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- La préhistoire
Par Didier Cariou, Maître de conférences HDR en didactique de l’histoire à l’Université de Bretagne occidentale Références bibliographiques DEMOULE, Jean-Paul (2017). Le néolithique. L’origine du monde contemporain. La documentation photographique, n° 8117. (le titre est trompeur : ce dossier évoque toute la préhistoire) DEMOULE Jean-Paul (2012/2014). On a retrouvé l’histoire de France. Comment l’archéologie raconte notre passé. Rééd. Gallimard, Folio, chap.1 et 2. (très précieux et passionnant). Et bien entendu, le site internet de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP). Mots-clés du cours Paléolithique, Mésolithique, Néolithique, Age du bronze, Age du fer, Australopithèque, Homo habilis, Homme erectus, Homo sapiens, Néandertal, Denisova, Sorties d’Afrique, Migrations, Métissage, Chasseurs-cueilleurs, Grottes ornées, Sédentarisation, Agriculture, Inégalités, Domination masculine, Mégalithes. Introduction : que dit le programme de CM1 ? Les attendus du programme du cycle 3 de 2020 (classe de CM1) : La préhistoire occupe désormais une place très réduite dans le programme du CM1 car elle a été déplacée vers le programme de la classe de Sixième. L’attente principale du programme concerne les « traces » à partir desquelles nous connaissons quelques bribes sur le sujet. Il s’agit de faire comprendre aux élèves que nous savons peu de choses sur la préhistoire et que nous le savons à partir des traces laissées par nos lointains ancêtres. Le programme stipule également qu’il convient d’aborder les traces laissées dans l’espace proche des élèves, ce qui n’est pas toujours possible. Pour terminer ce rapide commentaire du programme, remarquons sa dimension franco-centrée, comme si le peuplement de l’espace national pouvait être envisagé pour lui-même, sans relation aux grandes vagues de migrations qui ont fait le peuplement de cet espace depuis l’Afrique. Introduction : La préhistoire, une pré-histoire ? Nous ne présentons pas ici une histoire exhaustive de la préhistoire. Nous cherchons juste à évoquer certains problèmes posés par cette période, revisités à l’aune des questionnements actuels sur la place de l’humain dans le règne animal, sur les rapports de genre, sur les migrations. Il est évidemment difficile d’émettre des vérités définitives sur le sujet. La paléo-anthropologie s’appuie sur la découverte de fragments de restes très réduits et très peu nombreux. Parfois un fragment pour des centaines de milliers d’années ! Une découverte vient fréquemment contredire ce qui pouvait être considéré comme acquis jusque-là. En outre, le terme « préhistoire » lui-même pose problème. Au XIXe siècle, la naissance de l’écriture était considérée comme l’événement distinguant l’histoire de la préhistoire. En 1867, on qualifia de « préhistoire » la période de l’histoire de l’humanité située avant la naissance de l’écriture, à savoir 99,7 % de l’histoire de l’humanité. Mais cette conception totalement européocentriste laisse supposer que les sociétés sans écriture (les Amériques, l’Afrique, l’Océanie avant la colonisation européenne) étaient des sociétés sans histoire jusqu’à ce que la colonisation européenne les fasse enfin « entrer » dans l’histoire. Aujourd’hui encore, il existe dans le monde quelques sociétés sans écriture. Seraient-elles des vestiges de la préhistoire ? Le grand historien Lucien Febvre avait dénoncé cette anomalie dès les années 1950. Mais ce préjugé a la vie dure, il a poussé le président Sarkozy, dans son tristement célèbre « discours de Dakar » de 2007, à interpeler « l’homme africain » pour qu’il « entre davantage dans l’histoire ». A défaut d’un terme plus adéquat, nous devons nous contenter de celui de « préhistoire », sans être dupes des préjugés qu’il véhicule. Le préhistorien Boris Valentin rappelle que l’étude de la préhistoire est une manière particulière de faire de l’histoire. Elle suppose des compétences pointues en géologie, en physique, en biologie et en génétique pour recueillir, dater, interpréter et conserver les vestiges archéologiques. Elle s’appuie sur des vestiges très peu nombreux qui ne permettent pas d’énoncer des vérités définitives. Elle produit un récit sans événements et sans personnages historiques identifiés. Enfin, cette histoire manipule des échelles temporelles vertigineuses. Avant de commencer, rappelons quelques jalons de l’histoire de l’espèce humaine. Sommairement, on distingue : L’évolution des homininés Les première formes humaines (Ororin, Ramidus, etc.), entre 7 et 4 millions d’années, en Afrique Les Australopithèques (« singes du sud »), entre 5 et 2 millions d’années, en Afrique Le genre Homo (l’espèce humaine proprement dite) : Homo habilis Homo erectus Homme de Neandertal (- 400 000 à – 40 000 ans) Homme de Denisova Homo sapiens (depuis - 100 000 ans) Chronologie des périodes historiques en Europe La préhistoire est divisée en deux périodes : Le paléolithique (« âge de la pierre taillée ») (des origines à – 10 000 environ) Le mésolithique (de – 10 000 à – 6 000 ans environ). La protohistoire est divisée en quatre périodes : Le néolithique (« âge de la pierre polie ») (de – 6 000 à – 2 000 ans environ) L’âge du bronze (de – 2 000 à – 750 ans environ) Le premier âge du fer (de – 750 à – 500 ans environ) Le second âge du fer (de – 500 à – 50 ans) 1. La préhistoire suppose une approche non-téléologique et non-linéaire du temps historique 1.1 Représenter l’évolution de l’espèce humaine Habituellement, nous représentons le temps historique par un segment de droite