition de corrigé 1. Vous enseignez en classe de CM2. Vous préparez une séquence d’apprentissage portant sur la persécution des Juifs en France durant l’Occupation. En vous aidant de vos connaissances et du dossier documentaire (documents 2 à 10), indiquez les savoirs à construire avec les élèves à l’occasion de cette séquence. Cette séquences vise à faire comprendre aux élèves les mécanismes qui ont mené de la discrimination à la déportation des Juifs de France vers les camps nazis durant l’Occupation, avec la complicité du régime de Vichy. Auparavant, les élèves auront abordé rapidement la situation de la France durant la Seconde Guerre mondiale (Occupation, régime de Vichy, collaboration). (Document 2) On cherche tout d’abord à faire comprendre aux élèves que l’extermination des Juifs relève du crime de génocide, catégorie juridique qui ne fut pas utilisée lors du procès de Nuremberg puisqu’elle fut officiellement adoptée par l’ONU en 1948. Ce crime réside dans «  l’intention de détruire tout ou partie d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Le programme du cycle 3 incite à faire étudier aux élèves le génocide des Arméniens (reconnu par la France officiellement en 2001), des Juifs (la Shoah) et des tziganes. Il convient de préciser que, en France et dans quelques autres pays, le terme « Shoah » désigne la spécificité et l’ampleur du génocide des juifs. Durant l’Occupation, le régime de Vichy participa dans un premier temps à la discrimination des juifs. (Document 3). Le statut des Juifs décrété par la maréchal Pétain le 3 octobre 1940, définit les Juifs selon les même critères que ceux de Allemagne nazie : est Juif qui descend de trois grands-parents juifs. Il s’agit d’une définition raciale et raciste de la judéité alors que le fait d’être juif renvoie normalement à la pratique de la religion juive. En conséquence, de nombreux métiers sont interdits aux personnes considérées comme juives : elles sont exclues de l’ensemble de la fonction publique (alors que les conditions d’accès à la fonction publique sont la compétence reconnue par un concours, un casier judiciaire vierge et la citoyenneté française) et des professions liées aux journaux et au cinéma (conformément au vieux préjugé antisémite, encore vivace aujourd’hui, selon lequel les juifs, qui seraient en position dominante dans ces secteurs, manipuleraient l’opinion publique ). (Document 4) Le statut des Juifs est complété à la fin du mois d’octobre 1940 par un recensement des Juifs qui devront se faire connaître à la préfecture, à la sous-préfecture ou au commissariat. Un tampon « juif » ou « juive » est alors apposé sur leur carte d’identité et leur lieu de résidence est noté par les autorités françaises. Ces informations ont ensuite rendues aisée l’arrestation puis la déportation des Juifs. (Document 5) Parallèlement, des lieux sont interdits aux Juifs : cinémas, théâtres, parcs à jeux pour les enfants. Il s’agit d’une discrimination officielle. On peut parler de discrimination car, même si elle est rendue légale par les autorités de Vichy, elle est contraire aux principes républicains qui n’ont pas été officiellement abolis par le régime de Vichy. (Document 6) Parallèlement, des émissions de radios, des articles de journaux (rédigés par Louis-Ferdinand Céline, Brasillach, Rebatet) ainsi que des expositions organisées dans toute la France, cherchent à développer les préjugés antisémites, courants au sein de l’extrême-droite française. Dans un second temps, le régime de Vichy participa à l’arrestation et à la déportation des Juifs vers les camps allemands. (Document 7) Au printemps 1942, comme dans le reste de l’Europe occupée par les nazis, les Juifs âgés d’au moins 6 ans, sont obligés de coudre sur leurs vêtements une étoile jaune, avec l’inscription « juif ». Il devient alors très aisé de les repérer et de les arrêter lors des grandes rafles à partir de l’été 1942. (Document 8) Dès 1941, les premiers Juifs arrêtés arrêtés en région parisienne sont enfermés dans le camp de Drancy (actuel département de la Seine-Saint-Denis) un ensemble d’habitat collectif inachevé et surveillé par des gardes mobiles français dont la caserne jouxte le le camp. Ils sont ensuite emmenés à la gare du Bourget ou de Bobigny où ils montent dans des trains de marchandise en direction d’Auschwitz-Birkenau, la plupart du temps. (Document 9) L’un des événements marquants de la déportation des Juifs en France est la rafle du Vel’ d’hiv’ des 16 et 17 juillet 1942, organisée conjointement par les dirigeants nazis et le police française dirigée par Bousquet. Plus de dix mille personnes furent arrêtées et enfermées au Vel’ d’hiv’ avant d’être déportées à Drancy ou Pithiviers puis à Auschwitz. Ce document est une preuve accablante de la responsabilité des autorités françaises dans la rafle et la déportation des Juifs : ils prouve que la rafle a été organisée avec le gouvernement français et que ce dernier, par la voix de Laval, est allé au-delà des exigences des nazis qui ne souhaitaient pas encore déporter les enfants de moins de 16 ans. (Document 10) Longtemps, les gouvernements français ont ignoré ou minimisé cet événement. Le président Mitterrand a fait du 16 juillet la journée de commémoration de la rafle du Vel’ d’hiv’, mais sans rappeler le rôle de la police française dans cet événement. Le discours du président Chirac du 16 juillet 1995 marque un tournant majeur car il reconnaît pour la première fois la responsabilité de la police et de l’État français dans l’arrestation et la déportation des Juifs. 