orienté de gauche (le point de départ temporel) vers la droite (notre présent). Ce segment de droite représente la succession linéaire des événements qui sont advenus les uns après les autres, l’événement antérieur entraînant l’événement postérieur. Nous allons le constater, cette représentation linéaire du temps ne permet pas de penser la chronologie de la préhistoire. Aujourd’hui, il n’existe qu’une seule espèce d’hommes sur la terre : homo sapiens. On a longtemps pensé que ce primate supérieur se distinguait des autres primates par la bipédie permanente, un cerveau volumineux, l’aptitude à fabriquer des outils (fabriqués à l’avance pour un usage précis et conservés après usage), un langage articulé, une pensée réfléchie (d’où le nom d’Homo sapiens). Nous savons désormais que ces caractéristiques n’offrent en réalité que des différences assez ténues avec celles des autres primates supérieurs. Les ancêtres de l’espèce humaine se sont vraisemblablement séparés des ancêtres des autres primates supérieurs il y a environ dix millions d’années. Le berceau de l’espèce humaine se situe vraisemblablement dans le Rift africain, en Afrique de l’Est (c’est du moins là que des traces en ont été trouvées). Mais l’essentiel de l’évolution qui conduisit à l’émergence de l’espèce humaine est inconnu. Nous ne connaissons que des bribes de cette histoire. Nous savons seulement que cette évolution ne fut pas linéaire. La découverte la plus célèbre fut celle de Lucy par une expédition co-dirigée par Yves Coppens en 1974 en Éthiopie. Les 52 restes retrouvés datent de 3,2 millions d’années environ. Ils appartenaient à une jeune femme de 1,1 m, 30 kg, dotée d’une forte mâchoire et d’une faible capacité crânienne (moins de 500 cm3). Elle appartenait à l’espèce Australopithecus afarensis. On pensait alors que Lucy était l’ancêtre de l’humanité. Or, nous savons désormais qu’il y a peu de chances qu’elle appartienne à notre lignée. Deux découvertes ont révélé des restes plus anciens. Les restes d’un bipède vieux de six millions d’année et baptisé Orrorin (« homme originel » en langue locale) ont été découverts en 2000 au Kenya. Le crâne d’un être situé entre les grands singes et les hominidés, vieux de sept millions d’années, fut découvert en 2001 au Tchad. Les chercheurs l’ont baptisé Toumai (« espoir de vie »). Ils ignorent s’il était bipède. De fait, nous ignorons si ces individus entretenaient des relations de parenté. En conséquence, il est nécessaire de rompre avec les représentations habituelles de l’évolution de l’humanité telles que celle-ci : Source : https://puzzlefactory.pl/fr/puzzle/jouer/pour-les-enfants/242660-evolution-humaine#4x4 Ce type de représentation suppose une évolution linéaire, rectiligne et uniforme de la bête vers l’homme actuel (et pourquoi pas une femme ?), de plus en plus grand et de plus en plus blanc (et pourquoi pas noir ?). Elle laisse supposer que l’homme descendrait du singe et caricature ainsi la théorie de l’évolution. Cette représentation n’est pas plus scientifique que la suivante ! Source : https://major-prepa.com/culture-generale/darwin-animal-homme-evolution/ La frise suivante a le mérite d’indiquer le nom des différentes espèces d’Homo. Mais, là encore, chaque espèce est plus grande que la précédente, de même que sa capacité crânienne. Elle est mieux habillée et produit des outils de plus en plus sophistiqués. L’évolution de l’humanité serait donc progressive et orientée par un progrès inéluctable conduisant à un être parfait : nous-mêmes. Mais cette représentation est biaisée. Sachant que l’homme de Neandertal vivait sous les climats rigoureux de l’Europe du nord, peut-on imaginer un seul instant qu’il n’était revêtu que d’un pagne ? Les paléo-anthropologues préfèrent désormais une représentation buissonnante qui signale les bifurcations possibles au cours de l’évolution, les espèces disparues, les filiations possibles ou impossibles entre les espèces. Source : https://slideplayer.fr/amp/1147603/ Cependant, cette représentation résulte d’une conception encore trop linéaire du temps et postule des filiations entre les espèces dont les scientifiques ne sont plus du tout certains. La représentation qui suit montre les incertitudes des paléo-anthropologues. Ces derniers hésitent à établir des filiations peu assurées entre les espèces. Ils considèrent également que plusieurs espèces pouvaient vivre en même temps : la succession des espèces laisse une place à leur simultanéité. Désormais, le temps des ancêtres de l’espèce humaine semble éclaté et plus du tout rectiligne. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_évolutive_de_la_lignée_humaine Comme l’indique ce graphique, entre 3 et 2 millions d’années, les australopithèques disparurent et laissèrent la place aux représentants du genre Homo, clairement distincts des primates supérieurs. L’Homo habilis (« homme habile ») doit son nom au fait qu’il fabriquait des outils grossiers, des galets aménagés, pour dépecer les charognes. L’Homo erectus (« qui se tient debout ») était bipède et fabriquait de gros bifaces pour assommer le gibier, le dépecer et le découper. Il maîtrisait le feu. Cet événement constitua sans doute un changement majeur dans l’histoire de l’espèce humaine. Le feu permit de restructurer l’environnement en détruisant certaines espèces végétales pour en favoriser d’autres. La cuisson des aliments remplit en outre le rôle d’une pré-digestion externe de la viande et de certaines plantes indigestes à l’état cru. Elle permit le transfert vers le cerveau d’une partie de l’énergie consacrée à la digestion. De