2. Indiquez le titre de chaque séance de la séquence en indiquant les compétences travaillées par les élèves et les documents que vous utiliseriez dans chaque séance. Choisissez un document du dossier documentaire, indiquez sa place dans une séance et présentez son exploitation pédagogique précise. Cette séquence prend place dans le chapitre sur les deux guerres mondiales en CM2. Elle porte sur « le génocide des Juifs ainsi que les persécutions à l’encontre d’autres populations). Elle est articulée à des séquences plus générales sur le génocide des Juifs en Europe. Elle peut se composer d’au moins deux séances. Les compétences à faire travailler par les élèves : Se repérer dans le temps : construire des repères historiques Raisonner, justifier une démarche et les choix effectués (poser des questions, formuler des hypothèses et les vérifier) Comprendre un document (identifier un document, extraire des informations, identifier son point de vue) Pratiquer différents langages (Écrire pour structurer sa pensée et son savoir, s’approprier un lexique historique approprié) La première séance présente la phase de discriminations à l’égard des juifs. Elle mobilise les documents suivants : Document 3 : le statut des Juifs (3 octobre 1940). Ce document permet de repérer la définition raciste et antisémite des Juifs ainsi que l’exclusion des juifs des professions de la fonction publique et des médias. Document 4 : le recensement des Juifs (octobre 1940). On peut notamment observer que certains Juifs sont considérés comme Juifs alors qu’ils sont baptisés et donc chrétiens  ! Document 5 : l’interdiction faite aux enfant juifs de fréquenter les parcs à jeux. Un exemple de discrimination. Document 6 : le port de l’étoile jaune à partir de l’âge de 6 ans. La deuxième séance présente la phase d’arrestation et de déportation des juifs Document 9 : la note du SS Dannecker prouve la responsabilité de l’État français dans la rafle du 16 juillet 1942. Elle montre que Laval souhaite aller au-delà des demandes des Allemands en demandant également l’arrestation des enfants de moins de 16 ans. On peut alors revenir au document 6 pour commenter le destin tragique des enfants photographiés. Document 10 : des extraits du discours du président Chirac (dont on peut également regarder la vidéo) permettent de faire le bilan de la persécution des Juifs et d’expliquer l’importance historique de ce discours. Document 2 : la définition officielle du crime de génocide permet de faire un bilan de la séquence. Elle peut donner lieu à une production écrite des élèves du type : « Raconte comment le régime de Vichy a participé au génocide des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale ». Exploitation pédagogique d’un document : On peut étudier le document 5 : Dans un premier temps, les élèves repèrent la nature de l’image et de l’espace photographié (un parc à jeu durant l’Occupation). On leur demande ensuite en quoi l’inscription est discriminatoire et choquante. Enfin, on articule cette photographie au doc. 3 (le statut des juifs), pour rappeler que la discrimination touche aussi bien les adultes que les enfants. On peut étudier le document 6 Ce travail peut être réalisé en groupe. Dans un premier temps, on donne le début de la légende aux élèves. Les élèves repèrent le contexte de la photographie (printemps 1942, une photographie chez un photographe avec une tenue soignée). On leur demande ensuite pourquoi le deux petites filles portent une étoile jaune (elles sont considérées comme juives) et pas le petit garçon (il a moins de 6 ans). On fournit ensuite la suite de la légende concernant le destin tragique de ces enfants. On leur demande alors à quoi sert l’étoile jaune (à repérer les Juifs pour les arrêter et les déporter vers Auschwitz). La réponse développée à cette question peut être considérée comme une production écrite à évaluer. On peut étudier le document 10 (en visionnant en parallèle la vidéo du discours sur Youtube). Ce document ne peut être étudié qu’après une présentation rapide de la rafle du Vel’ d’hiv’, le Vélodrome d’hiver (à étudier par exemple avec le document 9). On peut poser les question suivantes : Pourquoi le fait que ce discours soit prononcé par Jacques Chirac le 12 juillet 1995 donne un poids particulier à ce discours ? Réponse : ce discours commémore la rafle du Vel’ d’hiv du 12 juillet 1942. Il est prononcé par le président de la république, ce qui lui donne une grande importance. Quel événement le président Chirac raconte-t-il  ? Réponse : il raconte la rafle du Vel d’hiv. Il raconte que la police française a arrêté plus de 10 000 personnes, des familles entières, les a jetées dans des bus en direction du Vel’ d’hiv’. Ces familles ont ensuite été enfermées dans des camps (Pithiviers, Beaune la Rolande, mais également Drançy) puis déportées à Auschwitz où elles furent exterminées. Pourquoi le président Chirac dit-il : « Ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions » ? Réponse : Le président Chirac dénonce le rôle du régime de Vichy et de la police française qui ont collaboré avec les nazis et qui ont arrêté des milliers de personnes pour les envoyer à la mort. Le rôle d’un État et de la police étant de protéger les personnes, ces institutions ont donc failli. Ce discours est essentiel car c’est la première fois qu’une président de la république a ainsi dénoncé la responsabilité de la France dans le génocide. Production écrite : Raconte la rafle du Vel’ d’hiv. 3. Des élèves de CM2 refusent de travailler avec certains autres élèves en invoquant l’appartenance religieuse de ces derniers. En tant qu’agent du service