même, en permettant la réduction de la taille des dents et des mâchoires, elle libéra de la place pour la croissance du cerveau humain. Des espèces aux caractéristiques très proches évoluèrent à partir d’Homo erectus : l’Homme de Neandertal (du nom d’une grotte située en Allemagne où il fut découvert en 1856), l’Homme de Florès (découvert en Indonésie), l’Homme de Denisova (découvert dans l’Altaï, en Sibérie, en 2008) et Homo sapiens, appelé aussi Cro-Magnon en France, du nom de la grotte où le premier exemplaire fut découvert. La généalogie qui suit signale les filiations possibles mais pas fermement établies entre Homo habilis, Homo erectus et les espèces suivantes. Source: La Documentation photographique n° 8117 Aujourd’hui, tous les humains sont des Homo sapiens. L’espèce humaine est désormais unique. Qu’est-il advenu des espèces, Neandertal, Denisova, Florensis, qui vécurent pendant plusieurs milliers d’années en même temps que nos ancêtres directs… ? Ont-elles été détruites par Homo sapiens(mais rien ne permet de valider cette hypothèse) ou absorbées par métissage, comme semblent l’indiquer les analyses ADN qui nous attribuent de 2 à 4 % de gènes issus de ces espèces disparues ? 1.2 Penser le passage du paléolithique au néolithique Une autre question à propos du temps historique se pose au sujet de la succession temporelle de l’histoire de l’humanité, celle du passage des sociétés de chasseurs cueilleurs caractéristiques du paléolithique supérieur (avant – 10 000 ans avant notre ère environ) aux sociétés intermédiaires du mésolithique (de – 10 000 à – 6 000 ans avant notre ère environ) aux sociétés sédentaires et agricoles du néolithique (de - 6 000 à – 500 ans avant notre ère environ). Au cours du paléolithique supérieur, lors de la dernière période glaciaire, la moitié nord de l’Europe actuelle était couverte de glaces. Les groupes d’Homo sapiens de quelques dizaines de personnes nomadisaient en suivant les troupeaux d’animaux sauvages dans les steppes arctiques. Le climat se réchauffa vers – 10 000 ans avant notre ère environ et le territoire de l’Europe actuelle se couvrit d’une forêt tempérée. En fonction des ressources locales, certains groupes se sédentarisèrent progressivement. Biface en pierre taillée du paléolithique Hache en pierre polie du néolithique Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Outils_de_la_Pr%C3%A9histoire Cessons d’imaginer des chasseurs-cueilleurs du paléolithique vêtus de peaux de bêtes informes. Ces populations vivaient sous un climat froid et portaient vraisemblablement des vêtements de peau et de fourrure cousus, comme l’attestent des aiguilles à chas vieilles de plus de 20 000 ans, ainsi que des racloirs et des lissoirs en pierre ou en os, à l’aide desquels elles préparaient les peaux. Ces vêtements étaient sans doute ornés de perles et de divers éléments décoratifs en os, en pierres semi-précieuses ou à base de coquillages. Mais il semblerait que ces vêtements hébergèrent très vite des hôtes indésirables, les poux. Ces populations nomadisaient au gré des migrations de troupeaux d’herbivores. Elles logeaient dans des tentes démontables qu’elles installaient sur des campements occupés à intervalles réguliers, tels que le site de Pincevent en Seine-et-Marne, situé au bord de la Seine. Il y a plus de 14 000 ans avant notre ère, elles s’installaient sur ce site en automne, pour guetter le passage des troupeaux de rennes. Les vestiges archéologiques de ce site attestent de l’existence de foyers, d’activités régulières de dépeçage d’animaux et de taille de silex. Reconstitution d’un habitat du paléolithique supérieur à partir de traces visibles sur le site de Pincevent (Seine-et-Marne). Source : https://solutreen.forumactif.org/t101-___-reconstitutions-d-habitats-en-plein-air L’illustration ci-dessous, extraite d’un ouvrage pour la jeunesse, fournit une représentation assez pertinente d’un campement de chasseurs-cueilleurs du paléolithique supérieur. Source : Chabot, J.-P. (1996). La préhistoire. Gallimard : Mes premières découvertes de l’histoire. On a longtemps considéré que le passage du nomadisme à la sédentarité constitua un progrès indéniable pour l’humanité. La révolution néolithique, consécutive à un réchauffement de la planète et à un recul des glaciers continentaux, à partir de - 10 000 avant notre ère environ, fut le fruit d’une série d’innovations technologiques : l’amélioration des semences sauvages présentes localement (blé, orge, seigle, pois, lentilles au Proche- Orient ; riz et millet en Chine ; maïs et pomme de terre en Amérique ; mil et sorgho en Afrique) et la domestication de certaines espèces animales (chien, mouton, chèvre, bœuf, porc), l’invention d’outils agricoles tels que les faucilles, les haches en pierre polie beaucoup plus solides qu’en pierre taillée uniquement, la production de poteries pour stocker les surplus alimentaires. Cette révolution garantit une relative sécurité alimentaire par le stockage annuel des céréales et permit la sédentarisation dans des villages parfois étendus sur plusieurs hectares. Aujourd’hui, cette chronologie est largement remise en cause. On a longtemps pensé que la domestication des plantes et des animaux avait conduit mécaniquement à l’agriculture et la sédentarisation. Or, il est fort probable que, dans certaines régions, la sédentarité apparut quatre millénaires avant l’essor de l’agriculture. Comme l’a montré l’anthropologue James C. Scott, il était possible de s’installer durablement dans un environnement humide et différencié fournissant une multiplicité de ressources