public de l’éducation, vous agissez pour faire cesser la situation : décrivez votre action et les valeurs que vous défendez à cette occasion. L’intervention auprès des élèves doit s’appuyer tout d’abord sur le principe de la laïcité : la loi de 1905 reconnaît la liberté religieuse, chacun.e peut donc exercer la religion qu’il ou elle souhaite exercer. En outre, l’appartenance religieuse est un choix personnel que personne ne peut mettre en cause (on peut évoquer également la loi de 2004 et la Charte de la laïcité de 2015). Il convient ensuite de s’appuyer sur les valeurs défendues par l’école : la liberté, l’égalité et la fraternité. Chacun a la liberté de pratiquer, ou non, une religion, quelle qu’elle soit. L’égalité garantit une égale dignité des croyances, ou de l’absence de croyances, individuelles. La fraternité suppose l’absence de toute discrimination entre les personnes. Cela permet d’expliquer aux élèves que leur attitude est discriminatoire, elle produit un traitement différencié et négatif entre des personnes. Pour cette raison, l’attitude de ces élèves est inacceptable car contraire à nos valeurs. 4. Vous décidez ensuite de construire une séance d’EMC sur les discriminations en classe de CM2. Vous vous référez au document 11 et à un autre document extrait du dossier documentaire. Indiquez le plan du déroulé de cette séance. 1. Présentation par l’enseignant.e de la fonction de Défenseur des droits 2. Les élèves repèrent dans le document 11 la définition d’une discrimination. Un échange dans la classe doit leur faire comprendre qu’une discrimination est interdite par la loi et peut donner lieu à une sanction pénale. 3. Les élèves peuvent repérer sur le document des discriminations liées à la religion des personnes (ou tout autre sujet selon les objectifs de l’enseignant.e) 4. Observation du document 5 (le parc à jeu pendant l’Occupation) pour amener les élèves à comprendre en quoi l’écriteau constitue une discrimination (en raison d’une supposée appartenance religieuse). On peut alors faire le lien entre cet écriteau et le refus de travailler avec certains élèves. 5. Production écrite individuelle ou collective : en quoi une discrimination est-elle contraire aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité ?

  • Sujet possible : La mise en place de la République / La laïcité

    Didier Cariou, Université de Brest, UBO Composante histoire (12 points) 1. En vous appuyant sur le dossier documentaire, identifiez et définissez les objectifs notionnels qui peuvent être travaillés avec les élèves à partir des documents 2 à 11 pour le traitement de la séquence sur : « 1892 : la République fête ses cent ans », et plus particulièrement sur la mise en place de la Troisième république et la mise en scène des symboles républicains. 2. Pour conclure le chapitre sur « 1892 : la République fête ses cent ans », vous décidez de travailler sur la façon dont la République parvint à s’imposer auprès des Français. Indiquez les titres des différentes séances envisagées ; développez une des séances en définissant les objectifs d’apprentissage et les compétences travaillées. Indiquez précisément quels documents issus du dossier documentaire vous utiliseriez et détaillez l’exploitation pédagogique de l’un de ces documents. Composante EMC (8 points) 3. Vous préparez une séquence sur la laïcité au cycle 3. En vous aidant de documents du dossier (documents 12 à 14), expliquer comment vous définissez la laïcité pour vos élèves. 4. Des élèves ne comprennent pas pourquoi les signes religieux ostensibles sont interdits à l’école. Comment exploitez-vous l’un des documents du dossier pour leur expliquer cette interdiction ? (documents 12 à 14) Document 1 : Extrait du programme du cycle 3 (2020) Document 2 : la loi du 25 février 1875 relative à l'organisation des pouvoirs publics Article 1. - Le pouvoir législatif s'exerce par deux assemblées : la Chambre des députés et le Sénat. - La Chambre des Députés est nommée par le suffrage universel, dans les conditions déterminées par la loi électorale. - La composition, le mode de nomination et les attributions du Sénat seront réglés par une loi spéciale. Article 2. - Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible. Article 3. - Le président de la République a l'initiative des lois, concurremment avec les membres des deux chambres. Il promulgue les lois lorsqu'elles ont été votées par les deux chambres ; il en surveille et en assure l'exécution. - Il a le droit de faire grâce ; les amnisties ne peuvent être accordées que par une loi. - Il dispose de la force armée. - Il nomme à tous les emplois civils et militaires. - Il préside aux solennités nationales ; les envoyés et les ambassadeurs des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui. - Chacun des actes du président de la République doit être contresigné par un ministre. Article 5. - Le Président de la République peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale de son mandat. - En ce cas, les collèges électoraux sont convoqués pour de nouvelles élections dans le délai de trois mois. Article 6 – Les ministres sont solidairement responsables dans les chambres de la politique générale du Gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels. - Le Président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison. Article 9. - Le siège du pouvoir exécutif et des deux chambres est à Versailles (article abrogé par la loi du 21 juin 1879) Source: https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-de-1875-iiie-republique Document 3 : Claude Monet. La Rue Montorgueil, à Paris. Fête du 30 juin 1878. (à l’occasion de l’exposition universelle). 1878. Huile sur toile. H. 81,0 ; L. 50,0 cm.© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt. Source : https://www.musee-orsay.fr/fr/oeuvres/la-rue-montorgueil-paris-fete-du-30-juin-1878-10896 Document 4 : Portrait officiel de Patrice de Mac Mahon, président de la république de 1873 à 1879. Source : https://www.elysee.fr/patrice-de-mac-mahon Document 5 : Portrait officiel de Jules Grévy (président de la république du 30 janvier 1879 au 2 décembre 1887) par Léon Bonnat (1880). Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Gr%C3%A9vy#/media/Fichier:Bonnat_Portrait_of_Jules_Grevy.jpg Document 6 : Compte-rendu du débat au Sénat sur l’établissement du 14 juillet comme fête nationale Rapport fait au nom de la commission du Sénat chargée d’examiner le projet de loi, adopté par la Chambre des députés, ayant pour objet l’établissement d’un jour de fête nationale annuelle, par M. Henri Martin, sénateur, le 29 juin 1880 Messieurs, Le Sénat a été saisi d’une proposition de loi votée, le 10 juin dernier, par la Chambre des députés, d’après laquelle la République adopterait la date du 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle. La commission, qui m’a fait l’honneur de me nommer son rapporteur, a délibéré sur le projet de loi dont vous avez bien voulu lui confier l’examen. Deux de nos collègues ont combattu, non la pensée d’une fête nationale, mais la date choisie pour cette fête. Ils ont proposé deux autres dates, prises dans l’histoire de la Révolution, et qui, toutes deux, avaient, suivant eux, l’avantage de ne rappeler ni luttes intestines, ni sang versé. L’un préférait le 5 mai, anniversaire de l’ouverture des États généraux en 1789 ; l’autre recommandait le 4 août, dont la nuit fameuse est restée dans toutes les mémoires. La majorité, composée des sept autres membres de la commission, s’est prononcée en faveur de la date votée par la Chambre des députés. Le 5 mai, date peu connue aujourd’hui du grand nombre, n’indique que la préface de l’ère nouvelle : les États généraux n’étaient pas encore l’Assemblée nationale ; ils n’étaient que la transition de l’ancienne France à la France de la Révolution. La nuit du 4 août, bien plus caractéristique et plus populaire, si grand qu’ait été le spectacle qu’elle a donné au monde, n’a marqué cependant qu’une des phases de la Révolution, la fondation de l’égalité civile. Le 14 juillet, c’est la Révolution tout entière. C’est bien plus que le 4 août, qui est l’abolition des privilèges féodaux ; c’est bien plus que le 21 septembre [1792], qui est l’abolition du privilège royal, de la monarchie héréditaire. C’est la victoire décisive de l’ère nouvelle sur l’Ancien Régime. Les premières conquêtes qu’avait values à nos pères le serment du Jeu de paume étaient menacées ; un effort suprême se préparait pour étouffer la Révolution dans son berceau ; une armée en grande partie étrangère se concentrait autour de Paris. Paris se leva, et, en prenant la vieille citadelle du despotisme, il sauva l’Assemblée nationale et l’avenir. Il y eut du sang versé le 14 juillet : les grandes transformations des sociétés humaines - et celle-ci a été la plus grande de toutes - ont toujours jusqu’ici coûté bien des douleurs et bien du sang. Nous espérons fermement que, dans notre chère patrie, au progrès par les révolutions, succède, enfin ! le progrès par les réformes pacifiques. Mais, à ceux de nos collègues que des souvenirs tragiques feraient hésiter, rappelons que le 14 juillet 1789, ce 14 juillet qui vit prendre la Bastille, fut suivi d’un autre 14 juillet, celui de 1790, qui consacra le premier par l’adhésion de la France entière, d’après l’initiative de Bordeaux et de la Bretagne. Cette seconde journée du 14 juillet, qui n’a coûté ni une goutte de sang ni une larme, cette journée de la Grande Fédération, nous espérons qu’aucun de vous ne refusera de se joindre à nous pour la renouveler et la perpétuer, comme le symbole de l’union fraternelle de toutes les parties de la France et de tous les citoyens français dans la liberté et l’égalité. Le 14 juillet 1790 est le plus beau jour de l’histoire de France, et peut-être de toute l’histoire. C’est en ce jour qu’a été enfin accomplie l’unité nationale, préparée par les efforts de tant de générations et de tant de grands hommes, auxquels la postérité garde un souvenir reconnaissant. Fédération, ce jour-là, a signifié unité volontaire. Elles ont passé trop vite, ces heures où tous les cœurs français ont battu d’un seul élan ; mais les terribles années qui ont suivi n’ont pu effacer cet immortel souvenir, cette prophétie d’un avenir qu’il appartient à nous et à nos fils de réaliser. Votre commission, pénétrée de la nécessité de donner à la République une fête nationale, persuadée par l’admirable exemple qu’a offert le peuple de Paris le 30 juin 1878, que notre époque est capable d’imprimer à une telle fête un caractère digne de son but, convaincue qu’il n’est aucune date qui réponde comme celle du 14 juillet à la pensée d’une semblable institution, votre commission, Messieurs, a l’honneur de vous proposer d’adopter le projet de loi voté par la Chambre des députés (…). Source : https://www.reseau-canope.fr/cndpfileadmin/pour-memoire/le-14-juillet-naissance-dune-fete-nationale/le-14-juillet-fete-nationale/le-14-juillet-simpose/ Document 7 : Alfred Philippe Roll (1846–1919). Le 14 juillet 1880, inauguration du monument à la République (vers 1882), esquisse d'Alfred Roll pour un tableau de 63m2 commémorant l'inauguration de la maquette en plâtre de la statue des frères Morice sur la place de la République à Paris. Conservé au Petit Palais à Paris. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Le_Petit_Palais_-_Alfred_Roll_-_Esquisse_-_Le_14_juillet_1880,_inauguration_du_monument_%C3%A0_la_r%C3%A9publique_-_vers_1881_-_001.jpg Document 8 : Statue de la République, inaugurée en 1883, place de la République à Paris. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Place_de_la_R%C3%A9publique_(Paris)#/media/Fichier:A_la_Gloire_de_la_R%C3%A9publique_Fran%C3%A7aise.jpg Document 9 : Alfred Henri Bramtot, Le suffrage universel, esquisse pour la mairie des Lilas (Seine), 1889. Paris, Petit Palais. Source : https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/petit-palais/oeuvres/esquisse-pour-la-mairie-des-lilas-le-suffrage-universel#infos-principales Document 10 : Orbigny (Indre-et-Loire) : une classe de l’école de garçons en 1909. Source : Archives départementales de la Drôme. Cote : 23 Fi111 https://archives.ladrome.fr/ark:/24626/ws0ltg93qp15/8c748e00-860f-44ce-9903-5622d0fe2d2b Document 11 : La mairie et l’école communale d’Arcy-sur-Cure (Yonne) en 1913 Document 12: Extrait d’une plaquette de présentation de la laïcité par le Conseil interministériel de la laïcité (CIL). Source : https://www.gouvernement.fr/qu-est-ce-que-la-laicite Document 13 : Extraits de la charte de la laïcité Document 14 : Affiche sur l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école Source: https://essentiels.bnf.fr/fr/societe/concevoir-les-societes/f35e776d-45ce-49c1-bd5f-484568fb922c-laicite/album/83deb989-28f3-43f9-8193-6c6bc7336c99-pourquoi-interdire-signes-appartenance-lecole Proposition de corrigé Didier Cariou, Université de Brest, UBO Il n’est bien entendu pas possible de produire ce qui suit dans une épreuve de 3 heures. Les points essentiels à ne pas laisser de côté sont indiqués en gras Composante histoire (12 points) 1. En vous appuyant sur le dossier documentaire, identifiez et définissez les objectifs notionnels qui peuvent être travaillés avec les élèves à partir des documents 2 à 11 pour le traitement de la séquence sur : « 1892 : la République fête ses cent ans », et plus particulièrement sur la mise en place de la Troisième république et la mise en scène des symboles républicains. (Introduction) La thème « Le temps de la République » est abordé au début de la classe de CM2, dans la continuité du thème «Le temps de la Révolution et de l’Empire », étudié en fin de CM1. Après la Révolution française, la France a connu deux autres révolutions (1830, 1848) et plusieurs constitutions (monarchies, république, empire) ne respectant pas toujours la totalité des principes de 1789 (souveraineté nationale, liberté politique et individuelle, égalité entre les citoyens). C’est seulement avec la Troisième république que ces principes de 1789 furent fermement établis. Le dossier proposé permet de comprendre comment le régime républicain fut mis en place et accepté par les citoyens. Document 2 : Les lois constitutionnelles de 1875, dont celle du 25 février 1875, votées par l’Assemblée à majorité monarchiste élue en 1871, résultent d’un compromis entre les orléanistes et les républicains modérés. Elles mettent en place un régime républicain d’inspiration orléaniste. Le pouvoir législatif est exercé par la chambre des députés élus au suffrage universel masculin (respect de la souveraineté nationale) et par le sénat, élu au suffrage indirect (art.1). Le pouvoir exécutif est exercé par le président de la république élu par les deux assemblées pour sept ans (art. 2) et par les ministres. Ces derniers sont responsables devant les deux chambres (art.6), c’est-à-dire que le gouvernement tombe si la majorité des députés ne le soutient plus. L’exercice du pouvoir a conduit ensuite à donner l’essentiel du pouvoir à la Chambre des députés et au Sénat, qui exercent le pouvoir législatif, élisent le président et devant lesquels le gouvernement est responsable (il peut être renversé s’il n’obtient pas le soutien de la Chambre des députés). Il s’agit donc d’un régime parlementaire (peu de choses à voir avec la cinquième république). Document 3 : Le tableau de Claude Monet, l’un des plus grands peintres impressionnistes représente la rue Montorgueil à Paris, pavoisée de drapeaux tricolores à l’occasion de l’exposition universelle de 1878. La technique impressionniste de petites taches de couleurs permet de mettre en évidence les trois couleurs qui s’imposent ainsi dans l’espace public comme l’un des symboles de la république. De fait le drapeau tricolore était devenu définitivement l’emblème de la France lors de la révolution de 1830, associé à l’héritage de la Révolution française de 1789 (cocarde tricolore associant le blanc de la monarchie au bleu et au rouge de la ville de Paris, donnée à Louis XVI après la prise de la Bastille). Désormais, il est associé à la République comme l’a montré le comte de Chambord, partisan d’un retour à la monarchie d’Ancien Régime et refusant de troquer le drapeau blanc de la monarchie absolue pour le drapeau tricolore de 1789. Concernant Claude Monet : faire le lien avec l’histoire des arts. Documents 4 et 5 : Ces deux documents sont des portraits officiels de deux présidents de la Troisième république : Patrice de Mac Mahon, président de 1873 à 1879 et Jules Grévy, président de 1879 à 1887. Ces deux portraits montrent une énorme différence entre un président, monarchiste légitimiste devant sa carrière à Napoléon III, en uniforme de maréchal et portant toutes ses décorations militaires, et un président austère et digne, en costume