alimentaires (plantes sauvages, poissons, petits animaux, coquillages, etc.). On ne sait pas exactement pourquoi les sociétés humaines s’orientèrent ensuite vers l’agriculture et l’élevage sédentaires. Il n’en reste pas moins que la révolution néolithique provoqua une explosion démographique qui permit à ces agriculteurs de coloniser assez densément toute la planète. Avant cette révolution, vers – 10 000 ans avant notre ère, les humains étaient vraisemblablement au nombre de 2 à 4 millions. La population mondiale passa à 25 millions environ vers – 2 000 ans avant notre ère. A quoi tint cette croissance démographique ? Dans une société d’agriculteurs, où la sécurité alimentaire était relativement assurée, une femme pouvait enfanter chaque année. Certes, la plupart des enfants mourraient en bas-âge et les femmes décédaient souvent en couches. En revanche, une femme nomade enfantait tous les trois à quatre ans seulement en raison de son activité physique, du stress lié au transport des enfants lors des déplacements permanents, et d’un allaitement prolongé. Reconstitution d’un habitat néolithique à Samara (Aisne).Un village de l’époque des premiers agriculteurs-éleveurs (vers – 5 000 ans) pouvait être formé de 4 à 5 de ces longues maisons (celle-ci mesure 28 m sur 7 m, d’autres peuvent atteindre 48 m sur 8 m). 30 à 50 personnes pouvaient vivre dans chaque maison. Elles étaient alignées, côte à côte, suivant une orientation est-ouest pour mieux résister aux vents dominants. Le toit est à double pente, réalisé en roseaux et en chaume. Les murs sont enduits d’un mélange appelé torchis à base d’argile et de matières végétales. Source : https://www.samara.fr/les-reconstitutions-dhabitats Source : Chabot, J.-P. (1996). La préhistoire. Gallimard : Mes premières découvertes de l’histoire. Les traces archéologiques attestent que, vers – 4 500 ans avant notre ère, les principales régions fertiles d’Europe étaient défrichées, quadrillées par un réseau de villages entourés de champs et de pâtures. Ces villages, à l’organisation sociale relativement égalitaire, rassemblaient cent ou deux cents habitants, le surplus de population partant au loin à la recherche de nouvelles terres à défricher. Les morts étaient enterrés dans des fosses, emportant des bracelets ou des colliers d’os ou en coquillage, avec un peu de nourriture pour leur voyage dans l’au-delà. 1.3 La révolution néolithique, un progrès ? L’inquiétude actuelle provoquée par la crise climatique et l’effondrement rapide de la biodiversité nous conduit à envisager autrement cette révolution néolithique et à ne plus la considérer comme le fruit d’un progrès irréversible. Nous savons tout d’abord que, au cours du mésolithique (de – 10 000 à – 6 000 ans avant notre ère) certaines sociétés nomades cultivaient des espèces végétales. Elles inventèrent la pirogue ou le filet de pêche. Certaines fabriquaient des poteries dont le principe était connu depuis le paléolithique supérieur. Surtout, le sens de l’histoire ne mène pas nécessairement de la chasse-cueillette nomade à l’agriculture sédentaire. On sait par exemple que des populations amérindiennes des grandes plaines développèrent le nomadisme à la suite de l’introduction du cheval par les Espagnols qui rendait possible les déplacements à la suite des grands troupeaux de bisons. Il est possible que d’autres sociétés aient suivi un parcours analogue. Le gibier et les plantes abondaient sur le territoire de l’actuelle Europe et rendaient inutile, pour les populations locales de chasseurs-cueilleurs, le passage à l’agriculture sédentaire. On peut même penser que, sur l’actuel territoire français, le mode de vie des chasseurs-cueilleurs aurait pu perdurer jusqu’à nos jours. Cependant, le trop-plein démographique des agriculteurs du Proche-Orient contraignit ces derniers à chercher des terres toujours plus vers l’ouest. Ils absorbèrent progressivement les quelques dizaines de milliers de chasseurs-cueilleurs qui peuplaient notre territoire actuel. Mais surtout, nous pouvons à bon droit nous interroger sur le progrès qui consisterait à passer d’une société de chasseurs-cueilleurs à une société d’agriculteurs. Dans la première, le régime alimentaire apportait des protéines animales et végétales et des quantités abondantes d’acides gras. Dans son ouvrage Age de pierre, âge d’abondance, publié aux États-Unis en 1974, le grand anthropologue Marshall Sahlins a pu établir qu’il suffisait aux chasseurs-cueilleurs de travailler trois à quatre heures par jour pour satisfaire leurs besoins essentiels. En revanche, dans une société d’agriculteurs, le travail des champs est harassant, il provoque des troubles musculo-squelettiques et le régime alimentaire à base de céréales est fortement glucidique. Les ossement des populations néolithiques retrouvés par les archéologues signalent une réduction de la taille des individus, l’apparition de carences en fer et de lésions osseuses. De plus, il était difficile de maintenir des conditions d’hygiène acceptables dans des villages permanents. La cohabitation des humains, des animaux domestiques et des hôtes non désirés comme les rats ou les souris, accompagnés de leurs propres parasites – puces, tiques, poux, acariens, etc. - a sans doute favorisé la transmission des virus des animaux aux humains et provoqué des épidémies dévastatrices (coronavirus, rotavirus, brucellose, rougeole, variole, peste, etc.). Document : La transmission des virus aux humains D’après des données sans doute déjà périmées et sous-estimées, les humains ont en commun vingt-six maladies avec les poules, trente-deux avec les rats et les souris, trente-cinq avec les chevaux, quarante-deux avec les cochons, quarante-six avec les moutons et les chèvres, quarante avec les bovin et soixante-cinq avec notre plus ancien compagnon de domesticité, le chien. On soupçonne que la rougeole est issue d’un virus de peste bovine ayant infecté les moutons et les chèvres, que la variole provient de la domestication des chameaux et d’un rongeur archaïque porteur de la vaccine et que la grippe est liée à la domestication des oiseaux aquatiques voici 4 500 ans. Cette génération de nouvelles zoonoses trans-spécifiques a prospéré au fur et à mesure que les populations humaines et animales augmentaient et que les contacts à longue distance devenaient plus fréquents. Ce processus continue aujourd’hui (...). James C. Scott (2017/2019). Homo domesticus. Une histoire profonde des premiers États. Trad. fr. Paris : La Découverte, p. 134. Finalement, selon Marshall Sahlins, la société d’abondance, celle où le rapport entre l’énergie investie et le résultat est le plus favorable, était bien celle des chasseurs-cueilleurs ! Malgré tout, l’espèce humaine connut une croissance démographique qui entraîna son expansion géographique marquée par les défrichements et la réduction, déjà, de la biodiversité. 2. La préhistoire : une histoire de migrations et de métissages 2.1 Les « sorties d’Afrique » La planète fut peuplée à l’occasion de plusieurs sorties d’Afrique d’Homo erectus. Il y a deux millions d’année environ, une première migration d’Homo erectus peupla l’Eurasie depuis l’Afrique. L’Homme de Tautavel (- 450 000), découvert dans les Pyrénées-Orientales en 1971, relève de cette espèce, au cours de ce que l’on nomme le paléolithique inférieur. Comme ce vestige humain est le plus ancien découvert en France, d’aucuns sont régulièrement tentés d’en faire le premier français. Il avait pourtant peu à voir avec nous ! En Europe, Homo erectus évolua en Homme de Neandertal, il y a 300 000 ans environ. Confronté au climat froid et peu ensoleillé de l’Europe dont la moitié nord était occupée par les glaciers, les traits physiques de l’Homme de Neandertal ont sans développé des caractères physiques tels que les yeux bleus, une peau plus claire, un corps trapu et musclé pour chasser dans le froid. Nous savons aujourd’hui qu’il était très proche de nous par ses capacités intellectuelles, et même par ses caractéristiques physiques essentielles. En Asie, d’après les connaissances actuelles, Homo erectus évolua en Homme de Denisova, du nom d’une grotte située dans l’Altaï où l’on a retrouvé en 2008 le fragment d’un auriculaire d’une jeune fille. Elle vivait il y a environ 50 000 ans. Son père était un dénisovien et sa mère une néandertalienne. Des gènes de Denisova furent retrouvés jusqu’en Papouasie. Une variété proche fut découverte sur l’île de Florès en Indonésie et fut nommée de ce fait Homme de Florès (de – 100 000 à – 60 000 ans avant notre ère). Enfin, Homo erectus continua à évoluer en Afrique en Homo sapiens vers – 200 000 à – 100 000 ans avant notre ère. Il s’est très peu transformé depuis. Il sortit d’Afrique et prit possession de l’Europe et de la planètevers – 50 000 ans avant notre ère environ. Il atteint l’actuel territoire de la France vers – 35 000 ans avant notre ère. Il se serait métissé avec Denisova, Florès et Néandertal puisqu’il semblerait que 2 % à 4 % de notre ADN soit hérité des gènes de ces derniers. Homo sapiens, récemment arrivé d’Afrique, avait la peau foncée et les cheveux crépus. Notre ancêtre absorba les populations néandertaliennes plus blanches de peau... C’est ce que montre une reconstitution réalisée en 2018 à partir d’un fragment d’ADN du squelette du plus ancien britannique connu, « l’homme de Cheddar ». Découvert en 1903, il vivait dans la vallée du même nom il y a 10 000 ans avant notre ère environ, au cours du mésolithique. Il est considéré comme le premier britannique connu. Il avait vraisemblablement des cheveux crépus, une peau noire et des yeux bleus. Source : https://www.youtube.com/watch?v=6_ckrmz4bjQ 2.2 La diffusion de la révolution néolithique La révolution néolithique généra vraisemblablement de nouvelles migrations. Comme l’indique la carte ci-dessous, la révolution néolithique eut lieu dans plusieurs foyers, là où les conditions environnementales (présence d’espaces végétales et animales domesticables) et techniques (maîtrise des techniques de conservation des grains) la rendaient possible. Il semble que le Proche Orient fut le foyer de néolithisation le plus ancien. Source : La Documentation photographique n° 8117. Deux thèses s’affrontent pour expliquer la diffusion de la révolution du néolithique en Europe à partir du foyer proche-oriental. Les tenants de la thèse localiste considèrent que la diffusion du néolithique résulta d’une diffusion de techniques, de proche en proche, par le biais de divers courants d’échanges à partir du foyer proche-oriental. Les populations de l’actuelle Europe se seraient ainsi acculturées progressivement à l’agriculture. Elles auraient inventé localement des outillages spécifiques à leur environnement et auraient domestiqué des espaces animales locales. Selon cette thèse, nous serions les descendants de populations de chasseurs-cueilleurs autochtones. Les tenants de l’autre thèse soulignent que les chèvres, les moutons, le blé et l’orge n’existaient pas à l’état sauvage en Europe. De même, les races de porcs et de bovins domestiques ne descendent pas d’espèces sauvages locales. En outre, notre ADN ne recèle qu’une faible part de gênes hérités des chasseurs-cueilleurs autochtones qui étaient de toute façon très peu nombreux. On peut donc à bon droit supposer que le territoire de l’actuelle Europe a été colonisé par les agriculteurs venus du Proche-Orient qui, dans leur recherche permanente de nouvelles terres à cultiver pour absorber leur excédent démographique, assimilèrent les populations nomades locales, peu nombreuses. Ces thèses renvoient potentiellement à des débats actuels parfois nauséabonds. Si nous suivons la deuxième thèse, nous constatons que, non seulement nos ancêtres chasseurs-cueilleurs Homo sapiens du paléolithique supérieur étaient noirs de peau lorsqu’ils arrivèrent en Europe, mais en plus, lors du néolithique, ils furent à leur tour colonisés et absorbés par des populations venues du Proche-Orient ! Personnellement, je trouve cette thèse plutôt réjouissante. 