noir, la main sur sa table de travail, incarnant la république et garant des institutions. Document 6 : Ce texte reprend le discours du sénateur républicain modéré Henri Martin (le même que celui du Monopoly !) donnant les raisons pour lesquelles le 14 juillet fut décrété jour de fête nationale en 1880. Il explique que cette date vaut mieux que celle du 5 mai (1789), date de l’ouverture des États généraux, complètement occultée depuis, et du 4 août (1789), date de l’abolition des privilèges qui n’instaurait que l’égalité civile. La date du 14 juillet commémore la fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, symbole d’unité nationale, qui rassemblait des délégués des gardes nationales venus de la France entière. On pourrait même ajouter que cette fête est une représentation à la fois de l’unité mais aussi de la souveraineté nationale (« union fraternelle », « unité volontaire »). Bien entendu, le 14 juillet 1790, commémore le 14 juillet 1789 qui ne saurait devenir une fête nationale en raison du sang versé ce jour-là, mais qui reste bien dans tous les esprits. Document 7 : Cette esquisse représente la première célébration du 14 juillet sur la place de la République, en 1880, quelques jours après le discours d’Henri Martin. La population semble assez mélangée, le peintre ayant sans doute cherché à représenter l’ensemble du peuple de Paris, y compris les femmes et les enfants. La place de la République est pavoisée de drapeaux tricolores, comme dans le tableaux de Monet. Le centre de la célébration festive et populaire est la maquette de la statue de la République, sous les traits de Marianne. Ce tableau présente trois symboles de la république : le drapeau tricolore, la fête nationale du 14 juillet et la République sous la forme d’une Marianne. Document 8 : Cette photographie présente la statue de la place de la République, inaugurée en 1883, qui incarne la République dans l’espace public. La statue de Bronze, la Marianne qui incarne la République, porte le bonnet phrygien, symbole de la libération des esclaves affranchis à Rome, et une couronne de laurier, symbole de victoire. Elle brandit dans sa main droite un rameau d’olivier, symbole de la paix, et pose sa main gauche sur un bouclier où est inscrite l’expression « droits de l’homme » pour rappeler que les principes de 1789 fondent la République. Son épée est glissée dans son fourreau, comme le combat était terminé. En effet, en 1883, la République est définitivement installée après les incertitudes politiques des années 1870 et les républicains ont adopté les principales lois sur l’école, sur la liberté de la presse, etc. Trois statues symbolisent les valeurs de la république qui sont aussi sa devise : liberté, égalité fraternité. Au pied de la statue, des plaques de bronze rappellent les grandes dates de l’histoire de la République. La statue du lion exprime la force de la souveraineté nationale exprimée par le suffrage universel (masculin), inscription figurant derrière lui sur une urne de vote. Document 9 : Cette esquisse représente une scène de vote pour illustrer la notion de suffrage universel (masculin) exprimant la souveraineté nationale. Les personnages représentent l’ensemble des citoyens (un homme de lettres ?, un bourgeois avec son chapeau, un ouvrier de dos, un vieillard accompagné de sa fille). La solennité de la scène montre l’importance attachée au vote garant de la souveraineté nationale. Document 10 : Cette photographie d’une salle de classe de garçons en 1909 évoque également les valeurs et les emblèmes de la République. Au-dessus du tableau noir où figure une leçon de morale, se trouve le texte de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. De part et d’autre du tableau des images de l’histoire de France rappellent que tous les citoyens partagent un passé commun, ce qui leur permettent de vivre ensemble. La carte de France occupe le plus de place sur le mur et rappelle que les élèves doivent connaître leur pays. Enfin, au centre le maître, en costume sombre, très digne, à l’image de Jules Grévy (document 5), incarne à la fois le savoir qui permettra aux élève de devenir de bons citoyens, et la République elle-même. Document 11 : Cette photographie de la mairie et de l’école d’Arcy-sur-Cure montre l’association classique de l’école primaire et de l’exercice du pouvoir communal. Comme l’a montré l’historien Maurice Agulhon, ces bâtiments construits dans un grand nombre de communes servent à implanter et à rendre visible la République dans l’espace de chaque commune. Conclusion : certains documents du dossier montrent donc comment la République fut enseignée, représentée, implantée dans l'espace public pour susciter l'adhésion des citoyens. 2. Pour conclure le chapitre sur « 1892 : la République fête ses cent ans », vous décidez de travailler sur la façon dont la République parvint à s’imposer auprès des Français. Indiquez les titres des différentes séances envisagées ; développez une des séances en définissant les objectifs d’apprentissage et les compétences travaillées. Indiquez précisément quels documents issus du dossier documentaire vous utiliseriez et détaillez l’exploitation pédagogique de l’un de ces documents. Présentation de la séquence : la mise en place de la République et l’adhésion à la République 1ere séance : L’installation de la République en 1875 Un régime parlementaire Dirigé par un président (Mac Mahon, puis Jules Grvy) Le suffrage universel : la souveraineté nationale 2eme séance : l’adoption des symboles de la République Le drapeau tricolore (depuis 1830) La fête nationale (depuis 