3. L’étude de la préhistoire conduit à s’interroger sur ce qu’est un.e humain.e 3.1 La prétendue supériorité des humains sur les autres animaux Longtemps, on a considéré que l’espèce Homo (Homo habilis, capable de fabriquer des outils, Homo erectus, qui se tient debout, Homme de Neandertal, Homme de Denisova, Homo sapiens, qui pense) se distinguait de ses ancêtres et des autres animaux par sa capacité à fabriquer des outils. La faculté à penser, concevoir, fabriquer et utiliser signifiait, pensait-on, la supériorité de l’espèce humaine sur toutes les autres espèces animales et justifiait sa domination sur tout le monde vivant. Nous savons désormais que de nombreuses espèces animales, et pas seulement les primates, fabriquent et utilisent des outils. En outre, en 2015, fut découvert au Kenya un atelier de taille de pierre vieux de trois millions d’années, datant de l’époque des Australopithèques. L’espèce Homo perd ainsi un peu de sa superbe ! 3.2 La prétendue supériorité d’Homo sapiens sur l’Homme de Neandertal L’espèce Homo sapiens migra en Europe vers - 100 000 ans. Elle y rencontra l’Homme de Neandertal présent sur place depuis – 500 000 ans. Longtemps, on a considéré qu’Homo sapiens se distinguait de (traduisez : était supérieur à) l’Homme de Neandertal. Deux pratiques attribuées à Homo sapiens semblaient justifier cette supériorité : les rites funéraires (qui supposent une croyance dans un au-delà) et les productions que nous pourrions qualifier d’artistiques (qui signalent sans doute une dimension religieuse et un sens esthétique). Cependant, des rites funéraires sont attestés désormais pour Neandertal et même pour Homo erectus. On a par exemple retrouvé une tombe collective vieille de - 300 000 ans où furent déposés dans une cavité les corps d’une trentaine d’Homo erectus, au fur et à mesure de leur décès, dans la sierra d’Atapuerca (Burgos). Les hommes de Néandertal avaient l’habitude d’enterrer leurs morts accompagnés de parures. Ces rites funéraires attestent sans doute d’une croyance en un voyage dans l’au-delà. D’autre part, des stalactites brisées et disposées en cercle dans grotte de Bruniquel (Tarn-et-Garonne) ont été découverte en 2016 (- 175 000 ans). Elles constituent sans doute les traces d’un cérémonial très ancien. La grotte de Bruniquel. Source : Le Monde, 25 mai 2016. Après avoir été longtemps décrits comme des brutes ignorantes et vêtues de peaux de bêtes à peine travaillées, par un retour de balancier peut-être excessif, les Néandertaliens sont présentés aujourd’hui comme des humains presque semblables à nous. Les spécialistes de Neandertal insistent cependant sur leur manière particulière d’être au monde. Par exemple, selon le paléo-anthropologue Ludovic Slimak, Neandertal n’avait nul besoin de parures car il n’éprouvait peut-être pas le besoin de se distinguer de ses semblables. En revanche, Homo sapiens éprouvait sans doute le besoin de se distinguer car il vivait dans une société normée qui écrasait les individualités. De même, chaque outil en pierre taillé par un Néandertalien était spécifique, il était taillé en fonction de la texture et de la couleur du silex utilisé. En revanche, les outils d’Homo sapiens étaient toujours « standardisés », identiques d’un bout à l’autre de l’Europe. 3.3 La prétendue supériorité de l’humain occidental sur le reste du monde Les plus belles grottes ornées d’art pariétal (fresques sur les parois) furent découvertes en France et en Espagne : Chauvet (- 35 000 ans ), Cosquer (- 27 000 ans), Lascaux (- 17 000 ans), Altamira (- 15 000 ans). Il était alors aisé de penser que l’art était né « chez nous ». Cependant, un grotte ornée beaucoup plus ancienne a été découverte en 2019 sur l’île indonésienne de Sulawezi. Elle date de - 44 000 ans environ. Dans cette scène de chasse, un bovin nain local (à droite) fait face à des personnages mi-humains, mi-animaux (théri-anthropes) dont certains sont reliés à lui par des lignes (lances ou cordes). Source : Le Monde, 11 décembre 2019 3.4 La prétendue supériorité des humains sur la nature Nous ignorons tout des probables religions préhistoriques. Cependant, les populations anciennes ont laissé des traces matérielles afférentes à leurs croyances. Et les paléo-anthropologues comparent volontiers les sociétés anciennes à certaines sociétés humaines actuelles qui en semblent proches. A l’instar des dernières populations amérindiennes de l’Amazonie actuelles, les chasseurs-cueilleurs se pensaient sans doute comme des animaux immergés dans la nature, comme une espèce animale parmi d’autres. C’est pourquoi, sans doute, ils représentaient des animaux sur les parois des grottes. Ils se pensaient à travers eux et s’adressaient sans doute en même temps à eux pour leur demander l’autorisation de les tuer et pour s’excuser ensuite de l’avoir fait. Cette pratique est courante dans toute les sociétés connues de chasseurs-cueilleurs. Un cheval et un cervidé sur une paroi de la grotte de Lascaux. Source : https://www.photo.rmn.fr/archive/08-500028-2C6NU0JGDM1Y.html Des plaquettes de schiste gravées, retrouvées en 2013 sur le site du Rocher de la Vierge, un abri sous roche situé au pied d’une falaise à Plougastel-Daoulas (Finistère), posent le même type de question. Source : Le Monde, 19 mars, 2017, d’après la revue PloS One du 3 mars Ces deux têtes d’auroch dont l’une est auréolée de traits rayonnants ne correspondent à rien de ce qui était connu jusqu’ici. Elles datent de – 14 000 ans avant notre ère, peu avant la fin de l’ère glaciaire et quelques milliers d’années avant l’essor du néolithique. S’agissait-il de conférer une certaine valeur à ces figures animales ? S’agissait-il d’assurer le succès à la chasse ? S’agissait-il d’un simple passe-temps ? La sédentarisation du néolithique laissa des vestiges d’une toute autre nature. Alors que les humains du paléolithique supérieurs étaient très peu nombreux et se considéraient sans doute comme une espèce animale parmi d’autres, immergée dans le monde vivant, les humains du néolithique étaient beaucoup plus nombreux et se considéraient comme les maîtres des espèces végétales et animales. Par exemple, une immense quantité de gravures rupestres (gravées sur les rochers) est toujours visibles dans la Vallée des Merveilles, située au pied du Mont Bego, dans le Parc national du Mercantour (Alpes-Maritimes). Datées d’environ 3 300 ans avant notre ère, elles représentent des parcellaires, des attelages tirés par des bovins, des armes et des pictogrammes mystérieux qui suscitent toujours de nombreux débats entre les archéologues. Cette gravure, dite « le chef de tribu », présente un personnage masculin, des poignards, des animaux à cornes et peut-être un parcellaire géométrique. Ici, la terre est quadrillée et appropriée par les humains, les bovins domestiqués et attelés travaillent à leur service. Source : http://www.savoirs-alpesmaritimes.fr/Periodes-historiques/Prehistoire/Les-gravures-du-mont-Bego La dalle ornée de Leuhan (Sud-Finistère), retrouvée fragmentée dans le tumulus de Saint-Belec, date sans doute de l’âge du bronze ancien. Des archéologues de l’INRAP y ont reconnu le tracé d’un parcellaire et ont pu établir que cette dalle reproduisait fidèlement le relief (collines, vallées) de la haute vallée de l’Odet. S’il s’agit effectivement d’une carte, on peut supposer que sa fabrication est liée à l’affirmation d’un pouvoir sur l’espace ainsi figuré, d’une dimension de 30 km sur 20 km. Source : https://www.inrap.fr/la-plus-ancienne-carte-d-europe-15574 3.5 La prétendue supériorité des hommes sur les femmes Au paléolithique supérieur furent produites des figures féminines trop vites baptisées « Vénus » en raison de l’exagération de leurs caractères sexuels. On a pensé qu’il pouvait s’agit de déesses mères, d’objets liés à des rites de fécondité. On a même pensé qu’il pouvait s’agir de représentations liées à une organisation matriarcale des sociétés de chasseurs-cueilleurs, unies dans l’adoration d’une déesse mère. Cependant, rien n’atteste cette interprétation. Et si, tout simplement, il ne s’agissait que de représentations érotisées du corps de la femme, manipulées par les hommes ? Manifestant déjà une forme de domination masculine… Vénus de Lespugue, 150 mm de haut, Vénus de Willendorf, ivoire de mammouth (- 25 000 environ) 110 mm de haut calcaire (-23 000 ans) Très énigmatique est la Dame de Brassempouy (-25 000 ans environ), la plus ancienne représentation connue d’un visage humain, retrouvée dans un villages de l’actuel département des Landes. Elle se distingue des autres Vénus de la préhistoire généralement dépourvus de visage. Le quadrillage représente peut-être un filet ou plus simplement ses cheveux. Statuette en ivoire de mammouth, hauteur : 2,65 cm. Saint-Germain-en-Laye, Musée national d’archéologie. Source : https://musee-archeologienationale.fr/collection/objet/la-dame-la-capuche Il n’en reste pas moins que la domination masculine s’exerça sans doute dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs. En outre, l’analyse de l’ADN d’ossements retrouvés dans des tombes du néolithique montre que les femmes avaient subit davantage de carences alimentaires que les hommes et que leur alimentation était moins carnée. En outre les femmes semblent avoir été d’une origine géographique différentes car elles venaient résider dans la famille de leur époux. Venaient-elles toujours volontairement ou, du moins, à l’occasion d’accords entre des populations voisines ? Des fosses communes retrouvées en Allemagne et recelant des corps de victimes de massacres signalent l’absence de corps de femmes en âge de procréer. Elles étaient sans doute capturées par leurs bourreaux. D’autre part, l’analyse des ossements de femmes révèle la robustesse des attaches musculaires sur les os de leurs bras. Ceci prouve sans doute une spécialisation dans la mouture des grains de céréales. Plus généralement, une division sexuée du travail assignait sans doute aux femmes des tâches domestiques éreintantes. 