1880) L’architecture républicaine : la statue de la République et la devise : liberté, égalité, fraternité 3eme séance : l’adhésion des citoyens à la république L’architecture républicaine : la mairie et l’école Le rôle de l’école primaire Présentation d’une séance précise : 2eme séance : l’adoption des symboles de la République Objectifs : apprendre aux élèves quand et pourquoi furent institués les symboles de la République A partir des documents 3 et 7, on constate la présence des drapeaux tricolores dans l’espace public. Le.la PE rappelle aux élèves que le drapeau tricolore fut adopté officiellement en 1830 par Louis-Philippe. Le drapeau symbolise les acquis de la Révolution depuis sa création le 17 juillet 1789 (le blanc de la monarchie + le bleu et le rouge de la ville de Paris, après la prise de la Bastille). En 1880, le 14 juillet est adopté comme fête nationale. Des extraits du document 6 permettent de comprendre les raisons du choix de cette date. La dimension festive et républicaine peut être travaillée avec le document 7 La statue de la place de la République (document 8) permet de travailler plusieurs symboles de la république : Marianne, le bonnet phrygien, la devise « liberté, égalité, fraternité », le suffrage universel (masculin) et la souveraineté nationale On peut détailler l’exploitation pédagogique du document 8 (la statue de la place de la République) La photographie serait donnée aux élèves avec des flèches pointées sur les différents éléments à repérer en distinguant les trois niveaux de l’édifice La statue de la République : le personnage de Marianne, bonnet phrygien, couronne de laurier, rameau d’olivier, épée, l’expression « droits de l’homme » Les trois statues incarnant les trois valeurs de la république Le lion et l’urne de vote et l’inscription suffrage universel On peut donner ensuite un tableau aux élèves où ils reportent les différents symboles observés sur la statue (colonne de gauche du tableau). En groupes, en s’aidant de leurs connaissances acquises en classe d’histoire sur la Révolution ils remplissent la colonne de droite du tableau en indiquant ce que représente chaque symbole. Pour terminer, en s’appuyant sur le contexte historique travaillé lors des séances précédentes, les élèves pourraient produire un récit racontant les raisons pour lesquelles les républicains ont fait ériger cette statue. Si l’on choisit d’utiliser le document 10 (photographie d’une classe de garçon), on n’étudie pas l’école de Jules Ferry (autre chapitre du thème), mais on essaie de voir comment cette école transmet les valeurs de la République. On met l’accent sur la posture du maître incarnant le savoir et la République, sur la carte de France, la DDHC, les personnages de l’histoire de France qui concourent à transmettre ces valeurs aux élèves. L’évaluation pourrait être une question du type : « Montre en quoi l’école de la Troisième République transmet les valeurs de la République aux élèves ». Faire le lien avec l’EMC : « Acquérir et partager les valeurs de la république » Composante EMC (8 points) 3. Vous préparez une séquence sur la laïcité au cycle 3. En vous aidant de documents du dossier (documents 12 à 14), expliquer comment vous définissez la laïcité pour vos élèves. La laïcité est un principe (un guide pour l’action en fonction de valeurs) qui permet de garantir le respect des valeurs (ce qui semble bon et juste) de la république : liberté, égalité, fraternité. Ce principe est inscrit dans l’article 1 de la constitution de la 5eme République : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Comme le rappelle le document 12, la laïcité garantit la liberté de conscience et la liberté d’expression (référence à l’article 10 et 11 de la DDHC + l’article 1 de la loi de 1905). En France, la condition de cette garantie est la séparation des Églises et de l’État, depuis la loi de 1905 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni en subventionne aucun culte ». La religion de chacun (ou l’absence de religion) est une affaire privée qui ne regarde pas l’État. En conséquence, chacun est libre de croire ou de ne pas croire, dans le respect de l’ordre public. Autre conséquence : comme le rappelle la charte de laïcité (document 13), en application de la loi de 2004, on distingue à l’école les croyances qui relèvent de l’ordre privé et les connaissances scientifiques qui doivent être enseignées à tous afin de garantir la construction d’une culture commune. On peut également étudier la religion dans le cadre de l’étude du fait religieux. 4. Des élèves ne comprennent pas pourquoi les signes religieux ostensibles sont interdits à l’école. Comment exploitez-vous l’un des documents du dossier pour leur expliquer cette interdiction ? (documents 12 à 14) La loi de 2004 interdit les signes religieux ostensibles (qui signalent explicitement une appartenance religieuse) à l’école : foulard, kippa, croix de grande dimension. Il convient de préciser que les signes discrets portés en pendentif (croix, étoile de David, main de Fatma, etc.) sont autorisés. Il n’est donc pas totalement interdit aux élèves de faire état d’une appartenance religieuse. Celle-ci doit rester discrète. Cela est rappelé dans la charte de la laïcité. Pour répondre aux élèves, on peut utiliser le document 14. Ce dernier présente l’entrée de l’école comme un portique d’aéroport qui suppose de laisser des signes religieux dans un plateau à côté de l’entrée. Cette affiche laisse supposer que l’école doit être un espace pacifié où peuvent s’échanger les idées afin de construire une culture commune et partagée.

  • Sujet possible : L'Empire de Charlemagne / un paysage de montagne : Val d'Isère

    Didier Cariou, Université de Brest, UBO Composante histoire (12 points) 1. A l’aide de vos connaissances et du dossier documentaire, vous montrerez en quoi Charlemagne s’est considéré comme le continuateur de l’Empire romain chrétien. 2. Proposez une séquence sur l’exercice du pouvoir de Charlemagne en indiquant les documents que vous utiliseriez. Puis développez une des séances de cette séquence, en définissant les objectifs d’apprentissage, les savoirs et les compétences travaillés, en indiquant précisément quels documents issus du dossier documentaire vous utiliserez et en détaillant l’exploitation pédagogique de l’un de ces documents. Composante géographie (8 points) 1. Indiquez les différents concepts de géographie qui pourraient être mobilisés pour l’étude des documents 2, 3 et 4. 2. Présentez des modalités d’utilisation en classe de CE2 des documents 2, 3 et 4. Composante histoire Document 1 : Extrait du programme du cycle 3 (2020) Document 2 : Carte de l’empire carolingien Document 3 : La christianisation violente de la Saxe [À partir de 772, Charlemagne s’engage dans la conquête de la Saxe par une guerre qui dura plus d’une trentaine d’années]. Quiconque, par mépris pour le christianisme, refusera de respecter le jeûne du Carême sera mis à mort. Quiconque livrera aux flammes le corps d'un défunt suivant le rite païen sera condamné à mort. Tout Saxon non baptisé qui refusera de se faire administrer le baptême, voulant rester païen, sera mis à mort. Quiconque complotera avec les païens contre les chrétiens sera mis à mort. Quiconque manquera à la fidélité qu'il doit au roi sera puni de la peine capitale. Tous les enfants devront être baptisés dans l'année. » Extrait du capitulaire De partibus Saxonie édicté en 785 par Charlemagne. Document 4 : Statuette équestre de Charlemagne ou de Charles le Chauve. Bronze, IXe siècle, Musée du Louvre. Document 5 :Denier impérial en argent de Charlemagne. Au droit figure le profil imberbe, le front ceint de lauriers, et l'inscription « KAROLUS IMP(erator) AUG(ustus). Au revers, un bâtiment religieux et l’inscription RELIGIO XPICTIANA [« christiana » en alphabet grec]. Cabinet des médailles, BnF, Paris. Document 6 : Le récit du couronnement impérial de Charlemagne à Rome, le 25 décembre 800 Toutefois, sa dernière visite [à Rome] ne fut pas uniquement dictée par ces motifs, mais par le fait que les Romains poussèrent le pape Léon, qui avait été victime de nombreuses violences, ayant notamment eu les yeux arrachés et la langue coupée, à recherche instamment l’assistance du roi. Il [Charlemagne] vint donc à Rome pour restaurer la situation de l’Église qui avait été complètement bouleversée, et il y passa tout l’hiver. C’est à ce moment là qu’il reçut le nom d’empereur et Auguste. Dans un premier temps, il s’y opposa si fortement qu’il affirmait que ce jour-là, bien qu’il se fut agi d’un jour de fête, il ne serait pas entré dans l’église s’il avait pu connaître l’avance la résolution du pontife [Charlemagne veut ainsi montrer sa modestie. Il est également mécontent de devoir son titre impérial au pape qui a ainsi pris un ascendant sur lui]. Il supporta avec une grande patience la jalousie que lui valut le nom qu’il avait reçu : les empereurs romains [byzantins] s’en indignèrent en effet. Il vainquit leur entêtement par sa grandeur d’âme, qualité qui lui donnait de s’élever, sans aucun doute, bien au-dessus d’eux, en leur envoyant de fréquentes ambassades et en les appelant ses frères dans ses lettres. Eginhard (vers 830). Vie de Charlemagne. Édition Michel Sot et Christiane Veyrard-Cosme. Paris : Les belles Lettres, 2014, p. 65-67. Document 7 : La piété de Charlemagne Il pratiqua très sainement et dans la plus grande piété la religion chrétienne dont il avait été imprégné depuis sa plus tendre enfance et, pour cette raison-là, il fait édifier à Aix [La Chapelle] une basilique d’une extrême beauté avec or, argent, et luminaires, et l’orna de balustrades et de portes en bronze massif. Pour sa construction, il ne pouvait trouver nulle part des colonnes ou des marbres, il prit soin d’en faire venir de Rome et de Ravenne. Il ne manquait pas de se rendre à l’église le matin et le soir, de même pour les offices de nuit et le saint sacrifice, tant que sa santé le lui permit (…). Il fit amender très scrupuleusement la technique de la lecture et celle de la psalmodie. Il était très bien formé à l’une et à l’autre, bien qu’il ne lût point lui-même en public et ne chantât qu’à voix basse et avec la foule. Eginhard (vers 830). Vie de Charlemagne. Édition Michel Sot et Christiane Veyrard-Cosme. Paris : Les belles Lettres, 2014, p. 61-63. Document 8 : Reconstitution du palais de Charlemagne à Aix-la-Chapelle Document 9: La chapelle palatine d'Aix La Chapelle de style byzantin (restaurée au XIXe siècle) Document 10 : Le trône dit de Charlemagne sur une estrade de pierre dans la tribune de la chapelle palatine Composante géographie Document 1 : Extrait du programme du cycle 2 (2020) : Explorer les organisations du monde Document 2 : Carte IGN de Val d’Isère (Source : www.geoportail.gouv.fr) Document 3 : Val d’Isère (Savoie) au début des années 1950 Document 4 : Val d’Isère (Savoie) aujourd’hui

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