4. Le néolithique : la naissance de notre monde 4.1 La naissance des inégalités Le néolithique marqua la domination définitive de homme sur la nature. Cette domination organisa également les relations sociales et les relations entre les communautés. Des traces de violences (squelettes portant des traces de coups) et de massacres (fosses communes) sont attestées en Europe à partir de – 6 000 ans avant notre ère. Les villages s’entourèrent progressivement de fortifications pour faire face aux menaces extérieures. A l’intérieur des sociétés, la production de surplus agricoles accaparés par une minorité produisit une domination et une différenciation sociales attestées par les disparités des tombes. Certaines sépultures comportaient parfois une poterie pour accompagner le défunt tandis que d’autres défunts étaient inhumés avec de somptueux objets en cuivre ou en or. Selon Jean-Paul Demoule, puisqu’il n’était plus possible de poursuivre les migrations toujours plus vers l’ouest, la densité de population s’accrut en Europe et les tensions pour la terre s’avivèrent. Peut-être les chefs devinrent-ils nécessaires pour régler les conflits pour le contrôle des terres (ou du moins en profitèrent-ils pour justifier leur domination). En lien avec cette évolution sociale, des pratiques funéraires ostentatoires apparurent sur toute la façade atlantique. Des mégalithes, constitués de chambres funéraires en dalles de pierre parfois lourdes de plusieurs dizaines de tonnes et recouvertes de terre (par exemple le cairn de Barnenez dans le nord-Finistère, le plus grand d’Europe, construit entre – 5 000 et – 4 000 ans avant notre ère), furent érigés deux mille ans avant les grandes pyramides d’Égypte. Ils étaient contemporains des premières cités-États de Mésopotamie. Ces monuments impressionnants servaient à rendre hommage à des morts prestigieux et à manifester leur domination sur le groupe. Ils servaient sans doute également à marquer et à installer la pérennité de l’occupation d’un espace de plus en plus précieux et de plus en plus disputé. Par la suite, des mégalithes plus petits, tels que des allées couvertes, gagnèrent l’intérieur du continent L’alignement « la noce de pierres », au pied du L’allée couverte « Ti ar baodiged » de Mont Saint-Michel de Brasparts (Finistère) Brennilis (Finistère) (coll. part.) Ces inégalités sociales se doublèrent évidemment d’une domination masculine accrue. Les représentations de figures féminines devinrent minoritaires et furent supplantées par des représentations masculines, guerrières et dominatrices. Cette gravure rupestre de la Vallée des Merveilles, datant du tout début de l’âge du bronze, représente peut-être l’orage sous la forme d’un dieu vengeur. Source : http://www.savoirs-alpesmaritimes.fr/Periodes-historiques/Prehistoire/Les-gravures-du-mont-Bego 4.2 La métallurgie et l’entrée définitive dans la violence Vers – 5 000 ans avant notre ère, la métallurgie apparut en Europe centrale puis s’étendit sur le reste du continent. Des fours permettaient de fondre le cuivre et l’or à 1 000° C pour fabriquer surtout des objets de prestige car ces métaux peu rigides ne sont pas d’une grande utilité pratique dans une société agraire. Les archéologues les retrouvent dans certaines sépultures, datées de l’époque où les différences sociales se creusèrent à l’intérieur des sociétés. La maîtrise de la métallurgie caractérise ce que l’on nomme la protohistoire. Vers – 2 500 ans avant notre ère, l’ajout d’étain au cuivre permit de fabriquer des armes en bronze, et notamment des épées, beaucoup plus solides, à l’époque que l’on nomma l’âge du bronze. Tout comme certaines pierres considérées comme particulièrement précieuses, l’étain fut commercialisé dans l’ensemble de l’Europe. Il était notamment extrait dans les îles britanniques et exporté sur une grande partie du continent. Vers – 1 000 ans avant notre ère, il devint possible de fondre le minerai de fer, beaucoup plus abondant dans la nature, mais dont la température de fusion atteint 1 200° C. La métallurgie du fer permit de fabriquer des armes particulièrement redoutables et d’inventer les outils agricoles utilisés dans nos campagnes jusqu’à la mécanisation du XXe siècle. L’Europe entra alors dans ce que l’on nomme l’âge du fer. Ce terme porte un double sens : il se réfère au métal, il caractérise également une époque sinistre où la violence s’accrut fortement. On a ainsi retrouvé dans le nord de l’Allemagne, au bord de la rivière Tollense, les vestiges d’une bataille qui se déroula vers – 1 200 ans avant notre ère, au cours de laquelle plusieurs milliers de combattants s’affrontèrent et laissèrent au moins deux cents morts sur le terrain ainsi qu’une grande quantité de pointes de flèches en silex ou en fer, des couteaux, des fragments d’épées, des haches, des massues… Conclusion : une nécessaire rigueur méthodologique L’étude de la préhistoire ne produit aucune vérité définitive. Nous avons vu que les préhistoriens interrogent les rares vestiges à leur disposition à partir des questionnements qui traversent notre société : la définition d’un.e humain.e, la domination masculine, les migrations et le métissage, etc. Sans nécessairement se contredire, ces interprétations produisent une connaissance certes lacunaire, mais de plus en plus fine du lointain passé humain. Ces interprétations s’appuient surtout sur les progrès considérables des sciences physiques et de la génétique. Même si ces disciplines ne sont pas à la portée de tout le monde, elles nous permettent de comprendre que l’établissement d’un fait scientifique suppose un travail minutieux qui peut remettre en cause des savoirs précédemment constitués. L’évolution de nos connaissances ne découle pas de quelconques complots ni du relativisme, mais de nouvelles découvertes et de l’avancée de la science. Si elle permet de comprendre cela, l’étude de la préhistoire constitue une bonne introduction aux études historiques.